jeudi 20 janvier 2022

Relier l’enseignement à l’environnement de l’élève : le cas de la pédagogie Decroly et celui du cours de sciences

Il semble intuitivement pertinent de partir des expériences, de la curiosité et de questions que se posent les élèves pour favoriser leurs apprentissages. Malheureusement, la démarche comporte des limites.

(Photographie : Nemanja Knezevic)


Les fondements de la pédagogie Decroly


Ovide Decroly (1871-1932) a été un pédagogue emblématique de l’éducation nouvelle :.

La pédagogie du docteur Ovide Decroly repose sur les fondements suivants :
  • L’enfant pense et apprend globalement. Par conséquent, c’est une approche complète et transversale qu’il faut proposer à l’élève, pour passer ensuite à l’analyse, aux détails, à l’abstrait. C’est de ce principe que s’inspire la méthode globale de lecture, mise au point par Decroly.
  • Les centres d’intérêts de l’enfant sont considérés comme la base des apprentissages, l’intérêt étant l’expression d’un besoin. Pour stimuler l’intelligence d’un enfant, il faut s’adresser à son affectivité et exciter sa curiosité. Ses centres d’intérêt servent toujours de fil conducteur dans l’enseignement. 
  • L’ouverture sur la nature est fondamentale et l’organisation scolaire est fondée sur les projets. 

L’idée est de partir de sujets issus de l’environnement des élèves et enracinés dans leur histoire personnelle. Ce lien clair avec le milieu et l’environnement de l’élève va éveiller chez lui sa curiosité et sa motivation. C’est la base pour attirer plus facilement l’attention de l’élève et pour le motiver intrinsèquement.



L’absence de validité des fondements de la pédagogie Decroly


Le danger est tous les élèves n’ont pas les mêmes capacités, ni la même motivation intrinsèque initiale, ni le même bagage culturel familial.

Dès lors, miser sur les connaissances personnelles des élèves pour démarrer une nouvelle matière est dès lors dangereux et potentiellement discriminant

Pourtant, la démarche semble intuitivement séduisante pour des élèves en difficulté et est susceptible de les motiver

Hattie et Yates (2013) expliquent que plusieurs études ont montré que les élèves de faible niveau préfèrent une approche de type apprentissage par la découverte aux leçons basées sur l’instruction directe. Cependant, ils apprennent moins de ces dernières. 

Dans des conditions de faible orientation, l’écart de connaissances entre les élèves de faible niveau et ceux de niveau supérieur tend à s’accroître. L’absence d’orientation directe a des effets plus néfastes sur l’apprentissage des élèves de faible niveau. C’est notamment le cas lorsque les procédures ne sont pas claires, que le retour d’information est réduit et que les idées fausses restent des problèmes à résoudre plutôt que des erreurs à corriger.

Avec une pédagogie qui favorise la découverte autonome des élèves, des opportunités d’apprentissage sont perdues en raison d’un manque de connaissances préalables. Les élèves sont incapables d’extraire ce qu’ils devraient potentiellement des expériences, des situations des exemples, des documents qui sont mis à leur disposition. 



Les conclusions de PISA 2015 sur l’enseignement des sciences


En décembre 2016, l’OCDE a publié les résultats de l’enquête PISA, qui portait sur les performances scolaires des élèves de 15 ans dans les pays participants plus spécifiquement dans le cadre du cours de sciences. 

Le graphique synthétise des observations du rapport :



Ce graphique contient à la fois une série de 27 facteurs associés aux performances en sciences. 

Certains sont imposés par le contexte et d’autres sur lesquels un système éducatif ou même un établissement scolaire peuvent potentiellement agir.

Deux facteurs modifiables sont frappants et mis en évidence : 
  • L’apprentissage par la découverte dans le cadre des cours de sciences a une association négative avec le résultat des élèves. Des élèves qui suivent des cours qui répondent à cette pédagogie vont en moyenne réussir moins bien.
  • L’enseignement dirigé par l’enseignant dans le cadre du cours de sciences a une association positive avec le résultat des élèves. Des élèves qui suivent des cours qui répondent à cette pédagogie vont en moyenne réussir mieux.

