L’expression d’attentes élevées auprès de nos élèves ne doit pas être un vœu pieux. Voici quelques principes clés qui facilitent sa mise en œuvre et sont basés autour des principes de l’ancrage et de l’auto-efficacité.
(Photographie : Rick Yribe)
Le principe de l’ancrage
L’effet d’ancrage est l’un des concepts les plus solides et documentés en psychologie. Nous l’avons déjà largement exploré dans la perspective du développement professionnel fondé sur des données probantes plus spécifiquement de manière liée aux conceptions erronées.
- Voir article : Ancrage et développement professionnel
L’idée ici est de l’exploiter dans le cadre de l’expression d’attentes élevées par l’enseignant envers ses élèves.
Nos perceptions, que nous en soyons conscients ou non, sont sous l’influence de la première information que nous recevons sur un sujet. Cette première impression s’appelle l’ancre. Que l’ancre soit complètement validée ou non par la suite, elle reste le point de référence pour l’ancrage.
Par exemple, prenons la situation A ou un vendeur vous propose un livre à 30 euros. Prenons maintenant la situation B ou un vendeur vous propose le même livre à 30 euros en précisant que le prix d’origine est de 50 euros, mais que vous allez bénéficier exceptionnellement d’une réduction de 40 %.
Si nous décidons d’acheter dans la situation B, nous allons consciemment avoir l’impression de faire une bonne affaire. Cette impression ne sera pas générée dans le cas de la situation A si nous achetons.
C’est une astuce courante en marketing. Le fait est que nous serons plus enclins à nous engager à acheter dans la situation B en sachant que la valeur (hypothétique) du livre serait en fait de 50 euros. L’élément clé est que ce prix originel de 50 euros n’a pas besoin d’être vérifié pour constituer une ancre. Il suffit d’y croire.
Poser une ancre
L’enseignant gagne à être précis, exigeant et explicite sur ses attentes de réussite en lien avec des objectifs pédagogiques ou intentions d’apprentissage. Cette attitude qu’il affiche sur ses attentes ne doit pas prêter à interprétation pour ses élèves. Elles doivent être constantes, générales et uniformes, constituer la toile de fond de sa manière d’enseigner et de l’engagement face à l’apprentissage qui en découle normalement naturellement chez ses élèves. Suivant la manière dont l’enseignant les exprime, ses élèves peuvent s’engager plus ou moins sérieusement et réussir plus ou moins bien.
De cette manière, les intentions d’apprentissage se retrouvent internalisées auprès des élèves comme des défis que tous doivent relever. L’enseignant pose des ancres. Les élèves vont régulièrement jauger la qualité de leur travail en fonction de cet ancrage, rectifiant naturellement leurs efforts pour s’en approcher.
L’enseignant exprime en quoi consiste la maîtrise attendue au terme des apprentissages. L’enjeu est qu’il le fasse d’une telle manière que ses élèves comprennent qu’ils sont tous directement concernés par leur atteinte.
Exprimer clairement les objectifs
Nous devons dès lors exclure tout objectif qui serait imprécis, flou et n’exprimerait pas clairement un niveau d’attentes comportementales en lien avec un apprentissage. Ce type d’objectif aurait toutes les chances d’être contre-productif en matière d’attentes élevées.
Nous avons besoin d’intentions d’apprentissages et de critères de réussite clairement définis.
Un contre-exemple dans la façon d’exprimer les objectifs serait :
- Décrire les facteurs nécessaires à la photosynthèse et à la respiration.
Des exemples clairs et précis seraient :
- Je décris, j’explique et j’illustre à l’aide d’un schéma légendé le processus de photosynthèse.
- Je décris, j’explique et j’illustre à l’aide d’un schéma légendé le processus de respiration.
- J’explique d’un point de vue chimique et je situe dans la cellule les différentes étapes cellulaires du processus de respiration.
- J’explique d’un point de vue chimique et je situe dans la cellule les différentes étapes cellulaires du processus de la photosynthèse.
Il s’agit de lever toute ambiguïté et de clarifier l’attendu sous forme d’attentes élevées et les personnaliser (d’où le je)
À la fois, le contre-exemple et l’exemple recouvrent les mêmes contenus du cours. L’exemple a l’avantage d’indiquer clairement à tout élève le niveau d’exigence réellement attendu.
