Un élève peut avoir acquis le potentiel de se souvenir de connaissances, de répondre à des questions de savoir-faire ou de résoudre des tâches de transfert. Le seul moyen de constater ce potentiel est de lui demander de s’engager dans une forme de récupération. Il n’y a aucun moyen d’évaluer ses connaissances sans procéder à une récupération.
(Photographie : Lisa Gidley)
Un élève ne répond pas à une question tant que celle-ci n’est pas posée ou ne va pas résoudre un problème tant qu’il n’a pas lu son énoncé.
Cependant, les connaissances qu’un élève exprime peuvent varier considérablement selon les conditions de récupération.
Comprendre l’intérêt des indices dans le cadre de la récupération
Tulving et Pearlstone (1966) ont mis en évidence les indices de récupération dans le cadre d’une très vaste expérience en laboratoire. Ils ont demandé à des étudiants d’étudier des listes de mots sans rapport entre eux, comme vache, bombe, radio et poivre.
Ils ont examiné différentes conditions, mais deux se sont révélées particulièrement signifiantes :
- Un groupe d’étudiants a étudié une liste de 48 mots, puis s’en est souvenu librement, en écrivant autant de mots que possible dans n’importe quel ordre.
- Un autre groupe a étudié la même liste, mais en a rappelé les constituants à l’aide d’indices de récupération. Ces indices de récupération étaient des mots qui ne figuraient pas sur la liste, mais qui visaient à rappeler aux sujets les mots originaux. C’était par exemple, animal pour se souvenir de vache, arme pour se souvenir de bombe, divertissement pour se souvenir de radio et nourriture pour se souvenir de poivre.
Le nombre moyen de mots rappelés était de :
- 19 des 48 mots lors du test de rappel libre
- 36 des 48 mots lors du test de rappel indicé
Ces résultats induisent certaines questions :
- Que s’est-il passé avec les 17 mots qui pouvaient être rappelés lors du test de rappel indicé, mais pas lors du rappel libre ?
- Pourquoi les sujets avaient-ils oublié ces mots lors du test de rappel libre ?
L’explication ne pouvait pas porter sur l’encodage ou le stockage, car les deux groupes avaient étudié et très probablement stocké les mots de la même manière.
La seule façon d’expliquer la différence était de considérer les processus de récupération mis en route dans chacune des deux situations.
Nous disposons d’une grande quantité de connaissances dans notre esprit et dans notre mémoire, ou d’un vaste potentiel de production de connaissances, mais nous n’en accédons qu’à une partie à un moment donné.
Les facteurs qui déterminent l’accès sont les indices de récupération disponibles dans un contexte de récupération particulier.
Les sujets qui se souvenaient librement de 19 mots pouvaient très bien en avoir 17 autres enregistrés et stockés à l’esprit, mais ils ne pouvaient pas exprimer cette connaissance sans la disponibilité d’indices supplémentaires.
Si nous revenons dans un contexte scolaire, nos élèves ont un vaste potentiel de production de connaissances, mais la part exprimée va dépendre des indices disponibles dans un contexte d’évaluation particulier.
Comprendre l’importance de l’analogie dans le contexte de récupération
Gick et Holyoak (1980) ont proposé à des étudiants le problème suivant :
Un médecin veut utiliser des rayons pour détruire une tumeur inopérable dans le corps d’un patient, mais il veut aussi éviter que les rayons ne détruisent les tissus sains. Des rayons de haute intensité sont nécessaires pour détruire la tumeur, mais ils détruiraient également les tissus sains. Les rayons de faible intensité ne détruiraient pas les tissus sains, mais n’affecteraient pas non plus la tumeur. Comment le médecin pourrait-il détruire la tumeur à l’aide de rayons tout en évitant de détruire les tissus sains ?
La solution consiste à diviser le rayon en plusieurs rayons de faible intensité qui convergent sur la tumeur de sources différentes, détruisant ainsi la tumeur sans détruire les tissus environnants.
Gick et Holyoak (1980) ont constaté que 10 % des étudiants ont trouvé la solution de convergence au problème du rayonnement par eux-mêmes, sans avoir besoin d’aucune information supplémentaire.
