dimanche 26 septembre 2021

Favoriser la réflexion et l'engagement cognitif des élèves en classe

Comme Daniel T. Willingham (2021) aime le rappeler, le cerveau n’est pas conçu pour penser, mais pour éviter de penser.

(Photographie : Narumi Hal)



Les coûts et les limites de la réflexion


La réflexion est un processus cognitif coûteux en ressources puisqu’elle se déroule dans l’espace réduit de la mémoire de travail. La difficulté pour l’enseignant est que sans réflexion, il n’y a pas d’apprentissage scolaire possible chez ses élèves. Nous ne pouvons pas nous en passer.

Notre cerveau est plus performant dans le domaine de la perception plutôt que dans celui de la réflexion. Nous avons une capacité d’observer notre environnement et de nous y mouvoir qui est particulièrement efficace. La majeure partie de notre cerveau est consacrée à ces activités. Les robots peinent à s’en approcher. 

Nous sommes bien moins efficaces dans notre capacité à penser. Lorsqu’il s’agit de mathématiques, de sciences et d’autres tâches traditionnelles de réflexion, les ordinateurs mêmes basiques surpassent largement les humains.

Que peuvent faire les enseignants pour s’assurer que leurs élèves s’engagent dans un processus réflexion ? Comment rendre ces démarches de réflexion plus naturelles ?




Le rôle de la mémoire à long terme dans la réflexion


La difficulté de la réflexion est compensée par la qualité de notre mémoire à long terme. Pour la plupart des situations, nous réutilisons des solutions de problèmes que nous avons empruntées à d’autres et parfois découvertes par nous-mêmes. 

Au-delà de ses faiblesses propres, notre système de mémoire est beaucoup plus fiable que notre système de pensée. Il nous fournit des réponses rapidement avec relativement peu d’effort. Notre mémoire à long terme stocke des informations et des procédures interconnectées sous forme de schémas.

Pour la grande majorité des décisions que nous prenons, nous ne nous arrêtons pas pour envisager ce que nous pourrions faire, pour réfléchir ou anticiper les conséquences possibles. Nous nous contentons d’agir. 

À l’opposé de la réflexion, l’utilisation de la mémoire à long terme a l’avantage de ne pas requérir beaucoup d’attention ou de ressources en mémoire de travail.

Un atout de la mémoire à long terme est qu’elle est capable de s’adapter et de s’enrichir de nouvelles connaissances et de procédures. L’enjeu est de nous éviter à l’avenir de nous épuiser à réfléchir sur ces mêmes sujets. 

Si nous répétons de multiples fois le même type de tâche exigeant des processus de réflexion similaires, les connaissances correspondantes finiront par être mémorisées et devenir automatiques. Notre mémoire à long terme se modifiera de manière à ce que nous soyons dispensés de réfléchir pour accomplir ce type de tâches à l’avenir. De cette manière, une tâche qui demandait initialement beaucoup de réflexion ne mobilisera plus, grâce à une pratique délibérée, que peu de réflexion à l’avenir.




Le rôle central de la réflexion pour l’apprentissage


Si les élèves ne réfléchissent pas en classe ou parviennent à l’éviter, ils ne pourront pas apprendre et perdront leur temps. Penser demande d’échapper à ses automatismes. Le fait de se retrouver dans un contexte inédit ou face à une tâche nouvelle peut servir de déclencheur, la stimulation joue un rôle central. 

La pensée se produit lorsque nous combinons de manière nouvelle dans notre mémoire de travail des informations inédites issues de notre environnement et des connaissances préalables issues de notre mémoire à long terme. 

L’être humain tend à éprouver une curiosité naturelle face à la nouveauté ou à la saillance. Elle le pousse à s’engager dans une réflexion lorsqu’elle se manifeste. 

Mais il est difficile de penser et la curiosité est volatile. Certaines conditions doivent être réunies pour qu’elle s’épanouisse, sinon nous cessons de penser assez rapidement. Pour l’apprentissage en classe, nous ne pouvons pas compter sur une curiosité naturelle de 100 % de nos élèves, 100 % du temps.




Éveiller l’intérêt pour stimuler la réflexion


Tous les types de réflexion n’ont pas le même attrait. Nous pouvons très bien être ennuyés par une présentation sur un sujet qui nous passionne généralement et être totalement captivés par un sujet a priori dénué de tout attrait pour nous. 

La qualité du contenu ne suffit pas à retenir l’attention en contexte scolaire. Si l’intérêt qu’éveille le contenu pour l’élève compte, l’expérience d’apprentissage et le cadre mis en place par l’enseignant agissent plus encore.  

La curiosité est maintenue lorsque nous pensons que nous allons apprendre beaucoup de choses qui nous intriguent ou nous seront utiles. Ce jugement est lié à notre perception de la difficulté du problème. Nous devons ressentir la perspective d’un challenge à notre portée avec un peu d’effort.

Fournir des objectifs d’apprentissage, présentés sous forme de défis, avant d’enseigner peut guider la pensée de nos élèves et mieux susciter leur intérêt à s’investir. 




