L’ignorance engendre plus souvent la confiance que la connaissance.
Charles Darwin in “The descent of man, and selection in relation to sex” (1871)
Toutefois, l’autoévaluation et l’évaluation par les pairs de tâches complexes ne sont pas toujours des plus simples. Des résultats de recherche en psychologie nous montrent que les individus ne sont pas compétents dans un domaine particulier, ils ne sont pas non plus en mesure de porter un jugement sur leurs propres performances.
L’effet Dunning-Kruger ou biais de l’excès de confiance
Une définition
L’effet Dunning-Kruger est un biais cognitif hypothétique. Selon celui-ci, les individus ayant des connaissances ou des compétences limitées dans un domaine donné tendent à surestimer fortement leurs propres connaissances ou compétences dans ce domaine. Ce phénomène reste vrai par rapport à la disponibilité de critères objectifs de performances ou d’exemples de productions de référence.
L’effet Dunning-Kruger s’explique par le fait que l’exercice de la capacité métacognitive à reconnaître nos déficiences dans un domaine exige que nous possédions au moins un niveau minimum de connaissances ou de compétences.
Lorsque ce niveau n’est pas atteint, l’effet Dunning-Kruger entre en scène. Comme nous ne sommes pas conscients de nos propres lacunes, nous courons le risque de supposer que nous ne sommes pas déficients. Ceci est conforme à la tendance humaine à choisir ce que nous pensons être l’option la plus raisonnable.
Une expérience remarquable
Dans une série d’expériences menées, les psychologues Justin Kruger et David Dunning (1999) ont testé les capacités de quatre groupes de jeunes étudiants en psychologie de l’université Cornell. Ils ont exploré les domaines de la logique et du raisonnement, en grammaire et en humour.
Une fois les tests achevés et les réponses révélées, les chercheurs ont demandé aux sujets d’estimer la valeur de leurs résultats en fonction de leur rang par rapport au nombre total de participants. Il en est résulté une estimation correcte de la part des plus compétents et une surévaluation de la part des moins compétents. Justin Kruger et David Dunning ont montré que les étudiants qui obtenaient de mauvais résultats étaient également semblablement médiocres lorsqu’il leur était demandé d’évaluer correctement leur niveau de capacité dans ces domaines.
Les participants situés dans le quartile inférieur de résultats ont largement surestimé leurs performances. Les étudiants médiocres surestimaient constamment le nombre de questions auxquelles ils avaient répondu correctement dans ces tests. Leur mauvais jugement sur leurs propres capacités persistait même après qu’on leur ait donné à titre de comparaison les copies de tests corrigés d’élèves plus doués pour qu’ils les examinent. Le seul facteur qui les a aidés à s’améliorer est un enseignement de connaissances dans le domaine évalué.
Par rapport à leurs pairs plus compétents :
- Les individus incompétents surestiment considérablement leurs capacités et leurs performances par rapport à des critères objectifs.
- Ils sont moins capables de reconnaître la compétence lorsqu’ils la voient, qu’il s’agisse de la leur ou de celle de quelqu’un d’autre.
- Ils sont moins capables de prendre conscience de leur véritable niveau de compétence.
- Ils sont moins capables de se faire une idée de leur véritable niveau de performance en comparant leur propre performance à celle des autres.
- Ils peuvent améliorer leur capacité à reconnaître leur propre incompétence en devenant plus compétents. Ils se dotent ainsi des compétences métacognitives nécessaires pour être en mesure de réaliser qu’ils ont mal travaillé.
Comprendre et interpréter l’effet Dunning-Kruger
Dunning et Kruger soulignent que l’effet qu’ils ont identifié n’implique pas que les gens surestiment toujours leurs propres connaissances ou compétences. Le fait qu’ils le fassent dépend :
- Du domaine dans lequel ils s’évaluent.
- Du fait qu’ils possèdent seulement un seuil minimal de connaissances, théorique ou par leur expérience.
