Les changements de pratique recommandés en évaluation formative ne sont pas toujours évidents à mettre en œuvre. Ils nécessitent une pratique délibérée et des changements dans la manière dont les enseignants travaillent avec leurs élèves, ce qui peut sembler risqué, car nous touchons au cœur du métier et des habitudes.
Un principe clé essentiel de l’évaluation formative en mathématique qui y contribue est le dialogue en classe. Les interactions menées en classe doivent le soutenir.
La mise en place de ces différentes stratégies nécessite du temps et une gestion efficace de celui-ci. Elles nécessitent également du temps et une gestion de l’espace pour permettre aux élèves de coopérer dans de bonnes conditions.
Du bon usage de questions fermées
Dans le cas d’une question fermée, l’élève interrogé se voit proposer un choix parmi plusieurs réponses préétablies.
Ce type de question est souvent critiqué, car appartenant parfois plus à l’ordre de la reconnaissance que de la récupération. Cependant, les questions fermées, comme celles que nous utilisons dans des questionnaires à choix multiples peuvent présenter un certain intérêt si elles nécessitent un traitement annexe de l’information pour déterminer la bonne solution.
Le grand avantage que présentent les questions fermées est de permettre une vérification rapide des réponses. Elles présupposent une connaissance préalable permettant de sélectionner les réponses adéquates.
Elles peuvent être utiles dans le cadre d’une évaluation diagnostique pour vérifier rapidement l’accessibilité des connaissances préalables auprès d’élèves avant d’enseigner de nouveaux contenus.
De même, elles peuvent également être utilisées après la pratique guidée pour vérifier la compréhension avant de s’engager dans les dernières phases de l’apprentissage que sont la pratique autonome et la pratique de récupération.
La stratégie clé liée à leur usage est de pouvoir obtenir la réponse de tous les élèves afin d’effectuer une vérification globale et de récupérer un bon retour d’information.
Elle se consacre à des éléments de connaissance cruciaux déterminants pour la suite des apprentissages.
Une bonne option est l’utilisation des mini-tableaux blancs sur lesquels les élèves notent leur réponse (ou une lettre correspondante) qu’ils peuvent ensuite montrer tous à l’enseignant. À défaut, une application de type plickers ou un quiz en ligne peuvent également fonctionner :
- Si tous les élèves proposent la bonne réponse, l’enseignant sait instantanément qu’il peut passer à autre chose.
- Si peu d’élèves obtiennent la bonne réponse, l’enseignant doit alors enseigner à nouveau les contenus.
- Si une partie de la classe obtient la bonne réponse et une autre partie la mauvaise, alors l’enseignant peut mettre en place une activité permettant des échanges coopératifs entre les élèves. Ceux qui comprennent l’expliquent individuellement à ceux qui rencontrent des difficultés.
Préparer nos questions et notre écoute dans le cadre de la vérification de la compréhension
Lorsque l’enseignant prépare ses activités de vérification de la compréhension auprès de ses élèves, cela comporte deux grandes composantes :
- La conception de l’évaluation formative
- La rétroaction formative à fournir en retour aux élèves.
Lors de la planification des activités, les enseignants doivent anticiper la manière dont leurs élèves sont susceptibles de répondre et préparer leurs interventions et les questions appropriées qu’ils vont leur poser :
- Parle-moi du problème. Que sais-tu du problème ? Comment décrirais-tu le problème à quelqu’un d’autre ?
- As-tu déjà vu un problème de ce type ? Quelles connaissances en mathématiques penses-tu mobiliser ? Qu’est-ce qui est similaire ? Qu’est-ce qui est différent ?
- Quels liens, quelles pistes, quelles hypothèses peux-tu explorer pour entamer la résolution ?
- Que se passerait-il si… ? Est-il toujours vrai que… ? Penses-tu avoir trouvé toutes les solutions ?
- Comment sais-tu que… ? Peux-tu justifier que… ? Peux-tu prouver que… ?
- Peux-tu trouver une autre méthode ?
- Peux-tu expliquer ? Comment peux-tu améliorer/compléter cette explication ?
- Qu’as-tu découvert ? Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un d’autre sur… ?
