jeudi 19 août 2021

Mise en œuvre de normes d’engagement génératif en enseignement explicite

Une manière de stimuler l’engagement, l’attention et l’apprentissage des élèves en classe est de régulièrement les faire réfléchir sous forme de défis. Les élèves apprennent davantage lorsqu’ils sont des participants actifs du cours et non de simples spectateurs.

(Photographie : genzogo)

Mais cette participation doit être signifiante et correspondre à ce que Fiorella et Mayer (2015) appellent un apprentissage génératif ou à ce que Chi et Wylie (2014) appellent un engagement constructif ou interactif.

Différentes pratiques illustrées par John R. Hollingsworth et Silvia E. Ybarra (2018) permettent de le mettre en œuvre à l’échelle de la classe entière dans le cadre d’un enseignement explicite :




Favoriser la mémorisation rapide des éléments clés dès le modelage


L’enseignant repère les termes clés complexes ou difficiles à prononcer, de nouvelles expressions génériques à maîtriser, les règles à automatiser ou les formules à connaitre sur le bout des doigts rapidement

Chaque fois, l’enseignant explicite aux élèves attentifs le sens, l’expression, l’orthographe et l’usage. 

L’idée est alors d’enseigner la prononciation en même temps que son orthographe, le sens et l’usage dans le cadre d’une démarche mnémotechnique. Nous visons une automatisation rapide et l’unitisation (unitization, chunking) des différents aspects complémentaires de la connaissance enseignée. 

Étapes à suivre : 

  1. Dans le cadre d’un modelage, nous montrons, modélisons et expliquons aux élèves le mot, l’expression, la règle ou la formule. De cette manière, ils apprennent à les lire, à les reconnaitre et à les visualiser en même temps.
  2. Le principe est de prononcer l’élément lentement et clairement avec fluidité dans un contexte pertinent.
  3. Nous pouvons alors demander alors aux élèves de lire le mot ou la phrase clé en chœur avec nous, une ou plusieurs fois, de manière à l’isoler comme un élément à retenir par cœur sur le champ. C’est ce que nous appelons la réponse chorale.
  4. Options alternatives : 
    • Nous pouvons demander aux élèves installés en binômes de dire l’élément à leur voisin à tour de rôle
    • Nous pouvons faire appel en série à quelques élèves non volontaires pour utiliser l’élément dans le cas d’applications contextuelles simples.
  5. L’idée est alors d’utiliser par la suite l’élément de manière récurrente à la manière d’un leitmotiv jusqu’à ce qu’il soit bien ancré et facilement mobilisable par les élèves. Par la suite, nous procédons à des récupérations occasionnelles lorsque cela s’avère opportun. Nous la ferons à ce moment-là répéter par l’élève ou la classe lorsqu’elle intervient plus tard dans le cadre d’une tâche. L’enseignant fait un pas de retrait et laisse la responsabilisation de l’utilisation adéquate et pertinente à ses élèves.


L’idée est de rendre un mot, une règle, une expression ou une formule rapidement accessible à la mémoire à long terme. De cette manière, les élèves ne doivent plus s’appuyer par la suite sur un support écrit extérieur ou sur l’étayage de l’enseignant.

Les éléments sont récurrents, ils gagnent à être placés le plus tôt possible en mémoire à long terme de tous les élèves pour servir de point d’ancrage et faciliter l’apprentissage d’autres savoirs et savoir-faire.



Initier par le modelage et la vérification de la compréhension à l’analyse de documents complexes


L’enseignant effectue avec méthode une prélecture d’un document complexe qui peut être un texte difficile, une représentation graphique ou un type de résolution particulier. 

Dans un deuxième temps, il demande à ses élèves d’explorer, de lire et d’interpréter à leur tour le document ou un équivalent proche. 

Dans un troisième temps, l’enseignant interroge ses élèves au hasard de manière répétée avec de multiples questions de compréhension sur le document qu’ils viennent de décoder.

L’important est que les élèves puissent suivre et repérer les éléments clés de la structure pendant que l’enseignant les modélise. Les élèves doivent pouvoir faire lien en ce que l’enseignant a dit et ce qu’ils voient de la représentation écrite. De plus, l’enseignant doit modéliser et exprimer toutes les démarches qu’il effectue. C’est l’idée d’un haut-parleur sur la pensée.

Cette démarche peut sembler propre à des lecteurs débutants, mais nos élèves restent novices face à la diversité des nouveaux formats de documents que nous leur proposons et face à la complexité des contenus qu’ils doivent apprendre. 

