jeudi 2 septembre 2021

Concilier les enjeux de l’éducation et les approches pédagogiques autour de l'évaluation formative

La manière dont nous considérons les missions et enjeux de l’éducation et la conception pédagogique qui l’accompagne conditionne l’approche de l’évaluation formative.

 

(Photographie : Khusnul Khatimah)




Les enjeux fondamentaux de la littératie et de la numératie pour l’éducation


Deux enjeux fondamentaux d’apprentissage sont la littératie et la numératie. Elles recouvrent des compétences vitales dont les élèves ont besoin pour pouvoir fonctionner a avec un impact positif dans une économie et une société moderne.

Elles sont complétées par le développement de compétences variées telles que l’esprit critique ou la résolution de problèmes et de tâches complexes. Ces dernières compétences sont souvent considérées comme des objectifs importants d’une éducation moderne, mais reposent toujours sur des connaissances spécifiques.

Il y a consensus large sur ces finalités de l’éducation parmi les enseignants. Le débat porte sur la meilleure manière d’y arriver et sur les approches pédagogiques à privilégier. 

En réponse à ce débat, il y a plus généralement deux grandes tendances dans la manière d’enseigner. 

Nous pouvons :

  1. Soit viser à enseigner directement des compétences générales.
  2. Soit construire ces compétences indirectement par une pratique délibérée. 




L’option de prioriser l’apprentissage de compétences générales dans des contextes authentiques


Cette approche repose sur la double hypothèse que les compétences sont transférables et enseignables :

  • La meilleure façon d’apprendre une compétence est de la pratiquer sous une forme proche de sa version définitive, c’est-à-dire authentique, complexe et en contexte. 
  • Les compétences sont générales et transférables dans de multiples domaines. Ce que ce qui importe le plus est la pratique de la compétence, les contenus sont interchangeables.

Dès lors, l’essentiel est d’apprendre à apprendre. C’est cette capacité générale que nous devrions enseigner en priorité.

Ces approches suggèrent que des compétences telles que la résolution de problèmes et l’esprit critique sont indépendantes des connaissances, transférables et enseignables. Une fois que les élèves ont acquis cet ensemble de compétences générales, ils seront en mesure de les appliquer plus tard dans leur vie à n’importe quel ensemble de problèmes qu’ils rencontrent.

Nous pouvons enseigner une compétence en la considérant de manière générale. Cela consiste à l’enseigner directement : 

  • Si nous voulons que nos élèves apprennent à lire, nous leur faisons lire de vrais livres. 
  • Si nous voulons que nos élèves soient capables de résoudre des problèmes de mathématiques, nous leur demandons d’en résoudre. 
  • Si nous voulons que nos élèves développent leur esprit critique, nous mettons en œuvre des activités et des tâches authentiques qui leur donneront l’occasion de réfléchir de manière critique. 

Dans la pratique, ces approches tendent à comporter un élément d’apprentissage par projet, de pédagogie de la découverte. Elles correspondent à une approche socioconstructiviste. 

Dans cette optique, certains cours peuvent être directement organisés pour pratiquer des compétences telles que la résolution de problèmes, la communication, la coopération ou la pensée critique, plutôt que de concerner des connaissances spécifiques liées à un domaine défini. 

Le principe est que lorsque des élèves s’efforcent de résoudre des problèmes ou d’exécuter des tâches qui ressemblent davantage à ceux qu’ils pourraient rencontrer dans la vie réelle. Par ce processus, ils deviendront plus aptes à y faire face avec succès. C’est toute l’idée d’un apprentissage actif avec l’enseignant comme coach ou guide plutôt que comme instructeur.




L’option d’un enseignement explicite de compétences spécifiques et d’une pratique délibérée


Selon cette approche, la meilleure façon de transmettre et d’approcher ces différentes compétences générales est de passer par le biais d’un enseignement explicite de compétences spécifiques. 

L’acquisition de compétences telles que la lecture, l’écriture, le calcul, la résolution de problèmes et l’esprit critique sont les objectifs ultimes de l’éducation. Toutefois, cela ne signifie pas que les élèves doivent toujours pratiquer d’emblée ces compétences de manière directe et dans leur forme complexe. 

Le point de vue général adopté est que le rôle de l’enseignant et du système éducatif, devrait être de décomposer ces compétences en leurs composantes et de les enseigner par étapes plutôt que de manière globale. Nous appliquons ici les principes d’une pédagogie efficace tels que mis en évidence par Barak Rosenshine et validés par la théorie de la charge cognitive.

L’implication directe est que les contenus enseignés et les activités proposées aux élèves vont probablement avoir un aspect très différent de la compétence que nous visons finalement à leur inculquer :

  • Un cours qui vise à enseigner la lecture aux élèves peut impliquer l’apprentissage des correspondances entre les lettres et les sons. 
  • Un cours dont le but ultime est d’apprendre aux élèves à résoudre des problèmes de mathématiques peut impliquer la mémorisation de tables de multiplication au primaire, ou d’étudier des problèmes résolus au niveau de l’enseignement secondaire. 

