lundi 14 mars 2022

Quelques mythes et malentendus sur l'éducation

D’où viennent les mythes éducatifs ? Pourquoi perdurent-ils ? Cet article explore cette question et développe quelques exemples de neuromythes.

(Photographie : zaimpod)


Source des mythes et malentendus éducatifs


S’il est une activité professionnelle dans laquelle les représentations sur le fonctionnement du cerveau jouent un rôle crucial, c’est l’enseignement.

Les activités et les approches pédagogiques que les enseignants mettent en place traduisent leurs conceptions quant à l’apprentissage. Ainsi, des conceptions erronées, que l’on appelle souvent neuromythes peuvent mener à des malentendus pédagogiques ou mythes éducatifs.

La notion de malentendu pédagogique repose sur le fait que l’enseignant va mettre en pratique ses conceptions erronées, qui ne vont pas lui permettre d’aboutir au résultat escompté.

La source du malentendu pédagogique peut être de nature pseudoscientifique, être une croyance ou une théorie scientifique depuis réfutée. Elle peut être une simplification à outrance d’une théorie scientifique, généralisée et sortie de son contexte d’application. 

Les enseignants adaptent leurs pratiques dans le but de maximiser l’apprentissage des élèves en fonction de leurs conceptions. Dans certaines situations, l’adhésion à l’un ou l’autre conception erronée peut ainsi amoindrir la qualité de leur enseignement et avoir des conséquences défavorables sur le progrès des élèves. Il ne s’agit donc pas d’un sujet anodin.

Les sciences cognitives sont complexes et exigeantes. Une découverte, un concept ou une théorie passent régulièrement à travers plusieurs canaux de communication avant de nous arriver. Elle passe de l’article de recherche aux publications dans des revues, dans des livres ou sur des blogs, elle aboutit finalement à des sessions de formation en développement professionnel jusqu’aux enseignants. Parfois, l’intégrité scientifique, même si elle était présente au départ, s’est perdue. Les implications qui en découlent pour l’enseignement s’en retrouvent distordues et confuses menant à des pratiques non optimales.

Également, ce qui explique souvent l’attrait de nombreux mythes et malentendus pédagogiques est qu’ils offrent une solution simple. Ces solutions simples deviennent encore plus intéressantes lorsque les enseignants sont sous pression.

Selon Amadieu et Tricot (2020), les connaissances issues de la recherche scientifique sont beaucoup plus pertinentes et efficaces pour débusquer les croyances fausses, pour établir précisément ce que nous ne savons pas, que pour dire la vérité. 



Persistance des mythes et malentendus éducatifs


Le plus grand problème des mythes éducatifs est que les personnes qui y croient seront souvent capables de trouver suffisamment de preuves dans leur pratique quotidienne pour étayer leurs convictions.

Pedro de Bruyckere et ses collègues (2015) développent trois raisons.

  1. La structuration : une tendance à trouver des modèles significatifs dans un bruit aléatoire. Dans sa pratique, la personne va mettre en évidence les moments où le mythe pédagogique semble avoir un effet positif et ignorer sciemment tous les autres, ce qui donne une vision complètement faussée.
  2. Le biais de confirmation : la recherche et la découverte de preuves confirmatives pour ce que nous croyons déjà. La personne va lire systématiquement des ressources qui vont dans le sens de ce mythe pédagogique et avoir des échanges avec des personnes qui vont dans le même sens. Tout ce qui ne va pas dans le même sens et ignoré et combattu. Tout discours contraire est remis en question, qualifié de provocateur ou rejeté.
  3. Le biais rétrospectif : adapter les explications a posteriori à ce que nous avons déjà savent ce qui s’est passé. Le biais rétrospectif consiste en une erreur de jugement cognitif désignant la tendance qu’ont les personnes à surestimer rétrospectivement le fait que les événements auraient pu être anticipés moyennant davantage de prévoyance ou de clairvoyance. Il s’agit d’un mécanisme de déni du hasard. Dans celui-ci, tout événement doit pouvoir se justifier afin d’être le plus prévisible possible, sa fonction étant dès lors de conforter les individus dans leur sentiment de contrôler l’incertitude.

