Poursuivons exploration du modèle de l’apprentissage exposé et développé par Musial et Tricot (2020) en présentant leur distinction de six processus d’apprentissage.
Un des grands attraits de ce modèle est de pouvoir servir d’interface entre l’enseignement explicite et la science de l’apprentissage. Il trace des liens entre les tâches d’apprentissage et les connaissances construites de manière guidée, ce qui permet de mieux guider la conception pédagogique.
Comme pour les six formats de connaissances, les six processus d’apprentissage clarifient les enjeux des processus en action dans le cadre d’une classe et en dehors.
Apprentissages adaptatifs et scolaires
Apprentissages adaptatifs
Selon Musial, Pradère et Tricot (2012), apprendre, dans un sens général, correspond pour la plupart des espèces animales, à l’adaptation des individus à leur environnement.
Dans ce cadre adaptatif ou implicite, apprendre c’est changer au cours de sa vie pour s’adapter à son environnement.
Si l’enfance est la période principale de cette adaptation, les individus continuent à s’adapter aux changements de leur environnement tout au long de leur vie.
Pour les humains, l’environnement est essentiellement physique, vivant, social, culturel, affectif et technologique.
Ce qui est élaboré par l’individu au cours de cette adaptation relève soit des connaissances, soit des souvenirs. Dans un cadre scolaire, c’est le domaine des connaissances qui nous intéresse.
Cette fonction adaptative des apprentissages est bien limitée :
- Ils sont systématiques, non coûteux, ne nécessitent ni motivation, ni effort, ni enseignement.
- Ils se déroulent donc aussi bien dans les sociétés avec école que sans école.
- Ils ne permettent d’apprendre que ce qui est adaptatif, c’est-à-dire ce qui fréquemment présent dans l’environnement naturel.
Chez les humains, l’apprentissage adaptatif est principalement mis en œuvre à travers les activités d’exploration de l’environnement, de relations sociales (notamment d’imitation) et, à l’intersection des deux précédentes, des activités de jeux.
Un exemple d’apprentissage adaptatif est celui de notre langue maternelle. Ils peuvent être des concepts, des faits, des mots, des règles, des savoir-faire, des stratégies ou des automatismes.
Apprentissages scolaires
Les apprentissages doivent également remplir une autre fonction que l’adaptation. Ils doivent permettre de s’ouvrir à des connaissances qui ne sont pas directement utiles dans notre environnement. Ils doivent nous préparer à vivre dans un environnement d’adultes, un environnement social, professionnel, technologique, etc.
On va alors parler d’apprentissages scolaires.
Les tâches scolaires et les apprentissages scolaires ont des caractéristiques précises qui peuvent être incompatibles avec ces apprentissages adaptatifs. Ils correspondent aux conditions où l’apprentissage est essentiellement institué et explicite : par exemple, un élève apprend le Théorème de Pythagore.
Les situations d’apprentissage par instruction sont largement mises en œuvre pour pallier les lacunes des apprentissages implicites. Ces derniers ne permettent pas d’apprendre à lire ou à résoudre des équations du second degré.
Il faut dès lors mettre en place un enseignement ou une formation. L’enseignement vise à fournir de nouvelles connaissances aux individus qui les utiliseront pour répondre aux contraintes de leur environnement futur.
Les apprentissages scolaires sont souvent coûteux et difficiles. Ils requièrent en effet des efforts, du temps, de la motivation, à la fois de la part de l’élève et de l’enseignant.
Ils impliquent que les connaissances préalables soient mobilisées et que les connaissances nouvelles soient réutilisées, fréquemment, dans des situations diverses. Pour être motivantes, les situations doivent avoir du sens pour les élèves, présenter un degré de défi ni trop important ni trop faible.
Apprendre dans un contexte scolaire
Musial et Tricot (2020) partent de la considération qu’apprendre, c’est modifier une connaissance :
- Les connaissances préalables sont mobilisées
- Les connaissances nouvelles sont réutilisées fréquemment, dans des situations diverses.
Les processus d’apprentissage peuvent être mis en œuvre pour élaborer des connaissances nouvelles ou pour transformer des connaissances préalables.
Les processus d’apprentissage associés aux connaissances pour comprendre le monde sont essentiellement :
- La compréhension
- La conceptualisation
- La prise de conscience.
On peut distinguer deux types de connaissances :
- Les connaissances déclaratives
- Elles sont élaborées par un processus que nous appelons mémorisation.
- La mémorisation est proche de l’apprentissage par cœur.
- Les processus :
- Ils permettent d’élaborer ou de transformer des connaissances pour agir sur le monde. Ils sont essentiellement :
- La procéduralisation
- L’automatisation.