L’effet n’exclut pas que les biais de motivation et d’autres facteurs puissent jouer un rôle dans la production d’autoévaluations exagérées chez les personnes incompétentes.
L’effet Dunning-Kruger suggère aussi en parallèle un effet corollaire. Les personnes les plus qualifiées auraient tendance à sous-estimer leur niveau de compétence. La raison serait qu’elles pensent à tort que des tâches faciles pour elles le sont aussi pour les autres.
David Dunning et Justin Kruger estiment que :
- Le biais de surévaluation résulte d’une illusion interne chez les personnes peu compétentes.
- Le biais de sous-évaluations résulte d’une perception externe erronée chez les personnes très compétentes. C’est le syndrome de l’imposteur. Les personnes qui possèdent de véritables compétences ont tendance à sous-estimer leurs capacités et à se considérer comme moins compétentes que les autres.
L’effet Dunning-Kruger est controversé dans son explication originale et ne fait pas consensus au sein de la communauté scientifique. Il a été remis en question par des analyses mathématiques et des comparaisons entre cultures.
Selon Tal Yarkoni, les conclusions sur l’effet Dunnig-Kruger sont souvent mal interprétées, mal représentées et mal comprises. Les études n’ont pas montré que les personnes incompétentes sont plus confiantes ou arrogantes que les personnes compétentes.
Ce qu’ils ont montré, c’est que :
- Les personnes du quartile supérieur pour les performances réelles pensent qu’elles obtiennent de meilleurs résultats que les personnes du deuxième quartile et sont susceptibles de se déprécier.
- Les personnes du deuxième quartile pensent qu’elles réussissent mieux que les personnes du troisième quartile.
- Les personnes du troisième quartile pensent qu’elles réussissent mieux que les personnes du quatrième quartile.
- Les personnes du quatrième quartile pensent qu’elles pensent qu’elles sont bien meilleures qu’elles ne le sont en réalité.
Le parti pris n’est définitivement pas que les personnes incompétentes pensent qu’elles sont meilleures que les personnes compétentes, mais qu’il y a un effet de bord ou une erreur d’étalonnage aux extrêmes de la distribution. Dunning et Kruger n’ont jamais prétendu montrer que les non qualifiés pensent qu’ils sont meilleurs que les qualifiés.
Pour une compétence donnée, les incompétents non seulement ne reconnaissent pas leur propre manque de compétence, mais ne reconnaissent pas non plus la compétence réelle des autres (Kruger & Dunning, 1999). Cependant, si les incompétents reçoivent une formation dans un domaine dans lequel ils sont identifiés comme étant non compétents, ils sont capables de reconnaître et d’admettre leur propre manque de compétence. Comme l’a expliqué Dunning (2010), « Si vous êtes incompétent, vous ne pouvez pas savoir que vous l’êtes… les compétences dont vous avez besoin pour produire une bonne réponse sont exactement les compétences dont vous avez besoin pour reconnaître ce qu’est une bonne réponse ».
Comment l’effet Dunning-Kruger aide à comprendre les limites de l'autoévaluation
Une étude de David Dunning (et coll., 2003) indique qu’une grande partie de l’autoévaluation incorrecte de la compétence provient de l’ignorance de la personne des normes de performance d’une activité donnée.
Les recherches de Dunning et Kruger (1999) indiquent également que l’entraînement à une tâche augmente la capacité des individus à évaluer avec précision leur niveau de compétence. Les étudiants incompétents ont amélioré leur capacité à estimer correctement leur rang de classe après avoir reçu un tutorat minimal dans les compétences qui leur manquaient auparavant, indépendamment de toute amélioration objective acquise dans lesdites compétences de perception.
Ehrlinger et ses collègues (2008) ont montré dans leurs recherches que contrairement aux personnes très performantes, les personnes peu performantes n’apprennent pas des retours d’information suggérant la nécessité de s’améliorer.