Il est essentiel pour remettre en cause les mythes éducatifs, de faire référence à des sources scientifiques qui se fondent sur quelque chose de plus qu’une expérience anecdotique, qui, presque par définition, est biaisée.

Les mythes éducatifs sont l’un des principaux facteurs qui font obstacle à l’innovation et au changement.

(De Bruyckere Pedro, Kirschner Paul A., Hulshof Capser D., « Urban myths », Academic Press, 2015)

(Amadieu, F., & Tricot, A. (2020). Apprendre avec le numérique, 2e édition. Retz, collection Mythes et réalités.)

Dans la suite de l’article, nous explorons quelques mythes pédagogiques. D’autres sont abordés dans d’autres sections du site.



Il y a des différences en matière de capacités selon le sexe


Par exemple, on entend souvent que les filles seraient moins douées en mathématiques que les garçons. Des études scientifiques et sociologiques réfutent largement ce point de vue comme le relate Jean-Luc Berthier. Les stéréotypes culturels ont une influence non négligeable sur les déséquilibres que l’on trouve dans certains domaines entre les deux sexes. 

D’autres neuromythes et malentendus pédagogiques sont abordés sur ce blog au sein d’articles et ne sont pas repris ici.

Bibliographie : 
Jean-Luc Berthier, Grégoire Borst, Mickaël Desnos, Frédéric Guilleray, Les neurosciences cognitives dans la classe, p7 & p48, ESF Sciences Humaines, 2018



L’engagement et l’activité des élèves ne signifient pas nécessairement qu’ils sont occupés à apprendre


L’engagement des élèves dans un cours n’est qu’un pauvre indicateur pour l’apprentissage. Ce n’est pas parce que les élèves sont engagés, occupés à des tâches, concentrés et fournissent un travail conséquent qu’un quelconque apprentissage a lieu. Être actif pour apprendre ne signifie pas nécessairement bouger ou accomplir une tâche nécessitant de manipuler du matériel.

Peut-être que les activités qui leur sont données ne possèdent que peu de liens avec les objectifs d’apprentissage donnés ou peut-être que le lien n’est que très secondaire.

Être actif pour apprendre signifie, d’abord et avant tout, activer son cerveau, provoquer des échanges pertinents entre mémoire de travail et mémoire à long terme. L’important, c’est d’activer les neurones, car les neurones qui s’activent ensemble se connectent ensemble (Loi de Hebb).


Bibliographie : 
Kate Jones, Love to teach, p 18, John Catt, 2018
Steve Masson, Activer ses neurones, 2020, Odile Jacob



L’esprit humain ne réfléchit pas comme un ordinateur



Les hommes sont plus doués pour certains types de raisonnement si on les compara aux animaux. Cependant, on peut se référer à la dichotomie système 1/2 (système chaud/froid : voir article : Comment fonctionne le contrôle de soi ?). Il apparaît dès lors clairement que notre cerveau n’est pas conçu pour réfléchir, mais plutôt pour éviter de le faire. Réfléchir est une action lente et peu fiable. 

Un simple logiciel de jeu d’échecs bon marché peut battre 99 % des joueurs du monde. Cependant, même l’ordinateur le plus puissant du monde n’est pas capable de conduire un camion dans toutes les circonstances où un être humain peut le faire. En effet, si les hommes savent parfaitement adapter leur corps à des situations complexes, comme marcher sur des rochers, alors que les robots peinent énormément. Ils n’ont pas la capacité actuellement d’inventer de nouveaux mouvements ni de les adapter à des environnements complexes.

Par contre pour réaliser des tâches répétitives rapidement et avec un haut degré de fiabilité, les robots surpassent les humains à plate couture.