La compréhension
La compréhension représente un processus d’élaboration initiale qui aboutit à une connaissance spécifique ou à une représentation mentale d’une situation, d’un texte, d’un objet, d’une image ou d’un fait.
Cette activité mentale est aisée à amorcer. Elle est même irrépressible même si son aboutissement peut rencontrer des difficultés.
Nous ne pouvons pas nous empêcher d’interpréter une situation que nous avons devant les yeux à partir du moment où nous lui consacrons notre attention. Cependant, rien ne garantit que cette compréhension soit correcte.
La compréhension est l’interprétation correcte ou erronée faite par quelqu’un de quelque chose, à un moment donné, en fonction :
- De ses connaissances préalables
- De ses expériences personnelles.
La compréhension est la confrontation entre :
- Une source extérieure
- Les connaissances de l’apprenant.
La compréhension est conjoncturelle et attachée à une situation. Elle a lieu à un moment donné, mais n’est pas nécessairement stable dans le temps. Elle est sensible à l’oubli. Ce que l’élève a compris lors d’un cours en classe, il peut l’avoir oublié lors du prochain cours, ce qui représente toujours un défi pour les enseignants.
La conceptualisation
La conceptualisation peut être définie comme le processus d’élaboration d’un concept, c’est-à-dire de l’aboutissement à une connaissance relativement stable d’un aspect du monde.
La conceptualisation est plus pérenne et générale que la simple compréhension. Elle est mobilisable dans différentes situations.
Le processus de conceptualisation est largement basé sur l’induction, c’est le passage de cas particuliers à l’identification d’une structure commune à ceux-ci.
La conceptualisation serait fondée sur un triple processus :
- Le repérage de traits communs correspond à la construction d’une catégorie
- L’élaboration d’une étiquette pour la catégorie
- L’établissement de relations avec d’autres concepts.
La conceptualisation est généralement considérée comme un processus d’apprentissage :
- Non spécifiquement coûteux en efforts mentaux.
- Mais qui peut prendre du temps, de plusieurs semaines à plusieurs mois.
Le changement conceptuel est un processus selon lequel un individu change de conception à propos d’un aspect du monde à la suite d’un enseignement.
La mémorisation littérale
L’élaboration d’une trace littérale en mémoire correspondrait à un double processus.
- Tout d’abord, l’élaboration d’une trace en mémoire de travail est un processus automatique sur lequel les humains ont peu de contrôle : ce qui est encodé, c’est-à-dire perçu et traité, constitue une trace. Cette trace est extrêmement labile : elle est altérée au bout de quelques secondes sauf si l’on a procédé à un traitement de cette trace (autorépétition, association) pendant ces quelques secondes.
- L’élaboration d’une trace littérale peut aussi être réalisée en mémoire à long terme (on peut connaître par cœur un numéro de téléphone). Une telle élaboration dépend :
- De la fréquence d’utilisation de la trace : plus la trace est utilisée fréquemment, plus la probabilité qu’elle soit élaborée dans une forme exacte est élevée.
- De l’importance de la trace, notamment de l’importance accordée au moment de l’encodage
- De l’absence de concurrence avec une autre trace
- Du degré d’élaboration de l’encodage de la trace (c’est-à-dire des liens faits avec d’autres connaissances déjà en mémoire à long terme).
L’élaboration d’une trace littérale serait avant tout fonctionnelle :
- Nous élaborons des traces littérales des connaissances qui nous sont fréquemment utiles sous cette forme littérale. Ce qui est fréquemment utile nous est important. Nous accordons de l’importance à son encodage, sur lequel nous faisons un travail d’élaboration.
- Nous apprenons aussi par cœur ce qui nous est cher, par exemple le numéro de téléphone ou la date de naissance d’une personne à qui nous tenons.
- Une telle élaboration dépend aussi de l’absence de concurrence avec une autre trace et du degré d’élaboration de l’encodage de la trace.
Cependant, les mécanismes de détérioration de la trace littérale (mécanisme de l’oubli) sont nombreux. Quelques jours sans mobilisation de ce que nous avons appris par cœur suffisent parfois à effacer cette trace littérale pour en faire une trace approximative.
La procéduralisation
La procéduralisation concerne soit :
- Un processus d’élaboration d’une connaissance procédurale
- Un processus de transformation d’une connaissance.
C’est la phase associative de l’apprentissage : elle consiste essentiellement à associer un but, une situation et une procédure. C’est un processus d’apprentissage lent et coûteux cognitivement : il requiert des efforts de la part de l’individu et représente donc une charge cognitive élevée.
