jeudi 11 novembre 2021

Agir sur les attributions des élèves pour les aider à progresser

La théorie de l’attribution s’intéresse à la façon dont les individus interprètent les évènements et à la manière dont cela se rapporte à leur pensée et à leur comportement. Fritz Heider (1896 –1988) a été le premier à proposer une théorie psychologique de l’attribution, mais Bernard Weiner et ses collègues ont développé un cadre théorique qui est devenu un paradigme de recherche majeur en psychologie sociale.

(Photographie : Nicole Llloyd)




L’aspect le plus intéressant de la théorie de l’attribution pour l’éducation concerne tout ce qui a trait à la réussite scolaire. 

La théorie de l’attribution a déjà été présentée dans un article. Le présent se conçoit en un complément et concerne plus spécifiquement son application pratique.






La question centrale de contrôle dans l'établissement des biais d'attribution


Par notre nature humaine, nous avons tendance à vouloir garder le contrôle de la situation dans nos expériences personnelles. 

L’issue d’un évènement peut entrainer une réponse émotionnelle par l’attribution de causes à une performance :

  • Les individus éprouvent une première réaction positive ou négative ou ce que l’on appelle une émotion primitive.
  • Dans un second temps, il y a attribution d’une cause à ce résultat. C’est là que des émotions telles que la colère, la honte et la culpabilité peuvent surgir et deviennent susceptibles d’avoir un impact dévastateur sur les performances futures.

Cette tendance à garder le contrôle prend la forme d’un biais d’attribution :

  • Si nous sommes satisfaits de l’issue de l’expérience, nous avons tendance à nous en attribuer le succès à travers nos capacités ou grâce à nos efforts.
  • Si nous sommes déçus de l’issue de l’expérience, nous avons tendance à attribuer la cause à une source extérieure indépendante de nous-mêmes. 

Ces deux types d’attributions sont une tentative de donner un sens à une performance particulière, mais aussi de s’assurer que toute performance future sera toujours sous notre contrôle. 

Des attributions croisées sont également possibles : attribuer un échec à un manque d’effort ou une réussite à un facteur de chance, mais elles sont plus contextualisées, moins courantes et naturelles. 

En attribuant une cause extérieure à notre échec, nous gardons notre potentiel de réussite intact et un certain degré d’autonomie à l’avenir. Malheureusement, avec cette logique nous manquons une occasion essentielle d’apprendre de nos erreurs. 

À l’opposé même lorsque nous attribuons un échec à une cause interne, il faut toutefois nuancer. Tout dépend du caractère fixe ou modifiable de la raison invoquée :

  • Si elle est liée à notre personne ou à nos capacités, nous avons peu de marge de manœuvre. 
  • Si elle est liée aux efforts fournis et aux stratégies sélectionnées, nous gardons une marge de manœuvre importante. 




L'influence des attributions faites par un élève sur sa motivation


La théorie de l’attribution est étroitement associée au concept de motivation. Il existe une forte relation entre le concept de soi et la réussite. La théorie de l’attribution porte essentiellement sur les causes que les individus attribuent à leurs propres succès ou échecs. Elles vont jouer un rôle clé. 

La théorie de l’attribution a été utilisée pour expliquer la différence de motivation entre les personnes très performantes et celles qui le sont moins :

Les élèves très performants montrent les tendances suivantes :

  • Ils s’approcheront des tâches exigeantes liées à la réussite plutôt que de les éviter, car ils pensent que la réussite est due à leurs capacités et aux efforts élevés qu’ils peuvent délivrer. 
  • Ils pensent que l’échec est dû à la malchance ou à la difficulté des questions, c’est-à-dire qu’ils n’en sont pas directement responsables. 
  • L’échec n’affecte pas leur estime de soi, mais la réussite renforce leur fierté et leur confiance. 
  • Lorsque de tels élèves connaissent la réussite scolaire, le comportement qui a conduit à cette réussite est renforcé positivement et il est probable qu’ils adoptent à nouveau ce comportement très spontanément. 
  • Ils sont installés dans un cercle vertueux de réussite avec renforcement positif.