Le cerveau humain est fait pour bouger et voir, analyser l’environnement et réagir rapidement en fonction de ce qu’il perçoit, mais sa capacité de réflexion est lente, contraignante et approximative.

Bibliographie : 
Daniel T. Willingham, Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école !, pp4-5., La Libraire des écoles, 2010



Le mythe de l’effet Mozart


L’idée derrière le mythe de l’effet Mozart est que l’écoute de musique classique (Mozart) par les enfants peut augmenter le QI.

À l’origine est une publication de recherche en 1993. Trois chercheurs américains comparent l’effet sur la cognition de trois conditions expérimentales :

  1. L’écoute d’une sonate de Mozart
  2. L’écoute d’une musique relaxante
  3. Le silence.
Les adultes dans la première condition montrent une augmentation de 8 à 9 points des résultats de tests dédiés à la capacité spatiale, qui sont une partie de l’évaluation du QI. S’en suit un incendie médiatique qui s’étend comme une trainée de poudre, déformant, élargissant et sortant de son contexte les conclusions de la recherche initiale.

L’effet Mozart était né, sur les bénéfices de l’écoute d’une musique classique.

Entre-temps, les tentatives de réplications de l’étude initiale ont échoué, invalidant toute véracité de celle-ci. Mais cela n’a pas suffi à enrayer l’emballement médiatique et la mine d’or commerciale des produits dérivés qui s’ouvrait.



Bibliographie :
Pasquinelli Elena, « Mon cerveau ce héros », Le pommier, 2015



Le sucre provoque de l’hyperactivité chez des enfants


Il n’existe aucun lien entre le sucre et l’hyperactivité [Wolraich et col, 1995].



Nous ne pouvons pas connaître les métiers de demain ni quelles compétences seront nécessaires dans l’économie du futur


Des économistes, historiens, pédagogues, influenceurs, nous disent que nous ne pouvons pas prédire les emplois de l’avenir. Il serait donc inutile d’enseigner aux élèves des contenus. Nous devrions simplement compter sur eux pour qu’ils prennent ce dont ils ont besoin quand ils en ont besoin.

Si on ne peut pas prédire exactement quels seront les compétences et les métiers, on peut les prévoir en termes moins spécifiques qui sont toujours incroyablement utiles.

Bien sûr, dans un sens, nous ne pouvons pas prédire les emplois de l’avenir. De même que nous ne pouvons pas prédire le temps à la minute près, nous ne pouvons pas savoir avec certitude quel pourcentage des emplois de l’avenir nécessiteront telle ou telle compétence technique en programmation ou en électromécanique.

Mais nous pouvons faire des prévisions moins précises, plus fiables et plus utiles. Nous savons que les compétences de base et plus avancées en matière de lecture, d’écriture et de calcul sont extrêmement précieuses. Nous savons que la littératie et la numératie sont précieuses non seulement depuis des décennies, mais aussi depuis des millénaires. Elles sont à la base de nombreux développements plus avancés, comme les codes de programmation et les voitures à conduite autonome.

La technologie apporte d’énormes changements à notre société et à notre économie. Mais souvent, ces changements se produisent à la pointe de la technologie, et les changements s’appuient sur des bases plus stables. Dans les écoles, la meilleure façon de préparer les élèves à un avenir en mutation est de se concentrer sur les compétences qui ont fait leurs preuves sur de longues périodes.

[Bibliographie : Daisy Christodoulou, What skills will be needed in the economy of the future?, 2020, https://daisychristodoulou.com/2020/03/what-skills-will-be-needed-in-the-economy-of-the-future/]

Notre meilleur guide des connaissances dont nous aurons besoin à l’avenir est le savoir qui nous a été précieux dans le passé. De nouvelles découvertes qui font avancer le seuil de la connaissance humaine sont faites chaque jour, mais les fondamentaux des matières académiques changent lentement et conservent leur pouvoir.

