samedi 13 novembre 2021

Le modèle de covariation de Kelley lié aux attributions

Nous avons précédemment abordé la théorie de l’attribution et ses implications dans un cadre scolaire. Nous nous intéressons maintenant à un modèle fondé sur cette théorie.

(Photographie : Mark Wyse)


Voir les articles suivants sur la théorie de l’attribution : 





L’utilité du modèle de covariation de Kelley


Le modèle de covariation d’Harold Kelley se fonde sur la théorie de l’attribution. 

Kelley (1967) a développé un modèle logique pour juger si une action particulière peut être attribuée à une caractéristique dispositionnelle de la personne ou à une caractéristique situationnelle, car liée à l’environnement.

Kelley propose d’examiner les informations existantes. Son modèle s’emploie à déterminer si les causes d’une action ou de son résultat peuvent être localisées dans l’environnement, ou si nous devons également, voire exclusivement, considérer la personne comme la source de causalité. 

Le modèle de covariance de Kelley tire son nom de la notion selon laquelle un effet covarie avec sa cause. L’effet est présent si la cause est présente. L’effet est absent lorsque la cause est absente. 

Le terme de covariation signifie simplement que nous disposons d’informations provenant d’observations multiples, à des moments et dans des situations différentes, et que nous pouvons percevoir la covariation d’un effet observé et de ses causes.

Un effet est attribué à une cause s’ils apparaissent et disparaissent toujours ensemble : 

  • Les variables dépendantes sont les effets
  • Les variables indépendantes sont les facteurs. 

Kelley introduit des informations, non pas sur une seule action, mais sur plusieurs actions de la même personne et d’autres personnes au fil du temps, ainsi que sur des actions vers différents objectifs dans diverses circonstances. 

Kelley considère quatre dimensions :

  • Les personnes concernées
  • Les occurrences du comportement dans le temps
  • Les objets de but
  • Les circonstances.




Prendre en compte trois types de preuves dans le modèle de covariation de Kelley


Kelley (1967) soutient qu’en essayant de découvrir les causes d’un comportement, les individus agissent comme des scientifiques. Plus précisément, ils prennent en compte trois types de preuves.

Nous allons les analyser dans le cadre de deux exemples : 

  • Au début d’une année scolaire, l’enseignant en mathématique note que Thomas vient de rater d’affilée les deux premières évaluations en mathématiques. 
  • Au début de l’année scolaire, l’enseignant en histoire remarque que Marie se met régulièrement à bavarder lors de son cours.

Un individu s’appuie sur trois sources d’informations pour expliquer un comportement :


Le caractère distinctif


Nous évaluons le caractère distinctif des entités (objets du but, il peut aussi s’agir d’autres personnes, vers lesquelles l’action est dirigée) : 

  • Le comportement spécifique d’un individu diffère-t-il dans d’autres situations ? 
  • Est-ce que la personne se comporte de la même manière dans des situations similaires ?

Exemples : 

Est-ce que Marie bavarde seulement durant le cours d’histoire ? 

  • Si elle ne bavarde que durant ce cours, le caractère distinctif est fort. 
  • Si elle le fait dans différents cours, le caractère distinctif est faible.

Est-ce que Thomas échoue uniquement dans les évaluations en mathématiques ? 

  • Si c’est le cas, le caractère distinctif est fort. 
  • S’il échoue dans différents cours, le caractère distinctif est faible.

Lorsque le caractère distinctif est évident, un individu réagira à la situation d’une manière très spécifique. 



Le consensus


Le consensus est la caractéristique que le comportement d’un individu est le même que celui de ses pairs dans la même situation. C’est la mesure dans laquelle d’autres personnes se comportent de la même manière dans une situation similaire. 

Nous évaluons le consensus entre différentes personnes dans leurs actions envers une entité particulière. D’autres personnes agiraient-elles de la même manière ? 

Lorsqu’il y a un haut niveau de consensus, la réaction à l’égard d’une entité sera comparable à celle de la majorité des autres.

Exemples : 

Mis à part Marie, est-il courant de voir des élèves bavarder durant le cours d’histoire ? 

  • Si de nombreux élèves bavardent, le consensus est élevé. 
  • Si seulement cette élève bavarde, le consensus est faible.

Est-ce que d’autres élèves sont dans la même situation que Thomas en ce qui concerne leurs échecs aux tests de mathématiques ?

  • Si de nombreux élèves sont en échec, le consensus est élevé. 
  • Si très peu d’élèves sont en échec, le consensus est faible.



La cohérence


La consistance est la caractéristique d’un comportement habituel de la personne dans les mêmes situations et à d’autres moments. C’est la mesure dans laquelle la personne se comporte ainsi chaque fois que la situation se présente.

La cohérence concerne le moment et les circonstances dans lesquelles l’effet ou le comportement se manifeste :

  • La personne agit-elle toujours de cette manière ? 
  • La même action se produit-elle lorsque l’entité est intégrée dans d’autres circonstances 

Si la cohérence est élevée, la personne réagira de la même manière chaque fois que ce stimulus (moment ou circonstances) sera rencontré

Exemples :

Est-ce que Marie parle à chaque heure de cours d’histoire ? 

  • Si l’élève bavarde à chaque cours, la cohérence est élevée. 
  • Si cela n’arrive que rarement, la cohérence est faible

Est-ce que Thomas rate tous ses tests de mathématiques ? 

  • Si l’élève échoue à chaque test, la cohérence est élevée. 
  • Si cela n’arrive que rarement, la cohérence est faible.




Croiser les sources d’information dans le cadre du modèle de covariation de Kelley


L’utilité de ces preuves est que les diverses combinaisons de réponses à ces questions permettent d’inférer différentes causes aux comportements.

