mardi 18 janvier 2022

Pour une pratique enseignante éclairée par la recherche

La recherche accumule des découvertes, contribue à alimenter la base de connaissances en éducation. Nous avons besoin de références et de critères de choix. Nous ne pouvons pas avancer si nous tournons en rond, si nous nous contentons d’innover en réinventant d’anciennes idées qui n’ont pas fait leurs preuves et ont été oubliées comme de nouvelles idées prometteuses.

(Photographie : Jonathan Levitt)



Comprendre les enjeux de la maîtrise et de l'adaptabilité dans la pratique experte des enseignants



Des liens peuvent se tisser entre la pratique des enseignants, leur expertise et les apports de la recherche. Comment pouvons-nous les favoriser ?

« Selon mon expérience, l’enseignement est une question de sensibilité et d’adaptation. Il s’agit de s’adapter à la situation actuelle de certains élèves. Il s’agit de prendre des décisions au fur et à mesure que la leçon ou l’activité progresse.

Les choses qui intéressent certains élèves n’intéressent pas les autres. Les choses qui fonctionnent un jour peuvent ne pas fonctionner le lendemain. Ce qui peut être fait rapidement avec un groupe doit être pris très lentement avec un autre groupe. Ce qu’un élève trouve facile à comprendre peut semer la confusion chez un autre élève.

Afin de s’y retrouver dans la complexité des circonstances dans lesquelles un enseignant travaille, il n’est pas possible de suivre une recette.

En tant qu’enseignant, vous devez faire des adaptations. Vous devez le faire.

La question importante est la suivante : quelles adaptations faites-vous ? Vous pouvez le faire par une sorte d’essai et d’erreur aveugle, mais il serait bien mieux que vous sachiez quels types d’adaptations sont nécessaires, et pourquoi ».

Graham Nuthall (2007)

"Il est peut-être impossible de donner une définition précise et utile de ce qu’est une performance remarquable, mais, malgré cela, nous savons généralement quelque chose des étapes qui mènent à l’expertise. Et cela implique généralement de décomposer l’activité complexe en composantes et en exercices, de les clarifier, puis de les pratiquer avec un encadrement approprié jusqu’à ce qu’ils soient fluides et compétents, et de réintégrer ces techniques isolées dans l’ensemble complexe et mystérieux". 

Ericsson, K. A. (2009)



Limites aux essais contrôlés randomisés en éducation


L’éducation fondée sur des données probantes considère les essais contrôlés randomisés comme le Saint Graal de la preuve scientifique. 

Le modèle evidence-based a trouvé son origine dans le secteur médical avant d’être pris en compte dans un secteur éducatif. 

Un avantage de l’éducation face à la médecine est qu’il y a beaucoup plus de possibilités d’expérimentation dans l’éducation qu’en médecine :
  • Les élèves ne risquent pas leur vie en classe.
  • Un enseignant qui se rend compte qu’une nouvelle approche ne fonctionne pas peut rapidement passer à une alternative plus efficace sans qu’il y ait le moindre mal.


Bien qu’étant une forme idéale de preuve scientifique, comme l’écrit Pedro de Bruyckere (2018), les essais contrôlés randomisés ne constituent pas pragmatiquement toujours la meilleure ou l’unique manière d’examiner chaque type d’approche éducative.

Il existe bien des situations où les essais contrôlés randomisés semblent bien fonctionner, mais qu’il est néanmoins difficile de poser les mêmes exigences strictes en matière d’éducation que pour la médecine. 

Gravemeijer et Kirschner (2007) ont émis les remarques suivantes sur les exigences soulevées par les essais contrôlés randomisés :
  • Les essais contrôlés randomisés en éducation sont de l’ordre du simple aveugle. Si les élèves et les enseignants qui participent à l’expérience peuvent ignorer l’hypothèse testée, le chercheur, lui en a conscience et ne peut pas ne pas savoir quel enseignant applique quelle approche. En médecine, les essais contrôlés randomisés privilégient le double aveugle dans lequel les chercheurs ne savent pas quel groupe reçoit quel traitement. 
  • Il n’y a pas à proprement parler d’équivalent d’un placebo en éducation. Il est difficile de donner aux élèves d’un groupe de contrôle une forme d’éducation (un placebo) dont nous savons qu’elle n’aura aucun effet dans un sens ou dans l’autre.
  • Il est difficile d’obtenir le même degré de comparabilité et de validité statistique en éducation qu’en médecine. La question de la répartition des groupes et du nombre pour avoir des profils équilibrés d’élèves et d’enseignant se pose pour l’obtention de résultats de haute validité statistique.
  • La taille moyenne de l’effet pour les interventions vitales avec des médicaments se situe entre 0,02 et 0,08, tandis que la taille moyenne de l’effet pour différentes interventions éducatives s’élève à 0,45.
  • Chaque médicament acheté s’accompagne d’une longue notice qui nous donne de nombreuses informations sur les circonstances dans lesquelles le médicament ne fonctionnera pas, sur les cas où il est susceptible d’avoir des effets secondaires, etc. Un médicament est souvent destiné à une seule affection spécifique, mais il a néanmoins un impact sur l’organisme dans son ensemble. Souvent, l’éducation fondée sur des données probantes est également axée sur une seule approche spécifique, mais il est évident que de nombreux éléments de l’éducation interagissent et s’influencent mutuellement. 