L’idée clé est que la meilleure façon de développer des compétences ne ressemble pas d’emblée à la compétence elle-même. L’enseignement explicite et la science de l’apprentissage correspondent à cette approche.




Une comparaison des fonctions formative et sommative de l’évaluation


Les fonctions formative et sommative de l’évaluation sont à la fois dissemblables et complémentaires.

Il peut être intéressant de considérer leurs différences dans une perspective pédagogique : 

  • L’évaluation sommative :
    • Elle se réfère à des objectifs pédagogiques et à des critères de réussite.
    • L’enjeu est d’aboutir à une note au terme des apprentissages, qui est une mesure de leur qualité et de leur quantité. 
    • La note peut être plus ou moins informative :
      • Lorsqu’elle s’élabore dans la perspective d’un alignement curriculaire sur base de critères, elle peut être riche en informations. On parle alors de note constructive. 
      • Lorsqu’elle vise à classer les élèves, la note est pauvre en informations. On parle alors de note normative.
    • Elle est fonction des finalités de l’éducation. Dès lors, le fait que l’on se centre sur des compétences spécifiques dans le cadre d’un enseignement explicite ou sur des compétences générales dans le cadre d’une approche constructiviste ne l’affecte pas nécessairement. Le résultat de l’évaluation sommative compte plus que la méthode pédagogique utilisée.
    • Toute une réflexion doit être menée pour assurer sa validité et sa fiabilité.
  • L’évaluation formative : 
    • Elle n’est pas une évaluation de l’apprentissage, mais d’une évaluation pour l’apprentissage.
    • Elle porte sur les méthodes pédagogiques, car elle fait partie directement des processus d’enseignement et d’apprentissage.
    • Elle aboutit à une rétroaction en référence aux objectifs d’apprentissage, ce qui permet d’informer à la fois l’enseignant et l’élève sur la manière de réduire les écarts par la suite. 
    • Bien qu’appuyée par des données probantes pour son efficacité, elle n’est pas toujours aisée à mettre en œuvre par les enseignants.

Dans la perspective de l’évaluation soutien d’apprentissage, ces deux fonctions peuvent se recouvrir largement. La condition est que l’évaluation sommative génère une note constructive et ne vienne pas simplement clôturer l’enseignement.

Donner une double dimension à la fois formative et sommative à une même évaluation peut toutefois se révéler parfois contre-productif. L’évaluation formative ne peut pas être une forme de sanction ou de suivi à enjeux élevés. Elle tend à gagner à reposer sur des diagnostics à faibles enjeux qui génèrent une rétroaction ciblée. En ce sens, elle permet également d’activer l’effet test.

Un facteur d’inefficacité est que les commentaires des enseignants peuvent se concentrer sur ce qui est déficient dans la production de l’élève plutôt que sur la manière de l’améliorer. L’impasse vient également du fait que souvent, les élèves ne peuvent pas passer à nouveau une évaluation sommative. 

Conjuguer les dimensions formative et sommative de l’évaluation est un enjeu d’importance, car on ne peut pas démultiplier les évaluations formelles au détriment du temps consacré à l’enseignement et à l’apprentissage. Dès lors, de manière pragmatique, les deux fonctions gagnent à se recouvrir en grande partie, ce qui représente un défi bien réel.   




L’importance de la rétroaction dans une démarche de responsabilisation


L’évaluation formative ne fonctionne pas sans une rétroaction, elle-même pensée comme formative. Il ne suffit pas que la rétroaction soit précise et professionnelle pour être formative. L’erreur typique est une rétroaction qui décrit ce qui aurait dû se produire. Malheureusement, il n’est pas utile, car l’élève ne sait pas comment utiliser cette rétroaction pour s’améliorer. S’il avait su comment le faire, il l’aurait fait.

C’est un peu comme conseiller à un humoriste qui n’a pas réussi à faire rire d’être plus drôle la prochaine fois. C’est comme dire à un cycliste qui a raté une course de rouler plus vite ou à un cinéaste de faire un meilleur film la prochaine fois. Ce type de conseil est certes précis, mais inutile pour l’apprentissage.

Lorsque l’évaluation est formative, l’objectif est de révéler les faiblesses de la production d’une manière telle que l’enseignant et les élèves puissent agir en retour sur elles. L’enjeu de la rétroaction formative porte sur les prochaines actions, sur ce que les élèves doivent faire pour améliorer leur apprentissage futur. 

L’évaluation formative n’est pas seulement une question de réactivité de la part des enseignants. L’enjeu de l’évaluation formative est de transmettre aux élèves la responsabilité des apprentissages. 




Les implications pour l’évaluation formative du choix de l’approche pédagogique


Nous pouvons être en accord sur les finalités de l’éducation, mais nous pouvons être en désaccord sur le processus et les méthodes qui y conduiront.

En schématisant :

  • D’un côté, nous avons une approche progressiste et socioconstructiviste qui se fonde sur une expérience personnelle et le développement de compétences générales par l’intermédiaire de tâches complexes. 
  • De l’autre côté, nous avons une approche fondée sur des données probantes. Pour celle-ci, l’efficacité de l’apprentissage de connaissances et le développement de compétences spécifiques priment, en allant du simple au complexe et en respectant les limitations du système cognitif humain. 