Les élèves d’une deuxième condition ont lu une histoire analogue avant de résoudre le problème. L’histoire était celle d’un général qui voulait conquérir une citadelle. Pour y arriver, il devait diviser son armée en plusieurs petits groupes qui convergeaient vers la citadelle depuis différentes directions. Cela leur permettait de ne pas être remarqués avant l’attaque. L’histoire analogue fournissait un exemple narratif d’une solution de convergence qui pouvait être utile pour résoudre le problème des radiations.
Parmi les élèves qui ont lu l’histoire analogue avant de résoudre le problème, environ 30 % ont trouvé la solution de convergence.
Les élèves d’une troisième condition ont lu une histoire analogue, mais il leur a été demandé de penser à l’histoire originale lorsqu’ils ont résolu le problème. 80 % des élèves ont alors trouvé la solution de convergence.
Comment expliquer cette amélioration spectaculaire des performances en matière de résolution de problèmes ?
Les apprenants encodent leurs connaissances sous forme de schémas, qui peuvent être utilisés pour résoudre des problèmes futurs. La lecture d’une histoire analogue a amélioré la résolution de problèmes par rapport au fait de ne pas la lire, car l’histoire a donné aux apprenants un exemple ou un schéma de la solution de convergence.
La troisième condition juxtapose les deux expériences.
De nombreux élèves ont alors pu comprendre la structure profonde de l’histoire analogue et pouvaient l’appliquer pour résoudre le problème de radiation. Ils possédaient les connaissances nécessaires pour résoudre le problème, tout comme dans l’expérience de Tulving et Pearlstone.
La différence critique entre les conditions ne concernait pas les connaissances encodées ou les schémas abstraits. L’effet le plus important sur la résolution du problème s’est produit lorsque les conditions de récupération ont été modifiées. II y avait l’ajout d’un rappel indicé.
Cela nous montre que le contexte de récupération est extrêmement influent dans la performance de résolution de problèmes.
Comprendre l’importance de la disponibilité des indices dans les contextes d’apprentissage et de récupération
Les connaissances ne peuvent être examinées dans le vide, hors de tout contexte de récupération.
La seule façon d’examiner l’apprentissage est d’amener les apprenants à s’engager dans une forme quelconque de processus de récupération.
La disponibilité des indices est un élément crucial de l’apprentissage, car toutes les déductions sur ce qu’un individu connait dépendent des indices fournis dans un contexte de récupération.
Dès lors, dans un contexte d’enseignement et d’apprentissage, il est essentiel de tenir compte :
- Des indices de récupération disponibles dans un contexte particulier, dans une question ou dans un énoncé.
- De la façon dont les élèves interprètent ces indices.
Lorsque les connaissances des élèves sont évaluées à l’école, nous leur donnons des indices de récupération et nous leur demandons de reconstruire leurs connaissances pour coordonner leurs actions dans un contexte de récupération donné.
Il peut s’agir de répondre à des questions de savoir-faire ou de résoudre des tâches de transfert.
Un parcours typique d’élève dans une perspective de récupération
Imaginons Julie, une élève de début de secondaire. Elle étudie actuellement la géométrie, plus particulièrement le calcul de volume et de surface d’objets. Son parcours se fait en trois temps.
Premièrement, son enseignant lui explique et lui montre comment résoudre les problèmes, et elle prend des notes en classe. Ses devoirs consistent à résoudre des problèmes pratiques pour lesquels elle peut se référer à ses notes et aux problèmes résolus en classe.
Au fil du temps, elle encode des connaissances, les stocke peu à peu sous forme de schémas et accumule au fil du temps des indices contextuels en fonction des divers exercices réalisés.
Deuxièmement, en dehors du cours de mathématiques, Julie peut penser aux surfaces et aux volumes lorsqu’elle regarde des images ou manipule différents objets durant sa vie quotidienne. Elle aborde le sujet avec ses parents également. Ces différentes expériences informelles lui permettent d’enrichir ses indices contextuels.