- Qu’est-ce qui était facile/difficile dans ce problème… dans cette matière en mathématiques ?
Tout le questionnement ne peut être anticipé. À côté de celui-ci existe le questionnement réactif qui nous permet de répondre sur champ aux réponses et aux idées exprimées par les élèves. L’enjeu est de relancer leur réflexion, de la guider, de leur permettre de l’approfondir et de l’enrichir par de nouvelles questions. Il est très complexe et il n’y a pas de manière simple de la réaliser.
Il apparait que la collaboration, le partage, la discussion et la réflexion sur les questions avec d’autres enseignants dans le cadre d’une communauté d’apprentissage professionnelle sont précieux. Elles sont un moyen d’augmenter le répertoire de questions et la capacité à utiliser ces questions en classe.
L’autre dimension importante à travailler est la façon dont les enseignants écoutent les réponses des élèves.
Écouter n’est pas évaluer. Nous avons une tendance à être plus intéressés par le fait que nos élèves donnent la bonne réponse que par le fait de savoir ce qu’ils avaient en tête au sujet d’une idée particulière.
Nous devons développer notre capacité à écouter les élèves de manière interprétative. Nous devons écouter les élèves afin de comprendre pourquoi les élèves répondent comme ils le font, correctement ou de manière erronée. Nous ne devons pas nous focaliser sur la bonne réponse, elle n’est que d’une importance secondaire. Nous devons nous intéresser à leur manière de penser et de s’approprier les contenus que nous visons les voir apprendre grâce à notre enseignement.
Soutenir un apprentissage génératif dans la pratique guidée en faisant travailler les élèves en binômes
L’identification progressive des similitudes et des différences peut permettre aux élèves de commencer à élaborer et à discriminer et par là percevoir de leur propre chef la structure des connaissances en mathématiques.
Par exemple, pour les enseignants en mathématiques, toutes les équations quadratiques sont essentiellement similaires. Cette structure est beaucoup moins claire pour les élèves qui rencontrent leur existence dans les cours de mathématiques à l’école.
Par exemple, il n’est pas spécifiquement évident pour un élève de distinguer aisément l’équation d’une parabole, de celle d’une droite ou d’un cercle. Cette capacité de discrimination nécessite un apprentissage propre de la part de l’élève et l’enseignant doit l’orchestrer.
Il est intéressant par exemple dans le cadre d’une pratique coopérative, de donner à des paires d’élèves un ensemble de 20 équations exprimées algébriquement. Nous leur demandons de les simplifier, de les mettre en forme et de les trier les équations en fonction des caractéristiques de leurs graphiques.
Cela nous permet de vérifier que les élèves ont bien perçu les implications graphiques liées aux caractéristiques d’équations de cercles, de droites et de paraboles. Il est intéressant de voir également jusqu’à quel niveau de complexité leur classement aboutit. Ils pourraient tenir compte de la pente d’une droite ou de la concavité d’un second degré.
Nous pouvons dans un second temps vérifier la capacité des élèves à associer une expression algébrique à une apparence graphique.
L’intérêt de laisser travailler les élèves par deux est que cela stimule leur engagement cognitif par rapport à la poursuite d’une pratique guidée ou par rapport à des groupes plus importants. Cela leur permet de s’expliquer mutuellement leurs raisonnements.
Peut-être que certains élèves ou certains groupes ne vont regrouper les équations que sur des caractéristiques de surface non pertinentes, ce qui dénote un apprentissage ou un raisonnement encore trop superficiel. La discussion qui suivra lors de la mise en commun peut le faire prendre conscience qu’ils ne sont pas engagés suffisamment dans la réflexion mathématique.
Assurer aux élèves un temps suffisant de réflexion et de conception des réponses lors de la vérification de la compréhension
Les enseignants doivent s’assurer que leurs élèves sont mis dans de bonnes conditions afin de s’engager face aux défis proposés, de manière à générer des réponses de qualité.
Ce phénomène se manifeste quand l’enseignant pose une question à l’ensemble du groupe ou à un élève particulier dans le cadre d’une interaction en classe.