Par conséquent, la médecine et l’éducation ont tendance à ne plus parler de conclusions fondées sur des preuves, mais de conclusions informées par des preuves. 



Le cadre d’une éducation éclairée par la recherche


Comme l’écrit Pedro de Bruyckere (2018), la pratique informée par la recherche est avant tout une approche fondée sur des preuves scientifiques. 

La pratique informée par la recherche est une approche fondée sur la recherche. Par son biais, les connaissances acquises par la recherche scientifique sont intégrées dans la pratique quotidienne, de sorte que des choix bien réfléchis peuvent être faits pour refléter des objectifs et des circonstances spécifiques. 

De plus, la recherche va souvent confirmer ce que des années d’expérience d’enseignement nous ont appris et nous faire prendre conscience de l’impact de certains paramètres que nous pouvions négliger.

D’autre part, la recherche peut également nous amener à nous remettre en question et à exercer notre esprit critique :
  • Elle interroge nos croyances et nos conceptions. 
  • Elle nous incite à sauter le pas pour adopter de nouvelles pratiques qui nous semblaient à première vue contre-intuitives, mais se révèleront bénéficiaires. 
  • Elle nous donne une meilleure compréhension des paramètres en action dans nos pratiques et comment nous en servir pour tempérer des difficultés rencontrées.

Dans cette démarche, les connaissances acquises par la recherche scientifique sont intégrées dans la pratique quotidienne des enseignants en classe, de sorte que des choix bien réfléchis peuvent être faits pour refléter des objectifs dans des circonstances spécifiques. 

Pour fonctionner selon cette logique, l’enseignant s’engage dans une pratique délibérée :
  • Il s’informe et se forme au sujet des apports de la recherche en lien avec les problématiques qu’il identifie.
  • Il possède une bonne perception de ce qui fonctionne, quand et comment dans son contexte particulier.
  • Il contribue à l’équipe dont il fait partie au sein d’une communauté d’apprentissage professionnelle.
  • Il prend des décisions réfléchies et éclairées, fondées sur des preuves scientifiques pertinentes pour son contexte.



Nourrir l’expertise des enseignants


Comme le dit Tom Sherrington (2020), l’expertise que nous apportons dans nos enseignements est à la base principalement dérivée de notre propre pratique, du recul que nous donnent nos propres expériences en classe.

Nous nous évoluons naturellement. Nous connaissons nos élèves, notre contexte, nous connaissons notre matière. Nous réfléchissons constamment à adapter nos pratiques pour obtenir de meilleurs résultats de la part de nos élèves. Notre capacité de réflexivité contribue à élaborer une expertise.

Mais il est également important de tenir compte également des idées qui proviennent de la recherche pour ne pas fonctionner en vase clos.

Une approche informée par des données probantes est un processus dans lequel la connaissance de la recherche scientifique est intégrée dans la pratique quotidienne par l’enseignant. Elle se traduit à travers des choix bien réfléchis, faits en fonction des objectifs et du contexte. Elle permet le développement de l’expertise.

Les données probantes peuvent nourrir l’expertise de l’enseignant dans la mesure où elle ajoute une dimension métacognitive.

Les deux sources principales sont les sciences cognitives qui s’intéressent à la façon dont les élèves apprennent et des études d’observation sur ce que les enseignants efficaces font généralement pour garantir l’apprentissage.

L’intérêt de ces apports n’est pas qu’ils soient prescriptifs, mais qu’ils nous aident à réfléchir. En matière de développement professionnel, ce que nous recherchons, ce sont des apports qui changent nos habitudes, des principes qui vont influencer notre lecture d’une situation et notre mode d’action quand nous sommes dans nos classes. Ces apports sont susceptibles d’avoir un impact sur les résultats de nos élèves, sur notre professionnalisme et sur notre bien-être.

Tous les enseignants n’ont pas le même rapport au développement professionnel. Il est bon de savoir quels sont nos difficultés et nos points forts, nos niveaux de maîtrise et nos lacunes. Nous n’abordons pas tous les différents aspects de notre travail avec la même réflexivité et celle-ci de toute façon gagne à être éclairée.

Certains enseignants peuvent avoir beaucoup de recul sur leur propre pratique. Ils savent s’ils ont un impact ou non. En tant qu’observateur, collègue ou personnel d’encadrement, vous n’avez pas grand-chose à dire de plus que de les encourager à poursuivre leur propre cheminement d’amélioration.

