Les êtres humains ont dans leur ensemble la capacité de former, de manipuler et de mémoriser des images mentales. Ils peuvent, par la suite, les mobiliser pour appréhender leur environnement et pour communiquer.
Cette capacité est intimement liée à l’intelligence humaine. Nous pouvons traiter, accroitre et améliorer notre capital d’images et de représentations mentales.
Une définition du concept d’image mentale
Le concept d’image mentale est utilisé en psychologie cognitive pour décrire la représentation cérébrale mémorisée ou imaginée d’un objet physique, d’un concept, d’une idée, ou d’une situation.
Les images mentales peuvent comprendre de l’information provenant de n’importe quelle source d’entrée sensorielle. Nous pouvons avoir des images visuelles, mais aussi auditives, olfactives ou kinesthésiques, etc. Elles n’appartiennent pas à un format monolithique.
Rôle des images mentales pour l’apprentissage
L’utilisation d’images mentales existantes non liées à une perception sensorielle ou une action physique contribue à l’apprentissage et à l’exercice de compétences.
Les images mentales nous permettent de formuler des connaissances utiles sur le fonctionnement du monde. Nous mobilisons et agençons des séquences d’images mentales dans notre tête sans avoir à vivre directement l’évènement ou son résultat. Elles nous permettent d’anticiper et de prédire ce qui peut avoir lieu.
Nous pouvons, par exemple, répéter un exercice de piano sans piano, uniquement en visualisant le clavier, ce qui constitue une pratique mentale. De même, un élève peut se remémorer en marchant les étapes de la résolution d’une procédure mathématique. L’activation et la récupération d’images mentales permettent d’améliorer de façon significative l’exécution ultérieure, bien que moins efficacement que sa pratique réelle.
Se répéter mentalement les étapes de résolution d’un problème en mathématique en les visualisant mentalement permet d’améliorer la mémorisation ultérieure de la stratégie, mais moins efficacement que de pratiquer par écrit
Un constat s’impose, les images mentales sont utiles et indispensables. Toutefois, elles ne remplacent pas la pratique concrète.
Rôle des neurones miroirs dans la mobilisation d’images mentales pour l’apprentissage
Pour faire un lien avec les mouvements, la pratique de l’imagerie mentale semble suffisante pour favoriser la modulation des circuits neuronaux impliqués dans les premières phases d’acquisition des automatismes moteurs.
Lors de la pratique de l’imagerie mentale, nous mobilisons des neurones miroirs. Les neurones concernés sont activés, mais l’exécution réelle du mouvement est inhibée.
De même dans l’apprentissage de connaissances, l’enseignement explicite repose dans les premières phases sur le modelage. Durant celui-ci, les élèves se créent des images mentales de l’apprentissage en observant la pensée rendue visible de l’enseignant, mais en ne pratiquant pas encore eux-mêmes. Ce qu’ils feront ensuite lors de la pratique guidée.
La notion d’image topologique
Il existe des similitudes élevées entre les cartographies neurales des stimuli imaginés et des stimuli perçus. Les images mentales ressemblent à ce que nous percevons.
Les processus neuronaux reposent sur des fondements que nous pouvons qualifier de mathématiques et informatiques. Cependant, le cerveau semble optimisé pour calculer constamment une série d’images topologiques plutôt que de calculer le modèle mathématique d’un objet.
Par exemple, quand nous pensons à un cube, nous voyons mentalement un cube plus que la considération mathématique abstraite de ce qu’est un cube. L’imagerie mentale humaine se manifeste à la fois de manière visuelle et kinesthésique, c’est-à-dire en mouvement. Quand nous imaginons un cube, nous pouvons le faire bouger mentalement assez naturellement.
L’enjeu de l’image mentale est de permettre d’identifier et de visualiser une information dans un contexte, par exemple pour exercer une compétence.
