Dans la majorité des cours du secondaire, à différents moments de l’année, les élèves travaillent de manière autonome sur des productions, des devoirs ou des évaluations formatives.
(Photographie : Niall McDiarmid)
Comment pouvons-nous agir en tant qu’enseignants pour maximiser l’utilité en matière d’apprentissage ? Devons-nous systématiquement les corriger individuellement, délivrer une note chiffrée pour leur permettre de se situer ou leur offrir une rétroaction individualisée ?
Distinguer la part de l’affect de la part de la rétroaction dans la correction d’une production d’élèves
La part de l’affect dans le fait de corriger les copies des élèves
Comme l’écrit Adam Boxer (2018), en psychologie, l’affect décrit la disposition, les sentiments ou les émotions d’un individu envers une cible.
Dans l’acte même de la correction et de la délivrance d’un retour d’information vers l’élève, il y a pour l’enseignant une évidente part d’affect :
- L’enseignant montre à ses élèves qu’il s’intéresse et se soucie d’eux. En corrigeant et en prodiguant des conseils rapidement en retour vers ses élèves, l’enseignant montre qu’il reconnait leur travail et leurs efforts et vise à les soutenir.
- Les parents s’attendent à ce que les enseignants corrigent fréquemment les productions de leurs enfants pour leur donner les meilleures chances de progresser.
Un enseignant qui corrige beaucoup se donne bonne conscience et cultive son image face à ses collègues, à sa direction et face aux parents d’élèves. Mais le coût et l’investissement valent-ils les bénéfices engrangés ? Est-ce que son temps ne pourrait pas être mieux utilisé ?
Comme le signale Adam Boxer, ces dimensions de l’affect ne suffisent pas à valider en elles-mêmes l’utilité de corrections fréquentes.
Pour prouver l’efficacité d’une pratique, nous avons besoin de données probantes qui la valident.
De plus, l’école est un service public. Les parents ne sont pas des clients. Nous servons une mission d’éducation d’intérêt public et sociétal. En tant que professionnels, nos décisions, nos connaissances et notre expertise doivent être respectées.
La part du retour d’information dans le fait de corriger les copies des élèves
Comme John Hattie l’a mis en évidence dans « Visible Learning » (2008), le retour d’information a plus d’impact lorsqu’il est considéré au niveau de l’enseignant. Cela correspond au retour d’information des élèves vers l’enseignant.
Lorsque nous écoutons les réponses et les questions de nos élèves, lorsque nous lisons leurs productions, nous recevons une rétroaction.
Nous récoltons des preuves de leur apprentissage en cours. Notre rôle est de le stimuler par notre rétroaction. La réelle information est que nous découvrons la qualité ou les faiblesses de leur pensée et de leur engagement.
Elle nous permet de savoir si notre enseignement produit les effets escomptés. Elle nous permet d’ajuster les prochaines étapes de notre enseignement. Elle nous permet si nécessaire de donner à l’ensemble de la classe un retour sur les erreurs et les conceptions erronées les plus courantes. Elle nous permet de cibler les élèves présentant des difficultés plus singulières et qui vont nécessiter un retour individuel de notre part.
Nos ressources sont limitées. Par conséquent, une question évidente est celle des démarches que nous utilisons pour concrétiser et délivrer une rétroaction formative ciblée et utile.
Les élèves se développent grâce au sens qu’ils trouvent dans leurs apprentissages. En tant qu’enseignants, nous n’y faisons pas exception. Nous devons travailler le sens de notre rétroaction.
Les tâches estimées signifiantes peuvent être motivantes pour les enseignants et les élèves.
Corriger des copies d’élèves et réagir à leurs réponses incomplètes et inadéquates constituera toujours une part du travail de l’enseignant. Cependant, celle-ci ne peut devenir signifiante que si nous voyons un lien clair entre nos actions et leur impact sur l’apprentissage de tous nos élèves.
À l’opposé, si cet impact est inégal, imperceptible, la tâche devient insignifiante et nous avons la sensation de perdre notre temps en tant qu’enseignants lorsque nous corrigeons certaines piles de copies.
Le retour d’information n’équivaut pas à un nouvel apprentissage
Comme l’écrit Adam Boxer (2018), les sciences cognitives nous proposent un mécanisme causal expliquant pourquoi la correction et la rétroaction pourraient être inefficaces.
L’une des principales conclusions des sciences cognitives est la difficulté de transférer nos connaissances d’un contexte à l’autre.
Voici une illustration du processus :
- À l’issue d’une phase d’enseignement, l’enseignant soumet une tâche à un élève.
- L’élève rend sa production personnelle à l’enseignant.
- L’enseignant la corrige et fournit une rétroaction à son sujet à l’élève sur les aspects positifs et ceux à améliorer.
