lundi 15 novembre 2021

Favoriser les objectifs de maîtrise des élèves

Comment soutenir et favoriser l’adoption chez les élèves d’objectifs d’approche de maîtrise, les plus à même de leur permettre d’acquérir des connaissances et des compétences durables ?

(Photographie : Ken Abbott)



Agir sur le coût de l’erreur pour favoriser l’adoption d’objectifs de maîtrise


L’apprentissage scolaire, dans la mesure où il se déroule dans un contexte social et aboutit à une forme d’évaluation sommative à enjeux réels, représente toujours un facteur de risque pour l’élève. L’acte d’apprendre signifie parvenir à exécuter un comportement qui nous échappait précédemment, nous gardons en mémoire à long terme une trace fonctionnelle de connaissances qui nous transforment. Si la réussite, par la performance ou la maîtrise sont en ligne de mire, l’échec personnel demeure dans l’aire du possible.

En tant qu’enseignants, nous nous employons à favoriser la réussite de nos élèves, à limiter leurs expériences de l’échec, mais sans diminuer notre niveau d’exigence final. C’est tout l’enjeu de l’expression d’attentes élevées. 

L’une des pistes, celle évoquée ici, consiste à rendre l’apprentissage moins risqué en réduisant le coût de l’échec. Mais elle demande d’aborder toute la complexité des objectifs de maîtrise.

Nous avons précédemment abordé la dichotomie entre objectifs de maîtrise et objectifs de performance, puis nous avons distingué pour chacun des deux types des objectifs d’approche et d’évitement. Nous allons maintenant aborder la coexistence de différents types d’objectifs et évoquer quelques approches pour favoriser ceux d’approche de la maîtrise.




Différences entre objectifs de maîtrise et objectifs de performance


La théorie portant sur les buts d’accomplissement et ses variantes donnent aux enseignants un aperçu de la façon dont les élèves abordent l’accomplissement des tâches. Elles laissent entrevoir la nature de leur moteur motivationnel.



Cette théorie permet de comprendre pourquoi les élèves adoptent ou n’adoptent pas certaines démarches. Des objectifs d’approche de maîtrise de la part de nos élèves sont ce que nous souhaitons voir apparaitre chez eux. Ils les aideront à développer cette motivation intrinsèque précieuse pour leurs apprentissages. En privilégiant la maîtrise, ils apprendront pour le long terme, pour eux-mêmes et pas seulement pour un test ou pour répondre à une norme ou à des attentes extérieures.

D’un autre côté, les objectifs de performance peuvent aider les élèves à mieux réussir et à tirer le meilleur d’eux-mêmes. Toutefois, il s’agira trop régulièrement d’un apprentissage à court terme. L’élève apprend pour l’examen, obtient une bonne note, puis oublie souvent ce qu’il a appris où n’y voit pas d’autres enjeux pour lui-même. 




Convergences entre objectifs de maîtrise et objectifs de performance


Harackiewicz et ses collègues (1998) ont proposé une révision de la théorie des objectifs, appelée la perspective des objectifs multiples. Cette perspective part du principe que les objectifs de maîtrise et de performance peuvent être utiles chacun à leur manière. Certains élèves peuvent poursuivre efficacement les deux objectifs et que, ce faisant, ils peuvent récolter les avantages de chaque objectif.

Ces deux types d’objectifs d’approche peuvent se produire en même temps et tous deux peuvent contribuer à aider les élèves dans leur processus d’apprentissage. Pintrich (2000) a montré que des élèves peuvent poursuivre plusieurs objectifs en même temps. Ils peuvent travailler pour une matière parce qu’ils veulent la maîtriser, mais aussi parce qu’ils veulent obtenir une bonne note. Ces deux types d’approches ne sont donc pas mutuellement exclusives. 

Dans le cadre d’une recherche, Pintrich a distingué quatre groupes différents d’élèves en mathématiques dans le secondaire (13-15 ans). Il les a distingués selon une approche faible ou élevée de la maîtrise et faible ou élevée de la performance.

Il s’est penché sur la comparaison d’élèves qui avaient une approche élevée de la maîtrise, couplée ou non à une approche élevée de la performance. Il a montré que les deux groupes étaient égaux en matière d’auto-efficacité, d’utilisation de stratégies cognitives et de métacognition au fil du temps. 