Mécanismes liés à l’imagerie mentale
Nous pouvons dès lors nous demander si la construction d’images mentales nous permet d’apprendre :
- Sommes-nous capables d’évoquer des images mentales lorsque nous avons appris leurs contenus ?
- De quelle manière la pratique de l’imagerie mentale contribue-t-elle à l’apprentissage ?
Potentiellement, l’usage d’images mentales pourrait améliorer la mémorisation et parallèlement faciliter l’apprentissage et la compréhension dans une grande variété de domaines, et ce pour tous les élèves.
Qu’en dit la recherche en psychologie cognitive ?
Une variété de mécanismes semble pouvoir contribuer aux avantages de l’imagerie mentale du contenu verbal :
- Le développement d’images peut améliorer l’organisation mentale ou l’intégration des informations verbales avec les images au sein de schémas.
- L’utilisation des connaissances antérieures pour générer une représentation cohérente peut améliorer la compréhension générale du contenu verbal par l’élève
Théorie du double codage en lien avec les images mentales
Le cerveau ne traite pas les images mentales comme le ferait un ordinateur, sous forme d’informations binaires de nature mathématique.
Selon la théorie du double codage, la mémoire comporte :
- Un code imagé sous la forme d’une mémoire imagée, mais qui n’est pas une mémoire visuelle photographique, mais reconstruite
- Un code verbal qui est présente sous deux formes distinctes :
- La mémoire lexicale qui stocke la carrosserie des mots (de même que la morphologie des visages)
- La mémoire sémantique qui en stocke le sens.
En soi, une image mentale n’est pas une photographie mentale, mais une trace mémorielle recréée qui offre du sens.
La théorie du double codage énonce également que le rappel et la mémorisation sont plus aisés pour des mots concrets dont le code imagé est riche que pour les mots abstraits, dont le code imagé est faible.
Les informations qui ont subi un double codage (imagé et verbal) se mémorisent plus facilement que les informations abstraites qui n’ont été codées que verbalement. De là vient la force des images mentales.
L’importance de la création d’images mentales pour l’apprentissage
Leutner, Leopold et Sumfleth (2009) ont étudié le potentiel de l’imagerie pour améliorer l’apprentissage de textes. Ils ont donné 35 minutes à 111 élèves de dixième année (15-16 ans) pour lire un long texte scientifique sur le caractère dipolaire des molécules d’eau (1600 mots).
Les élèves ont été répartis dans quatre conditions :
- Dessiner des images du contenu du texte sur papier et l’imaginer mentalement pendant la lecture
- Dessiner des images du contenu du texte sur papier et ne pas l’imaginer mentalement pendant la lecture
- Ne pas dessiner des images du contenu du texte sur papier et l’imaginer mentalement pendant la lecture
- Ne pas dessiner des images du contenu du texte sur papier et ne pas l’imaginer mentalement pendant la lecture
Peu de temps après la lecture, les élèves ont passé un test à choix multiples comprenant des questions pour lesquelles la réponse correcte n’était pas directement disponible dans le texte, mais devait être déduite par inférence.
Les résultats indiquent que le fait de dessiner des images entraine une charge cognitive accrue. Celle-ci réduit la compréhension du texte et, par conséquent, les résultats de l’apprentissage (d = -0,37). Faire des croquis n’a pas amélioré la compréhension et a même annulé les avantages des images mentales.
L’imagerie mentale quant à elle permet de réduire la charge cognitive et d’augmenter la compréhension (d = 0,72). Ce phénomène n’est mis en évidence que lorsque les élèves ne doivent pas faire des croquis simultanément.
Leutner, Leopold et Sumfleth (2009) n’ont trouvé aucune preuve que ces effets étaient modérés par les connaissances préalables spécifiques au domaine, les capacités verbales ou les capacités spatiales des élèves.