Le temps d’attente moyen observé dans de nombreuses classes de mathématiques est généralement trop faible. Régulièrement, il dure moins d’une seconde. L’enseignant est obnubilé par la volonté d’avancer à un pas cadencé, par l’urgence d’enchainer les activités pour garder ses élèves activés. De plus, comme son expertise tend à le faire souffrir de la malédiction de la connaissance, et les réponses attendues lui semblent régulièrement triviales et il sous-estime la charge qu’elles représentent pour ses élèves.
L’enseignant pose la question, attend quelque peu puis désigne l’élève qui doit répondre presque dans la foulée. Ce genre de fonctionnement va inciter les élèves à privilégier des réponses courtes et superficielles. L’élève ressent une urgence de conclure avec une réponse rapide.
Pour contrer ce processus, une stratégie générale pilotée par l’enseignant pour les questions de réflexion en mathématiques consiste à augmenter le temps d’attente offert à tous les élèves pour réfléchir. L’élève désigné après un temps d’attente ne doit pas répondre dans la foulée. Il peut encore prendre quelques secondes s’il le désire avant d’énoncer et de développer sa réponse.
Nous pouvons être attentifs et surveiller le regard des élèves, de manière à déterminer dans leur non verbal quand ils sont prêts à répondre. Nous devons montrer que nous privilégions la précision à la précipitation et que nous avons des standards élevés quant à la qualité de l’expression de nos élèves.
Cette démarche peut avoir des effets très importants sur la participation des élèves aux discussions en classe. Elle correspond à l’installation d’une culture de la qualité de l’expression mathématique. Elle nous permet peu à peu, dans nos interactions avec nos élèves d’aboutir à :
- Des réponses plus longues, plus fouillées, mieux construites et adoptant plus naturellement une meilleure terminologie mathématique.
- Une plus grande implication de tous les élèves. Ceux-ci ne sont plus frustrés de ne pas avoir le temps nécessaire pour penser à leur meilleure réponse. Ils ne manqueront plus par précipitation une partie de celle-ci. Ils sont mis au défi d’exprimer clairement leur raisonnement.
- Une plus grande tendance à être attentif aux réponses des élèves et à formuler des demandes de précisions par la suite si une partie de la réponse semble obscure. Nous pouvons inviter les autres élèves à lever le doigt pour dire quand ils ne comprennent pas, même s’ils ne peuvent pas formuler une question précise.
- Une plus grande tendance à rebondir avec des questions de suivi vers d’autres élèves qui complètent ainsi les contributions des autres
- Un plus grand nombre d’explications et d’exemples variés présentés explicitement en classe par les élèves. Comme le questionnement se passe sensiblement mieux, l’enseignant peut se montrer peu à peu plus exigeant dans le type de questions qu’il pose.
Lorsque plus de place est laissée de cette manière au raisonnement mathématique dans les interactions en classe, nous encourageons les élèves à faire part de leurs intuitions ou des conjectures. Cela reste vrai même s’ils ne peuvent pas les expliquer ou doutent de leur exactitude. D’autres élèves peuvent alors intervenir pour aider à les expliquer.
Dans le même ordre d’idée, il ne faut jamais hésiter à rebondir d’un élève à l’autre pour demander des explications supplémentaires, une précision ou une reformulation. Cela a un effet bénéfique sur l’ensemble de la classe en matière d’attention et de participation.
Toutefois, si l’augmentation du temps d’attente est très puissante, elle n’est pas une panacée et demande un pilotage expert et nuancé de la part de l’enseignant :
- L’augmentation du temps d’attente n’est pas une stratégie efficace pour les questions de moindre importance ou plus simples. En effet, lorsqu’elles sont de l’ordre de la simple récupération d’informations, les questions ne nécessitent pas de réel traitement cognitif ou d’élaboration.
- Le seul fait de trop augmenter le temps d’attente, par exemple à plus de cinq secondes environ, pourrait même faire diminuer la qualité des échanges et de l’engagement en classe. Le temps offert doit être judicieusement piloté.
