vendredi 25 mars 2022

Apprendre à maîtriser des connaissances dans un environnement scolaire

Dans l’environnement scolaire, les élèves apprennent des connaissances en réalisant des tâches sous le guidage d’un enseignant. Dans cette perspective, enseigner c’est favoriser l’apprentissage des élèves. 

(Photographie : Natasha Kaser)




Voici une synthèse d’apports de Manuel Musial et André Tricot (2020) sur cette proposition.



L’apprentissage comme changement relativement permanent et invisible qui associe tâches et connaissances


Une théorie de l’apprentissage en milieu naturel



Selon Mayer (2011), l’apprentissage est un changement relativement permanent des connaissances ou du comportement d’une personne, dû à l’expérience. 

Ceci correspond à une théorie de l’apprentissage en milieu naturel.

Cette définition intègre trois composantes : 
  • La cause du changement :
    • Elle relève de l’expérience de l’apprenant dans son environnement, plutôt que de la fatigue, de la motivation, de médicaments, de conditions physiques ou d'interventions physiologiques.
    • Plus particulièrement, pour un élève, il s’agit de recevoir un enseignement qui vise certains objectifs d’apprentissage.
  • L'object du changement :
    • Ce sont le contenu et la structure des connaissances en mémoire ou du comportement.
    • La mémoire à long terme est le siège des connaissances qui sont intégrées au sein de schémas. 
  • La durée du changement :
    • La durabilité du changement peut être évaluée sur la maîtrise de connaissances ou d’une compétence. 
    • Elle relève du long terme plutôt que du court terme.
Si les comportements changent et sont observables, le changement dans les structures de connaissances n’est pas quant à lui directement observable. Nous sommes obligés de passé par le biais du comportement de l’élève, durant la phase d’enseignement et au terme de celle-ci.


Le paradoxe de l’évaluation

 
Si les connaissances sont invisibles, la seule façon de les voir est de demander à un élève de les manifester dans son comportement. Nous pouvons lui demander de réaliser une tâche qui implique la mobilisation des connaissances ou de la compétence que nous voulons évaluer et qui correspond à un objectif d’apprentissage. 

Toutefois, il y a un paradoxe dans l’évaluation. Pour vérifier la bonne maîtrise des connaissances et leur mobilisation possible en dehors du contexte direct de l’enseignement, nous sommes amenés à faire varier les versions de la tâche demandée.

Nous pouvons changer le contexte, le type, ou le degré de complexité ou de familiarité de la tâche. En introduisant certaines formes de changement, nous pouvons alors observer que la tâche n’est pas tout le temps réussie par un élève. Cela pose la question de l’interprétation du résultat d’une évaluation :
  • Est-ce que cela veut dire que la connaissance n’est pas complètement maîtrisée ?
  • Qu’elle n’est pas tout le temps maîtrisée en fonction du type de tâche ou de la variation qui sont considérés ? 
  • Que la maîtrise de la compétence n’est pas tout le temps apparente et cela en fonction du contexte de l’évaluation ? 
Dans cette perspective est-il raisonnable d’évaluer la maîtrise d’une connaissance si un facteur aléatoire lié à la tâche demandée peut faire passer de la réussite à l’échec ou inversement ?

La conséquence directe du paradoxe de l’évaluation est qu’en enseignant nous ne pouvons pas nous focaliser uniquement sur des tâches d’apprentissage singulières ou indépendantes. Il faut regarder plus loin et comprendre les liens qui unissent les tâches et les connaissances, d’une manière globale durant la phase d’apprentissage et celle d’évaluation. En ce sens, l’acquisition de l’apprentissage et l’évaluation de l’apprentissage passent par une même famille de tâches, qui sont cohérentes entre elles et en interaction avec les connaissances visées.



Le lien entre connaissances et tâches


Le modèle d’interaction connaissance-tâche


Pour sortir de cette apparente impasse, nous devons considérer que ce qu’un élève apprend n’est jamais une connaissance isolée, mais correspond toujours à un couple : 

 

Dès lors nous ne pouvons pas réellement évaluer une connaissance. Nous allons toujours évaluer un couple qui décrit l’interaction entre une connaissance et une tâche. 

De la même manière dans le cadre de l’enseignement explicite, une tâche est toujours reliée à un objectif d’apprentissage et à un objectif pédagogique.