Le lien entre l'aboutissement de la réflexion et le plaisir


Il est indéniable que les individus prennent du plaisir à résoudre des problèmes par eux-mêmes. Une réflexion réussie se traduit en un sentiment agréable de satisfaction et d’accomplissement personnel.

Des chercheurs en neurosciences ont mis en évidence un chevauchement entre les zones du cerveau qui interviennent dans l’apprentissage et celles qui contribuent à la perception du plaisir. Une hypothèse est que les deux systèmes seraient liés.

À l’opposé, travailler sur un problème sans avoir le sentiment de progresser est frustrant et mène au désengagement. De même, il n’y a pas de grand plaisir à ressentir lorsque nous recevons simplement la réponse.

L’exercice du traitement cognitif nous motive parce qu’il offre la possibilité de ressentir un sentiment agréable lorsqu’il aboutit. Il existe un rapport coût/bénéfice influencé par différents paramètres psychologiques.




Assurer des opportunités de réflexion en classe


L’enseignant doit s’assurer que ses élèves reçoivent de multiples occasions et stimulations positives à s’engager dans un traitement cognitif pertinent.

Ce type de travail cognitif est, bien sûr, l’essence même de l’enseignement qui se doit de rendre les élèves actifs, plus autonomes. Nous voulons que nos élèves réfléchissent et prennent peu à peu la responsabilité de leurs apprentissages. 

L’enjeu est pour nous de mettre l’accent sur un dialogue formatif. Elle est possible grâce à une vérification de la compréhension régulière ou à une pratique guidée et autonome. De même, nous fournissons à nos élèves des opportunités de récupération de ces connaissances en mémoire à long terme.




Poser le bon niveau de défi lors de la réflexion


Nous aimons nous engager dans un processus de réflexion uniquement lorsque nous y voyons un bénéfice potentiel. Les élèves ont par conséquent besoin de penser qu’ils peuvent résoudre les tâches que nous leur attribuons et que cela leur permettra de progresser. 

Une condition est que si nous voulons que nos élèves prennent plaisir à un travail scolaire et s’y engagent volontairement, celui-ci ne doit être ni trop difficile, ni trop facile.

Le challenge pour l’enseignant est :

  1. De proposer régulièrement à ses élèves le niveau adéquat de défi intellectuel.
  2. De mettre en place des routines où l’engagement dans la réflexion devient naturel et allant de soi pour tous les élèves.

Apprendre quelque chose qui est perçu comme nouveau et potentiellement utile est agréable. La réussite qui découle d’un travail mental agira alors comme une forme de renforcement positif, car elle est un sentiment agréable. 

De fait, la curiosité nous incite à explorer de nouvelles idées et de nouveaux problèmes. Cependant, lorsque nous le faisons, nous évaluons rapidement l’importance du travail mental nécessaire pour résoudre le problème ou comprendre ce qui est décrit. 

Tout être humain réagit de la même manière :

  • Si le défi est trop simple, il ne vaut pas l’investissement, car il n’y aura pas de plaisir ressenti lorsqu’il sera résolu.
  • Si le défi est trop complexe, nous jugerons que nous n’avons que peu de chances de le résoudre. Dès lors, nous n’obtiendrons pas non plus la satisfaction que procure l’obtention de la solution.


Si la charge de travail est trop importante ou trop faible, nous cessons de penser au problème si nous le pouvons. Travailler sur des problèmes dont le niveau de difficulté est correct sera gratifiant, mais travailler sur des problèmes trop faciles ou trop difficiles ne sera pas agréable et poussera à l’évitement. 

Les élèves ne peuvent pas se soustraire aux problèmes que leur soumet l’enseignant. Mais leur motivation et leur degré d’implication peuvent croitre ou décroitre, et avec eux leur apprentissage effectif.




Rester dans les limites de la charge mentale des élèves


Lorsque nous concevons des problèmes et des tâches nouvelles pour nos élèves, nous devons prendre en compte leurs limites cognitives. Celles-ci sont principalement résumées par leur attention, par la capacité de leur mémoire de travail pour des informations nouvelles et par la disponibilité de leurs connaissances préalables en mémoire à long terme.

Les élèves doivent pouvoir comprendre la question et son contexte avant d’élaborer une réponse.

La surcharge de la mémoire de travail est régulièrement causée par des éléments tels que des instructions qui ne sont pas structurées en étapes ou par de multiples informations sans liens entre elles. Elle peut être également due à un manque de connaissances préalables ou à des sources de distraction dans l’environnement.

La solution à la surcharge de la mémoire de travail est simple : nous devons découper le contenu en étapes, éliminer le superflu, utiliser des supports écrits comme aide-mémoire et structurer les informations. Nous devons également vérifier la présence des connaissances préalables des élèves.

La solution aux sources de distraction est simple : nous devons installer un environnement calme, sécurisé et routinier par des procédures de gestion de classe adéquates.




