samedi 16 octobre 2021

Du redoublement vers ses alternatives

Voici une synthèse de deux textes importants sur l’effet du redoublement scolaire et l’évaluation de son efficacité et de ses alternatives, par Hugues Draelants (2018) et Benoît Galand (et coll., 2019).

(Photographie : Honda Shigezaku)





Le redoublement dans le paysage francophone belge


Le redoublement est un phénomène de masse particulièrement alarmant, quoique bien installé dans le système éducatif belge francophone. Nous pouvons nous référer aux indicateurs de l’enseignement fournis par le ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En 2018, plus de 60 % des élèves dans l’avant-dernière année du secondaire avaient doublé au moins une fois (dont plus de la moitié au moins deux fois). Le coût du redoublement en FW-B équivaut à 11-12 % du budget de l’enseignement obligatoire.

Avec de tels taux de redoublement, il semble probable que celui-ci ne soit pas assorti des ressources supplémentaires adéquates dans les mécanismes de prévention et d’accompagnement en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Au contraire, le redoublement, utilisé massivement, apparait de facto comme la solution par défaut aux difficultés d’apprentissage des élèves. Nous pouvons craindre qu’en lui-même le recours systémique massif au redoublement tende à faire obstacle à la mise en place d’autres pratiques pédagogiques qui pourraient en limiter l’usage. 




Objectifs avancés et caractéristiques du redoublement


Le redoublement peut être considéré paradoxalement comme une mesure d’aide aux élèves en difficulté. Elle se base sur l’idée qu’ils n’ont pas le niveau pour aborder l’année scolaire suivante et qu’il leur sera plus profitable de refaire l’année où ils ont accumulé des échecs.

En comparaison avec d’autres dispositifs de soutien, le redoublement est drastique :

  • Il dure une année
  • Il correspond au financement d’une année scolaire supplémentaire pour un élève
  • Il présente une rupture sur le parcours d’un élève, séparé de ses condisciples et placé dans la tranche d’âge inférieure.
  • Il est non spécifique dans la mesure où l’élève sera confronté régulièrement l’année suivante aux mêmes contenus et aux mêmes approches pédagogiques.

La lourdeur de la mesure, son coût et sa radicalité imposent de pouvoir assurer qu’elle se traduit effectivement des bénéfices pour les élèves. Nous devons également être certains qu’elle ne produit pas d’effets indésirables à moyen ou long terme pour les élèves concernés :

  • Au niveau psychosocial
  • Sur la persévérance scolaire
  • Sur les apprentissages scolaires

Toutefois, le redoublement ne doit pas être analysé uniquement du point de vue de l’élève concerné, mais également de celui des enseignants, des classes et des établissements scolaires pour lesquels il revêt une fonction latente (Draelants, 2018) : 

  • Le redoublement permet une gestion de l’hétérogénéité. Les enseignants et les établissements ont une obligation de moyens dans la mesure de la disponibilité de leurs ressources. Lorsque les écarts de niveau deviennent extrêmes entre élèves dans une même classe, le redoublement permet de l’alléger.
  • Certains élèves rencontrent de grosses difficultés et manifestent une chute extrême de motivation. Redoubler peut leur permettre de raccrocher et de devenir plus réceptifs à l’enseignement.

Différents facteurs de ce type donnent une utilité sociale au redoublement et expliquent la vision favorable de nombreux enseignants à son égard.




Retours des enquêtes internationales (PISA, PIRLS) sur le redoublement


Un avantage des enquêtes internationales est qu’elles sont menées dans des contextes réels et représentatifs. 

Un inconvénient de ces enquêtes est qu’il est difficile d’isoler l’effet du redoublement d’autres modalités de gestion des parcours d’élèves. En effet, le redoublement est fréquemment associé à l’orientation vers des filières distinctes avant l’âge de 16 ans.