À l’autre extrême, certains enseignants, par contre, ne savent pas vraiment où sont leurs difficultés, ni qu’ils en ont ou qu’ils bénéficieraient d’une aide extérieure. D’autres encore sont conscients de leurs difficultés, mais ne savent pas exactement comment y faire face efficacement.



Développer une culture de l’apprentissage professionnel


Comme l’écrivent David Weston et Bridget Clay (2018), au cours de leur carrière, les enseignants passent du statut de novice à celui d’expert. Ce développement doit être soutenu par un apprentissage professionnel qui leur offre des occasions d’acquérir des connaissances pédagogiques combinées à une expertise de la matière.

L’apprentissage professionnel doit viser l’amélioration du résultat des élèves. Ainsi, le meilleur apprentissage professionnel est contextualisé et enraciné à la fois dans la théorie et dans la pratique. L’enjeu est que l’enseignant, à l’échelle individuelle et collective, s’aligne sur les résultats visés afin d’obtenir un impact optimal.

L’enjeu est de développer à l’échelle d’une école une culture où l’apprentissage professionnel se situe au cœur. Lorsque l’apprentissage professionnel est intégré et réactif, les enseignants deviennent plus susceptibles de permettre à leurs élèves de s’épanouir. L’usage d’une expertise externe est également important.

Dans une telle culture, il existe une possibilité positive d’utiliser la gestion des performances comme une ressource pour soutenir et orienter une politique d’amélioration. Nous voulons soutenir une culture où les enseignants sont intellectuellement stimulés et soutenus dans leur désir de construire et d’affiner leur expertise.

Une culture d’échange et de dialogue sur la pédagogie dans le cadre de l’accompagnement est présentée comme un modèle d’apprentissage continu. Dès lors, le temps de réunion, les conversations informelles, les observations des pairs, l’observation en classe ou le modèle de la lesson study devraient tous être reconnus comme des facettes de l’apprentissage professionnel.

Cette culture est à l’opposé de celle d’un développement professionnel non réactif consistant à diffuser des idées aux enseignants. Dans cette démarche trop commune, il s’agit de partager les modes et les tendances, indépendamment de leur pertinence et de leur contexte. Pour de nombreux enseignants, cela génère de l’ennui et de l’exaspération.



Inscrire dans le temps le développement de l'expertise à travers l'apprentissage professionnel


Comme le dit Dylan Wiliam (2018), le changement est lent parce que changer les pratiques d’enseignement est difficile. L’essentiel ici est que les enseignants adhèrent à l’idée qu’ils doivent continuer à se développer puis à s’améliorer professionnellement. Mais ils ne doivent pas vouloir changer trop rapidement si nous voulons un effet durable. Il est essentiel de permettre aux enseignants de faire des petits pas.

Deux idées sont à garder à l’esprit dans l’esprit d’une culture de l’apprentissage professionnel.

La première idée est de se concentrer sur des améliorations qui profitent à l’apprentissage des élèves.

La seconde idée est celle d’une amélioration progressive. Les enseignants doivent compléter et adapter ce qu’ils font déjà et qui fonctionne pour une grande part dans leurs classes. Le défi est de continuer à innover lentement pour que nous continuions à développer notre pratique en continuant à enseigner.

Lorsque les enseignants pensent qu’ils ne peuvent pas s’améliorer et qu’ils rencontrent l’échec, ils blâment leurs élèves.  

La réflexion pour un enseignant doit se porter sur le fait de savoir comment devenir un meilleur enseignant le mois prochain qu’il ne l’a été ce mois-ci. C’est l’idée que chaque enseignant peut continuer à développer sa pratique. Cela correspond à l’état d’esprit de développement promu par Carol Dweck. 

Il nous arrive à tous d’échouer en tant qu’enseignants, car l’enseignement est difficile. Cependqnt, nous devons pouvoir considérer que nous pouvons nous améliorer face aux difficultés que nous rencontrons. 



Mis à jour le 23/05/2023


Bibliographie


Graham Nuthall, The Hidden lives of learners, 2007, NZCER Press

Ericsson, K. A. (2009). Development of professional expertise: Toward measurement of expert performance and design of optimal learning environments
Cambridge University

K. P. E. Gravemeijer en P. A. Kirschner, Naar meer evidence-based onderwijs?,  2007, Pedagogische Studiën, 84, 463-472.

Pedro de Bruyckere, The ingredients for great teaching, 2018, Sage

Tom Sherrington, Rosenshine Masterclass I Intro and Research (2020), https://www.youtube.com/watch?v=uPHDJI17sH4

David Weston & Bridget Clay (Unleashing great teaching, 2018, Routledge)

Dylan Wiliam, 2018-06-11, Kunskapsskolan talk

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