samedi 22 janvier 2022

Du maître sur l’estrade au guide qui accompagne ?

Elisabeth Fischer et Martin Hänze (2019) ont réalisé une étude de terrain comparant l’efficacité des méthodes d’enseignement guidées par l’enseignant et des méthodes d’enseignement activées par l’étudiant dans l’enseignement supérieur. 

(Photographie : Olga Petroff)


Les observations d’experts de 80 cours universitaires ont été combinées avec les données d’auto-évaluation de 1713 étudiants participant à ces mêmes cours. 



Une promotion de l’apprentissage centré sur l’élève dans l'enseignement supérieur


Dans de nombreux pays européens, l’apprentissage centré sur l’élève ou les pédagogies actives dans l’enseignement sont régulièrement encouragés. 

Par exemple, il existe une tendance de fond à promouvoir l’idée que les étudiants universitaires doivent être des partenaires actifs des enseignants dans le processus d’apprentissage plutôt que des récepteurs passifs de contenus pédagogiques. 

L’approche centrée sur l’apprenant vise à donner à l’étudiant une plus grande responsabilité, lui permettant de penser, de traiter, d’analyser, de synthétiser, de critiquer, d’appliquer ou de résoudre des problèmes. Il se fonde sur l’idée que les compétences ne s’acquièrent pas par un apprentissage réceptif, mais nécessitent un engagement actif, pratique et axé sur les problèmes en lien avec le contenu d’apprentissage. 

Selon cette logique, des formats d’enseignement actifs et des tâches situées ne sont pas seulement des conditions préalables nécessaires au développement des compétences. Elles impliquent également une plus grande implication cognitive et un traitement plus approfondi des contenus d’apprentissage.



La perspective d’un apprentissage constructiviste pour l'enseignement

 
La promotion de l’apprentissage centré sur l’élève s’inscrit dans une perspective d’apprentissage constructiviste. 

Selon cette approche, les formats d’apprentissage activés par l’étudiant sont censés conduire à :
  • Une compréhension plus profonde, 
  • Une motivation plus forte
  • Un plus grand développement des compétences

Dans la même logique, à l’opposé, les formats d’enseignement traditionnels instructionnistes sont censés produire des connaissances inertes et seraient par conséquent forcément moins efficaces. 

Dans un article historique, « From Sage on the Stage to Guide on the Side », Alison King (1993) a appelé dès 1993 à des formats d’apprentissage plus actifs, principalement coopératifs, dans les salles de classe des collèges. Cependant, Alison King reprenait des arguments de Richard E. Mayer et Robert Slavin, dont les approches respectives s’inscrivent bien plus sous l’angle de l’instructionnisme et du cognitivisme que du constructivisme et de l’éducation nouvelle.

En réalité, il n’y a jamais eu de consensus sur le fait que ces formats d’apprentissage fortement soutenus et publiquement défendus apportent réellement les bénéfices escomptés. 

Selon Sigmund Tobias (2009), l’approche constructiviste consistant à plonger les élèves dans des problèmes réels et à leur faire trouver des solutions était intuitivement séduisante. Il semblait raisonnable que les élèves se sentent plus motivés pour s’engager dans de telles activités que dans celles qui se déroulent dans des classes traditionnelles. Il existe une théorie stimulante pour la position constructiviste, mais relativement peu de recherches la soutenant. Sans recherche à l’appui, ces hypothèses ne sont qu’une série d’hypothèses intéressantes. Il ajoute que par rapport aux constructivistes, les partisans de l’enseignement explicite semblent justifier leurs recommandations davantage par des références à la recherche que par la rhétorique.



Deux points de vue sur le constructivisme


Le problème principal lié au constructivisme trouve son origine dans les compréhensions divergentes et l’utilisation incohérente du terme constructivisme. En effet, le terme constructivisme semble s’être cristallisé autour de deux points de vue presque opposés. 

