Certains élèves présentent des niveaux de capacités et possèdent des connaissances préalables quasi égales. Ils peuvent cependant obtenir des résultats très divergents dans certaines matières (mathématiques, chimie, physique, langues…) et dans certaines situations d’évaluation (examens, épreuves orales…) sans explications logiques d’un simple point de vue cognitif. Comment expliquer ce phénomène ? Comment agir pour le prévenir en tant qu’enseignant et y remédier ?
De même, un enseignant débutant par exemple sera confiant lorsqu’il s’adresse à ses élèves sur un sujet qu’il connait bien. Par contre, il pourrait ressentir de l’anxiété, être hésitant ou faire plus d’erreurs lorsqu’un autre enseignant, des pairs ou un autre observateur extérieur assistent à son cours. La crainte d’être jugé plutôt que d’être soutenu va détourner une partie de ses capacités cognitives. Son statut professionnel est plus menacé lorsque son public est beaucoup plus compétent que ne le sont ses élèves et supposé plus expert ou expérimenté que lui. Toutes les situations ne sont pas égales.
L’auto-efficacité, une croyance subjective qui semble échapper à la raison
L’auto-efficacité désigne la mesure avec laquelle un individu se croit capable de mener à bien une tâche donnée. Le niveau d’auto-efficacité peut influer sur les résultats.
Une attente de résultat est une croyance ou attribution personnelle selon laquelle un individu estime qu’un certain comportement conduira à certains résultats. Une attente d’efficacité est la conviction d’un individu quant à sa capacité à adopter le comportement nécessaire pour atteindre le résultat. Cette dimension compte une large part de subjectivité.
L’auto-efficacité est une capacité cognitive complexe. Elle se forme et se consolide souvent sur plusieurs années. Les enseignants doivent être conscients des effets négatifs sur l’auto-efficacité de l’anxiété potentiellement ressentie par nos élèves et liée aux examens ou aux performances attendues. L’auto-efficacité peut se révéler être un obstacle aux apprentissages lorsqu’elle est déficiente.
Régulièrement, l’appréhension et les déficits des élèves peuvent être interdépendants. L’évitement d’activités stressantes entrave le développement des capacités d’adaptation, et le manque de compétences qui en résulte fournit une base réaliste à l’extension de cette anxiété. Un élève qui a une auto-efficacité plus faible va moins progresser qu’un autre élève qui a une auto-efficacité élevée, à aptitudes et connaissances initiales identiques. Son anxiété et son désengagement peuvent parallèlement progresser avec la dégradation de son auto-efficacité dans le domaine concerné.
Les élèves ne travaillent pas de manière purement rationnelle :
- Ils choisissent de s’investir dans une tâche ou non.
- Ils s’engagent dans une tâche avec plus ou moins d’assiduité et peuvent abandonner ou persévérer en fonction des difficultés ressenties qui ne sont pas forcément égales aux difficultés réelles.
La prise de décision de s’engager et la manière de le faire fonctionnent conjointement. Elles produisent un changement, dans le résultat et dans l’apprentissage. Tous ces choix déterminent ce qu’une personne finit par apprendre.
L’un des éléments les plus influents à cet égard est la croyance en nos propres capacités. Nous pouvons analyser une situation donnée avec un élève qui ressent de l’appréhension et témoigne d’une faible auto-efficacité. D’un point de vue logique et raisonnable, nous pouvons pourtant mettre en évidence son innocuité probable et son caractère disproportionné. Le danger est que lorsqu’une évaluation ou une tâche à réaliser sont des sources d’anxiété ou d’appréhension pour des élèves, ils sont susceptibles d’être moins efficaces et d’avoir un rendement plus faible.
Les élèves choisissent souvent une tâche ou une approche dont ils pensent qu’elle leur donnera les meilleurs résultats. Les élèves s’attendent également à ce qu’il y ait un lien entre leur propre capacité, ou leur croyance en leur propre capacité et le résultat. Ils choisissent une tâche qu’ils pensent pouvoir accomplir ou une stratégie qu’ils pensent efficace.
Les personnes qui ont une faible auto-efficacité dans un domaine particulier sont peu susceptibles de déployer beaucoup d’efforts pour accomplir une tâche particulière. Les personnes qui ont une auto-efficacité élevée sont plus susceptibles d’entreprendre une tâche et de considérer l’échec comme un moyen de parvenir à la réussite.
En classe, un faible niveau d’auto-efficacité signifie généralement que l’élève a une vision déformée et dégradée de la tâche à laquelle il est confronté. Il va penser qu’elle est beaucoup plus difficile qu’elle ne l’est en réalité.