Les différences attendues en matière d’anxiété, d’affect, d’autosabotage et de prise de risque ne sont pas apparues. L’hypothèse que le groupe d’approche de la maîtrise et de la performance élevées ait un modèle moins adaptatif sur ces variables n’a pas été vérifiée. Dans l’ensemble, le groupe maîtrise et performance élevées n’était pas plus anxieux. Ils ne ressentaient pas d’affect moins positif ou plus négatif. Ils ne s’engageaient pas plus dans l’autosabotage ou moins dans la prise de risque par rapport au groupe d’approche de maîtrise élevée et d’approche de la performance faible. 

En matière de valeur de la tâche, le groupe d’approche de maîtrise et de performance élevées a rapporté des niveaux plus élevés de valeur de la tâche. Pour un élève, le fait d’avoir à la fois des objectifs de maîtrise et de performance semble favorable.

Il semble qu’un objectif d’approche de performance élevé, lorsqu’il est associé à un objectif de maîtrise élevé, ne réduit pas ou n’atténue pas l’effet positif général d’un objectif de maîtrise élevé. Certains élèves se préoccupaient de leurs performances et voulaient faire mieux que les autres, tout en voulant apprendre et comprendre la matière. Ils présentaient un schéma de motivation, d’affect, de cognition et de réussite tout aussi adaptatif que ceux qui se concentraient uniquement sur les objectifs de maîtrise et accordaient une importance moindre à leur performance. 

Toutefois, le fait de développer des objectifs de maîtrise prime, car l’associer à des objectifs de performance est certes positif pour ces élèves, mais n’améliore finalement que peu les résultats.

Le groupe d’approche de maîtrise faible et d’approche de performance élevée ne présentait pas un modèle adaptatif de motivation, d’affect et d’utilisation de stratégies. L’auto-efficacité, la valeur de la tâche et l’affect positif tendent à baisser au fil du temps. Le même modèle débilitant d’autosabotage et de prise de risque apparait au fil du temps comme dans le groupe d’approche de maîtrise et de performance faibles. Ces groupes présentent les niveaux les plus élevés d’autosabotage déclaré à la fin de l’étude et étaient beaucoup moins susceptibles de déclarer qu’il voulait prendre des risques dans sa classe de mathématiques.

Il semble que les objectifs d’approche de performance élevée sans un accent qui l’acccompagne sur les objectifs de maîtrise peuvent conduire à des résultats motivationnels et affectifs inadaptés au fil du temps.

Les élèves du groupe d’approche de maîtrise et de performance faibles ont également éprouvé des difficultés en classe de mathématiques pour presque tous les résultats examinés dans cette étude, conformément aux prédictions et aux recherches antérieures. Ces élèves se sentaient moins efficaces quant à leur capacité à effectuer leurs travaux mathématiques, ils étaient moins intéressés et considéraient les mathématiques comme moins utiles et moins importantes. Ils ont également déclaré se sentir moins heureux ou fiers et étaient plus susceptibles de déclarer qu’ils retiraient leurs efforts, remettaient au lendemain et évitaient les tâches difficiles et stimulantes. Ces élèves ne sont pas sur une voie très adaptative à l’école. 

La conclusion principale est les élèves qui se préoccupent de la performance et de faire mieux que les autres tout en se concentrant sur la maîtrise et l’apprentissage, ne risquent pas de suivre des parcours inadaptés. Ces élèves semblent suivre une trajectoire également adaptative, parallèle à celle des élèves qui se concentrent uniquement sur la maîtrise et les objectifs d’apprentissage.

Il apparait que les élèves devraient être encouragés à adopter une orientation vers des objectifs de maîtrise et les classes devraient être structurées de manière à faciliter et à favoriser une orientation générale vers la maîtrise.

Si les élèves ayant des objectifs de maîtrise adoptent également une approche de performance, il semble y avoir peu de coûts en matière de motivation, d’affect, de cognition ou de réussite. Les situations de classe engendrent souvent une certaine compétition et une comparaison sociale, invariablement, étant donné leur structure générale. 

En fait, poursuivre les deux objectifs en même temps devrait donner un avantage théorique. Les élèves peuvent non seulement être intrinsèquement motivés, mais veulent aussi obtenir de bonnes notes. 




