Les enseignants visent généralement à enseigner le transfert, c’est-à-dire la capacité d’utiliser les connaissances acquises pour résoudre de nouveaux problèmes qui n’ont pas été rencontrés auparavant. Quelles approches permettent-elles d’en favoriser le succès ?
(Photographie : Tom Kondrat)
Distinguer le quasi-transfert et le transfert lointain
Cas du quasi-transfert
Dans la plupart des études sur le sujet, une partie des problèmes du post-test sont isomorphes. Ils présentent les mêmes caractéristiques structurelles (c’est-à-dire la même procédure de résolution) que les problèmes présentés dans les exemples, mais des caractéristiques de surface différentes (par exemple un contexte différent et des chiffres différents).
Les résultats de ces recherches suggèrent que les élèves sont capables d’un quasi-transfert (ou transfert proche) après l’étude des exemples, en utilisant ces derniers comme analogues.
Même si les caractéristiques de surface du problème diffèrent, les apprenants deviennent capables de reconnaître les caractéristiques structurelles du problème. Ils mettent en correspondance la procédure de résolution des problèmes de cette catégorie, qu’ils ont extraite des exemples.
Cas du transfert lointain
Pour résoudre un nouveau problème issu d’une catégorie de problèmes encore inconnue (transfert lointain), l’apprenant doit être capable de reconnaître et d’appliquer avec souplesse les parties pertinentes d’une procédure apprise précédemment.
Pour ce faire, il est impératif qu’un apprenant ne connaisse pas seulement les étapes procédurales des tâches de résolution de problèmes, mais comprenne également quand les déployer et pourquoi elles sont susceptibles de fonctionner dans cette situation.
Pour qu’un transfert lointain puisse se produire, la compréhension est essentielle. Comme l’affirment Ohlsson et Rees (1991) :
- Les procédures apprises sans compréhension conceptuelle :
- Tendent à être sujettes aux erreurs.
- Sont facilement oubliées.
- Ne se transfèrent pas facilement à de nouveaux types de problèmes.
- La compréhension d’une procédure implique à la fois :
- La connaissance du domaine : une connaissance de principe sur les objets et les événements de ce domaine (savoir et savoir-faire)
- La téléologie de la procédure : la connaissance de la logique ou du but des étapes d’une procédure (raisonnement et règles).
Des chercheurs ont visé à identifier des principes pédagogiques efficaces pour améliorer le transfert en favorisant la compréhension des élèves dans l’apprentissage par l’exemple. Nous allons maintenant les passer en revue.
Soutenir le transfert par la génération d’auto-explications
La plupart des recherches sur les problèmes résolus ont utilisé des exemples orientés sur le produit de la résolution.
Ce sont des problèmes qui montrent :
- Un état donné de départ : la formulation du problème
- Une séquence d’opérateurs : la procédure de résolution
- L’état cible : la solution
Ces problèmes ne montrent pas les principes ou la logique qui soutiennent la procédure de résolution. Il n’y a pas d’explication sur la sélection de la procédure adéquate et le pourquoi de l’application des opérateurs et dans quel ordre.
Or, la compréhension de ces aspects est nécessaire pour réaliser le transfert, plus particulièrement le transfert lointain. Comme ces informations ne sont généralement pas incluses dans les exemples, elles ne font pas partie du schéma de l’apprenant.
L’alternative est que celui-ci ne soit capable de générer lui-même des explications adéquates pour la sélection et l’application. Cette capacité est ce que nous appelons l’auto-explication.
La difficulté principale est que les élèves ne s’engagent pas toujours spontanément dans l’auto-explication. En outre, ils ne sont pas toujours capables de fournir des auto-explications de haute qualité.
Les élèves doivent être à la fois formés ou incités à le faire. Si cette condition préalable de capacité à fournir des auto-explications de haute qualité n’est pas remplie, alors fournir des explications pédagogiques de haute qualité peut s’y substituer et améliorer l’apprentissage à partir d’exemples.
En plus de fournir des auto-explications, les élèves peuvent également bénéficier de l’explication d’exemples de contenu à d’autres élèves (fictifs). Le résultat correspond à celui de l’auto-explication et de l’explication à d’autres personnes dans des situations interactives. L’explication du contenu appris à un autre élève fictif non présent sur vidéo s’est avérée bénéfique pour favoriser la compréhension et le transfert.
Une étude récente a montré qu’il en va de même lorsque dans un premier temps un apprenant étudie des problèmes résolus. Dans un second temps, il explique comment résoudre ce type de problème à un autre apprenant (fictif) sur vidéo (Hoogerheide et coll., 2018).
Fournir des explications pédagogiques pour soutenir le transfert
Lorsque les élèves sont incapables de générer des auto-explications de qualité, alors l’enseignant s’y substitue avec des explications pédagogiques de haute qualité.