Une faible auto-efficacité peut également conduire à des comportements d’évitement, perturbateurs, ou à une mauvaise planification.
L’auto-efficacité comme forme de conditionnement
Les êtres humains évitent les situations considérées menaçantes qui, selon leur ressenti, dépassent leurs capacités d’adaptation. Par contre, ils s’impliquent plus spontanément et naturellement dans des situations qu’ils pensent pouvoir gérer.
L’auto-efficacité ne se construit pas nécessairement en fonction de l’attrait ou de l’aversion pour un domaine ou une tache. L’idée centrale pour comprendre l’auto-efficacité est que ce n’est pas tant la situation elle-même qui déclenche le comportement d’un élève à son égard, mais plutôt la manière dont il anticipe la situation.
L’auto-efficacité a trait à un changement de comportement et peut être comparée à une forme de conditionnement opérant :
- Des stimuli qui au départ sont neutres se retrouvent associés à des expériences négatives d’échec.
- Peu à peu, les individus apprennent à anticiper les conséquences aversives et les stimuli neutres deviennent aversifs.
Des enjeux liés à une performance attendue sur une tâche peuvent servir de déclencheur. Cela peut rendre la gestion et la réalisation de celle-ci plus délicate et ponctionnant ses ressources cognitives.
Les attentes en matière d’efficacité personnelle déterminent si un comportement d’adaptation sera initié, quel effort sera déployé et combien de temps il sera maintenu face aux obstacles et aux expériences aversives.
Une spécificité déterminante de l’auto-efficacité liée au contexte
L’auto-efficacité est spécifique à une matière plutôt que généralisée. Ces mesures spécifiques à une matière sont un facteur prédictif important de la réussite scolaire. Ceci a deux implications sérieuses pour les enseignants :
- L’auto-efficacité est largement spécifique à un domaine. Dès lors, nous devons nous méfier des approches visant à stimuler l’auto-efficacité qui sont basées sur des citations inspirées ou des posters de motivation. Il ne semble pas exister d’auto-efficacité globale permettant aux individus d’améliorer leur auto-efficacité de manière générale.
- L’auto-efficacité est un prédicteur fort de la réussite dans un domaine particulier. L’enseignement devrait donc être adapté pour permettre aux élèves de faire l’expérience de la réussite dans ce domaine afin d’améliorer leur auto-efficacité.
Pistes d’action pour améliorer l’auto-efficacité des élèves
L’auto-efficacité est un trait spécifique à un domaine :
- Elle est renforcée par des expériences positives au sein de ce domaine
- Elle est diminuée par des expériences négatives au sein de ce domaine
La persistance dans des activités qui sont subjectivement menaçantes, mais en réalité relativement sûres produit, par le biais de l’expérience de la maîtrise :
- Un renforcement supplémentaire de l’efficacité personnelle
- Une réduction correspondante du comportement défensif.
En ce sens, rendre plus probables et fréquentes des opportunités de réussite pour les élèves dans des domaines où leur sentiment d’efficacité est faible peut contribuer à la renforcer.
Quatre sources d’informations qui influencent l’auto-efficacité
Les attentes en matière d’efficacité personnelle sont dérivées de quatre sources principales d’information :
- L’apprentissage énactif par la réalisation des performances
- L’expérience vicariante
- La persuasion verbale
- Les états physiologiques.
Ces sources permettent de mettre en œuvre des pistes pour créer et renforcer les attentes en matière d’efficacité personnelle des élèves.
L’apprentissage énactif
L’apprentissage énactif est l’apprentissage par l’action et l’expérience des conséquences de nos propres actions. Il implique une autorégulation du comportement, une autosurveillance et un comportement orienté vers un objectif.
Il correspond à nos réalisations en matière de performance. Le fait d’accomplir nous-mêmes des tâches, plutôt que de regarder les autres les accomplir, est plus efficace pour accroître notre sentiment d’efficacité personnelle.
Ce sont les expériences au cours desquelles les élèves entreprennent une tâche et la maîtrisent, qui leur donnent un sentiment d’accomplissement et une plus grande confiance lorsqu’ils sont confrontés à une tâche équivalente à l’avenir.
L’auto-efficacité par la maîtrise peut se généraliser à d’autres situations, par exemple en surmontant une phobie des animaux, ce qui permet de mieux faire face aux situations sociales et de réduire la peur des autres animaux. Toutefois, les effets se manifestent surtout dans les activités qui ressemblent le plus à l’activité de maîtrise initiale.