La perspective des objectifs multiples associant maîtrise et performance


La question est de savoir dans quelle mesure il est possible pour les élèves de poursuivre les deux objectifs, car les différents objectifs exigent également une concentration différente pendant l’apprentissage. 

Ce problème peut être résolu si les élèves, par exemple, se concentrent en général sur l’apprentissage et la maîtrise pendant l’année scolaire. Parallèlement, ils peuvent se concentrer sur l’obtention d’une performance par le biais d’une bonne note lorsqu’ils étudient pour un test sommatif.

C’est le point de vue de Senko, Hulleman et Harackiewicz (2011). La combinaison des deux parait la plus bénéfique, car l’élève peut obtenir une bonne note tout en apprenant à long terme. 

Seuls les objectifs d’évitement ont l’effet inverse et délétère. Apprendre en essayant d’éviter une contre-performance ou d’afficher une absence de maîtrise a des effets négatifs sur l’engagement et les processus d’apprentissage des élèves.

Derrière la dichotomie entre objectifs de performance et de maîtrise, les élèves peuvent très bien poursuivre à la fois des objectifs de maîtrise et la performance en même temps. De nombreuses études ont d’ailleurs montré que les objectifs de maîtrise et de performance sont corrélés de manière positive, et non pas opposés comme le suggère le modèle d’orientation vers un but. De plus, certaines études ont trouvé des avantages plus importants pour les objectifs de performance que pour les objectifs de maîtrise. 

Les théoriciens des buts multiples pensent que l’avantage de l’objectif de performance s’impose simplement parce que la réussite scolaire est importante. Elle est à la fois comme une passerelle vers des opportunités futures et comme un indicateur, bien que peut-être imparfait, de l’apprentissage de l’élève. Mais ils pensent également que l’intérêt pour la tâche, les compétences d’autorégulation, le bien-être, les relations sociales positives, le développement moral et de nombreux autres résultats liés aux objectifs de maîtrise ont également une importance évidente. 

Comme les théoriciens de l’objectif de maîtrise, ils célèbrent les objectifs de maîtrise pour fournir ces autres avantages, et encouragent les enseignants et les parents à favoriser les objectifs de maîtrise. Ils reconnaissent également que les objectifs de performance peuvent comporter certains risques, en particulier pour le développement social et moral, bien que ces risques soient plus importants pour les objectifs d’évitement.

Les théoriciens des buts multiples sont d’accord avec les théoriciens des buts de maîtrise sur plusieurs points :

  • En ce qui concerne la promotion, la principale différence entre eux est que les théoriciens des objectifs de maîtrise conseillent aux enseignants de dissuader activement les élèves de poursuivre des objectifs de performance. De leur côté, les théoriciens des objectifs multiples soutiennent que si ces objectifs profitent à certains élèves d’une manière que les objectifs de maîtrise ne permettent pas, alors nous ne devons pas décourager les élèves de les poursuivre. 
  • Les théoriciens des objectifs de maîtrise considèrent les deux objectifs comme largement incompatibles en raison des orientations opposées qu’ils déclenchent. Ainsi, pour mettre l’accent sur l’un, il faut dévaloriser l’autre.
  • Les théoriciens des objectifs multiples considèrent que les deux objectifs sont relativement indépendants, ce qui laisse la possibilité de les poursuivre ensemble de manière à ce que les élèves puissent bénéficier des avantages de chacun.


Comment pouvons-nous motiver au mieux nos élèves ? Nous allons maintenant explorer deux pistes : celles des évaluations sommatives et celle de l’évaluation formative en général.




Préparer les évaluations sommatives dans la logique des objectifs de maîtrise


En tant qu’enseignants, nous devons inévitablement noter à certains moments nos élèves. Nous devons valider et quantifier leurs apprentissages au terme des apprentissages. C’est le rôle de l’évaluation sommative.

Les résultats de nos évaluations tendent naturellement à se distribuer selon une loi normale. Les élèves vont tendre à se répartir autour d’une note moyenne. Automatiquement, des élèves vont commettre plus ou moins d’erreurs et ces erreurs se traduisent en une note chiffrée plus ou moins bonne. 

Nous devons veiller à ce que nos élèves gardent une attitude positive et n’agissent pas en fonction de la crainte, de l’anxiété ou d’autres émotions négatives face à la potentialité de l’échec. 

