lundi 12 juillet 2021

Liens entre pratique autonome et pratique de récupération en enseignement explicite

Lorsque nous nous formons à l’enseignement, nous sommes tenus d’élaborer des plans détaillés pour chacune des leçons que nous allons donner. Nous définissions des objectifs pédagogiques précis qui devront être atteints à la fin de cette unité de temps et nous précisons étape par étape la marche à suivre et la nature des interactions attendues.

(Photographie : FlatMan)



Cette séquence d’une ou plusieurs heures comporte invariablement une forme de mise en situation avec présentation de l’objectif pédagogique et des résultats d’apprentissage escomptés. Elle inclut une activation des connaissances antérieures préalables ou leur nouvel enseignement.

Apparait alors l’expérience de l’apprentissage nouveau par une tâche ou une série de tâches, ou dans le cadre d’un enseignement explicite par le triptyque modelage/pratique guidée/pratique autonome. 

Puis enfin en terminaison vient un temps d’objectivation des apprentissages.

D’une certaine manière, cette façon d’envisager une heure de cours est erronée et artificielle, car de nombreux enseignants dans l’exercice de leur fonction négligent progressivement l’exercice d’une formalisation à travers une préparation détaillée.




La dimension imprévisible de la durée d’une leçon planifiée


Si le fait d’enseigner un objectif pédagogique délimité peut être atteint théoriquement en une heure exactement, ce n’est pas le cas de tous. Certains objectifs prendront moins de temps et d’autres en prendront plus. Un objectif pédagogique singulier peut bien prendre dix minutes et un autre trois heures en fonction de sa complexité.

Si nous prenons le cas du modelage, le nombre d’exemples que l’enseignant va donner peut augmenter ou diminuer en fonction du retour d’information qu’il obtient en interrogeant les élèves sur leur compréhension. Il peut devoir compléter par de nouveaux exemples ou contre-exemples si la compréhension fait défaut ou passer plus rapidement à la suite si les élèves comprennent tous. 

De même, la durée de la pratique guidée va théoriquement dépendre du temps nécessaire pour obtenir 80 % de réussite chez les élèves en moyenne. En fonction des situations, l’enseignant peut la réduire ou la prolonger. De toute façon, tant que les élèves ne commencent pas à ressentir une certaine aisance, il est trop tôt pour passer à la pratique autonome. 

La pratique autonome a comme objectif de développer les automatismes et la maîtrise tout en permettant à chaque élève d’avancer à leur rythme. Sa durée de nouveau va être fonction des progrès des élèves.

De fait durant le cours, l’enseignant suit son cap, accélère ou ralentit selon le retour d’information qu’il obtient en vérifiant la compréhension de tous ses élèves. 

De plus, l’objectif final escompté, l’apprentissage, n’a pas lieu au terme de l’heure de cours. Certes, les élèves peuvent manifester une certaine performance à la fin de la pratique autonome. Mais si celle-ci est avant tout un facteur encourageant, elle n’est en rien une preuve d’apprentissage. L’apprentissage ne s’inscrit pas dans des blocs de temps délimités qui commencent lorsque les élèves entrent dans la classe et se terminent lorsqu’ils la quittent. L’enseignant va devoir planifier un temps pour une pratique distribuée, sous forme de devoirs, de quiz, d’évaluations formatives, de révision, ce qui va représenter également un certain temps. 

Ainsi, l’enseignement explicite vise à employer un rythme soutenu, mais en embarquant tous les élèves dans celui-ci, ce qui rend l’usage du temps flexible.




Planifier l’apprentissage sur le long terme


L’enseignement se planifie dans la durée et dans la continuité. Le fait de traduire l’objectif pédagogique sous forme de défi, de vérifier les préalables et de procéder à un modelage imbriqué dans une pratique guidée fait sens. L’idée d’une pratique autonome délimitée en un bloc isolé et d’une objectivation en fin d’heure comme clôture délimitée n’a par contre, pas de sens.

La performance ne suffit pas à garantir l’apprentissage. Toutefois, l’absence de performance permet d’établir qu’il n’y a pas d’apprentissage. Dès lors, il est important de respecter les conditions de la performance qui permettent de supporter l’apprentissage.

La pratique autonome est conçue pour faciliter le développement d’apprentissages durables et approfondis. Elle vient s’imbriquer dans une pratique de récupération distribuée dans le temps, conjuguant entremêlement et espacement. Une pratique distribuée permet d’activer de formes de pratiques génératives comme l’élaboration, l’entraînement à la discrimination, différentes formes d’évaluation formative ou de découverte guidée lorsque la maîtrise est éprouvée.