[Bibliographie : Greg Ashman, 2017, Fads aside, the traditional VCE subjects remain the most valuable, https://www.theage.com.au/opinion/fads-aside-the-traditional-vce-subjects-remain-the-most-valuable-20171213-h03th0.html]




Un enseignement magistral (ex cathedra) est nécessairement inefficace


Un enseignement magistral n’est pas de manière générale aussi efficace pour des élèves qu’une approche générant un apprentissage actif à travers un traitement cognitif signifiant.

Toutefois, on ne peut pas en conclure d’emblée que l’enseignement magistral est une approche entièrement à proscrire.

Si l’apprentissage exige que le cerveau soit actif de manière pertinente, c’est tout à fait possible lors d’un enseignement magistral.

Par exemple, le fait d’observer quelqu’un accomplir ou apprendre une tâche peut activer les mêmes neurones que ceux de la personne observée. Seuls les neurones liés au mouvement sont inhibés puisque la personne qui observe est immobile.

Là où se trouve la difficulté est que si l’enseignement magistral peut effectivement contribuer à l’activation des neurones adéquats, un enseignant n’en a aucunement la certitude. La probabilité que cela ne soit pas le cas est élevée :
  • Les élèves peuvent laisser parfois malgré eux leur pensée les amener autre part (pensée contre-factuelle)
  • La matière présentée peut représenter une surcharge cognitive pour eux.
  • Les connaissances préalables nécessaires peuvent être absentes. 
En mettant en activité ses élèves, un enseignant évite ces risques, mais par défaut, il est erroné de considérer un enseignement magistral comme nécessairement inefficace pour tous et dans toutes les conditions.

[Bibliographie : Steve Masson, Activer ses neurones, 2020, Odile Jacob]



La méthode globale est efficace pour l’apprentissage de la lecture


Les personnes ayant appris à lire activent de façon prédominante l’hémisphère gauche de leur cerveau lors de la lecture. En particulier s’active une région que l’on appelle le cortex occipito-temporal gauche, située à l’intersection entre le lobe occipital de l’arrière du cerveau et le lobe temporal du côté du cerveau.

Cette région devient d’ailleurs de plus en plus activée au cours de l’acquisition de la lecture. En général, plus elle est activée, plus une personne est compétente en lecture. Pour apprendre à lire, il est donc souhaitable d’activer cette région.

L’activation de la région occipito-temporale gauche dépend de la stratégie de décodage des mots utilisée :
  • La méthode globale, consistant à reconnaître l’image globale du mot sans porter attention aux composantes du mot, c’est-à-dire les lettres — active davantage la région occipito-temporale droite.
  • Une approche graphophonétique — consistant à identifier le son des lettres composant un mot — active plutôt la région occipito-temporale gauche. 

Le fait est qu’il ne suffit donc pas d’activer le cerveau en lisant, il faut activer le cortex occipito-temporal gauche en encourageant l’élève à recourir à une stratégie de décodage graphophonétique des mots.

De nombreux travaux prouvent qu’une approche graphophonétique d’apprentissage de la lecture est nettement plus efficace qu’une approche globale.

Apprendre à lire, c’est notamment apprendre à établir des liens entre :
  • Les graphèmes (les lettres) stockés dans le lobe occipito-temporal gauche
  • Les phonèmes (les sons) stockés dans le cortex temporo-pariétal gauche qui est situé juste au-dessus.
Selon le modèle de Hebb, en activant ensemble les régions occipito-temporale et temporo-pariétale, on leur permet de se connecter ensemble.

La connexion de ces deux régions est un élément central dans l’établissement des réseaux de neurones de la lecture.

Le fait que des neurones qui s’activent ensemble se connectent ensemble permet d’établir des liens.

[Bibliographie : Steve Masson, Activer ses neurones, 2020, Odile Jacob]


[mis à jour le 20/06/2023]

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