Quelques constatations sont cependant mises en avant par Gallant et ses collègues (2019) :

  • Le redoublement est loin d’être une pratique universelle : 
    • En 2015, le taux d’élèves en retard à 15 ans ne dépasse pas 10 % dans 19 des 34 systèmes éducatifs de l’OCDE. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, le retard à 15 ans est de 12 %.
    • Les huit systèmes éducatifs au sein de l’OCDE où les taux de retard excèdent 20 % constituent une exception et non la normalité :
      • La FW-B compte de loin le taux d’élèves de 15 ans en retard le plus important (46 % en 2015). 
      • Derrière la FWB, les pays les plus proches en matière de taux de retard sont l’Espagne (31 %), le Portugal (31 %), le Luxembourg (31 %) et la Communauté germanophone (30 %). 
      • Pour ce qui est des voisins, en Flandre, le retard est de 24 %, soit deux fois moins qu’en FWB, et en France de 22 %. 
  • Dans les systèmes qui pratiquent davantage le redoublement, tant au primaire que dans le secondaire, les inégalités liées à l’origine socioculturelle de l’élève sont plus marquées. Le déterminisme social y est plus pesant. L’ascenseur social fonctionne moins bien. 
  • Le redoublement amplifie les écarts de performances en fonction de l’origine sociale. Des élèves qui ont les mêmes niveaux de performance dans les enquêtes PISA n’ont pas les mêmes risques d’avoir connu le redoublement en fonction de leur origine sociale. Le risque est accru pour un élève défavorisé. 
  • Le niveau de performances d’une école à l’autre varie nettement plus dans les pays où les taux de retard sont plus élevés :
    • Le redoublement participe d’une logique de séparation ou de tri qui est à l’origine des différences entre écoles. 
    • Un recours plus fréquent au redoublement s’accompagne ainsi d’une exacerbation des différences entre écoles et d’une homogénéisation des élèves à l’intérieur des écoles. 
    • Cela reflète la conception selon laquelle l’enseignement sera plus efficace si les élèves sont plus semblables, ou si les classes sont plus homogènes. La recherche de l’homogénéité peut justifier le recours au redoublement et aux autres mécanismes de tri et de sélection des élèves comme les filières précoces dans le secondaire.
  • Que ce soit au sein des enquêtes PISA ou PIRLS, les taux de retard élevés ne permettent pas d’amélioration des performances. Le recours plus fréquent au redoublement est peu lié aux performances des systèmes éducatifs. La tendance majoritaire est un lien négatif assez faible entre les taux de retard et les performances moyennes des systèmes éducatifs.



Qu’en conclure ? 


Les exemples de systèmes éducatifs où le redoublement est rare et qui atteignent un excellent niveau de performances dans PIRLS et PISA sont nombreux. 

Cela suppose l’existence d’autres dispositifs de gestion des difficultés d’apprentissage, dont l’efficacité pédagogique éprouvée assure la différenciation pédagogique nécessaire.

De plus, les pays où le redoublement a diminué de façon sensible depuis 2000 — notamment la France (moins 16 %) et le Luxembourg (moins 9 %) n’ont enregistré aucun effondrement du niveau. Ils n’ont constaté aucun changement significatif à la hausse ou à la baisse entre les cycles successifs. 




Comment étudier l’effet du redoublement


Il est insuffisant de suivre simplement l’évolution des résultats scolaires des élèves qui redoublent pour juger de l’intérêt du redoublement. Ces élèves vont répéter le même cursus scolaire qu’ils ont déjà parcouru une fois. Quoiqu’il arrive, nous pouvons nous attendre à ce qu’ils progressent sans que cela soit un argument en faveur de l’efficacité du redoublement lui-même. De plus, ils vont également bénéficier d’un effet de développement naturel de leurs capacités cérébrales.

La question est plutôt de savoir si des élèves en difficulté comparables aux élèves redoublants réussissent tout aussi bien, voire mieux, sans redoublement. En travaillant de cette manière, nous pouvons identifier la contribution propre du redoublement par rapport à son absence. 

Mais il y a une sérieuse difficulté. Si nous respectons ce cadre de recherche, dans un contexte donné, parmi l’ensemble des élèves en échec à la fin de l’année scolaire, de manière secrète, certains, tirés au hasard, sont promus, tandis que d’autres redoublent. Le devenir de ces deux groupes d’élèves serait alors comparé en ce qui concerne leurs résultats et leurs progrès. D’un point de vue éthique, de telles démarches sont inconcevables. Elles risquent de nuire aux intérêts des participants sachant que les deux traitements proposés sont supposés inégalement efficaces.