L’idée est de rendre l’usage et l’accessibilité de ces formats rapidement fonctionnels pour que les élèves puissent être actifs face à un nouvel élément de manière à rapidement leur permettre de pratiquer. Nous ne voulons pas les laisser les élèves découvrir des éléments complexes par eux-mêmes. Il est plus rapide et efficace de leur donner d’emblée les grandes lignes d’une compréhension fonctionnelle dont ils apprécieront les nuances en la pratiquant concrètement par la suite.



Du bon usage de la gestuelle dans le cadre du modelage


Le geste peut être un vecteur mobilisable pour associer un mouvement physique à des éléments de sens. Nous pouvons utiliser un mouvement de la main, du bras ou du corps qui souligne ce que nous enseignons et l’illustre. De même, nous pouvons inviter les élèves à reproduire ces gestes.

L’approche fonctionne bien dans des cours de sciences, de mathématiques ou de géographie qui laissent une grande place à la modélisation et au passage entre le verbal et le visuel. En procédant de la sorte, nous enrichissons le cours d’indices visuels et kinesthésiques qui faciliteront chez tous les élèves la récupération de connaissances. 

Les gestes sont également très utiles pour guider les élèves lorsqu’ils réalisent des tâches de manière autonome ou lors de la vérification de la compréhension. Lorsque nous repérons que l’élève s’engage dans la mauvaise direction, nous pouvons attirer leur attention et reproduire le geste ou son ébauche, ce qui peut les remettre sur le droit chemin sans avoir besoin d’intervenir verbalement.

Si les gestes peuvent être utilisés pour transmettre des informations, notre objectif principal est de les utiliser pour stimuler la réflexion des élèves et les aider à se souvenir des nouvelles informations. Le mouvement fournit une voie alternative dans le cerveau pour récupérer l’information. Les êtres humains se souviennent très facilement des gestes, et le fait d’utiliser le geste plus tard semble faire réactiver l’information plus facilement dans la mémoire de travail.

Par exemple, il existe en mathématiques des gestes pour les droites parallèles et perpendiculaires, les pentes positives et négatives, l’équilibre des équations ou la règle de la main droite pour les forces électromagnétiques en physique. De même, il y en a pour la concavité des paraboles, pour la plupart des fonctions usuelles, pour la tectonique des plaques, le cercle trigonométrique, etc.

Les gestes sont extrêmement utiles pour les novices. Les élèves qui découvrent une nouvelle matière n’ont que peu de repères verbaux pour retrouver une information ou une réponse. L’aspect concret du geste fait mouche au niveau du sens. Le sens peut ainsi précéder certaines formulations encore hésitantes et les guider.



Le partage en binôme (Think-pair-share)


Les partages en binôme sont simples à mettre en œuvre. Le principe consiste simplement à demander à un élève d’expliquer quelque chose à son voisin. Le processus nécessite cependant une certaine structuration.  

Une première condition est que le partage en binôme doit être axé sur une réflexion de niveau supérieur et un traitement de l’information. Les élèves doivent trouver leurs propres informations et élaborer autour de celles-ci. Il n’est pas utile que cet échange se limite à une récupération d’informations.

De plus, ce n’est pas non plus un processus de découverte. Les élèves ne doivent pas avoir à inventer ou deviner une réponse. Si tel était le cas, le partage se réduirait à peu et le processus serait une perte de temps.

Dans le partage en binôme, un élève doit expliquer à son partenaire par quel raisonnement il aboutit à une réponse, et non pas seulement la communiquer. 

Une deuxième condition est que pour rendre le partage en binôme plus efficace, nous devons imposer les partenaires et ne pas les laisser se constituer par affinités. Le choix de l’association des élèves doit être stratégique. Nous ne devons pas associer deux élèves plus faibles ou deux élèves plus forts ensemble, mais les mélanger pour obtenir des binômes hétérogènes. Une rotation périodique des partenaires permet aux élèves de travailler avec des personnes différentes tout au long de l’année. Cela peut aider à équilibrer les partenaires forts et faibles. La rotation des partenaires peut être très utile pour améliorer la discipline dans une classe. 

Une troisième condition est de désigner un partenaire A (traditionnellement à gauche du banc) et B (à droite du banc). Cela suppose que leurs bureaux d’élèves soient placés par deux. Cette position facilite l’interaction entre les élèves et leur permet d’être suffisamment proches pour voir les notes de chacun. Les élèves font face à l’enseignant.