Les élèves peu performants montrent les tendances suivantes :

  • Ils évitent les tâches exigeantes liées à la réussite, car elles ont tendance à mettre en doute leurs capacités et la qualité de leurs efforts.
  • Ils pensent que leur réussite serait liée à la chance, c’est-à-dire qu’ils n’en sont pas complètement responsables. Même en cas de réussite, celle-ci n’est pas aussi gratifiante pour la personne peu performante, car elle ne se sent pas responsable, c’est-à-dire qu’elle n’augmente pas leur fierté et leur confiance.
  • Lorsque de tels élèves connaissent un échec, l’évaluation qu’ils en font est essentielle pour déterminer leurs comportements futurs. En attribuant leur échec à une cause interne et stable telle que la capacité, leur réponse émotionnelle peut être la honte, la culpabilité et la frustration, ce qui peut conduire à un cycle négatif de sous-performance. Ils peuvent tendre à éviter des tâches similaires en s’en désintéressant. 
  • Les élèves qui connaissent des échecs répétés dans une matière sont susceptibles de se considérer comme moins compétents.  
  • De même, les élèves présentant des troubles d’apprentissage semblent moins susceptibles que leurs pairs non touchés d’attribuer l’échec à l’effort, un facteur instable et contrôlable. Ils sont plus susceptibles d’attribuer l’échec à leur trouble d’apprentissage, un facteur stable et incontrôlable.

Les perceptions glanées par les élèves au fil du temps vont affecter leur état émotionnel et, surtout, leur motivation pour des tâches futures. La difficulté est que la cause perçue est souvent plus significative pour le comportement ultérieur de l’élève que ne l’est la cause réelle. 

La réponse émotionnelle d’un élève à un mauvais résultat à un test est plus importante que le résultat lui-même, car elle peut établir un modèle de comportement futur qui peut s’avérer autodestructeur ou réparateur.




Influence des attitudes de l’enseignant sur les attributions de ses élèves


Dans de nombreux cas, les facteurs déterminant le succès ou l’échec ne sont pas figés et c’est une dimension sur laquelle nous pouvons agir en tant qu’enseignant avec notre rétroaction en orientant l’attribution des élèves. 

La connaissance de contenus de matière spécifiques est fondamentale et incontournable dans un environnement scolaire. La combinaison de causes modifiables telles que l’effort, la persévérance rend la situation malléable et face à un échec, la plupart du temps, les élèves peuvent y remédier. Nous devons nous assurer qu’ils le font idéalement avec la démarche la plus autonome possible.

La manière la plus directe d’agir sur la motivation liée aux attributions, efficace, mais qui ne change pas grand-chose dans un premier temps est l’incitation et la prise de conscience de l’enjeu :

  • Un élève peut avoir confiance en lui et s’attendre à réussir. Cependant, sa motivation à travailler pour un test peut dépendre du fait que ce test compte pour sa note finale ou qu’il s’agit simplement d’un test ponctuel. 
  • Si un adulte avec lequel il a une relation positive (parent ou enseignant) a manifesté une attente particulière vis-à-vis de son résultat, la motivation à s’engager peut augmenter.

De même, nous devons toujours être honnêtes avec les élèves en ce qui concerne leurs efforts et leur niveau de réussite. Il est important d’inspirer les élèves à s’investir plus, mais c’en est une autre de leur donner une fausse image de leur situation. Cela peut avoir des effets potentiellement dommageables. Un soutien et un accompagnement concrets sont toujours nécessaires. De fait, un enseignant qui connait bien l’élève car il l’a au cours est susceptible d’avoir plus d’impact qu’un intervenant extérieur.

À l’opposé, un enseignant qui ne dit que des choses positives à ses élèves dilue le sens de son message. Les félicitations sont un outil puissant pour motiver les élèves, mais si elles deviennent la norme, les élèves développent une habituation à leur égard et les ignorent. 

L’enseignant qui veut cultiver une culture où le succès est lié à l’effort et non à une capacité latente est susceptible de contribuer à la réussite des élèves.

Les attributions causales déterminent les réactions affectives au succès et à l’échec :

  • Il est peu probable qu’un élève éprouve de la fierté à l’idée de réussir, ou un sentiment de compétence, lorsqu’il reçoit un satisfecit d’un enseignant qui ne met jamais en échec. 
  • D’un autre côté, un satisfecit de bonne réussite d’un enseignant qui donne peu de bonnes notes génère un grand affect positif.