En fournissant des explications pédagogiques, il faut toutefois tenir compte du fait que celles-ci peuvent devenir redondantes assez rapidement. Elles doivent alors être supprimées pour ne pas commencer à entraver l’apprentissage (effet d’inversion de l’expertise).
Les explications pédagogiques dans l’apprentissage ont des effets positifs lorsque :
- La compréhension conceptuelle est mise en avant en tant que résultat d’apprentissage (au lieu des connaissances procédurales).
- Elles ne s’accompagnent pas d’invites simultanées d’auto-explication.
- Elles sont fournies automatiquement et non à la demande de l’apprenant.
Comparer les (représentations des) solutions de problèmes au sein d’une catégorie de problèmes pour soutenir le transfert
Il existe une autre façon d’améliorer la compréhension par les élèves des principes qui sous-tendent les étapes de la résolution ou leur fonction. Elle consiste à leur demander de comparer des problèmes résolus ou différentes représentations de la même procédure de solution (par exemple, des graphiques et des équations) au sein d’une catégorie de problèmes.
Les élèves peuvent voir que les caractéristiques de surface varient d’un exemple à l’autre, mais ne sont pas pertinentes pour la procédure de solution.
Dans ce cadre, il est important de guider l’attention de l’apprenant vers les caractéristiques structurelles qui restent constantes dans les exemples. Nous l’invitons par exemple à comparer (et à expliquer) les points communs et les différences des exemples ou des représentations.
Toutefois, les élèves doivent avoir des connaissances préalables pour tirer réellement profit de la comparaison d’exemples.
Entremêlement de catégories de problèmes pour soutenir le transfert
La comparaison entre les procédures de résolution de différentes catégories de problèmes démontrée dans des problèmes résolus, des problèmes à compléter et des problèmes de pratique gagne à être encouragée.
Nous ne les présentons pas dans une séquence bloquée typique par type ou catégorie de problème (par exemple, AAA-BBB-CCC-DDD). Nous privilégions une séquence aléatoire (par exemple, A-C-D-B-B-C-A-D-A-B-D-C). Nous procédons de la sorte à un entremêlement.
La séquence aléatoire a tendance à augmenter la charge cognitive et à diminuer les performances pendant la formation. Toutefois, elle conduit généralement à de meilleurs résultats d’apprentissage et de transfert. Cette augmentation de la charge cognitive est due à des processus qui sont efficaces pour l’apprentissage (c’est-à-dire une charge intrinsèque).
Dans une séquence bloquée, une seule procédure doit être gardée à l’esprit pendant un bloc de tâches, une séquence aléatoire met vraisemblablement les apprenants au défi de comparer les différentes procédures pour résoudre les différents types de problèmes. Ces comparaisons peuvent favoriser leur compréhension des caractéristiques du problème qui sont pertinentes pour une certaine procédure de solution et celles qui ne le sont pas.
Comparer les exemples corrects et incorrects pour soutenir le transfert
Les élèves peuvent également mieux comprendre les principes qui sous-tendent les étapes de la solution (ou leur fonction) lorsque nous leur demande de trouver et de corriger ou d’expliquer des erreurs dans des exemples.
Les effets de l’étude d’exemples erronés ou d’un mélange d’exemples corrects et erronés ont été étudiés à l’aide d’une variété de tâches. Les études ont porté sur les compétences de communication, sur l’apprentissage moteur, les mathématiques ou le diagnostic médical.
Des recherches en mathématiques ont suggéré qu’un tel mélange, avec l’instruction de trouver et de corriger les erreurs, était moins efficace pour les élèves ayant de faibles connaissances préalables que l’étude des seuls exemples corrects. C’était d’autant plus le cas lorsque les erreurs n’étaient pas indiquées.
Des recherches ultérieures ont toutefois montré que même les novices pouvaient tirer profit de la comparaison des exemples corrects et erronés (par rapport à l’étude des exemples corrects uniquement) lorsque ceux-ci étaient présentés côte à côte.
Des études dans le domaine de l’enseignement médical ont également montré que l’étude d’exemples erronés peut également favoriser l’acquisition de connaissances diagnostiques par rapport à l’étude d’exemples corrects uniquement. La condition est que les exemples erronés soient accompagnés d’un retour d’information élaboré expliquant pourquoi une étape était incorrecte, au lieu d’indiquer uniquement qu’une étape était incorrecte.
Les novices ne tirent profit des exemples erronés que lorsqu’ils peuvent les contraster avec des exemples corrects ou recevoir un retour élaboré expliquant pourquoi une étape était incorrecte. La raison est que nous ne pouvons pas apprendre beaucoup par l’observation à moins d’être attentifs aux caractéristiques significatives du comportement modélisé et que celles-ci soient perçues avec précision.
