mercredi 8 septembre 2021

L’œuf, la poule et les compétences générales

Lorsque nous nous engageons dans un raisonnement circulaire, une proposition A utilise comme justification une proposition B. Dans le même temps, la proposition B mobilise comme justification la proposition A.

(Photographie : chenfanfang)






Le paralogisme qui relie tâches complexes et compétences générales


  • Proposition A : La réalisation d’une tâche complexe permet de développer les compétences générales d’un apprenant. 
  • Proposition B : Le développement des compétences générales permet la réalisation de tâches complexes par un apprenant.

Ce raisonnement peut être qualifié de paralogisme. C’est un raisonnement faux qui apparaît comme valide, notamment à son auteur qui est de bonne foi. Il devient un sophisme lorsqu’il est fait de mauvaise foi. 

La faille dans ce raisonnement vient du fait que même lorsque nous considérons des compétences dans leur cadre le plus général, elles reposent sur des connaissances propres au domaine spécifique considéré. Ces connaissances spécifiques doivent être présentes et organisées au sein de schémas cognitifs ou modèles mentaux.




Comment la science de l’apprentissage montre l'impasse du paralogisme qui relie tâches complexes et compétences générales


Toutefois, il nous est possible d’adapter les propositions A et B en prenant en compte les apports de la science de l’apprentissage sur l’établissement des compétences :
  • Proposition A : La réalisation d’une tâche complexe par un apprenant développe des compétences générales dans la mesure où suffisamment de connaissances spécifiques sont disponibles chez lui en mémoire à long terme.
  • Proposition B : Le développement des compétences générales chez un apprenant permet la réalisation de tâches complexes dans la mesure où suffisamment de connaissances spécifiques sont disponibles en mémoire à long terme.

La conclusion de ces propositions fondées maintenant sur des données probantes est évidente.

Lorsque nous demandons à nos élèves d’effectuer des tâches réelles et complexes ou de résoudre des problèmes, nous ne leur permettons pas de développer les modèles mentaux dont ils ont besoin pour être en mesure de le faire. 



L’importance du développement de modèles mentaux pour l'acquisition de compétences spécifiques


Le développement des schémas, des modèles mentaux qui organisent les compétences spécifiques doit être acquis en dehors de la réalisation de tâches complexes. Sans cela, nous nous retrouvons dans le paradoxe de l’œuf et de la poule :
  • Les élèves sont incapables de résoudre des problèmes complexes efficacement d’emblée et d’apprendre efficacement par ce biais parce qu’ils n’ont pas les modèles mentaux nécessaires
  • Les élèves sont incapables de développer les modèles mentaux dont ils ont besoin pour développer leurs compétences, parce qu’ils consacrent toutes leurs ressources mentales, en matière de charge cognitive, à essayer de résoudre des problèmes complexes.


Comment l’enseignement explicite favorise le développement de compétences spécifiques et leur transfert proche


  • Qu’est-ce qui est apparu en premier : l’œuf ou la poule ?
  • Qu’est-ce qui est apparu en premier : les modèles mentaux ou la capacité de résolution de problèmes ? 

La solution est évidente. Pour développer des modèles mentaux ou schémas cognitifs, les élèves bénéficieront d’un enseignement explicite. De cette manière, l’enseignement explicite est le mieux à même de développer des compétences complexes telles que la capacité de résolution de problème dans un domaine spécifique. La plus belle preuve de cette affirmation est l’effet du problème résolu qui dispose de solides données probantes en sa faveur.

Il y a chez certains pédagogues, une forme d’idéalisation de compétences générales telles que l’esprit critique ou la résolution de problème. Elles semblent revêtir pour eux les habits de formes d’intelligence pure. Cette conception constitue comme nous le voyons une impasse. 

C’est la même impasse qui explique l’inefficacité de la rétroaction lorsqu’elle n’offre pas de pistes spécifiques à mettre en œuvre pour l’élève. Lorsque nous donnons à l’un de nos élèves une rétroaction trop habituelle telle que « Tu dois être plus structuré, plus critique, plus synthétique, plus soigneux, plus créatif ou plus complet », la perspective d’amélioration est très relative. De même, lorsque nous l’enjoignons à ou améliorer son orthographe, son style ou son raisonnement, cela ne servira pas à grand-chose. L’élève ne possède pas les modèles mentaux pour y réagir.

 Malheureusement tant que nous souscrivons au modèle d’enseignement basé sur les compétences générales, ce type de retour d’information sera tout ce qui est possible. Une rétroaction formative efficace dépend de notre capacité à décomposer des compétences complexes en éléments et étapes spécifiques sur lesquels un retour d’information plus précis, et utile sera possible.


Mise à jour le 21/03/2023


Bibliographie


Daisy Christodoulou, Making good progress?, 2016, Oxford

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