Ces deux approches pédagogiques globales précitées sont liées à la manière dont nous enseignons, apprenons et évaluons une compétence. 

Les processus enclenchés et les pratiques d’enseignement privilégiées de part et d’autre, en fonction des convictions des enseignants, ont une incidence réelle sur la manière de mener l’évaluation au soutien de l’apprentissage. 

L’évaluation soutien d’apprentissage présuppose un modèle sous-jacent de l’apprentissage, la méthode et le processus supposé de son acquisition soutenu par une conception pédagogique et des pratiques d’enseignement. 

Si dans une perspective socioconstructiviste, nous souscrivons à l’apprentissage de compétences générales dans des conditions authentiques, des tâches très similaires peuvent être utilisées pour la fonction formative et la fonction sommative de l’évaluation. La réalisation de tâches complexes illustrant ces compétences générales devient le modèle de tout enseignement et de toute évaluation formative. 

Dans ce modèle, le contenu d’une évaluation formative serait très similaire à celui de l’évaluation sommative. L’approche consiste à faire pratiquer aux élèves beaucoup de tâches conçues dans l’optique d’une évaluation sommative, dans laquelle nous ajoutons une rétroaction. L’élève va essayer autant de fois qu’il lui en faudra pour y arriver, à son rythme. Dans cette perspective, l’élève apprend à résoudre des problèmes et des tâches complexes en essayant d’en résoudre.

À l’opposé, dans l’optique d’un enseignement explicite, nous pouvons penser que les méthodes à utiliser pour acquérir une compétence peuvent être différentes de l’exercice de la compétence elle-même. Dans cette perspective, l’élève apprend à résoudre des problèmes et des tâches complexes en apprenant les processus sous-jacents étape par étape, et en étudiant des exemples résolus.

Cela correspond à enseigner indirectement des compétences spécifiques par une pratique délibérée qui vient s’intégrer à un enseignement explicite. Dès lors, l’évaluation formative sera pour une bonne part complètement différente de l’évaluation sommative puisqu’elle accompagnera ce parcours.

L’évaluation sommative est l’objectif final, mais l’enseignant ou le concepteur du programme d’études doivent soigneusement décomposer cet objectif final en ses éléments constitutifs, ou en ses étapes. 

Les évaluations formatives consisteront en une série d’évaluations différentes qui s’attachent à diagnostiquer la maîtrise des processus liés à ces étapes. Certaines peuvent ne ressembler en rien à l’évaluation sommative. 

Par exemple, les évaluations formatives rentrant dans ce processus peuvent consister en des questions à réponse courte ou à choix multiples. Elles peuvent se pencher sur la consolidation ou l’automatisation du savoir ou de savoir-faire, alors même que l’évaluation sommative évalue la pensée critique, la résolution de problème ou la réalisation d’une tâche complexe.

Dans ce modèle, il se peut que les élèves ne commencent à aborder des tâches complexes complètes ou à résoudre des problèmes que relativement tard dans la progression de la séquence d’enseignement. La rétroaction elle-même sera ciblée et progressive.

L’important n’est pas tant l’exercice de la compétence dans sa forme finale que le développement des connaissances et stratégies qui permettent sa mise en œuvre efficace. De même, dans ce modèle, la plupart des activités réalisées par les élèves ne ressembleront pas à l’évaluation finale. L’hypothèse posée est que ces différentes tâches sont sélectionnées et conçues pour aider les élèves à mieux réussir l’évaluation finale.

En conclusion, avant de réfléchir aux processus liés à une évaluation soutien d’apprentissage, il importe d’adhérer à un modèle de l’apprentissage et de l’enseignement. La mise en œuvre des processus liés à la rétroaction, à l’évaluation formative ou à la note constructive peut être très différente quand bien même l’évaluation à portée certificative qui conclut le processus peut être la même.




L’enjeu d’une mobilisation efficace de l’évaluation formative dans le cadre de l’enseignement


L’évaluation formative est une question d’approches et de pratiques spécifiques et dédiées. Son potentiel d’efficacité n’est pas neutre non plus face à la pédagogie choisie. 

La méthode des compétences générales est plus susceptible de se concentrer étroitement sur les tâches d’examen, car son modèle d’acquisition des compétences suggère que la pratique d’une compétence complexe permet de s’améliorer.

Ce faisant, elle ne permet pas d’exploiter pleinement le potentiel de l’évaluation formative. Comme elle se centre trop nettement sur la finalité et l’examen final, elle peut négliger la double question de la charge cognitive et de la consolidation. Cette approche de l’acquisition des compétences peut être contre-productive et inefficace pour atteindre ses objectifs. D’autant plus que les sciences cognitives ont montré qu’essentiellement, les compétences ne sont pas générales. Si nous voulons pleinement exploite le potentiel des démarches liées à l’évaluation formative, l’enseignement explicite est la voie à suivre.


Mis à jour le 29/05/2024


Bibliographie


Daisy Christodoulou, Making good progress?, 2016, Oxford

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