Ce sont, la consolidation et la reconsolidation qui représentent les réels signes d’un apprentissage pour lequel nous devons récolter régulièrement des preuves au fil du temps. Une séquence d’enseignement explicite autour d’un objectif d’apprentissage peut prendre un quart d’heure ou dix heures de cours en fonction de sa complexité. Il marque le début de l’apprentissage, mais ce dernier s’il est évalué d’une manière ponctuelle lors d’un examen est un processus continu et fluctuant sans réelle terminaison. La pratique distribuée permet de maintenir, enrichir et approfondir les apprentissages au fil du temps.




Le quiz comme forme de pratique autonome distribuée


Pour faire le lien avec le modèle de l’enseignement explicite de Barak Rosenshine (2012), les enseignants efficaces commencent leurs cours par une révision des acquis antérieurs. Il y a deux raisons à cela :

  • S’entraîner à se souvenir de ce qui a été appris précédemment, ce qui permet de renforcer leur capacité à s’en souvenir à l’avenir.
  • Établir des liens entre la nouvelle matière et celle qui l’a précédée, ce qui développe la compréhension et la profondeur des connaissances.

L’entrée en matière idéale est le quiz. Il constitue une forme de pratique autonome distribuée qui permet de récupérer et de réactiver les connaissances antérieures et préalables et d’en diagnostiquer l’absence éventuelle, ce qui génère une rétroaction orale immédiate. Ils nous permettent de partir de là où en sont les élèves et de démarrer le cours dans de meilleures conditions. 

Le début du cours est souvent le moment idéal pour poser dans un quiz des questions sur des connaissances apprises précédemment. C’est le bon moment pour revenir sur celles-ci. Il sera moins opportun de les introduire aussi du cours. Nous devons éviter d’interrompre le déroulement du cours par des références à des éléments qui ne sont peut-être pas pertinents pour les nouveaux contenus. Nous risquons de réintroduire trop d’informations supplémentaires, de créer une surcharge et d’apporter de la confusion chez certains élèves.

Les quiz sont très simples à concevoir et peuvent être issus de banques de questions progressivement constituées. Ils peuvent être utilisés avec plusieurs classes et même pendant plusieurs années. Ils sont efficaces parce qu’ils impliquent que tous les élèves s’emploient à récupérer des connaissances préalablement apprises stockées ou consolidées dans leur mémoire à long terme.

La manière la plus simple de commencer une cour par un quiz consiste à énumérer des questions sur une diapositive. Ces questions donnent lieu à des réponses courtes, exactes ou fausses. Les réponses peuvent être placées sur la diapositive suivante et les élèves corrigent eux-mêmes leur propre travail et obtiennent un retour immédiat. Un quiz peut inclure également des exercices.

Les questions peuvent être tirées du cours précédent ou d’un cours antérieur sur une autre matière, ou d’un mélange des deux. Il est intéressant de demander aux élèves quelles questions ont posé des difficultés pour y revenir par la suite.

Le quiz possède un effet récapitulatif : effet de test, effet de potentialisation de test et effet de prétest. Il s’appuie sur la faculté humaine de transmettre, partager et d’acquérir des connaissances. Récupérer régulièrement protège également de l’oubli et consolide les apprentissages.

Réactiver et faire des liens avec les connaissances antérieures permet aux élèves de comprendre que l’apprentissage n’est pas et ne peut pas être cloisonné. Chaque élément est imbriqué dans un tout qui permet d’accéder à un sens global. 

Il est important de travailler sur cet aspect, car la vie scolaire est elle-même cloisonnée. Tout au long de la journée, les élèves passent d’une matière à l’autre, ouvrant et fermant des portes. En allant rechercher ce qui a été appris précédemment, au contraire nous ouvrons des portes et créons des liens significatifs.

Récupérer permet aux élèves de réaliser qu’ils apprennent, qu’ils retiennent de nouvelles connaissances et qu’ils développent par là une compréhension plus globale. En matière d’autorégulation, cette prise de conscience est essentielle. Elle rend perceptible par les élèves un sentiment de progrès qui vient nourrir leur sentiment d’efficacité personnelle.




L’enjeu de la récupération pour l’apprentissage


L’apprentissage peut être défini comme le fait d’acquérir de nouvelles connaissances dans notre mémoire à long terme, celles-ci seront reliées à des connaissances préalables et intégrées au sein de schémas cognitifs.

Comme le notent Karpicke et Grimaldi (2012), cette définition ne rend compte que d’une des deux facettes de l’apprentissage, c’est l’idée de stocker en mémoire à long terme des connaissances. Elle néglige l’autre facette qui dans les faits est sans doute cruciale encore. C’est la capacité d’utiliser nos expériences passées au service du présent par l’intermédiaire de la récupération. 

Si une personne a appris quelque chose, cela signifie qu’elle est capable d’utiliser les informations disponibles dans un contexte particulier dans lequel sont disponibles certains indices de récupération. Elle peut reconstruire ses connaissances afin de répondre aux exigences de l’activité actuelle.