Selon cette proposition, un élève n’apprend pas le théorème de Pythagore. Il n’apprend pas à résoudre des équations du second degré. Il n’apprend pas la règle d’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir. Il n’apprend pas des connaissances de manière isolée, mais comme étant le moyen de réaliser des tâches, ces dernières étant le moyen d’apprendre des connaissances.

Nous enseignons pour que nos élèves apprennent des couples reliant un type de tâche à une connaissance.

Par exemple, si en tant qu’enseignants de mathématiques nous voulons évaluer et décrire la maîtrise du théorème de Pythagore, cela revient pour nous à décrire l’ensemble des tâches que l’élève sait réaliser avec cette connaissance.

Une connaissance est ce qui permet de réaliser un ensemble de tâches. Si un individu ne maîtrise pas cette connaissance, alors il ne pourra pas réaliser les tâches issues de cet ensemble. Poser cette interaction entre connaissance et tâche nous permet de résoudre le paradoxe de l’évaluation.



Une théorie fonctionnaliste de la connaissance


Cette solution au problème de la connaissance, associant connaissance et tâche, appartient au domaine des théories fonctionnalistes de la connaissance. Les connaissances sont décrites selon leur fonction, ce à quoi elles servent, c’est-à-dire à la réalisation de tâches.

Les théories fonctionnalistes s’intéressent à l’organisation des connaissances chez des experts. L’organisation des connaissances expertes est dépendante des tâches et des environnements.

Nous n’apprenons pas des connaissances générales, mais des couples associant différentes tâches spécifiques à une connaissance spécifique. Dès lors, une connaissance est ce qui permet de réaliser une variété définie de tâches.



L’apprentissage comme un processus fondé sur des tâches


La tâche, un moyen et un but de l’apprentissage


Chaque seconde de notre vie, nous mobilisons des traces de notre passé pour comprendre notre environnement actuel et y agir. 

L’interaction avec l’environnement est le mécanisme fondamental de l’apprentissage. La tâche décrit l’interaction entre un humain et son environnement à un moment donné. Il est en action au présent dans un but défini.

Les interactions sont parfois inconscientes et passives entre un humain et son environnement.

Quand un humain interagit avec son environnement, il est actif à de multiples niveaux : 
  • Il perçoit.
  • Il est attentif.
  • Il réfléchit.
  • Il se pose des questions et émet des hypothèses.
  • Il raisonne et vérifie ces hypothèses.
  • Il manipule, communique, coopère ou se déplace.
  • Il observe le résultat de son action, etc.

Parfois, un observateur ne voit aucune action extérieure réalisée par le sujet observé alors que celui-ci perçoit, est attentif, réfléchit, se pose des questions, fait des hypothèses, etc. 



Importance de l’objectif et des connaissances préalables


Dans un même environnement, une même personne va agir différemment et apprendre des connaissances différentes selon le but qu’elle poursuit et en fonction de ses connaissances préalables.

L’environnement tient un rôle fondamental dans l’apprentissage. C’est l’environnement tel que le perçoit et le connaît le sujet humain. Deux personnes différentes ont deux connaissances préalables différentes dans cet environnement et vont en avoir deux perceptions différentes. Ce qu’elles vont en apprendre sera donc différent. L’apprentissage est la modification de notre connaissance préalable dans l’environnement.

Nous apprenons des connaissances en réalisant certaines tâches et ce que nous apprenons est strictement dépendant de nos connaissances préalables. Ce que nous en apprenons modifie notre rapport à la prochaine tâche que nous réaliserons. 

Apprendre c’est modifier une connaissance en réalisant une tâche dans un environnement. 



Différences entre connaissances et souvenirs


Évoluer dans un environnement nous permet d’acquérir de nombreuses connaissances récupérables ultérieurement. 

Les connaissances forment la part fonctionnelle de notre mémoire. Les souvenirs sont un autre type d’éléments accessible en mémoire.

Les souvenirs sont des traces d’évènements de notre passé que nous pouvons récupérer comme inscrits dans un contexte : un lieu, une époque, des personnes ou des actions. Les souvenirs forment la mémoire épisodique.

Par opposition, les connaissances concernent les traces de notre passé que nous sommes capables de récupérer même quand nous ne nous souvenons plus de leur source, c’est-à-dire de leur environnement d’origine.