Avec le contre-exemple, nous jugeons la capacité des élèves à déduire par eux-mêmes ce qui est réellement attendu. Une telle démarche va mettre en danger les élèves les moins capables. Dans l’exemple, nous clarifions les exigences et nous exprimons le degré d’investissement attendu.
Ainsi l’exemple exprime des attentes élevées. Le contre-exemple montre des attentes potentiellement faibles ou élevées en fonction de l’interprétation qu’en feront les élèves. Des intentions d’apprentissage uniques et explicites, stimulantes et inscrites dans l’action sont donc bien plus ambitieuses pour tous les élèves et spécifiquement ceux que nous souhaitons toucher.
De cette manière, nos attentes restent élevées pour tous, quel que soit leur point de départ. Nous ne pouvons estimer que chaque élève sera capable de décoder précisément l’attendu. Ce sont des novices. En le modélisant nous-mêmes, grâce à notre expertise, nous leur permettons de se dépasser.
De même en travaillant de la sorte avec une vérification de la compréhension courante et une approche d’évaluation formative, l’enseignant repèrera plus facilement les élèves qui ne remplissent pas certains objectifs. Il pourra leur proposer un soutien, une remédiation ou une approche alternative.
Lorsque l’enseignant exprime des objectifs pédagogiques, il a tout intérêt à exprimer des attentes élevées. À travers ce processus, il pose une ancre qui va servir aux élèves pour s’évaluer et déterminer leur implication et leur engagement.
Garder une longueur d’avance
Autant que possible, garder une longueur d’avance consiste à enseigner nos matières juste au-delà des connaissances, concepts et compétences, tous attendus et requis dans le programme de notre matière.
Les élèves trouvent motivant de se faire dire qu’ils apprennent et pratiquent quelque chose d’intrinsèquement difficile lorsqu’ils arrivent à le comprendre et à le maîtriser.
Nous plaçons une ancre en posant l’accent sur la maîtrise des tâches les plus complexes et en renforçant positivement la compréhension et la réussite des élèves. Nous y arrivons en donnant une importance accrue, mais justifiée à des points de matière plus exigeants et essentiels.
Nous devons éviter un type de phénomène bien identifié en mathématiques où les élèves privilégient savoirs et savoir-faire et tendent à ne plus s’impliquer lorsque des problèmes sont abordés. Ils ont acquis l’égard des problèmes, un ancrage négatif. Celui-ci les amène à penser que la résolution de problèmes leur est globalement inaccessible. Nous devons tâcher d’inverser activement cette tendance pour installer au contraire des attentes élevées pour la capacité à résoudre des problèmes.
Culture du rythme et de l’engagement
Un autre type d’ancre important consiste à instituer la primauté de l’engagement et du travail en classe comme une norme valorisée par défaut.
L’enseignant gère le temps en classe en instillant un rythme soutenu. Dès que les élèves entrent en classe, ils doivent être mis au défi de réfléchir. Cela passe par un quiz d’entrée ou par le fait d’entamer la vérification de la compréhension ou des connaissances préalable dès le début du modelage sur une nouvelle matière. Le processus continue lors de la pratique. L’idée est de ne laisser aucun temps mort où les élèves ne se sentent pas au défi d’apprendre ou de récupérer ce qu’ils ont précédemment appris.
Le rôle des ancres en classe
Les trois idées à installer sous forme d’ancres sont les suivantes :
- Une vision commune du chemin à parcourir ensemble : Les objectifs pédagogiques sont des contrats clairs et précis entre l’enseignant et ses élèves. Ils doivent être respectés et remplis par tous dans le but d’atteindre un haut niveau de réussite.
- Une recherche d’excellence pour tous : Toute la matière et toutes les compétences développées sont importantes et les plus exigeantes sont non négociables et doivent être la priorité de tous. C’est la profondeur et la maîtrise globale des apprentissages qui guident les pratiques.
- Une utilisation efficace des ressources disponibles : Le temps en classe et dévolu à l’engagement. Il y a une volonté commune pour l’enseignant et ses élèves de l’optimiser dans la visée d’un apprentissage génératif.
L’avantage d’un tel système est que la norme partagée sur ce que doit être l’enseignement en classe est que :
- Les intentions d’apprentissage sont claires.
- Tout le monde est concerné.
- Chaque instant compte pour l’apprentissage.
Cette traduction des attentes élevées est à même de stimuler l’apprentissage et la réussite des élèves.