Par exemple : 

Si de nombreux élèves bavardent au cours d’histoire, le bavardage en est un caractère distinctif du cours d’histoire. 

  • Dans ce cas, nous pouvons faire une attribution externe, c’est-à-dire que nous supposons que l’élève bavarde au cours d’histoire à cause de caractéristiques de ce cours. 
  • L’hypothèse serait d’agir prioritairement au niveau de l’enseignant et du cours d’histoire, ou tout au moins récolter plus de preuves à ce niveau.

Si l’élève est la seule à bavarder systématiquement au cours d’histoire, alors une action doit être envisagée auprès de l’élève en incluant l’enseignant dans la mise en œuvre de la solution.

Si l’élève bavarde à tous les cours, alors l’élève est de nature bavarde. Nous pouvons faire une attribution interne. Une action spécifique est à envisager au niveau de l’élève.




Distinguer corrélation et causation dans le cadre du modèle de covariation de Kelley


Ces démarches de croisement de preuves présentent potentiellement un danger. Si nous établissons une corrélation entre des phénomènes, nous n’avons aucune certitude du sens ou de l’existence même d’une causalité et nous risquons dès lors de conclure erronément.

L’analyse de covariance des causes d’action examinée précédemment présuppose une multitude d’entrées informationnelles. Dans de nombreuses situations quotidiennes, celles-ci ne sont pas disponibles ou nous pouvons ne pas avoir le temps de les rassembler et de les analyser. 

Si nous ne connaissons pas bien ni l’élève concerné ni l’enseignant, nous pouvons nous tromper dans nos attributions. Que faire alors ?

Nous pouvons adopter des concepts configurationnels concernant les actions associées de diverses causes, ce que Kelley a appelé des schémas causaux. 

Imaginons qu’un élève a résolu un problème que nous reconnaissons comme difficile et complexe. Nous allons supposer que sa réussite est en rapport avec de bonnes capacités.

L’action de la résolution réussie a :

  • Une cause inhibitrice : le niveau élevé de difficulté de la tâche
  • Une cause facilitatrice : une capacité élevée de l’élève.

Les causes inhibitrices ou facilitatrices ne doivent pas nécessairement être réparties entre la personne et l’environnement, elles peuvent toutes deux être localisées au sein de la personne ou de l’environnement. 

Selon Kelley (1967), nous devons appuyer nos hypothèses sur nos expériences antérieures et chercher des liens entre les causes :

  1. Le schéma des causes nécessaires multiples
  2. Le schéma des causes suffisantes multiples


 

Le schéma des causes nécessaires ou suffisantes multiples dans le cadre du modèle de covariation de Kelley


Nécessaires : 

L’idée (voir schéma de gauche) est que plusieurs causes facilitatrices doivent toutes être présentes en même temps pour que l’effet se produise.

L’effet (E) ne se produit qu’en présence des causes A et B. Si ce schéma causal est évident, nous pouvons immédiatement déduire la présence des causes A et B une fois que l’effet s’est produit.

De multiples causes nécessaires peuvent corroborer l’hypothèse ou à l’inverse la rejeter.


Suffisantes : 

Dans ce cas (voir schéma), une seule des causes facilitantes suffit à produire l’effet, mais il n’y a pas de base pour inférer quelle cause facilitante a produit l’effet. 

De causes suffisantes multiples peuvent valider la causalité suggérée.




Quel schéma privilégier dans le cadre du modèle de covariation de Kelley ? 


Quel schéma doit être invoqué à quel moment ? 

Les attributaires développent apparemment certaines règles basées sur l’expérience. 

1) Les événements rares et inhabituels (ou particulièrement frappants) sont plus susceptibles d’être attribués à de causes nécessaires multiples. Plusieurs causes doivent coïncider et être entrelacées. 

Un exemple serait la réussite d’une tâche très difficile. 

  • Deux causes internes facilitantes, une grande capacité et un grand effort doivent avoir été simultanément présents.


2) Des événements plus courants, tels que la réussite d’une tâche facile ou l’échec d’une tâche difficile, suggèrent un schéma causal de multiples causes suffisantes. 

Un exemple est celui de réussir une tâche très facile.

  • Dans ce cas, une seule des deux causes facilitantes, soit l’aptitude ou l’effort, suffira.

Un exemple est celui d’échouer dans une tâche difficile

  • L’absence d’une seule des deux causes facilitantes est suffisante pour empêcher la maîtrise de la cause inhibitrice (difficulté de la tâche).

La question est de déterminer dans le cas des causes facilitantes celle qui était présente parmi les causes suffisantes multiples. Il est impossible de répondre à cette question sans disposer d’informations supplémentaires. 

Les causes facilitant les effets de réussite sont la capacité et l’effort, qui peuvent se compenser mutuellement. Cela signifie également que les deux causes sont nécessaires pour la plupart des niveaux d’effet, c’est-à-dire qu’aucune ne peut être totalement absente. 

La difficulté de la tâche, contrairement à l’aptitude et à l’effort, est un facteur d’inhibition des effets de réussite. 

L’ambiguïté apparaît lorsque la force des deux facteurs de causalité n’est pas connue. En condition scolaire, à ce titre, il n’est pas évident de déterminer qui de la capacité ou de l’effort est en cause en situation d’échec.




Bibliographie


McLeod, S. A. (2012). Attribution theory. Simply Psychology. https://www.simplypsychology.org/attribution-theory.html

Heinz Heckhausen (1991), Motivation and Action, Springer-Verlag 

Kelley, H. H. (1967). Attribution theory in social psychology. In D. Levine (ed.), Nebraska Symposium on Motivation (Volume 15, pp. 192–238). Lincoln: University of Nebraska Press.

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