L’apprentissage est donc plus que l’encodage et le stockage de connaissances à partir d’expériences. L’apprentissage peut être vu comme l’interaction entre les indices de récupération dans le présent et nos connaissances mémorisées.

Les processus de récupération sont impliqués dès que des connaissances sont exprimées. C’est le cas pour donner la réponse d’une question factuelle, expliquer un concept, faire une inférence, résoudre un problème, faire preuve d’esprit critique ou être même créatif. Toutes ces situations impliquent une forme de récupération.

Par conséquent, il n’est pas réellement possible de considérer l’apprentissage en dehors d’un processus de récupération. La récupération est dès lors le processus clé pour comprendre l’apprentissage.

Les individus ne stockent pas des copies d’expériences passées et ne les reproduisent pas mot pour mot dans le détail au moment de la récupération. Ils les reconstruisent activement, ce qui peut entraîner des erreurs. De plus, les connaissances exprimées et récupérables par une personne à un moment donné peuvent varier considérablement en fonction des indices de récupération disponibles dans un contexte particulier. Elles seront différentes dans un autre contexte.

Nous ne pouvons jamais examiner directement ce que les élèves ont encodé, construit et stocké à partir des expériences d’apprentissage que nous leur permettons de rencontrer dans le cadre de l’enseignement. Il n’y a aucun moyen de créer un vide mental et d’examiner les connaissances construites en dehors de conditions de récupération spécifiques. Nous ne pouvons qu’examiner ce que les élèves sont capables de récupérer et de reconstruire dans un contexte de récupération donné avec des indices de récupération particuliers.

Pour ces raisons, il est essentiel de comprendre la récupération pour comprendre l’apprentissage et la manière de l’optimiser. La récupération n’est pas seulement une évaluation neutre des connaissances d’un apprenant. L’acte de récupération lui-même produit et renforce l’apprentissage.

La récupération n’est jamais une évaluation neutre du contenu de la mémoire à long terme. La récupération est le processus clé pour comprendre et promouvoir l’apprentissage. Malheureusement, de nombreux élèves et enseignants n’ont pas de conscience métacognitive approfondie des avantages de la récupération active.




L’importance d’intégrer la pratique de la récupération durant l’enseignement en classe


L’enjeu est de voir comment utiliser la pratique de récupération pour que les performances des élèves se traduisent en un effet sur leurs apprentissages.

Nous aimerions que l’engagement des élèves durant nos cours puisse se traduire efficacement en un apprentissage. 

Nous ne pouvons limiter l’idée de l’apprentissage à l’acquisition, l’encodage ou la construction de nouvelles connaissances. Il y a un temps pour le modelage et la pratique guidée et il y en a un pour la pratique autonome. Cette dernière est principalement concernée par la récupération de l’apprentissage. 

C’est l’interaction entre la mémoire de travail et la mémoire à long terme qui rend la récupération utile. Notre mémoire à long terme est presque illimitée dans sa capacité à stocker des informations, mais est fonction de l’oubli et de ses paramètres.

Lorsque nous posons des questions à nos élèves lors du modelage et de la pratique guidée, nous voulons guider leur attention et vérifier leur compréhension. Nous travaillons beaucoup avec la mémoire de travail et peu avec la mémoire à long terme.

Dans le cadre de la pratique autonome et de la pratique de récupération, l’enjeu est d’impliquer le plus possible la mémoire à long terme dans ses liens avec la mémoire de travail.

Nous ne devons pas tout expliquer à nouveau aux élèves, mais leur transférer la responsabilité des apprentissages. Ils ne doivent pas non plus passer leur temps à consulter leurs notes de cours ou leur manuel. La pratique autonome ne doit pas être un temps de récapitulation de ce qui a été vu, mais offrir des occasions d’applications nouvelles et d’élaboration autour des contenus.

Dans cette optique, les élèves sont engagés activement à aller rechercher des connaissances dans leur mémoire à long terme. Cela signifie que la pratique de la récupération doit être effectuée autant que possible sans avoir accès à des notes sur le sujet ou aux solutions. Le simple fait de revenir sur un sujet ne constitue pas une récupération, car la mémoire de travail peut se reposer sur un support extérieur sans engager la mémoire à long terme. C’est la même raison pour laquelle la relecture ne fonctionne pas bien comme méthode d’apprentissage.


Mis à jour le 24/02/2024



Bibliographie


Mark Enser, Teach Like Nobody’s Watching, 2019, Crown House

Barak Rosenshine, Principles of instruction: research-based strategies that all teachers should know, American Educator 36(1) (2012): 12–19, 39. Available at: https://www.aft.org/sites/default/files/periodicals/Rosenshine.pdf.

Jeffrey D. Karpicke and Phillip J. Grimaldi, Retrieval-based learning: a perspective for enhancing meaningful learning, Educational Psychology Review 24 (2012): 401–418 at 401.

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