Agir sur les attributions des élèves en contexte scolaire


La théorie de l’attribution peut être particulièrement utile lorsque nous travaillons avec des élèves qui ont connu des échecs scolaires répétés, qui sont peu motivés et se retrouvent dans une spirale du désengagement. 

Ces types d’élèves peuvent souvent se retrouver piégés dans un cycle négatif où l’impuissance acquise prend le dessus. Leur comportement devient une prophétie autoréalisatrice, ils ont l’impression que le scénario d’échec est déjà écrit et inévitable. 

Avec ce type d’élèves, il est crucial de s’attaquer à leurs croyances fondamentales concernant leurs performances et leurs stratégies d’évitement, afin d’améliorer leurs performances futures. 

Une relation de type coaching consistant à leur poser une série de questions et à les faire réfléchir peut donc donner des résultats positifs. Les types de questions que les enseignants pourraient poser dans ce cadre sont les suivantes :

  • Que s’est-il passé dans ce test, cette production ou cet examen ?
  • Comment l’as-tu vécu sur le moment même (émotion primitive) ?
  • Quelles sont les raisons et causes qui t’ont amené dans cette situation ? 
    • Est-ce que certaines causes te sont propres (internes) ? 
    • Est-ce que certaines causes ont à voir avec le contexte (externes) ?
  • Est-ce que ces causes que nous venons d’évoquer sont fixes ou susceptibles d’évoluer (stable/instable) ? 
  • Est-ce que tu te sens capable de changer certains de ces aspects ? 
    • Si oui, comment ? 
    • Comment s’assurer que cela peut être mis en œuvre (contrôlabilité) ? 

Il est probable que la difficulté de l’élève réponde réellement à des facteurs externes incontrôlables, comme la difficulté d’un test particulier ou tout simplement la malchance. Il. Il est possible qu’un facteur interne problématique soit stable. 

Cependant, il est probable que :

  • L’élève dispose de facteurs internes modifiables qui peuvent améliorer la situation : fournir plus d’effort, acquérir de nouvelles stratégies, demander de l’aide. 
  • La perception qu’à l’élève des causes externes incontrôlables soit plus importante que la cause réelle. 

Plus un élève a le sentiment de ne pas avoir le contrôle d’une situation, moins il est susceptible de réagir positivement à cette situation. En l’aidant à analyser à nouveau sa perspective, nous pouvons lui faire entrevoir la situation comme non irrémédiable ce qui le motivera à s’y réinvestir.

La grande majorité des élèves accomplissent des tâches qui sont à leur portée :

  • Si leur état d’esprit personnel est relativement constructif
  • S’ils reçoivent un enseignement approprié
  • S’ils font les efforts nécessaires.

Lorsque nous accompagnons un élève en détresse et qui se sent impuissant face à ses résultats scolaires, un apport essentiel vient de la théorie de l’attribution. Elle nous permet de comprendre qu’à travers un coaching et un soutien personnalisé, nous pouvons contribuer peu à peu à lui donner le sentiment de pouvoir reprendre la maitrise de sa situation.

Souvent, les élèves vont se créer des attributions déformées et contreproductives. Il peut faire reposer la faute sur des causes internes telles qu’un manque d’aptitude ou des causes externes telles que les préjugés de l’enseignant comme raison de ses mauvais résultats.

Il est de notre pouvoir d’essayer de jouer un rôle transformateur et d’orienter sa réflexion vers des variables sur lesquelles il peut agir. Ces variables peuvent être l’augmentation de l’effort consenti, la définition et le découpage de ses objectifs personnels en étapes concrètes et en défis accessibles, ou l’adaptation de ses stratégies. Développer une meilleure approche et la mettre en œuvre peuvent souvent atténuer les difficultés et lui apporter un mieux-être.


Mis à jour le 21/04/2023


Bibliographie


Attribution Theory (B. Weiner) (2021 https://www.instructionaldesign.org/THEORIES/ATTRIBUTION-THEORY/)  

Paul A. Kirschner and Carl Hendrick, How Learning Happens, 2020, Taylor and Francis

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