Les groupes de deux maximisent les échanges et la réflexion de chaque élève, car chacun parle en moyenne 50 % du temps. Les groupes de quatre sont moins efficaces pour le partage, car les élèves parlent en moyenne 25 % du temps.

Une quatrième condition est que c’est l’enseignant qui indique quel partenaire s’exprime en premier durant le partage. Si nous n’indiquons pas quel partenaire doit parler en premier, il arrive souvent qu’un élève finisse par faire la majeure partie de la conversation. Si c’est hautement profitable pour le locuteur, c’est assez peu utile pour l’auditeur réduit à un engagement passif. 

Dès lors, il est préférable d’indiquer quel partenaire doit commencer à parler pendant le partage en binôme.

Voici le processus suivi :

  1. Une question est posée par l’enseignant à tous les élèves. 
  2. Chaque élève y répond individuellement durant un temps approprié
  3. L’enseignant demande soit à tous les partenaires A, soit à tous les partenaires B d’expliquer à leur binôme comment ils ont procédé pour aboutir à leur réponse.
  4. Après un laps de temps approprié, l’enseignant demande que ce soit maintenant l’autre partenaire qui explique. Ce temps doit permettre les échanges entre deux élèves en cas de réponses différentes.


L’enseignant doit s’assurer que chaque fois les deux élèves ont l’occasion de s’exprimer. Ce mode de fonctionnement permet de multiplier les interactions et les explications entre élèves avec un bénéfice bien réel pour l’apprentissage. Il s’agit d’une forme d’enseignement réciproque. C’est également une stratégie cognitive efficace qui aide les élèves à clarifier leur pensée et à mieux se souvenir des informations. Cela correspond également à l’engagement interactif promu par Chi et Wylie (2014).

Une possibilité alternative est de donner des exercices différents aux partenaires A et B. Nous pouvons après que les élèves se sont expliqué mutuellement la résolution leur demander de discuter des différences et points communs.

Un autre développement possible passe par l’usage des tableaux blancs (ardoises effaçables). L’avantage est que celui-ci peut être montré à l’enseignant. Avec l’usage d’un visualiseur, il peut être montré à toute la classe. À l’issue du processus, l’enseignant désigne au hasard un élève qui réexplique sa réponse au groupe classe.

Une cinquième condition est que si nous voulons que les élèves échangent, nous voulons également qu’ils cessent rapidement de parler lorsque le partage en binôme est terminé. Pour ce faire, nous devons installer un signal gestuel d’attention. Au signal, les élèves cessent de parler et se tournent vers nous, prêts à écouter. L’enjeu est de permettre une synchronisation rapide de l’attention des élèves. Le tout est d’être attentif et vigilant pour déclencher le signal d’attention au bon moment. 



L’usage des ardoises effaçables


Les ardoises effaçables sont de petits tableaux sur lesquels les élèves écrivent et qu’ils soulèvent ensuite pour les montrer à l’enseignant. Elles sont effaçables à sec avec une face en plastique blanc sur laquelle on écrit avec un marqueur effaçable.

Une alternative à l’usage des ardoises effaçables est celle de protections de feuilles en plastique transparent avec un morceau de papier rigide à l’intérieur. Ils sont légers, bon marché et faciles à remplacer. Un avantage est que l’on peut utiliser différents inserts. 

Un élément à gérer précisément sous forme de routine est la façon dont les élèves vont utiliser leur ardoise effaçable. De nouveau, il faut instaurer un signal déclencheur pour le moment où les élèves vont montrer leurs ardoises effaçables. 

L’idée est qu’au signal tous les élèves en même temps lèvent alors leur tableau blanc avec une main de chaque côté et le tiennent juste sous leur menton en direction de l’enseignant. Cela place tous les tableaux blancs à un niveau uniforme où nous pouvons les voir tous en même temps. Aucun ne bloque la vision de ceux des élèves du fond. L’important est que nous ayons un signal clair et que les élèves le connaissent et y répondent rapidement.

Une dimension à gérer est ce qui concerne les usages annexes que pourraient faire les élèves des ardoises effaçables. Il faut donc en convenir préalablement. 



Favoriser l’usage du vocabulaire spécifique dans le cadre de phrases complètes


 Les élèves apprennent du nouveau vocabulaire tous les jours à l’école, mais souvent ils ne s’entraînent pas assez à utiliser ces nouveaux mots pour les intérioriser. 

Le fait de demander aux élèves de partager en binôme et de répondre par des phrases complètes permet de s’entraîner à exprimer et énoncer les nouveaux mots. Ils apprennent à les utiliser dans un contexte significatif et les entendent utilisés par d’autres.