Cet aspect de la mémoire s’appelle mémoire sémantique. 

Ces deux aspects de la mémoire ne sont pas étanches l’un vis-à-vis de l’autre. Il est tout à fait possible de récupérer une connaissance avec une composante épisodique. Nous nous rappelons telle notion ainsi que le cours et l’enseignant avec lequel nous l’avons apprise.



Les limites des connaissances et de leur validité


Connaissance et valeur de la connaissance


Nous pouvons nous retrouver face à des connaissances contradictoires et incompatibles. Il peut être parfois difficile de juger que telle connaissance est plus valide que telle autre. 

Différents systèmes de légitimation des connaissances différents peuvent entrer eux-mêmes en cohérence dans ce jugement : le savoir scientifique, l’expérience personnelle, l’anecdote, l’influence sociale, la dimension religieuse ou idéologique.

Dans l’absolu, nous distinguons la connaissance et la valeur de la connaissance. L’école est un système de légitimation des connaissances, certaines vont y être considérées comme valides, d’autres non.



Paradoxe de la connaissance


Plus un individu a de connaissances dans un domaine, plus la conscience de son ignorance dans ce domaine sera grande. 

Illustration du paradoxe de la connaissance (Tricot, 2017)



 
Plus ma connaissance augmente et plus la conscience de mon ignorance augmente (et c’est réciproque) (Tricot, 2017).



Caractéristiques des connaissances


De manière très générale, la connaissance peut :
  • Avoir différents états : être explicite ou implicite. 
    • Nous pouvons avoir une connaissance intuitive d’un élément, nous savons ce que c’est ou nous pouvons le faire, mais nous ne savons pas le décrire avec précision. 
    • Par exemple, à moins d’être moniteur d’auto-école ou passionné par la mécanique automobile, il peut être compliqué d’expliquer verbalement et précisément toutes les opérations que nous effectuons pour démarrer un véhicule. C’est une connaissance implicite.  
    • À l’opposé, une connaissance explicite peut être formalisée (représentée) selon une ou plusieurs formes (linguistique, algébrique, schématique, etc.). 
    • Par exemple, nous pouvons représenter le théorème de Pythagore par une phrase, par une équation ou par une figure géométrique. C’est une connaissance explicite.
  • Être caractérisée par ses conditions d’utilisation, son domaine de validité, c’est-à-dire l’ensemble des critères à remplir pour que cette connaissance puisse être utilisée. Par exemple, les procédures de résolution d’une équation du second degré ne s’appliquent pas à une équation trigonométrique ou à une équation du premier degré.
  • Être caractérisée par son domaine d’utilisation. Une même connaissance peut permettre de réaliser plusieurs catégories de tâches. Une connaissance est ce qui permet de réaliser un certain nombre de tâches. Si un individu ne maîtrise pas cette connaissance, alors il ne pourra pas réaliser ces tâches.

Caractériser un objectif d’apprentissage, c’est donc caractériser la connaissance (son état, son domaine de validité) et son domaine d’utilisation (l’ensemble des tâches qu’elle permet de réaliser). 

Puisqu’une connaissance est le moyen de réaliser un certain nombre de tâches, pour la caractériser nous devons définir :

Le niveau de maîtrise d’une connaissance :
  • À l’état de la connaissance (implicite vs explicite) : par exemple, un élève peut pouvoir appliquer une procédure en mathématiques automatiquement sans pouvoir expliquer le sens mathématique de chacune des opérations qu’il effectue.
  • À son domaine de validité 
  • À son domaine d’utilisation qui est conditionné au nombre de tâches connues et à la maîtrise de ces tâches.

La maîtrise des domaines de validité et d’utilisation contribue à la mobilisation de la connaissance, c’est-à-dire au fait de penser à l’utiliser pour interagir avec l’environnement.


Mis à jour le 26/06/2023

Bibliographie


Manuel Musial et André Tricot, Précis d’ingénierie pédagogique, 2020, De Boeck

André Tricot, L’innovation pédagogique, 2017, Retz

Mayer, R. E. (2011). Does styles research have useful implications for educational practice? Learning and Individual Differences, 21(3), 319–320. https://doi.org/10.1016/j.lindif.2010.11.016

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