- Nous supposons généralement qu’à la suite de cette rétroaction de l’enseignant, l’élève va pouvoir s’améliorer de manière durable.
- La logique du système voudrait que plus tard, lorsque l’élève va résoudre une nouvelle tâche en partie similaire, il va naturellement obtenir un meilleur résultat.
- La causalité entre la correction individuelle offerte par l’enseignant et une meilleure réussite ultérieure de l’élève est cependant difficile à établir.
- En réalité, tout ce qui s’est passé, c’est que l’élève a répondu à une question d’un enseignant.
- L’enseignant a apporté une amélioration spécifique à un travail spécifique en donnant un indice précis sous forme de retour d’information.
- Tout cela ne garantit pas que l’élève va réagir à la rétroaction, mais imaginons qu’il le fasse.
- Ce processus ne nous dit rien du tout sur les performances futures, car l’élève est susceptible de ne pas transférer ses efforts d’amélioration à une nouvelle tâche différente.
- Les résultats de la recherche en psychologie cognitive insistent sur la difficulté du transfert.
D’un point de vue cognitif, simplement corriger une copie n’implique pas forcément l’acquisition d’un apprentissage plus général de la part de l’élève
Le rapport de l’EEF (2016)
En 2016, l’Education Endowment Foundation (EEF) a publié un rapport sur la correction des travaux d’élèves par les enseignants.
Ce rapport présente cinq conclusions, mais fait surtout le constat que l’exercice de la correction et de la rétroaction qui l’accompagne, est un terrain miné. Il est très spécifique au contexte. Dès lors, des règles générales et signifiantes sont complexes à énoncer, ou peu utiles.
Le bilan de la recherche est que les preuves de l’efficacité de la correction des productions des élèves par l’enseignant sont très faibles.
Nous ne savons pas quelle est la meilleure manière de procéder, ni même si la correction systématique et individuelle des travaux d’élèves vaut la peine d’être réalisée. Nous n’avons aucun moyen de savoir si en général la pratique favorise ou entrave l’apprentissage.
Nous allons passer en revue ces cinq conseils.
Nous allons passer en revue ces cinq conseils.
Le traitement formatif des erreurs dans les productions ou évaluations écrites
Après avoir donné un enseignement explicite portant sur de nouveaux contenus et un ou plusieurs objectifs d’apprentissage, il est courant de soumettre les élèves à une évaluation ou leur demander une production écrite dans une optique essentiellement formative.
Lors de leur correction de productions et d’évaluation écrites, nous gagnons à distinguer et à considérer différemment deux types d’erreurs :
- Les erreurs liées aux connaissances préalables ou fondamentales dans le domaine :
- Précédemment, ces connaissances et compétences ont déjà été utilisées et ont été réactivées dans le cadre d’un processus d’évaluation diagnostique :
- Elles reposent sur des connaissances et des compétences de base dans le domaine considéré.
- Elles regroupent les fautes d’orthographe, de calcul ou celles liées à des connaissances préalables absentes ou non complètement maîtrisées.
- Elles concernent également le respect des consignes données.
- La maîtrise de ces connaissances et compétences est normalement de la pleine responsabilité des élèves :
- Dès lors, s’il est nécessaire d’attirer l’attention sur ces erreurs et ces négligences, il n’est plus de la responsabilité de l’enseignant de fournir une correction précise et des explications détaillées à ce stade. Donner une rétroaction écrite détaillée sur quelque chose que les élèves connaissent déjà est une perte de temps et peut mener à une déresponsabilisation.
- L’enseignant peut marquer la réponse de l’élève comme étant incorrecte, sans donner la bonne réponse.
- Établir des conséquences :
- Dans le cadre d’une évaluation sommative, les élèves sont sanctionnés pour ce type d’erreur. Dès lors, il s’agit d’amener l’élève à progresser face à des connaissances et des automatismes encore fragiles.
- Dès lors, il est utile que l’élève doive corriger ces erreurs à partir du moment où l’enseignant les remarque. Éventuellement, il peut être utile de lui donner des tâches supplémentaires à faire en autonomie pour lui offrir une occasion de pratique et d’apprendre dans une optique de remédiation.
- L’idée pour l’enseignant n’est pas de corriger ce travail supplémentaire pour l’élève, mais de s’assurer qu’il est fait de manière à permettre à l’élève de progresser.
- Les erreurs liées aux nouvelles connaissances et aux objectifs d’apprentissage en cours de maîtrise :
- Ce sont les erreurs qui résultent d’une incompréhension des nouveaux contenus ou les signes d’un apprentissage incomplet ou d’un manque de maîtrise lié aux objectifs d’apprentissage.