D’un côté, certains universitaires considèrent le constructivisme comme une approche de l’enseignement centrée sur l’étudiant et s’intéressent principalement à des formats d’apprentissage spécifiques, mais sans données probantes. Ils en appuient l’efficacité sur des hypothèses théoriques en refusant la nature même de la preuve scientifique.

De l’autre côté, certains universitaires avancent que le constructivisme est principalement une théorie expliquant les mécanismes cognitifs de l’apprentissage. Dès lors, le constructivisme ne permet pas de tirer des conclusions immédiates et valables sur les méthodes d’enseignement recommandables. De plus, cette théorie est largement contestée par des données probantes qui soutiennent plutôt des approches concurrentes comme la théorie de la charge cognitive.



Le constructivisme comme approche de l’enseignement centré sur l’élève


Les fondements du constructivisme comme approche de l’enseignement centré sur l’élève se trouvent dans les théories éducatives de Rousseau, Vygotsky, Piaget, Bruner ou Dewey, entre autres.

Ils se fondent sur l’idée que l’apprentissage est situé et que la connaissance est le produit d’une activité dans un contexte spécifique.

Ils promeuvent l’idée que l’apprentissage naturel implique des activités socialement partagées, un engagement direct, l’utilisation d’outils cognitifs et le développement de compétences spécifiques nécessaires dans cette situation particulière.

L’affirmation centrale de ces approches constructivistes de l’apprentissage est que les apprenants construisent eux-mêmes leurs connaissances. Ils découvrent et transforment individuellement des informations complexes, en vérifient les nouvelles informations par rapport aux anciennes règles et révisent leurs schémas antérieurs si nécessaire.

L’accent est mis sur le fait que les élèves sont des apprenants actifs. Ils sont mieux soutenus par différentes formes d’enseignement centrées sur l’élève dans lesquelles ils travaillent sur des tâches d’apprentissage authentiques et des problèmes complexes plutôt que des problèmes simplifiés.

Les avantages présumés de ces approches d’apprentissage comprennent une plus grande durabilité et une meilleure transférabilité des connaissances et des compétences, ainsi que des avantages en matière de motivation. 

Selon cette conception du constructivisme, les environnements d’apprentissage stimulants, centrés sur l’élève, sont plus susceptibles de susciter son engagement cognitif que les environnements traditionnels, centrés sur l’enseignant. 

Dans cette perspective, les processus cognitifs de haut niveau (esprit critique, résolution de problèmes, communication, créativité, coopération, etc.) sont une condition préalable à l’obtention de résultats d’apprentissage souhaitables tels que l’intérêt ou la réussite scolaire. 

L’acquisition de compétences générales est jugée particulièrement dépendante d’expériences réelles, de tâches pratiques, de projets ou d’un apprentissage basé sur des problèmes. 

Les formats d’apprentissage traditionnels ou instructionnistes sont considérés comme conduisant à un apprentissage passif, qui se traduit au mieux par des connaissances inertes. 



Le constructivisme comme théorie de l’apprentissage


Richard E. Mayer (2009) défend le constructivisme comme une théorie de l’apprentissage plutôt que comme une prescription d’enseignement. Selon lui, l’affirmation théorique centrale du constructivisme est que l’apprenant construit des représentations mentales en traitant cognitivement de nouvelles informations pendant l’apprentissage. 

Richard E. Mayer souligne qu’une activité cognitive élevée, générative, pendant l’apprentissage ne dépend pas d’une activité comportementale élevée. 

Dès lors, il peut être inapproprié de supposer que :
  • L’apprentissage cognitif actif nécessite des méthodes d’enseignement qui favorisent l’activité comportementale pratique. 
  • L’activité comportementale pendant l’apprentissage ne garantit pas que l’apprenant s’engagera dans un traitement cognitif approprié.
  • Les méthodes d’enseignement passives ne favorisent pas l’apprentissage cognitif actif. L’inactivité comportementale pendant l’apprentissage ne garantit pas que l’apprenant ne s’engagera pas dans un traitement cognitif approprié.