Nous devons demander à nos élèves de répondre par des phrases complètes qui incluent le nouveau vocabulaire contenu dans la leçon. Pour cela, nous fournissons d’emblée à nos élèves des modèles ou des amorces de phrases pour indiquer aux élèves comment nous voulons qu’ils répondent. 

Nous pourrions penser que proposer des modèles ou des amorces de phrases complètes enferme. En fait, c’est le contraire qui a lieu. Les élèves créent peu à peu naturellement leurs propres phrases complètes en s’affranchissant de l’étayage des modèles. Souvent, des indices clés pour former une phrase complète adéquate se trouvent déjà dans la question elle-même.

De plus, il importe que les élèves prennent la parole comme s’ils étaient l’enseignant. Ils doivent parler suffisamment fort pour que toute la classe puisse les entendre.

Pour cela, il faut éviter de nous diriger vers eux pour entendre leurs réponses. Il vaut mieux s’éloigner et rester vers l’avant de la classe et leur demander de répondre suffisamment fort pour que tous puissent l’entendre. Nous demandons clairement aux élèves de parler de manière à ce que tout le monde dans la classe puisse entendre la réponse. 

Une alternative proposée par Hollingsworth et Ybarra (2018) est de demander aux élèves de se lever lorsqu’ils donnent leurs réponses. Le fait que les élèves se lèvent pour répondre présente des avantages évidents. Tout d’abord, les élèves deviennent plus à l’aise pour parler et exprimer leurs pensées devant un groupe. La position debout met l’élève plus en scène et l’investit plus dans l’oralité. Il est incité à utiliser des phrases complexes et à s’adresser à la classe entière. L’approche peut être utilisée en permanence ou être réservée aux questions plus sophistiquées de niveau supérieur qui nécessitent plus d’analyse et d’explication.




L’importance d’un engagement constructif en classe


Les normes d’engagement constructif rendent l’enseignement plus efficace. Les élèves apprennent davantage lorsqu’ils s’engagent plus régulièrement de manière pertinente. Elles permettent également une meilleure optimisation du temps en classe, ce qui va faire que les élèves apprennent plus et plus rapidement.

Ces différentes normes d’engagement constructif n’apparaissent pas spontanément, car elles induisent des difficultés souhaitables. Elles bénéficient du support de routines auxquelles nous allons former nos élèves. Par ce biais, par habitude, ils répondent rapidement à nos instructions, en suivant les procédures de classe établies. Si différents enseignants les utilisent, c’est d’autant plus facile et rentable.

L’établissement de ces routines demande une préparation réelle de l’enseignant et un enseignement explicite de la routine, délivré aux élèves concernés.

Ces facteurs d’engagement constructif soutiennent systématiquement l’apprentissage du langage au sein de la classe, à chaque heure de cours, ce qui se traduit par un impact manifeste au cours du temps. Ils mettent en œuvre des objectifs linguistiques pour l’écoute, l’expression orale et la lecture. 

L’utilisation de facteurs d’engagement constructif rend l’enseignement plus intéressant, car les élèves sont constamment engagés dans un traitement cognitif signifiant. Pour les élèves, le temps va passer plus vite. Dans ce sens, si ces facteurs d’engagement constructif sont conçus à l’origine pour soutenir l’apprentissage scolaire, ils sont également d’excellents outils de gestion de classe. Un élève pleinement engagé est moins susceptible de manifester un comportement perturbateur. 

Pour mesurer la mise en œuvre des démarches d’engagement constructif des élèves en classe, Hollingsworth et Ybarra (2018) proposent une approche. Pour l’estimer, lors de l’observation d’une classe, il est intéressant de compter le nombre moyen d’engagements des élèves dans un traitement cognitif en 5 minutes. Un engagement correspond à au moins un élève donnant une réponse. Un engagement des élèves toutes les 2 minutes est un minimum. Il s’agit d’un moyen facile de mesurer et de surveiller la mise en œuvre de normes d’engagement constructif des élèves.



Mis à jour le 11/02/2023

Bibliographie


John R. Hollingsworth and Silvia E. Ybarra, Explicit Direct Instruction, 2018, Corwin

Michelene T. H. Chi & Ruth Wylie (2014) The ICAP Framework: Linking Cognitive Engagement to Active Learning Outcomes, Educational Psychologist, 49:4, 219–243, DOI: 10.1080/00461520.2014.965823 

Logan Fiorella & Richard E. Mayer, Learning as a generative activity, 2015, Cambridge University Press

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