- Ces erreurs doivent attirer l’attention de l’enseignant de manière plus directe, car ils portent sur des éléments pour lesquels les élèves devraient prendre la responsabilité dans la perspective d’une évaluation formative.
- La difficulté de la démarche réside en notre capacité à distinguer entre ce qu’un élève ne connait pas encore et ce qu’il connait n’applique pas dans les conditions particulières de la production.
- Il est utile que l’enseignant procède à une correction et à une explication complète et s’assure de la compréhension des élèves. Ces démarches gagnent à se faire à l’échelle de la classe.
- L’enseignant peut ensuite adapter la suite du cours ou fournir des tâches supplémentaires aux élèves concernés. Il y a ici un réel besoin d’une rétroaction formative spécifique accompagnée d’un suivi.
- Une autre optique possible opportune dans les classes hétérogènes est de permettre aux élèves de jouer le rôle de ressources pour l’apprentissage de leurs pairs dans un cadre de tutorat ou de pratique coopérative.
- Dans tous les cas, le suivi de ces difficultés est crucial, car de lui dépend le bon avancement de la suite du cours. Il est par conséquent utile d’être proactif.
Si la première forme d’erreur ne nécessite pas de rétroaction ponctuelle, elle doit cependant nous interroger en tant qu’enseignants. Un élève incapable de respecter des règles de base en orthographe ou grammaire ou qui réalise régulièrement des erreurs de base en mathématiques est en situation de danger à moyen et long terme.
Nous devons réfléchir à des actions concrètes qui pourraient générer des solutions de fond durables pour résoudre à long terme et préventivement ces difficultés. Traiter les manques au niveau des connaissances préalables de nos élèves reste de notre ressort.
Parfois pour résoudre des problèmes liés à une négligence qui est devenue une habitude pour l’élève, une piste existe. Nous devons faire en sorte qu’il soit plus contraignant pour ces élèves de continuer à faire la même erreur plutôt que de ne pas la faire.
Par exemple, l’enseignant peut refuser d’accepter des travaux que les élèves n’ont visiblement pas relus et leur demander de le faire. Une autre piste est d’imposer un travail de correction ultérieur contraignant qui va faire perdre le bénéfice à l’avenir de l’habitude d’une telle négligence.
Éviter l’usage d’une note chiffrée pour miser sur la rétroaction
Mettre une cote chiffrée réduit l’impact de la rétroaction
L’attribution de notes pour chaque travail est susceptible de réduire l’impact de la rétroaction, notamment si les élèves se préoccupent des notes au détriment de la prise en compte des commentaires formatifs des enseignants.
Les études Ruth Butler (1987, 1988) ont démontré avec des échantillons réduits les effets négatifs de la note chiffrée.
L’effet toxique de la note chiffrée a été largement validé par les recherches menées en Suède par Alli Klapp (2015) sur un grand nombre d’élèves et sur une durée prolongée. Pendant 12 ans (de 1969 à 1982), les municipalités suédoises ont décidé elles-mêmes de noter ou non leurs élèves et ce cadre naturel permet d’étudier l’impact de la note chiffrée sur les résultats ultérieurs des élèves.
En raison de ce contexte naturel, certains élèves de 6e année (12-13 ans) en Suède ont obtenu des notes alors que d’autres n’en ont pas eu. Cette circonstance est combinée au fait qu’une étude de cohorte longitudinale comprenait un large échantillon d’élèves avec et sans notes. Elle offre la possibilité d’utiliser un plan longitudinal quasi expérimental afin d’étudier comment les notes affectent les résultats ultérieurs des élèves.
Les résultats ont montré un effet négatif principal de la note chiffrée sur les résultats ultérieurs après contrôle des capacités cognitives, du sexe et du statut socio-économique.
D’importants effets d’interaction ont également été constatés. Des élèves ont obtenu des résultats faibles au test cognitif (élèves à faible capacité) et ont été notés en 6e année (12-13 ans). Ils ont obtenu des notes inférieures en 7e (13 - 14 ans) et 9e année (15 – 16 ans). Ils avaient moins de chances de terminer l’enseignement secondaire supérieur, par rapport aux élèves à faible capacité qui n’ont pas été notés en 6e année. Les résultats montrent que l’effet négatif des notes se poursuit tout au long de l’enseignement secondaire inférieur et jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire supérieur.
Une tendance des élèves de haut niveau à bénéficier des notes de l’évaluation, principalement les filles, a également été mise en évidence, mais l’effet est faible. Il semble que les filles aient une préférence générale pour les notes, quelle que soit la matière enseignée.
Il semble assez clair que, bien que les notes puissent être utiles (voire essentielles) à certaines fins, elles semblent miner les performances scolaires de nombreux enfants.