Selon Renkl (2009), tout environnement d’apprentissage, s’il est efficace, sera inévitablement constructif. Il n’existe pas d’environnement d’apprentissage non constructif :
  • Le constructivisme affirme réellement que tout apprentissage se fait par le biais de la construction de connaissances de la part de l’apprenant.
  • Il n’y a pas d’autre moyen que de permettre à l’apprenant lui-même d’assimiler les nouvelles informations. Celles-ci sont souvent présentées sous forme de textes écrits ou oraux. Il les interprète sur la base de ses connaissances antérieures et les intègre dans les réseaux de connaissances existants. 

Selon cette conception du constructivisme, des chercheurs tentent de déduire les conceptions pédagogiques de l’architecture cognitive humaine. Cela a permis de mettre en avant des techniques pédagogiques telles que la pratique espacée, la pratique de récupération, l’élaboration, l’auto-explication ou l’étude des problèmes résolus.

Dans l’enseignement supérieur, l’apprentissage peut être soutenu par une présentation bien structurée du contenu pédagogique et par la mise en évidence des liens avec les connaissances antérieures. Cela peut permettre aux apprenants d’intégrer plus facilement les nouvelles informations dans leurs schémas existants, ce qui peut conduire à un plus grand nombre de liens cognitifs, à un meilleur réseau et à une compréhension plus profonde. 

Si les deux branches du constructivisme s’accordent sur le fait que les connaissances sont construites activement par l’apprenant, il existe un désaccord profond concernant les conclusions pour la pratique pédagogique et les méthodes d’enseignement à utiliser. 



Bilan de l’impact des méthodes guidées ou actives dans l’enseignement supérieur


Elisabeth Fischer et Martin Hänze (2019) font le constat qu’aucune image claire ne se dégage de l’examen des publications sur l’enseignement centré sur l’étudiant ou l’enseignant dans l’enseignement supérieur. 

Un défi lié à la recherche sur les méthodes d’enseignement est le fait que l’efficacité de l’enseignement dépendra toujours de la mise en œuvre concrète de toute approche pédagogique. C’est l’adéquation et la qualité de la réalisation d’une méthode qui sont finalement décisives. 



Résultats de l’étude


Les observations d’experts de 80 cours universitaires ont été combinées avec les données d’auto-évaluation de 1713 étudiants participant à ces mêmes cours. Elles ont permis à Elisabeth Fischer et Martin Hänze (2019) d’aboutir aux conclusions suivantes.

Dans le cadre de l’étude, une distinction a été faite entre :
  • Les méthodes guidées par l’enseignant : l’instructeur est au premier plan et dirige activement l’apprentissage des étudiants.
  • Les méthodes d’activation des étudiants : elles comprennent tous les formats d’apprentissage qui activent tous les étudiants en même temps. C’est par exemple la réalisation d’un exercice, d’une tâche de lecture ou d’un travail de groupe. 

Ils ont étudié l’effet sur :
  • L’implication cognitive des étudiants
  • Leur intérêt
  • Leurs résultats d’apprentissage
  • Le développement des compétences académiques clés

L’étude a porté sur des cours universitaires, tant des séminaires que des cours magistraux, dans toutes les disciplines. Ils ont examiné l’enseignement réel dans une université publique de taille moyenne. Des évaluations d’experts sur les méthodes d’enseignement employées ont été combinées avec les auto-évaluations des étudiants au début et à la fin du semestre.

Les résultats indiquent des effets opposés de la quantité de méthodes guidées par l’enseignant et de méthodes activées par les étudiants dans l’enseignement supérieur sur l’apprentissage des étudiants :
  • L’utilisation de méthodes guidées par l’enseignant semble favoriser l’implication cognitive, l’intérêt, la réussite de l’apprentissage et le développement des compétences académiques clés des étudiants
  • L’utilisation de méthodes d’activation par l’étudiant tend à avoir des effets négatifs sur ces différents éléments. 