Les notes sont susceptibles de stimuler nombre d’élèves s’ils sentent qu’une bonne note est à leur portée s’ils font de leur mieux. Les notes sont par contre contre-productives lorsqu’elles rendent les élèves anxieux ou peu sûrs d’eux, surtout s’ils ont des objectifs d’évitement. 

Dans ce cas, il vaut mieux nous concentrer sur l’augmentation de leur motivation intrinsèque en précédant l’évaluation sommative d’une ou de plusieurs évaluations formatives à faible enjeu. Nous leur offrons en retour un bon retour d’information et nous leur confions des tâches à leur niveau pour compléter leurs apprentissages si nécessaire.

Par ce biais, nous influençons leur perspective vers la maîtrise de la tâche plus que vers la performance, car l’évaluation sommative n’offre pas de note chiffrée. Pour améliorer leur motivation intrinsèque, nous devons insister sur le fait que l’apprentissage n’est pas une question de notes. En tant qu’enseignants, nous devons leur transmettre l’idée que nous sommes plus intéressés par le fait qu’ils comprennent comment résoudre une tâche. Nous voulons qu’ils soient capables d’appliquer la bonne stratégie au bon moment, plutôt que le simple fait que leur réponse soit correcte.

Nous tâchons de mettre davantage l’accent sur le processus d’apprentissage et moins sur le résultat. De ce fait, les erreurs ne seront plus considérées comme quelque chose d’angoissant, à éviter, mais comme des opportunités pour améliorer leur maîtrise.




Cultiver le dialogue formatif en classe dans la logique des objectifs de maîtrise


Nous devons démontrer à nos élèves que faire des erreurs n’est ni stigmatisant, ni le signe de faibles capacités, mais une étape sur la voie de l’apprentissage.

Les erreurs sont toujours intéressantes, car nous pouvons en tirer des leçons. Notre classe doit devenir un lieu sûr, où les erreurs sont prises en considération et bienvenues. Elles sont décodées et analysées, de manière à ce que les élèves prennent les risques liés à l’apprentissage et affrontent sereinement leurs difficultés.

Une dimension fondamentale tient à notre communication verbale et non-verbale face aux erreurs de nos élèves. Nous devons veiller à ce que notre réaction face à une erreur d’élève soit une réaction d’intérêt et de soutien plutôt qu’une réaction de critique. 

Nous devons donner la possibilité à nos élèves de considérer leurs erreurs de manière constructive et formative. Pour cela, nous leur donnons des occasions supplémentaires d’apprendre sans conséquence, en leur donnant la possibilité et même la volonté d’identifier leurs erreurs et de les corriger.

Nous devons encourager nos élèves qui se situent dans une démarche d’évitement de la tâche et qui privilégient la performance sur la maîtrise, à apprendre de manière plus approfondie, à chercher à comprendre plutôt qu’à simplement mémoriser. 

Une manière de faire est de limiter le risque d’erreur par une approche progressive de l’enseignement. Lorsque nous donnons une tâche d’apprentissage à nos élèves, nous la concevons juste au-delà de leur niveau de capacité actuel, toujours à leur portée. Les élèves peuvent se tromper, mais l’apprentissage qui leur permet d’éviter l’erreur par la suite se situe dans les limites de leur mémoire de travail et leur demandera un effort signifiant, mais accessible.



Mis à jour le 23/04/2023


Bibliographie


Paul A. Kirschner and Carl Hendrick, How Learning Happens, 2020, Taylor and Francis

Pintrich, P. R. (2000). Multiple goals, multiple pathways: The role of goal orientation in learning and achievement. Journal of Educational Psychology, 92(3), 544–555. https://doi.org/10.1037/0022-0663.92.3.544

Corwin Senko, Chris S. Hulleman & Judith M. Harackiewicz (2011) Achievement Goal Theory at the Crossroads: Old Controversies, Current Challenges, and New Directions, Educational Psychologist, 46:1, 26–47, DOI: 10.1080/00461520.2011.538646

Harackiewicz, J. M., Barron, K. E., & Elliot, A. J. (1998). Rethinking achievement goals: When are they adaptive for college students and why? Educational Psychologist, 33, 1–21. 

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