Pour contourner ce problème éthique, la plupart des recherches utilisent un troisième dispositif, un processus d’appariement :

  • Cette technique consiste à estimer le risque que des élèves avaient de redoubler. Elle se base sur le maximum de caractéristiques (le niveau scolaire, le sexe, l’âge, le QI, les notes académiques ou les résultats à des tests de réussite, etc.). 
  • Dans un second temps, les élèves sont appariés entre promus et redoublants selon leur niveau de risque calculé a priori. 
  • Nous pouvons ainsi comparer l’évolution d’élèves qui avaient la même probabilité (propension) de redoubler, mais dont certains ont été en fait promus et d’autres non. Cela permet de comparer des groupes d’élèves semblables.

Cet appariement n’est pas sans difficulté, car certains paramètres du contexte peuvent nous échapper :

  • La subjectivité des enseignants face à des profils d’élèves appréciés :
    • Des élèves ayant de faibles performances aux tests peuvent être promus parce qu’ils se comportent bien en classe. Ils sont méritants, ne rechignent jamais à l’effort et font montre de bonne volonté dans leur travail scolaire. Ce sont différentes qualités bien appréciées par les enseignants qui peuvent faire pencher une décision de conseil de classe en leur faveur.
    • D’autres élèves, même s’ils sont toujours en échec, progressent dans leur maîtrise de la matière.
    • La subjectivité varie considérablement d’un enseignant et d’un établissement à l’autre, au point qu’un élève peut parfaitement réussir dans une classe ou une école et échouer dans une autre. 
  • La spécificité de l’établissement : 
    • Certains élèves appariés ne sont pas scolarisés dans les mêmes classes ni dans les mêmes établissements et zones scolaires. L’un fréquentant une école élitiste sera amené à redoubler tandis que l’autre, objectivement tout aussi faible, pourra être promu dans un établissement qui place la barre moins haut. Il sera impossible d’attribuer leur progression au fait qu’ils ont été promus plutôt que maintenus.




Effets psychosociaux du redoublement


Galand et ses collèges (2019) proposent une revue de différentes études parues depuis 2000 sur les effets psychosociaux du redoublement. Voici les éléments clés les plus parlants :

Pour la maternelle, deux études réalisées sur de jeunes enfants rapportent des évolutions positives sur plusieurs années à la suite d’un redoublement :

  • Vandecandelaere et ses collègues (2016) notent un effet positif du redoublement à cette étape sur le jugement des enseignants concernant le bien-être, les relations avec les pairs, la concentration et les comportements sociaux des élèves.
  • Une étude américaine obtient des résultats semblables sur l’intérêt pour la lecture et les difficultés émotionnelles (tristesse, anxiété, solitude) trois ans après un redoublement en maternelle, mais plus après cinq ans (Hong & Yu, 2008). 

Pour le primaire : 

  • Goos et ses collègues (2013) ont analysé l’évolution d’un vaste échantillon d’élèves flamands suivis de leur première année primaire à leur entrée en secondaire. Ils ne constatent aucun effet positif du redoublement en première année primaire du point de vue psychosocial. Les élèves bénéficient d’un meilleur fonctionnement psychosocial durant plusieurs années de scolarité primaire s’ils sont promus plutôt que s’ils redoublent. 
  • Des effets négatifs sont similaires à ceux observés au Québec par Pagani (et coll. 2001) pour le redoublement durant la scolarité primaire sur l’anxiété, l’inattention et les comportements perturbateurs. 
  • En Suisse, Bonvin, Bless et Schuepbach (2008) ne trouvent en revanche aucun effet significatif du redoublement en deuxième année primaire sur le plan social et émotionnel deux ans plus tard.

Pour le secondaire :

  • En Belgique francophone, une étude observe que le redoublement en première année du secondaire secondaire (4e en France) a un effet négatif à court terme. Ses effets constatés portent sur l’estime de soi, la motivation scolaire et les relations entre les élèves et leurs parents (Mathys et coll., 2017). Les élèves promus manifestent une diminution des comportements déviants, agressifs et de repli social. Cette diminution ne s’observe pas chez les élèves qui ont doublé. 
  • Ces résultats sont cohérents avec ceux d’une étude américaine (Jimerson & Ferguson, 2007) pour laquelle les élèves ayant doublé en primaire étaient plus agressifs en secondaire que les élèves promus. 
  • Une étude portugaise (Peixoto, Monteiro, Mata, Sanches, Pipa & Almeida, 2016) indique un effet négatif du redoublement en primaire sur le concept de soi scolaire. De même, il y a une diminution de l’importance accordée aux compétences scolaires et la motivation chez les élèves de fin du primaire ou de début du secondaire. 
  • Au Luxembourg, Klapproth, Schaltz, Brunner, Keller, Fischbach, Ugen et Martin (2016) observent un effet négatif du redoublement dans les deux premières années du secondaire sur le concept de soi en troisième année du secondaire. 
  • Une étude flamande ne montre pas d’effet du redoublement en première année primaire sur le concept de soi scolaire des élèves flamands jusqu’à leur deuxième année du secondaire (4e en France) (Lamote, et coll., 2014). 
  • Une étude américaine ne montre aucune différence globale de motivation en troisième année du secondaire (3e en France) selon que les élèves ont doublé ou non durant leur scolarité primaire (Cham et coll., 2015).