L’implication pour l’autoévaluation vient du fait que si nous sommes incompétents dans un domaine, nous ne pouvons pas savoir que nous le sommes. Les compétences dont nous avons besoin pour produire une bonne réponse sont exactement les compétences, dont celles dont nous avons besoin pour reconnaître ce qu’est une bonne réponse.
Ce que révèle l’effet Dunning-Kruger a d’énormes implications pour l’utilisation de l’évaluation par les pairs et de l’autoévaluation en classe.
Premièrement, il impose de poser un constat :
- Être capable de faire la différence entre compétence et incompétence constitue en fait un aspect interne du développement de la compétence.
- Cela renforce l’importance d’un accompagnement de l’autoévaluation et de l’évaluation par les pairs, ainsi que de la métacognition.
Ce constat pose des enjeux :
- Développer les compétences de nos élèves implique de développer leur capacité à percevoir la qualité dans l’exécution de celles-ci.
- Il importe de concevoir des tâches d’évaluation par les pairs et d’autoévaluation qui se situent dans le niveau de compétence de nos élèves. Nous ne pouvons pas attendre d’eux qu’ils évaluent des résolutions de problèmes tâches complexes par les pairs ou par eux-mêmes.
- Nous devons réfléchir soigneusement à la manière dont nous utilisons les exemples de productions attendues.
- Nous ne pouvons pas supposer que le simple fait de montrer un excellent travail suffira à développer l’excellence.
- La tâche complexe doit être décomposée, soit des aspects particuliers d’un travail de qualité doivent être explicitement mis en évidence et soulignés par un enseignant.
L’enseignement explicite couplé à l’évaluation formative peut utiliser l’autoévaluation et l’évaluation par les pairs de manière à respecter ces conclusions.
C’est peut-être pour cette raison que l’instruction directe a été décrite par Carnine, Doug & Engelmann (2016) comme étant une question d’attention minutieuse aux détails
Cette attention aux détails est cruciale. Lorsque nous sommes novices, il nous est difficile d’apprécier l’importance exacte de ces détails, c’est pourquoi nous avons besoin de beaucoup de conseils et de directives.
Dans toutes ses facettes, le développement des compétences nous montre que pour y arriver, nous avons besoin de beaucoup de connaissances spécifiques. Pour cela, il nous faut de beaucoup de pratique délibérée, d’étayage, de soutien et de rétroaction, afin d’en acquérir une maitrise autonome. La capacité d’autoévaluation dépend d’une maitrise déjà suffisante des contenus.
Bibliographie
Daisy Christodoulou, Making good progress?, 2016, Oxford
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Effet Dunning-Kruger. (2021, septembre 8). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 17:09, septembre 8, 2021 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Effet_Dunning-Kruger&oldid=186169569.
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Kruger, J. and Dunning, D., 1999. Unskilled and Unaware of It: How Difficulties in Recognizing One’s Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments. Journal of Personality and Social Psychology, 77(6), p.1121
Tal Yarkoni, what the Dunning-Kruger effect is and isn’t, 2010, http://www.talyarkoni.org/blog/2010/07/07/What-the-Dunning-Kruger-effect-Is-and-Isnt/
Ehrlinger, Joyce; Johnson, Kerri; Banner, Matthew; Dunning, David; Kruger, Justin (2008). “Why the unskilled are unaware: Further explorations of (absent) self-insight among the incompetent”. Organizational Behavior and Human Decision Processes. 105 (1): 98–121. doi:10.1016/j.obhdp.2007.05.002. PMC 2702783. PMID 19568317.
Carnine, Doug & Engelmann, Siegfried. (2016). Theory of Instruction: Principles and Applications.
Justin Kruger and David Dunning, Unskilled and Unaware Of It: How Difficulties in Recognizing One’s Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments, Journal of Personality and Social Psychology 77(6) (1999): 1121–1134.36
Interview with David Dunning, New York Times (20 June 2010).
David Didau, What if everything you knew about education was wrong?, 2016, Crown House
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