Nous avons parfois tendance à concevoir notre mémoire comme une bibliothèque pour nos souvenirs et nos connaissances, ou un livre de recettes pour l’ensemble des stratégies et procédures dont nous accumulons le savoir-faire au fil du temps. Ces deux conceptions sont inadéquates.
(Photographie : Kay von Aspern)
L'erreur de concevoir la mémoire et l’apprentissage comme un entrepôt
Nous utilisons beaucoup de métaphores, d’analogies et de modèles pour parler de l’apprentissage et de la mémoire. Ce n’est pas un exercice frivole ou anecdotique. Ces représentations sont importantes, car elles ont le pouvoir de guider la façon nous percevons et pensons le monde qui nous entoure.
La perspective ou l’état d’esprit qu’une personne adopte face à l’apprentissage et à sa mémoire vont déterminer la manière dont elle pense que ces processus fonctionnent et les stratégies qu’elle juge efficaces d’adopter.
La métaphore que la plupart des individus adoptent au quotidien peut être qualifiée de métaphore de l’entrepôt. Les gens ont tendance à considérer la mémoire comme un endroit où les connaissances sont stockées et l’apprentissage implique l’enregistrement de nouvelles connaissances dans ce système de stockage de la manière la plus ordonnée ou structurée possible.
Le fait est que nous ne nous préoccupons guère de la manière dont les connaissances sont récupérées lorsqu’elles sont nécessaires. L’accent est mis sur la mémorisation de connaissances en vue d’une épreuve sommative, dans l’espoir de les récupérer plus tard.
Cette vision de la mémoire comme un entrepôt de connaissances n’est ni une bonne métaphore ni un modèle adéquat.
L'importance de la reconstruction des connaissances lors de leur récupération en mémoire
Il existe de nombreuses preuves que nous n’enregistrons pas et ne stockons pas de copies exactes d’événements et de connaissances passées. Nous n'avons pas cette capacité que possèdent les outils numériques. Au contraire, à chaque instant, nous utilisons les indices de récupération dont nous disposons à un moment donné dans notre environnement pour reconstruire nos connaissances pourtant stockées en mémoire à long terme.
Notre système cognitif, qui gère notre apprentissage et le contenu de notre mémoire n’a pas évolue et n' pas été conçu pour enregistrer et stocker des copies exactes, même sommaires, de connaissances pourtant apprise et d’événements vécus dans le passé.
D'un point de vue biologique, la raison en est à la fois simple et triviale. Dans le monde réel, le passé ne se répète jamais. Chaque situation et chaque contexte de récupération sont par définition nouveaux et possèdent des spécificités particulière. D'un point de vue évolutif, l'écriture et tous les supports graphiques, audio-visuels ou numériques sont trop récents pour avoir interféré avec la sélection naturelle.
Un système qui stocke des copies exactes du passé ne nous serait pas d’un grand secours pour nous adapter à un environnement naturel tout le temps changeant, complexe et dynamique.
Dès lors, il importe de ne pas se fonder sur la métaphore qui consiste à assimiler la mémoire à un entrepôt. Cela nous amène à accorder une trop grande importance à l’encodage et au stockage des connaissances en mémoire à long terme.
Voir la mémoire à long terme comme un entrepôt ou véhiculer cette image auprès de nos élèves, nous amène à mésestimer l’importance des processus de récupération et sa fonction primordiale pour un apprentissage qui se reconstruit sans cesse.
La métaphore de la mémoire comme entrepôt n’a pas grand-chose à nous dire sur la façon dont les connaissances sont reconstruites et appliquées lorsqu’elles sont nécessaires dans un contexte de récupération particulier.
Cette conception serait même plutôt problématique, car elle pourrait conduire probablement les élèves à adopter des stratégies d’apprentissage inefficaces. Si ce l’important est de garder les connaissances en mémoire, les élèves peuvent adopter des stratégies telles que la lecture répétée. Ils peuvent penser qu’en augmentant l’exposition pure et simple à l’information, ils obtiendront une impression plus profonde. C’est comme s’il s’agissait d’une gravure répétée sur une tablette de cire mentale ou le fait de passer et repasser sur un sentier.
Or ce qui permet d'apprendre, c'est la processus de récupération qui reconstruit nos connaissances en fonction du contexte, les modifie, les enrichit, les adapte et les consolide au fur et à mesure. Récupérer une connaissance en modifie sa trace en mémoire à long terme.
Concevoir l’apprentissage comme un système adaptatif
Plutôt que de concevoir la mémoire comme un entrepôt où nous stockons des connaissances et des souvenirs, Une alternative plus pertinente est de considérer a mémoire et plus particulièrement l'apprentissage comme un système adaptatif. La mobilisation de cette métaphore peut nous aider à coordonner nos actions dans des environnements dynamiques.
Cette conception d'un système adaptatif repose sur le principe suivant :
- L’apprentissage est la capacité d’utiliser le passé pour répondre aux exigences du présent.
- Dès lors, les individus utilisent les indices dont ils disposent dans un contexte de récupération actuel pour reconstruire et appliquer des connaissances qu’ils possèdent d'une manière adaptée aux exigences du moment présent.
- En retour, la récupération dans un nouveau contexte adapte notre apprentissage en mémoire.
Lorsque nous demandons à un élève d’appliquer ses connaissances ou de résoudre un nouveau problème, l’énoncé contient des indices. Ces indices permettent à l’élève de puiser dans ses connaissances antérieures pour avancer vers une solution du problème actuel.
L’élève utilise ces indices de récupération pour reconstruire ses connaissances afin de coordonner leurs actions et de répondre aux exigences de la tâche à accomplir présentement.
Les systèmes d’apprentissage et de mémoire sont perpétuellement remodelés par les expériences faites. Ces systèmes nous donnent la capacité d’utiliser des indices de récupération pour reconstruire les connaissances et ainsi coordonner nos actions dans l’environnement.
Lorsque l’apprentissage est considéré comme une coordination de ressources, plutôt que comme l’enregistrement et le stockage de connaissances, l’accent et les questions cruciales se déplacent vers la récupération et l'élaboration. Ils se focalisent sur les conditions qui créent une coordination efficace entre nos connaissances actuelles et les conditions du contexte auquel nous réagissons.
Dès lors les questions qui important dans un cadre d'enseignement sont :
- Quel est le contexte de pratique dans lequel les élèves devront reconstruire et utiliser leurs connaissances ?
- Qu’est-ce qui rend les indices de récupération potentiels efficaces dans les tâches attribuées aux élèves ?
- Que pourraient faire les élèves pour se préparer à une situation de récupération telle qu'elle se présentera dans une évaluation sommative ?
Les réponses à ces questions fournissent un cadre pour concevoir le dispositif pédagogique qui intègre les éléments d’un apprentissage efficace (ressources et stratégies).
En conclusion, l’apprentissage et la mémoire sont des capacités d’adaptation permettant de coordonner des actions dans un environnement complexe. Il est essentiel de considérer l’apprentissage comme une coordination d’informations utiles, plutôt que comme le stockage de connaissances et d’expériences.
Ces démarches sont essentielles, si nous voulons comprendre la nature des stratégies efficaces à la fois pour l’enseignement et l’apprentissage.
Mis à jour le 26/05/2023
Bibliographie
Jeffrey D. Karpicke and Garrett M. O’Day, Elements of Effective Learning, 2019, Chapter for M. J. Kahana & A. D. Wagner (Eds.), Oxford Handbook of Human Memory, Volume II: Applications. Oxford University Press.
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