Ces résultats montrent une absence de cohérence d’ensemble. En dehors de la maternelle, le redoublement a des effets négatifs ou n’a pas d’effets sur le fonctionnement psychosocial des élèves. 

Il convient de noter toutefois que l’effet négatif le plus couramment mis en évidence concerne une baisse du concept de soi scolaire. Cette conclusion n’est pas anodine, car son importance est cruciale pour l’engagement et la persévérance des élèves.




Effets du redoublement sur la persévérance scolaire


Galand et ses collèges (2019) ont réalisé une revue de différentes études parues depuis 2000 sur les effets du redoublement sur la persévérance scolaire. Voici les éléments clés les plus parlants :

  • Selon Jimerson, Anderson et Whipple (2002), auteurs d’une synthèse de la recherche en éducation sur le lien entre le redoublement et le décrochage, la conclusion est claire. Le redoublement est un prédicteur puissant du décrochage scolaire. Les élèves ayant connu le redoublement sont de deux à onze fois plus susceptibles de décrocher durant l’enseignement secondaire que les élèves n’ayant pas connu le redoublement. 
  • Une étude américaine prenant en compte pas moins de 65 variables montre que le redoublement en primaire accroit le risque de décrochage scolaire précoce (avant 17 ans) (Hughes, Cao, West, Allee Smith & Cerda, 2017).
  • Une vaste étude réalisée en Flandre indique que le redoublement aussi bien en primaire qu’en secondaire augmente substantiellement le risque de décrochage (Lamote, Van Damme, Van Den Noortgate, Speybroeck, Boonen & Bilde, 2012). De plus, les résultats de cette étude soulignent que le lien entre redoublement en secondaire et risque de décrochage est plus prononcé chez les élèves d’origine socioéconomique défavorisée que chez les élèves favorisés. 
  • Une étude récente a cherché à identifier les facteurs associés au taux de décrochage scolaire précoce dans les pays européens. Ce taux est variable d’un pays à l’autre (De Witte et coll., 2013). Parmi l’ensemble des caractéristiques des régions et systèmes scolaires étudiés, le taux de redoublement est systématiquement associé au taux de décrochage dans toutes les analyses. La conclusion est claire : plus il y a de redoublement, plus il y a de décrochage.

Si nous pouvons mettre en évidence une corrélation entre redoublement et décrochage, il ne s’agit pas d’une causalité. Nous pouvons cependant émettre quelques hypothèses et constatations plus générales : 

  • Le redoublement a des effets négatifs sur la confiance en soi et les relations avec les pairs (sentiment de rejet, association à des pairs déviants).
  • Nous pouvons considérer des niveaux égaux de difficultés scolaires, socioéconomiques, familiales et psychosociales. Dans ce cas, les élèves pour lesquels une décision de redoublement a été prise tendent à présenter plus tard dans leur parcours scolaire un risque accru d’abandonner l’école. 

Le recours régulier au redoublement n’est certainement pas une bonne manière de lutter contre le décrochage. 



Effets du redoublement sur les apprentissages scolaires


Galand et ses collèges (2019) ont réalisé une revue de différentes méta-analyses parues depuis 2000 sur les effets du redoublement sur les apprentissages scolaires. Voici les éléments clés les plus parlants :

  • Deux méta-analyses plus anciennes (Holmes & Mattews, 1984 ; Holmes, 1990) ont trouvé un effet négatif moyen à fort du redoublement sur les résultats en matière d’acquisition de connaissances. 
  • Dans sa méta-analyse, Jimerson (2001) conclut à un effet négatif modéré du redoublement sur les compétences académiques des élèves.
  • La méta-analyse d’Allen, Chen, Wilson et Hugues (2009) conclut à un effet moyen faiblement négatif du redoublement, sans variation selon le moment du cursus où intervient ce dernier. 