Troisièmement, bientôt, elle sera évaluée en classe où elle devra résoudre des problèmes, par exemple en déterminant la surface et le volume de différentes formes.
Mieux préparer nos élèves à la récupération de leurs connaissances dans le contexte de l’évaluation
Connaitre les conditions dans lesquelles les connaissances devront être récupérées lors des tâches d’évaluation est la première étape pour comprendre comment préparer nos élèves.
Nous devons partir du constat qu’aucune évaluation unique ne constitue un indicateur parfait ou complet des connaissances d’un élève. Un élève peut être incapable d’exprimer ses connaissances dans une situation donnée, mais pleinement compétent dans une autre situation. Dans la première situation, nous allons le juger incompétent, dans la seconde nous allons le juger compétent, alors que ses connaissances sont les mêmes.
L’enjeu se situe au niveau du développement d’un riche catalogue d’indices permanents :
- Les élèves sont susceptibles de reconstruire et d’utiliser leurs connaissances dans un large éventail de situations, parfois en dehors de la classe, dans les occupations de leur vie quotidienne. Toutes ces occurrences sont précieuses dans la mesure où elles enrichissent leur panoplie d’indices contextuels.
- Les mêmes phénomènes existent en classe. De nombreuses personnes ont fait l’expérience frustrante de ne pas connaitre la réponse à une question lors d’un examen et de voir la réponse leur revenir en tête, un plus tard, dans un contexte totalement différent.
Il importe de pleinement préparer les élèves à mobiliser leurs connaissances dans le contexte de l’évaluation en les soutenant dans l’apprentissage de ces indices associés aux cibles.
Cet enjeu permet de comprendre certaines des raisons pour lesquelles les enseignants n’aiment pas les tests standardisés et officiels. L’une des plaintes les plus courantes est que les tests n’évaluent pas réellement avec justesse les connaissances de leurs élèves.
Une autre façon de le comprendre est que les élèves seraient capables d’exprimer leurs connaissances s’ils étaient évalués d’une manière différente. Cela pourrait avoir lieu dans un cadre de récupération et avec des indices différents, plus proche du contexte de l’enseignement.
Si l’enseignant a utilisé un vocabulaire différent en classe de celui utilisé lors de l’évaluation, les élèves peuvent être incapables de récupérer certaines connaissances alors qu’ils la possèdent. L’enseignant doit par conséquent préparer ses élèves au contexte de l’évaluation standardisée ou officielle.
Toutes ces situations illustrent à quel point les processus de récupération sont essentiels pour comprendre l’apprentissage. Les processus de récupération sont variables.
Les indices particuliers disponibles dans l’environnement d’un apprenant sont d’une importance cruciale pour ce dont il se souviendra et pour les connaissances qu’il exprimera.
Un élève peut posséder certaines capacités, compétences ou connaissances, mais ne pas les exprimer dans un contexte de récupération particulier.
À côté des connaissances et des schémas cognitifs, les indices contextuels sont par conséquent une dimension importante à prendre en considération dans un cadre d’enseignement et d’apprentissage.
Nous devons toujours garder à l’esprit que non seulement nos élèves doivent apprendre les contenus que nous leur enseignons, mais doivent également être pleinement préparés au contexte de leurs évaluations. Ils doivent pleinement connaitre et comprendre le vocabulaire utilisé et avoir été familiarité aux types de questions et de situations de réflexion.
Mis à jour le 27/05/2023
Bibliographie
Jeffrey D. Karpicke and Garrett M. O’Day, Elements of Effective Learning, 2019, Chapter for M. J. Kahana & A. D. Wagner (Eds.), Oxford Handbook of Human Memory, Volume II: Applications. Oxford University Press.
Tulving, E., & Pearlstone, Z. (1966). Availability versus accessibility of information in memory for words. Journal of Verbal Learning & Verbal Behavior, 5(4) 5 4(4), 381–391. doi:10.1016/s0022-5371(66)80048-8
Gick, M. L., & Holyoak, K. J. (1980). Analogical problem solving. Cognitive Psychology, 12(3), 306–355. doi:10.1016/0010-0285(80)90013-4
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