D’autres recherches ont également montré dans le cas de l’évaluation formative que la présence d’une note chiffrée amoindrit fortement l’effet de la rétroaction écrite.
Ainsi, si nous devons produire une note chiffrée, il est moins efficace de donner une rétroaction écrite.
À l’inverse, s’il est important de fournir une rétroaction écrite qui aura un impact, il n’est probablement pas une bonne idée de noter également le travail.
Présenter la rétroaction sous forme d’actions et d’objectifs
Il est utile que la rétroaction ne soit pas uniquement descriptive. Elle doit avant tout indiquer des actions concrètes à entreprendre par l’élève pour dépasser ses difficultés et elle doit lui préciser des objectifs d’apprentissage clairs à atteindre.
L’utilisation d’objectifs et de tâches pour rendre la rétroaction aussi spécifique et réalisable que possible est susceptible d’accroître les progrès des élèves
Mais comme le rapporte l’EEF (2016), très peu d’études semblent se concentrer spécifiquement sur l’impact d’une rétroaction sous forme d’objectifs. La qualité de la rétroaction et la pertinence de ces contenus restent primordiales, de même que sa mise en œuvre concrète par l’élève.
Organiser un cadre d’action pour la rétroaction
Pour maximiser l’impact du point précédent, il vaut mieux l’associer avec un cadre d’action.
Il est peu probable que les élèves bénéficient de la rétroaction, à moins qu’un certain temps ne soit prévu ou encadré pour leur permettre de réfléchir et d’y réagir.
Il est utile de prévoir un temps en classe pour que les élèves agissent seul ou en coopération sur la rétroaction. De même, il est intéressant que la rétroaction se traduise en un travail supplémentaire à réaliser à domicile en y incluant certaines contraintes qui nous assurent que les élèves vont s’engager concrètement dans sa réalisation.
En effet, naturellement, les élèves rechignent souvent à s’engager pleinement dans un travail en réponse à une rétroaction.
Ne pas corriger si les élèves peuvent le faire eux-mêmes
Certaines formes de correction par exemple si l’enseignant valide les bonnes réponses et complète lorsqu’elles sont incomplètes et erronées sont peu susceptibles d’améliorer les progrès des élèves.
Si les élèves peuvent effectuer la même démarche à partir d’un correctif, l’enseignant a perdu son temps et l’élève a perdu une occasion de faire un bon usage du sien.
La correction doit être stratégique et représenter un usage pragmatique de l’expertise des enseignants au service de l’apprentissage des élèves
Une conclusion générale peut être que les enseignants gagnent à corriger moins de productions d’élèves tout en rendant leur rétroaction plus efficace.
Cependant, la qualité des preuves existantes portant spécifiquement sur la correction écrite est faible. De nouvelles recherches sont nécessaires pour mieux mettre en évidence les principes et critères sous-jacents.
Toute rétroaction devrait être guidée par l’expertise professionnelle de l’enseignant et être significative, gérable et engageante pour l’élève.
L’élément clé d’une rétroaction réussie est la conception du dispositif qui favorise sa prise en compte par l’élève et la pertinence de l’apport de l’enseignant dans celui-ci. L’enseignant doit bien comprendre les principes sur lesquels il repose, l’appliquer avec fidélité en fonction de son contexte et le piloter à partir des résultats générés. Cela suppose certaines connaissances sur les principes de l’apprentissage tels que mis en évidence par les sciences cognitives.
La rétroaction peut et doit être considérée comme un travail vital et significatif. Elle est moins une obligation et plus un élément intégral d’un enseignement réussi.
Il est possible que la manière dont les corrections sont réalisées en générant une note chiffrée et un commentaire écrit puisse correspondre à une non-optimisation du travail de l’enseignant. L’usage de la note chiffrée devrait être réservé aux évaluations sommatives.
Si la correction des productions d’élèves n’est certainement pas à abandonner, son efficience doit être considérée. Le temps qu’une correction détaillée prend à l’enseignant n’est pas nécessairement remboursé par un impact positif sur les progrès des élèves, particulièrement pour les élèves qui en auraient le plus besoin. D’autre part, de nombreuses activités des enseignants ont un impact prouvé.
Nous devons toujours corriger en pensant au message que nous envoyons à nos élèves et à la manière dont notre rétroaction permet de les activer et d’améliorer leurs apprentissages.
De même, reconnaitre la réussite d’autant plus que l’élève a fait des efforts et a progressé reste précieux en tant que renforcement positif pour la motivation.
Mis à jour le 10/03/2023
Bibliographie
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John Hattie, Visible Learning, Routledge, 2008
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Alli Klapp (2015) Does grading affect educational attainment? A longitudinal study, Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, 22:3, 30–323, DOI: 10.1080/0969594X.2014.988121
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