De nombreux résultats de recherche tendent à conclure à une absence de bénéfice du redoublement sur les acquis scolaires des élèves à moyen terme, soit à des effets négatifs. Le redoublement ne permet généralement pas aux élèves d’acquérir les bases qui les mettront sur une meilleure trajectoire de réussite.




Bilan des études européennes sur le redoublement


Galand et ses collèges (2019) font une revue de différentes études européennes parues depuis 2000 sur les effets du redoublement sur les apprentissages scolaires. Voici les éléments clés les plus parlants :

  • Troncin (2005) a travaillé à l’échelle d’un département français (la Côte-d’Or), en utilisant les évaluations externes menées en grande section de maternelle et au cours préparatoire (CP, équivalent de la 1re primaire en Belgique). À partir d’un échantillon de près de 5000 élèves, il a utilisé une méthode d’appariement par score de propension. Il est parvenu à constituer 103 binômes d’élèves partageant le plus grand nombre possible de caractéristiques communes. Certains ont redoublé leur CP alors que d’autres ont été promus en CE1 (équivalent de la 2e primaire en Belgique). Si, en fin de CP, les deux groupes ne diffèrent pas du point de vue des acquis scolaires, il n’en va plus de même un an plus tard. L’effet moyen du redoublement est modérément négatif. En examinant la situation de chaque binôme, l’auteur constate que, dans trois quarts des cas, les élèves promus obtiennent des résultats finaux supérieurs à ceux des redoublants. Cela reste vrai lorsque leur niveau initial en fin de première année de scolarisation élémentaire était comparable. Cependant, même s’ils ont, en moyenne, progressé davantage que les redoublants, les élèves faibles promus restent des élèves faibles, et certains échoueront d’ailleurs à la fin du CE1. Ces résultats montrent qu’il manque cruellement de stratégies efficaces pour aider les élèves faibles. Si la promotion automatique non assortie d’un soutien spécifique n’est pas une solution, le redoublement l’est encore moins. 
  • En Flandre, Goos et ses collègues (2013) ont décidé de mettre la croyance d’une plus-value du redoublement précoce à l’épreuve d’une étude de type quasi expérimental. Ils ont travaillé sur un échantillon de 122 écoles comptant plus de 3 700 élèves de première année primaire (CP), dont 298 ont redoublé leur première année lors de l’année scolaire 2004-2005. Les chercheurs ont comparé les résultats des deux groupes lorsque chacun a terminé la première année. Ils ont observé des scores supérieurs pour les redoublants (qui viennent d’effectuer pour la deuxième fois leur première année) par rapport aux faibles promus (qui ont été testés à l’issue de leur unique première année primaire). Par contre, cet effet positif à court terme s’affaiblit rapidement. Cette différence s’estompe dès la 2e primaire (CE1) et, dès la 3e primaire (CE2), les élèves qui ont été originellement promus obtiennent de meilleurs résultats que les élèves ayant redoublé. Les résultats de cette étude confirment un effet de boost à court terme. Celui-ci ne se maintient pas dans le temps, sans doute parce que le redoublement n’est pas assorti de la mise en place de stratégies efficaces pour remédier durablement à la faiblesse des élèves. Cet effet de boost peut expliquer en partie pourquoi les enseignants pensent que le redoublement est efficace. À âge constant, que cela soit en mathématiques ou en lecture, les élèves promus ont systématiquement de meilleurs résultats que les élèves redoublants. La différence entre les deux groupes s’accroit progressivement en lecture à l’avantage des élèves promus. Par ailleurs, Goos et ses collègues (2013) ont montré que les élèves ayant redoublé en première année primaire avaient plus de risque que les élèves faibles, mais promus, d’être orientés vers l’enseignement spécialisé. Ils étaient également plus susceptibles de changer d’école ou de se retrouver dans le premier degré différencié du secondaire.
  • Vandecandelaere et ses collègues (2015) ont également utilisé les données du même projet pour effectuer un suivi des scores en mathématiques des élèves ayant redoublé en fin de maternelle. Les chercheurs ont analysé les parcours des élèves faibles lors des six années qui ont suivi leur redoublement ou leur promotion. Ils observent un faible effet positif du redoublement sur les performances en mathématiques jusqu’à quelques années plus tard. En revanche, ils se sont intéressés aux effets du redoublement en 1re primaire dans le même échantillon. Ils constatent que le redoublement a un effet négatif qui s’estompe avec le temps sur les performances en mathématiques, en particulier chez les élèves les plus jeunes. 
  • De leur côté, toujours en Flandre, Lamote et ses collègues (2014) ont étudié le redoublement en 2e secondaire (4e en France). Ils ont observé des effets négatifs sur l’évolution des notes dans le cours de langue d’enseignement (dans ce cas-ci, le néerlandais). Des résultats en défaveur des redoublants concernant l’évolution des scores en lecture ont aussi été observés aux É.-U. (Griffith, Lloyd, Lane & Tankersley, 2010).