Lien avec l’auto-efficacité
Ces principes d’ancrage qui participent à l’établissement d’attentes élevées trouvent également un moteur à travers le processus d’évaluation, qu’elle soit formative, sommative ou certificative.
En matière d’évaluation, l’enjeu n’est pas pour l’enseignant de placer la barre plus haute que ne le demandent les programmes. De manière générale, il est pertinent que l’enseignant mutualise ses évaluations et les construise avec des collègues. Dans certains cas, elles correspondront à des évaluations externes et officielles.
Notre challenge est triple, nous voulons autant que possible que :
- Les élèves aient bien compris les objectifs.
- Les élèves se soient engagés cognitivement dans les contenus jusqu’au bout et même un peu plus loin.
- Les élèves se sont tous engagés avec sérieux et effort.
Au mieux, ce challenge est rempli, au plus les élèves devraient trouver leurs évaluations sommatives relativement accessibles et plus aisées. Cela n’aurait pas été le cas si leur investissement avait été moindre comme dans le cas de l’expression d’attentes faibles par l’enseignant.
L’enseignant parvient à augmenter leur réussite lors des évaluations. Le grand avantage est que cette amélioration est également susceptible de nourrir leur auto-efficacité pour la matière considérée.
En augmentant l’auto-efficacité des élèves, nous améliorons leur motivation et nous stimulons leurs engagements à venir. Un cercle vertueux est mis en route. Devenir plus exigeant avec les élèves dans la mesure où cela se traduit par une amélioration de leur résultat et de leur maîtrise de leurs propres apprentissages est susceptible d’être un processus qui s’entretient seul. Ce processus agit positivement sur leur motivation, leur engagement et leurs progrès à venir.
De fait, avoir des attentes élevées ne signifie pas que l’enseignant est sévère, autoritaire ou contraint ses élèves. Cela veut plutôt dire qu’il arrive à mettre en place une dynamique positive au sein de ses cours et offre tout l’étayage nécessaire, mais de façon temporaire, le temps que ses élèves apprennent.
Prenons deux enseignants qui ont leur évaluation en commun et deux classes de niveau identique. L’enseignant qui arrivera à poser et mettre en scène des attentes élevées aura toutes les chances de constater une amélioration progressive des résultats, une augmentation de la motivation de ses élèves et une diminution des écarts.
À l’opposé, un enseignant qui laisse penser qu’il croit que certains objectifs ne seront pas atteints ou pas atteignables par tous les élèves va envoyer malgré lui comme message à certains d’entre ses élèves. Ils risquent de considérer que ce n’est même pas la peine d’essayer. Les écarts vont s’accroitre, certains élèves vont se démotiver et tous les élèves ne progresseront pas régulièrement.
De plus, l’impact dépasse largement ce qui se passe en classe. L’enseignant qui exprime dans l’introduction du cours des attentes élevées et les cultive dans ses phases d’enseignement verra celles-ci perdurer lorsque ses élèves vont travailler de manière autonome hors de la classe. Les ancres qu’il aura posées continueront à influencer positivement ou négativement leur engagement cognitif à domicile.
L’ancre est un concept important à garder en tête lorsque nous planifions nos objectifs pédagogiques, les activités correspondantes et que nous sélectionnons nos pratiques d’enseignement et de soutien aux apprentissages.
Nous pouvons même aller plus loin et estimer que la mise en place de telles pratiques correspond à une ancre inscrite elle-même dans la conscience de l’enseignant. Il s’agit pour lui de croire que tous ses élèves peuvent progresser, y arriver, s’investir et s’engager sérieusement pour finalement réussir et y prendre goût.
Dans la mesure du possible, nous confrontons nos élèves à des contenus dont le niveau est généralement considéré comme supérieur aux attentes générales du programme. Nous laissons une place au dépassement, mais nous le leur présentons comme atteignable. Nous les ancrons dans un défi qui sera bénéfique à leur réussite. Quelque part, l’enseignant lorsqu’il s’inscrit dans cette dynamique sera le premier à se poser une ancre ambitieuse pour la réussite de ses élèves.
Un enseignant qui réussit à instiller des attentes élevées auprès de ses élèves est également celui qui leur offre tout le soutien nécessaire lorsque des difficultés se présentent pour les aider et les stimuler à les dépasser.
Bibliographie
Shaun Allison and Andy Tharby, Making every lesson count, 2015, Crown House
0 comments:
Enregistrer un commentaire