L’apprentissage vicariant
L’apprentissage vicariant consiste à apprendre en observant les autres, par le biais d’expériences indirectes. La maîtrise personnelle n’est pas la seule à pouvoir conduire à une augmentation de l’auto-efficacité. Lorsque nous voyons d’autres personnes vivre des situations difficiles et les surmonter, cela peut renforcer notre propre sentiment que nous pourrons améliorer et achever une tâche si nous persévérons et maintenons nos efforts.
S’ils peuvent y arriver, pourquoi n’y arriverions-nous pas ? La pratique coopérative en classe est idéale pour le mettre en œuvre, mais il apparait dès la pratique guidée.
La persuasion verbale
La persuasion verbale est une intervention simple à réaliser pour un enseignant. En effet, il est relativement aisé de parler à un élève et de lui suggérer qu’il peut aboutir à un résultat s’il fournit l’effort nécessaire.
Toutefois, cette approche n’est pas aussi efficace pour accroître l’auto-efficacité que celles où l’individu fait lui-même l’expérience de la maîtrise.
Dans de nombreux cas, la persuasion verbale vise principalement à augmenter les attentes en matière de réussite en aidant à la définition d’objectifs personnels, plutôt qu’à renforcer l’auto-efficacité. Un point clé ici est qu’il ne suffit pas de persuader les élèves qu’ils peuvent faire quelque chose, nous devons leur fournir un étayage et un soutien temporaire pour permettre une action efficace. Il ne suffit pas de dire à un élève qu’il peut le faire, il faut aussi lui montrer comment le faire.
L’impact de la persuasion verbale sur l’efficacité personnelle peut varier considérablement selon la crédibilité perçue des personnes qui persuadent, leur prestige, leur fiabilité, leur proximité, leur expertise et leur assurance. Plus la source de l’information est crédible et authentique, plus les attentes en matière d’efficacité des élèves sont susceptibles de changer positivement.
Les états physiologiques et émotionnels.
Les états physiologiques, ou le ressenti émotionnel, renvoient au fait que des niveaux élevés d’anxiété nuisent généralement à la capacité d’un élève à accomplir une tâche, quelle que soit sa capacité.
Le stress, la peur de l’échec, la pression lors d’une évaluation sommative d’importance peuvent amener un élève à commettre des erreurs qu’il ne manifestait pas en classe ou lors d’une épreuve formative antérieure. L’anxiété en est responsable, car elle va diminuer les ressources de la mémoire de travail par des pensées parasites.
La peur de l’expérience est pire que l’expérience elle-même. En évoquant des pensées qui provoquent la crainte de leur incompétence, les élèves peuvent atteindre des niveaux d’anxiété élevés qui dépassent de loin le niveau de risque réel de l’évaluation sommative concernée. L’anticipation de la tâche est bien pire que sa réalisation effective.
Implications éducatives liées à la prise en compte de l’auto-efficacité
L’auto-efficacité affecte le choix d’action d’un individu, notamment en matière de persistance et d’effort. À travers nos pratiques enseignantes, nous pouvons contribuer à favoriser le développement de l’auto-efficacité de nos élèves.
Certaines tâches peuvent être mobilisées pour permettre aux élèves de rencontrer des opportunités de réussite qui vont renforcer leur sentiment d’efficacité personnelle. Ces tâches ne peuvent pas être trop simples, mais doivent être réalistes. Réussir des tâches faciles ne fournit aucune information nouvelle permettant de modifier le sentiment d’auto-efficacité des élèves. La maîtrise de tâches difficiles peut apporter aux élèves la preuve évidente d’une compétence accrue. De fait, elle devient susceptible de renforcer leur auto-efficacité, si elles sont maîtrisées.
Les principes liés à l’augmentation de l’auto-efficacité gagnent à être intégrés dans le cadre plus large de pratiques d’enseignement efficaces. L’enjeu est de créer des changements généralisés et durables dans l’auto-efficacité de nos élèves. Ces différentes caractéristiques se retrouvent dans un enseignement explicite et plus largement dans les démarches d’enseignement efficace. Par conséquent, nous pouvons estimer qu’une démarche d’enseignement explicite est susceptible de renforcer l’auto-efficacité des élèves d’une manière générale.
L’idée générale est que grâce à la maîtrise, l’apprenant perçoit le succès et peut donc se sentir plus motivé à continuer à faire des efforts.