C’est le processus de transformation de quelque chose que nous comprenons ou parvenons à réaliser par tâtonnement en quelque chose que nous savons faire de façon explicite et contrôlée : une méthode.
Une méthode est donc une suite d’actions que nous sommes capables de décrire et de mettre en œuvre pas à pas, en contrôlant à chaque pas que l’on ne fait pas d’erreur.
Selon Musial et Tricot (2020), la procéduralisation aboutit à l’élaboration de procédures qui peuvent se ranger sur un continuum qui va :
- Du très général et très explicite : par exemple, synthétiser un document en appliquant certaines règles.
- Au très particulier et très implicite : par exemple résoudre une équation du second degré.
Musial et Tricot (2020) distinguent deux catégories de processus de procéduralisation permettant de transformer une connaissance procédurale.
Les processus de généralisation :
- La compilation : enrichir la procédure par assemblage de procédures plus élémentaires. Par exemple, apprendre à réaliser une recette de cuisine, à réaliser un titrage, à rédiger une étude de fonction.
- L’extension du domaine de validité : modification des conditions d’utilisation. Par exemple, passage du contrôle d’un vélo à trois roues à celui d’un vélo à deux roues.
Un processus de particularisation
- Le transfert proche : le savoir-faire est modifié pour permettre son adaptation à une situation différente, mais présentant une analogie importante avec la situation habituelle d’utilisation de la connaissance. Par exemple, apprendre un nouveau logiciel de traitement de texte alors que nous connaissons bien un ancien.
Selon Anderson (2000), le processus de procéduralisation comporte trois étapes.
- L’individu identifie dans une situation donnée les connaissances qui vont lui être utiles à sa résolution.
- L’individu n’associe plus la situation à la résolution du problème, mais plus directement à la solution.
- L’individu apprend à créer des règles qui consistent en l’appariement entre une condition et une action.
Cet appariement est susceptible de devenir un automatisme s’il est utilisé très fréquemment et longtemps. C’est le cas par exemple pour la lecture ou pour les opérations basiques en mathématiques.
L’automatisation
À la différence d’Anderson (2000), Musial et Tricot (2020) identifient l’automatisation comme un processus spécifique. L’automatisation est le processus de transformation d’une méthode ou d’un savoir-faire en un automatisme.
Un automatisme, comme par exemple connaître ses tables de multiplication par cœur, démarrer sa voiture, ouvrir un robinet, à l’opposé d’une méthode, est irrépressible, rapide et non contrôlé.
Une connaissance automatisée est cognitivement très peu coûteuse pour la mémoire de travail. L’individu va pouvoir la mobiliser aisément, puis la mettre en œuvre sans effort cognitif. Il n’exercera pas par défaut de contrôle sur cette mobilisation et cette mise en œuvre.
Ce processus d’apprentissage est surtout la conséquence de la fréquence : une connaissance devient un automatisme quand elle est fréquemment utilisée et régulièrement rencontrée.
La prise de conscience ou élaboration d'une connaissance déclarative sur un automatisme
La prise de conscience désigne le processus d’élaboration d’une connaissance déclarative de quelque chose que nous savons faire, généralement un automatisme.
C’est se mettre à comprendre ce que nous savons faire sans réfléchir.
La prise de conscience est un processus essentiel des apprentissages. Elle est soutenue par deux processus distincts :
- L’analyse de l’action : prendre conscience de ce que nous faisons est être capable de découper une action en étapes, distinguer les actions élémentaires les unes des autres, les catégoriser.
- L’explicitation : prendre conscience, c’est nommer ce que l’on fait, donner un nom à chaque action.
- Particulière lorsqu’elle concerne une action limitée. Elle correspond donc au processus de compréhension de l’action pour former une connaissance particulière.
- Générale lorsqu’elle concerne un ensemble d’actions, une méthode. Elle correspond au processus de conceptualisation pour former un concept.
En retour, la connaissance déclarative construite par prise de conscience de l’action pourra être ensuite utilisée pour :
- Planifier l’action de façon consciente et réfléchie
- Contrôler ou évaluer la mise en œuvre de l’action.
- Augmenter le domaine d’utilisation, c’est-à-dire étendre l’ensemble des tâches que cette connaissance permet de réaliser.
Mis à jour le 28/06/2023
Bibliographie
Manuel Musial et André Tricot, Précis d’ingénierie pédagogique, 2020, De Boeck
Anderson, J. R. (2000). Learning and memory: An integrated approach (2nd ed.). John Wiley & Sons Inc.
Musial, M., Pradère, F., & Tricot, A. (2012). Comment concevoir un enseignement ? Bruxelles : De Boeck.
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