 

Ces résultats sont conformes à la théorie de l’apprentissage constructiviste qui considère l’implication cognitive comme une condition préalable à l’apprentissage. Ce n’est que si l’apprenant réfléchit réellement et élabore de nouvelles informations qu’il peut s’intéresser davantage à la matière, obtenir de meilleurs résultats d’apprentissage et développer des compétences académiques clés. 



Implications pédagogiques


Il est trompeur de qualifier l’apprentissage de passif dans les formats d’apprentissage guidés par l’enseignant. La distinction entre apprentissage passif et actif n’est pas utile et devrait être abandonnée. 

L’apprentissage est toujours une activité en soi. L’apprentissage passif n’existe pas. De même, l’écoute est aussi une action, et elle peut s’avérer propice à l’apprentissage.

L’augmentation de l’intérêt des étudiants dans les cours comportant des phases plus longues guidées par l’enseignant pourrait être attribuée à l’apparition plus importante d’une expertise. Le contact de celle-ci est susceptible de susciter l’intérêt en transmettant d’une manière ou d’une autre leur propre enthousiasme pour le sujet traité.

Une explication possible de l’influence positive des méthodes guidées par l’enseignant sur le développement perçu des compétences académiques est la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1977). Dans cette perspective, l’apprenant reproduit les observations d’un modèle, ce qui peut conduire à un changement d’attitude ou de comportement. Dans l’enseignement supérieur, les étudiants pourraient ainsi apprendre et s’adapter à la manière de penser et d’argumenter des universitaires en écoutant et en observant leurs enseignants. 

Les approches pratiques de l’enseignement peuvent effectivement être nécessaires au développement de capacités pratiques. Cependant, la pensée et le raisonnement scientifiques peuvent également être acquis — et peut-être plus efficacement — dans le cadre de cours magistraux par l’apprentissage de modèles. 

Apprendre à penser et à raisonner de manière académique en observant un « sage sur la scène », c’est-à-dire un expert dans le domaine et en pédagogie, pendant les méthodes guidées par l’enseignant semble porteur. Plus porteur qu’en travaillant seul ou avec d’autres étudiants pendant les phases d’activation, où l’enseignant ne fonctionne que comme un « guide sur le côté ». 

Elisabeth Fischer et Martin Hänze (2019) concluent qu’il pourrait y avoir un désavantage à utiliser des méthodes d’activation des étudiants, alors que les formats d’apprentissage guidés par l’enseignant semblent bénéfiques. 



Mis à jour le 25/05/2023

Bibliographie


Fischer, Elisabeth & Hänze, Martin. (2019). Back from “guide on the side” to “sage on the stage”? Effects of teacher-guided and student-activating teaching methods on student learning in higher education. International Journal of Educational Research. 95. 26–35. 10.1016/j.ijer.2019.03.001.

King, A. (1993). From sage on the stage to guide on the side. College Teaching, 41(1), 30–35.

Tobias, S. (2009). An eclectic appraisal of the success or failure of constructivist instruction. In S. Tobias, & T. M. Duffy (Eds.). Constructivist instruction: Success or failure? (pp. 335–350). New York, NY: Routledge.

Mayer, R. E. (2009). Constructivism as a theory of learning versus constructivism as a prescription for instruction. In S. Tobias, & T. M. Duffy (Eds.). Constructivist
instruction: Success or failure? (pp. 184–200). New York, NY: Routledge.

Renkl, A. (2009). Why constructivists should not talk about constructivist learning environments: A commentary on Loyens and Gijbels (2008). Instructional Science,
37(5), 495–498.

Bandura, A. (1977). Social learning theory. Oxford, England: Prentice-Hall.

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