La construction d’images mentales réduit la charge cognitive et augmente la compréhension et les résultats de l’apprentissage lorsque les processus de visualisation mentale ne sont pas perturbés par le dessin externe d’images sur papier :
- Cet effet est impressionnant, d’autant plus qu’aucune formation n’a été requise
- Le texte comportait un contenu scientifique complexe
- Le test demandait de faire des inférences sur le contenu.
Ces résultats sont conformes aux théories cognitives de l’apprentissage multimédia, de l’apprentissage autorégulé et du double codage. Elles sont de même conformes aux conceptions de l’apprentissage des sciences qui visent à promouvoir la construction d’un modèle mental en visualisant activement le contenu à apprendre.
Intérêts et limites à l’imagerie mentale
Au-delà de l’expérience de Leutner (2009), dans leur revue de la recherche, Dunlosky et ses collègues (2013) apportent un bémol sur les vertus de l’imagerie mentale
Selon leurs conclusions, les effets de l’utilisation de l’imagerie mentale pour apprendre à partir d’un texte peuvent être plutôt limités et non robustes. L’utilité de l’imagerie mentale pour l’apprentissage des contenus d’un support écrit peut être considérée comme faible. En effet, les recherches sur l’utilisation de l’imagerie pour l’apprentissage de textes ont souvent utilisé des textes qui sont naturellement très propices à l’imagerie.
L’imagerie mentale est plus largement applicable que les stratégies mnémotechniques. Néanmoins, les avantages de l’imagerie mentale sont en grande partie limités aux contenus qui y sont favorables à l’imagerie et aux tests de mémoire.
En tout cas, l’imagerie mentale ne semble pas nuire à l’apprentissage et elle est susceptible d’augmenter les performances dans certaines conditions. Les enseignants pourraient envisager de donner des instructions aux élèves pour qu’ils essaient d’utiliser l’imagerie lorsqu’ils lisent des textes qui se prêtent facilement aux représentations imagées.
Il est délicat également de former les élèves à l’imagerie mentale. La recherche montre que si les élèves reçoivent l’instruction d’utiliser l’imagerie, ils ne l’utilisent pas nécessairement. De même, s’ils reçoivent l’instruction de ne pas l’utiliser, ils peuvent l’utiliser quand même. Le fait de les y former ne change rien.
Il se peut que l’imagerie mentale soit utilisée spontanément par défaut par un apprenant lorsque les conditions s’y prêtent.
Deux autres limitations existent. Une première est que l’imagerie mentale améliore le rappel libre des textes faciles à imaginer et des textes qui contiennent des éléments spatiaux, mais n’ont pas amélioré le rappel des textes abstraits. De plus, les avantages ne sont évidents que lorsque les élèves écoutent le texte, et non lorsqu’ils le lisent.
Les images mentales sont favorables au rappel libre. L’imagerie aide vraisemblablement les élèves à développer un modèle visuel intégré d’un texte. Cependant, les instructions d’imagerie ne semblent pas aider de manière significative à répondre aux questions qui demandent de faire des inférences.
En conclusion, l’intégration d’images est cruciale dans la phase d’enseignement et dans les supports d’enseignement. Cependant, stimuler l’apprentissage des élèves en misant sur l’imagerie mentale comme principal vecteur de l’amélioration ne semble pas opportun. D’autres stratégies comme l’espacement, la pratique de récupération, l’étude de problèmes résolus, l’élaboration ou l’entremêlement sont à privilégier, car disposant d’un effet plus général.
Mis à jour le 12/05/2024
Bibliographie
Dunlosky, J et al., Improving Students’ Learning With Effective Learning Techniques: Promising Directions From Cognitive and Educational Psychology. Psychological Science in the Public Interest 14(1) 4–58 (2013)
Leutner, Detlev & Leopold, Claudia & Sumfleth, Elke. (2009). Cognitive load and science text comprehension: Effects of drawing and mentally imagining text content. Computers in Human Behavior. 25. 284–289. 10.1016/j.chb.2008.12.010.
Mental image, https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Mental_image&oldid=860218217 (last visited Sept. 22, 2018).
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