1) Un modelage clair et précis
Un comportement modélisé dont les résultats sont clairs transmet davantage d’informations sur l’efficacité que si les effets des actions modélisées restent ambigus. Lorsqu’ils font face à des élèves qui éprouvent de l’anxiété à l’égard de la matière enseignée, les enseignants peuvent décomposer les éléments constitutifs et montrer comment procéder étape par étape.
Le fait d’observer une personne (l’enseignant) réaliser des activités qui lui réussissent et génèrent du sens produit effectivement des améliorations comportementales plus importantes que le fait d’assister à ces mêmes performances modélisées sans conséquences évidentes.
Le modelage devient un moyen d’atténuer les états émotionnels potentiellement négatifs et d’enseigner les capacités d’adaptation en montrant des moyens efficaces pour mieux faire face aux situations exigeantes et complexes.
En modélisant le succès, l’enseignant offre à ses élèves une expérience d’apprentissage vicariant.
Nous montrons aux élèves les étapes spécifiques requises pour résoudre une équation algébrique ou un problème stœchiométrique par exemple. Puis nous leur donnons le temps et l’espace pour nous exercer de manière guidée puis autonome et réussir à le faire. Cette démarche est plus susceptible d’entraîner une amélioration de leur sentiment d’efficacité personnelle.
2) Fournir puis retirer l’étayage
L’apport puis la suppression d’aides externes (comme le soutien, le guidage et l’étayage) à travers une pratique guidée permettent de confirmer et renforcer l’efficacité personnelle.
L’auto-efficacité est contextuelle. Certaines situations ou tâches exigent plus de compétences que d’autres et comportent un risque plus élevé de conséquences négatives. Elles dépendent du domaine de manière, du niveau de difficulté et d’exigence et des connaissances et aptitudes des élèves.
Pour atténuer le risque de conséquences négatives, une approche peut donc consister à traiter ce problème par un enchaînement minutieux de l’enseignement et des tâches. De cette manière, nous amenons les élèves à la maîtrise d’une tâche particulière et au sentiment d’accomplissement, qui est vraiment le déterminant le plus puissant de l’auto-efficacité.
Le retrait progressif de l’étayage en fonction de l’apprentissage des élèves leur permet de continuer à ressentir une situation de défis qu’ils peuvent relever, ce qui contribue à leur auto-efficacité.
3) Soigner la rétroaction
Nous devons décourager la compétition interpersonnelle et mettre l’accent sur les progrès et les résultats personnels. Nous axons le retour d’information sur les progrès et non sur les erreurs.
Faire un laïus et offrir aux élèves des recommandations générales sur la nécessité de fournir un travail régulier et des efforts peut être vrai dans un sens général. Cependant, il est peu probable que cela entraîne des changements de comportement chez les élèves.
Lorsque nous fournissons une rétroaction aux élèves par écrit ou lors de discussions individuelles, il est important de ne pas utiliser un langage ou des instructions vagues et nébuleuses. Celles-ci sont susceptibles d’avoir des effets négatifs.
Au lieu de cela, il est plus efficace de fournir des informations très claires, des instructions sur ce qui est nécessaire pour réaliser une tâche particulière. Nous modélisons la manière de le faire et ensuite nous donnons à l’élève l’occasion de s’exercer de manière indépendante pour renforcer son auto-efficacité.
4) Une pratique indépendante et l’acquisition d’un bon niveau de maîtrise
Une pratique indépendante et l’acquisition d’un bon niveau de maîtrise permettent de renforcer et de généraliser les attentes en matière d’efficacité.
Lors de la pratique indépendante et des devoirs, il faut laisser les élèves travailler à leur propre niveau, avec des objectifs qui sont à leur portée.
L’enseignement doit être axé sur l’apprentissage actif des connaissances plutôt que sur leur seule présentation. Les élèves doivent constater qu’ils peuvent évoluer et que les connaissances et les compétences ne sont pas des traits innés.
5) Des démarches d’évaluation formative et d’apprentissage coopératif
Une autre piste dans la dimension de l’expérience vicariante est de permettre aux élèves de voir leurs pairs réussir une tâche spécifique. Par exemple, lorsque les élèves réalisent une production, au lieu de noter leur travail et de le rendre, l’enseignant peut montrer à la classe trois exemples d’élèves qui réussissent cette tâche à un niveau élevé. Autre situation, après avoir fait passer une évaluation à ses élèves, l’enseignant peut renoncer à la corriger individuellement et à leur donner une rétroaction personnalisée. Au lieu de cela, l’enseignant peut leur proposer lors du cours suivant de se mettre en petit groupe et de comparer leurs réponses en tâchant d’améliorer leurs copies réciproquement.
Mis à jour le 22/10/2024
Bibliographie
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