L’importance de bien préciser les critères de réussite et normes de succès
Les novices n’ont que peu, voire pas, de connaissances préalables sur la façon dont une tâche doit être exécutée. Ils ne connaissent pas non plus les critères de réussite et les normes de succès ce qui constitue une bonne performance. C’est un phénomène qui a été surnommé la double malédiction de l’incompétence (Dunning et coll., 2003).
Nous pouvons opposer des exemples corrects et erronés, ou délivrer une rétroaction élaborée sur ce qui constitue une performance correcte et incorrecte. L’exemple correct ou la rétroaction peuvent servir de référence pour préciser les normes de performance. Celles-ci peuvent ensuite être appliquées pour évaluer ou apprendre de la performance défectueuse.
Cela explique également pourquoi la comparaison et l’explication des différences entre des exemples corrects et incorrects sont surtout efficaces lorsqu’ils sont présentés côte à côte.
Séquençage et sous-objectifs
Il est essentiel que les élèves ne se contentent pas de mémoriser les étapes de la résolution, mais qu’ils sachent surtout quand les déployer et pourquoi elles fonctionnent.
L’enjeu est qu’ils doivent pouvoir reconnaître et réassembler de manière flexible les parties pertinentes d’une procédure précédemment apprise pour résoudre un nouveau problème. Dans celui-ci, par exemple, la séquence des étapes doit être modifiée ou des étapes doivent être ajoutées ou supprimées.
En d’autres termes, les élèves doivent encoder les différentes étapes d’une chaîne non pas en tant qu’étapes individuelles, mais en tant que blocs de construction significatifs.
Une façon de les aider à le faire est de rendre les sous-objectifs de la procédure de résolution saillants, par exemple en les isolant visuellement ou en les labélisant.
Cela peut se faire par la segmentation, par des étapes, c’est-à-dire en faisant une pause après des unités d’événements significatifs ou par des sous-titres.
Une autre option consisterait à ne pas présenter aux élèves des procédures de solution globale liées à des catégories de problèmes, mais à leur présenter les composants modulaires à grain plus fin dont la procédure est constituée.
L’effet d’imagination lié à la répétition mentale de procédures et de concepts complexes
L’effet d’imagination appartient à la théorie de la charge cognitive. Il se produit lorsque les élèves apprennent davantage lorsqu’on leur demande d’imaginer (répéter mentalement), plutôt que d’étudier, des procédures ou des concepts complexes.
Dans un premier temps des élèves étudient des exemples de problèmes résolus ou de tâches complexes réalisées. Après l’étude initiale, il a été démontré (Leahy & Sweller, 2008) que le fait d’imaginer ou de répéter mentalement la procédure présentée dans les exemples améliore les résultats de l’apprentissage par rapport à l’étude seule.
De même, la répétition mentale d’un comportement observé peut favoriser l’apprentissage, à condition qu’elle soit exacte. Cet effet est plus particulièrement susceptible de se produire pour les tâches qui exigent un traitement cognitif plus poussé.
L’effet d’imagination s’applique principalement :
- Lorsque les élèves disposent d’au moins quelques connaissances préalables dans le domaine considéré. Pour les élèves ayant peu ou pas de connaissances préalables, l’étude d’exemples supplémentaires reste plus efficace.
- Avec des tâches et des problèmes complexes, c’est-à-dire des énoncés à forte charge intrinsèque, contenant de nombreux éléments d’information en interaction.
La répétition mentale peut prendre la forme d’une auto-explication ou d’une récupération mentale de connaissances préalablement apprises. Un point fort de l’effet d’imagination est la récupération et la structuration de connaissances en mémoire à long terme à partir de leur mobilisation par la mémoire de travail.
Mis à jour le 05/06/2023
Bibliographie
Van Gog, T., Rummel, N., & Renkl, A. [2019]. Learning how to solve problems by studying examples. In J. Dunlosky & K. Rawson [Eds.], The Cambridge handbook of cognition and education [pp. 183–208]. New York, NY: Cambridge University Press.
Ohlsson, S. & Rees, E. (1991). The function of conceptual understanding in the learning of arithmetic procedures. Cognition and Instruction, 8, 103–179.
Hoogerheide, V., Van Wermeskerken, M. M., Van Nassau, H., & Van Gog, T. (2018). Model-observer similarity and task-appropriateness in learning from video-modeling examples: Do model and student gender affect test performance, self-efficacy, and perceived competence? Computers in Human Behavior, 89, 457–464.
Dunning, D., Johnson, K., Erlinger, J., & Kruger, J. (2003). Why people fail to recognize their own incompetence. Current Directions in Psychological Science, 12, 83–87.
Wayne Leahy; John Sweller. (2008). The imagination effect increases with an increased intrinsic cognitive load. , 22(2), 273–283. doi:10.1002/acp.1373
0 comments:
Enregistrer un commentaire