Distribuer le surapprentissage dans le temps


Il est utile que des élèves pratiquent une nouvelle procédure jusqu’à l’automatiser. Une fois ce stade atteint, l’élève est en pilotage automatique dans l’application de la procédure. L’apprentissage devient limité, car il est trop facile et sans défi. Il devient plus intéressant de postposer dans le temps toute pratique supplémentaire de manière à installer des difficultés désirables en laissant l’oubli s’immiscer. 

Quand nos élèves sont en pilote automatique, leur engagement dans la réflexion devient minimal

Différentes manières de contourner l’obstacle sont une progression dans le degré de difficulté des tâches, les demandes de justification ou de recherche d’erreurs ou l’introduction d’un entremêlement.

Ces approches permettent de faire sortir les élèves du mode de pilotage automatique et les amènent à réfléchir plus souvent.




Renforcer positivement et assurer un bon ratio de réussite face aux échecs lors de la pratique autonome


Selon le principe du renforcement positif, un élève aurait besoin de rencontrer trois à cinq fois plus d’occasions de réussite que d’échec. Ce taux peut varier en fonction de l’âge et au sein d’une classe. Il dépend de l’intérêt des élèves, mais reste un bon repère dans la mesure où il permet de réaliser un travail autonome ou coopératif.

Si les élèves rencontrent trop de difficultés, lors de la pratique autonome ou coopérative, cela va constituer un goulet d’étranglement pour l’enseignant qui ne pourra pas répondre à toutes les demandes. Un nombre réduit d’erreurs et de difficultés va permettre de mettre en œuvre des échanges de type tutorat entre élèves lors de la pratique autonome.

Il est également important que les élèves puissent mesurer leur progression de manière indépendante pour développer un sentiment de compétence et d’autonomie sur leurs apprentissages. 




S'assurer de la clarté des consignes et de leur compréhension


Parfois, les enseignants sont tellement impatients d’obtenir des réponses exactes de leurs élèves qu’ils ne consacrent pas suffisamment de temps à ces derniers pour l’élaboration de leurs réponses. Pourtant, un réel dialogue formatif pourrait susciter chez eux une réflexion approfondie. Les enseignants risquent également de se limiter à des questions simples.

Un autre risque courant typique à l’enseignant est que nous pouvons connaitre la réponse avant de concevoir la question. Dès lors, nous pouvons élaborer une question pour laquelle la question nous parait évidente. Mais elle n’est pas forcement évidente pour les élèves. Un double écueil pour l’élève sera de connaitre la réponse, mais également de l’identifier en comprenant le sens de la question qui va y mener. Le décodage des consignes est lui-même un enjeu. Nous devons éviter que nos élèves en arrivent à deviner quelles pourraient être la nature et la structure de la réponse attendue à une de nos questions plutôt que de s’engager dans une réflexion.




Adapter les tâches d'apprentissage et l'enseignement en fonction du niveau et des progrès de nos élèves


Tous les élèves ne vont pas apprendre au même rythme. Tous ne disposent pas non plus des mêmes connaissances préalables. Il existe régulièrement un niveau d’incertitude sur la façon dont va se dérouler un cours. Une programmation fixe et rigide de tâches n’est pas toujours la meilleure façon de procéder. Les tâches prévues peuvent se révéler trop complexes ou trop simples pour les élèves.

Il est intéressant de disposer d’un continuum de tâches de degré progressif de complexité pour adapter le cours en fonction de la progression des élèves que nous évaluons par une vérification régulière de leur compréhension. 

De nombreuses études suggèrent que les classes de niveau n’apportent pas de bénéfices intéressants. Elles ont même un effet légèrement négatif en moyenne. Les bons élèves progressent plus vite, mais les plus faibles accentuent leurs retards.

Il y a deux manières de mieux gérer l’hétérogénéité des classes :

  • Créer à l’intérieur des classes des groupes de besoins flexibles à travers le temps et en fonction de la matière. Ils permettent de répondre aux besoins ponctuels et variables de chaque élève.
  • Développer des moments de pratique coopérative en créant des groupes hétérogènes où les élèves s’expliquent mutuellement sous la forme d’un tutorat informel.

Nous pouvons varier la pratique, gérer les transitions, fixer des échéances propres, faire preuve de vigilance, installer des routines de classe, vérifier la compréhension ou offrir une rétroaction personnalisée. Ces différentes approches contribuent à maintenir l’attention et l’engagement de nos élèves.




Garder une trace de nos expériences d’enseignement


Certaines activités en classe marchent bien, d’autre mal. Il n’est pas toujours facile de trouver le juste milieu entre facilité et difficulté. Nous devons profiter de nos expériences sur le terrain, de notre expérience et de celles de nos collègues. Si nous trouvons une solution qui fonctionne, il faut l’adopter, la partager. Si une piste se révèle une impasse, il faut l’abandonner.

Pour y parvenir, nous devons tenir des propres limites de notre mémoire et en garder des traces écrites de ces expériences dont notre mémoire serait autrement fugace et sans doute inaccessible une année plus tard. En garder une trace écrite nous permettra de profiter plus tard de notre propre rétroaction. 



Mis à jour le 30/03/2023


Bibliographie


Daniel T. Willingham, Why Don’t Students Like School? 2d Edition, Wiley, 2021

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