Les deux graphiques ci-dessous illustrent encore plus clairement la situation : 




Il existe clairement la relation positive entre l’enseignement explicite et les résultats des élèves tandis qu’elle est négative pour l’apprentissage par la découverte.

Dans presque tous les systèmes éducatifs :
  • Les élèves obtiennent de meilleurs résultats en sciences lorsqu’ils déclarent que leurs professeurs de sciences expliquent les idées scientifiques, discutent de leurs questions ou démontrent une idée plus fréquemment. 
  • Ils obtiennent également de meilleurs résultats en sciences dans presque tous les systèmes scolaires lorsqu’ils déclarent que leurs professeurs de sciences :
    • Adaptent la leçon à leurs besoins et à leurs connaissances préalables ou 
    • Délivrent une aide individuelle lorsqu’un élève a des difficultés à comprendre un sujet ou une tâche. 

Toutes ces caractéristiques sont au cœur d’un enseignement explicite.



Un malentendu sur les bonnes pratiques concernant l’enseignement des sciences


Le différentiel est autant manifeste que saisissant. Il va à l’encontre de ce qui est généralement promu comme étant la meilleure façon d’enseigner les matières scientifiques. Il y a une explication à cela. 

Dans un article publié en 2000, « Why education experts resist effective practices (and what it would take to make education more like medicine) », Douglas Carnine compare les sciences de l’éducation aux sciences médicales. 

Dans le domaine médical, les scientifiques prennent au sérieux les preuves scientifiques produites par d’autres scientifiques de leur domaine. 

Le même constat ne peut pas être posé en ce qui concerne les chercheurs en sciences de l’éducation. 

De nombreuses études dans le domaine des sciences de l’éducation s’appuient sur des études qualitatives qui empêchent toute généralisation. Certains de leurs défenseurs éprouvent explicitement une certaine hostilité à l’égard des méthodes de recherche quantitatives et statistiques ou les rejettent.

Même lorsque les preuves de la recherche quantitative sont sans appel, comme c’est le cas pour l’enseignement explicite, certains chercheurs ignorent sciemment ces résultats s’ils ne correspondent pas à leurs préférences idéologiques.

Comme l’écrit Douglas Carnine, dans le domaine de l’éducation, les jugements des experts semblent souvent ne pas être contraints par la recherche objective et parfois même ne pas être affectés par elle. Il qualifie cette situation de symptomatique d’un domaine qui n’a pas évolué vers le professionnalisme.

Dans un tel domaine, des méthodes d’enseignement dont l’inefficacité est prouvée sont encore adoptées et promues, comme c’est le cas avec l’apprentissage par la découverte face à l’enseignement explicite.


Mis à jour le 24/05/2023


Bibliographie


Pedro De Bruyckere, The ingredients for great teaching, 2018, Sage

Carnine, D., (2000). Why Education Experts Resist Effective Practices (And What it Would Take to Make Education More Like Medicine). Consulté sur le site http://www.wrightslaw.com/info/teach.profession.carnine.pdf

Paul A. Kirschner & Mirjam Neelen, Will the educational sciences ever grow up?, 2017, https://www.linkedin.com/pulse/educational-sciences-ever-grow-up-mirjam-neelen/

PISA 2015 Results Polcies and Practices for Successful Schools, Volume II. Retrieved from http://www.keepeek.com/Digital-Asset-Management/oecd/education/pisa-2015-results-volume-ii_9789264267510-en#.WFgMVVOLTIU

Nathalie Masure, Ovide Decroly, homme passionné par l’enfance et la pédagogie, 2018, https://ligue-enseignement.be/ovide-decroly-homme-passionne-par-lenfance-et-la-pedagogie/

Hattie & Yates: Visible Learning and the Science of How We Learn, Routledge, 2013

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