Constats sur le redoublement


Au regard de ce panorama de la recherche, le redoublement est dans l’ensemble tout sauf une solution miracle. Le redoublement est souvent un remède pire que le mal qu’il prétend soigner :

  • Au mieux, les élèves qui redoublent perdent un an pour atteindre in fine un niveau scolaire comparable à celui d’élèves ayant des difficultés semblables, mais qui ont été promus.
  • Au pire, les élèves qui redoublent auront des résultats scolaires inférieurs, un risque plus élevé de décrocher et plus de problèmes psychosociaux.

De plus, le redoublement s’accompagne de certaines inégalités : 

  • Des travaux menés dans plusieurs pays indiquent que la décision de redoublement est affectée par des biais sociaux. À résultats scolaires égaux, les élèves issus de familles plus pauvres ou de certaines origines ont moins de chance d’être promus. 
  • Les études internationales montrent que les systèmes scolaires qui recourent davantage au redoublement sont socialement moins équitables et ont un taux de décrochage scolaire plus élevé.

Il est difficile de voir en quoi le redoublement est par défaut une solution appropriée. Une décision de redoublement peut être judicieuse ou justifiée. Cependant, la recherche tend à montrer que le redoublement est habituellement une perte de temps et risque d’avoir des conséquences négatives, quelles que soient les intentions qui ont présidé à cette décision. Dès lors, la lutte contre le redoublement doit être une priorité. 

Toutefois, la solution par défaut qu’apparait être la promotion automatique risque également d’entrainer des conséquences négatives. Prise comme alternative isolée, elle n’est pas appropriée. La promotion automatique n’a pas à elle seule d’effet bénéfique aux élèves. Elle n’apporte pas une solution aux multiples difficultés des élèves. Opposer redoublement et promotion automatique dans l’année supérieure est un faux débat qui risque de centrer le débat sur les conséquences de l’alternative alors que le vrai débat est plutôt du côté des antécédents. 

Une simple réduction mécanique des taux de redoublement n’aurait aucun effet sur les inégalités scolaires liées à l’origine sociale et la ségrégation scolaire. Il importe de se concentrer sur les stratégies préventives à mettre en œuvre lorsque les élèves ne parviennent pas à atteindre les compétences requises.

Le redoublement n’est peut-être que l’indice le plus manifeste d’une inadaptation scolaire plus générale, dont l’abandon est l’aboutissement. En ce sens, le redoublement n’agirait nullement en tant que cause, mais traduirait simplement la faiblesse scolaire de l’élève qui, elle, serait la raison du décrochage (Crahay, 2003, p. 202). 

Il est prioritaire d’aider l’ensemble des acteurs éducatifs à mettre en place d’autres solutions que le redoublement pour les élèves en difficulté. Nous devons penser la mise en œuvre des réformes pédagogiques et la nécessité de proposer des alternatives crédibles au redoublement tenant compte des fonctions latentes remplies par ce dernier dans les contextes scolaires locaux.

Les pistes à explorer sont du côté de l’enseignement efficace, c’est-à-dire dans une logique de réponse à l’intervention. Cela va de l’apprentissage coopératif à l’enseignement explicite. Elles incluent l’évaluation formative, de la formation aux stratégies d’apprentissage, le tutorat et de la mise en œuvre de divers dispositifs de soutien à l’engagement scolaire. 


Mis à jour le 31/08/2024


Bibliographie


Benoit Galand et al., « Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire », ORBi : Université de Liège (2019)

Draelants, H. (2018). Le redoublement est-il vraiment moins efficace que la promotion automatique? Une évidence à réinterroger. Cahiers de recherche du GIRSEF n°113.

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