- Nous ne devons pas oublier que les élèves ont besoin de structure, de temps et d’être engagés cognitivement. Si nos élèves sont inattentifs, distraits ou n’écoutent pas attentivement les réponses des autres, il y a peu de changes qu’augmenter le temps d’attente puisse générer un bénéfice.
En premier lieu, les techniques habituelles de vérification de la compréhension dans le cadre de l’enseignement explicite sont applicables. Nous renverrons vers les articles qui en parlent sur ce blog.
Nous allons compléter par différentes approches qui viennent enrichir ce dispositif en jouant sur cette variable du temps d’attente :
- Il y a un avantage secondaire à ce que les élèves transcrivent des notes préalables sur la réponse orale qu’ils comptent fournir. L’enseignant peut rapidement vérifier et valider leur contribution avec eux avant qu’ils ne l’expriment publiquement.
- Nous pouvons demander aux élèves de noter leur réponse sur une feuille de papier ou sur un mini-tableau blanc. Lorsque l’enseignant leur demande de répondre, ils peuvent utiliser leurs notes comme aide-mémoire. De plus, ils peuvent montrer leur mini-tableau blanc. L’enseignant peut afficher leur réponse sous un visualiseur et la projeter pour toute la classe en leur demandant de le commenter. Cette démarche peut être particulièrement pertinente en mathématiques pour les graphiques et les détails d’une procédure de calcul qui sont complexes à rendre perceptibles oralement. Une telle démarche permet d’éviter d’envoyer un élève au tableau, car durant ce temps, les autres peuvent se contenter de recopier ses développements plutôt que de chercher par eux-mêmes.
- Comme démarche additionnelle à la précédente, nous pouvons demander aux élèves de travailler par paires et leur donner un temps déterminé pour discuter du problème avec leur partenaire et générer une contribution. Le temps réel dépend de la question, mais peut varier entre 30 secondes et deux minutes. La contribution d’un élève est alors choisie au hasard et partagée sous visualiseur à l’ensemble de la classe.
Valoriser et soutenir le dialogue formatif entre pairs en classe
La discussion entre pairs joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre de l’évaluation formative en classe.
Des discussions fréquentes et courtes par deux, pilotées en classe entière par l’enseignant lors de la pratique guidée sont efficaces pour encourager une discussion ciblée sur les mathématiques.
Elles s’accompagnent de séquences plus longues de pratique coopérative où les élèves sont associés en petits groupes. Dans ce cadre, la discussion en petits groupes permet à tous les élèves de s’engager directement dans un raisonnement mathématique lié aux problèmes à résoudre.
De cette manière, les élèves sont mieux à même de comprendre le problème et ils peuvent clarifier leurs propres idées.
En enseignant de cette manière, durant une heure de cours, un plus grand nombre d’élèves participent aux discussions de toute la classe et leurs contributions sont mieux structurées et intégrées.
En dehors de ces stratégies formelles et générales, d’autres approches plus particulières peuvent également être mises en œuvre :
- Demander aux élèves de discuter de la solution d’une tâche mathématique par deux. Après le partage par paire, un nom d’élève est choisi au hasard et il rendra compte des discussions en binôme à la classe en expliquant sa résolution projetée sous un visualiseur. Cela encourage tous les élèves à être prêts à apporter leur contribution. Par ailleurs, le fait de demander aux élèves de faire un rapport sur les idées de leur partenaire les encourage à s’écouter les uns les autres.
- Une autre piste est la déclinaison de la stratégie d’apprentissage coopératif jigsaw. Nous demandons dans un premier temps aux élèves de travailler en groupes de 4 à 6 personnes sur des problèmes différents, mais liés entre eux. Ensuite, chaque membre du groupe rejoint un groupe mixte différent pour partager ce qu’il a fait sur le problème considéré. Cela permet à chaque élève d’être un contributeur sur un des problèmes à réaliser par le groupe et cela lui impose d’être attentif aux explications de chacun des autres membres du groupe.
Favoriser un dialogue formatif à l’échelle collective en valorisant les erreurs comme des opportunités d’apprentissage
Des échanges en classe auxquels tous les élèves contribuent ouvertement sont vitaux pour fournir un retour d’information efficace et formateur.
Les élèves peuvent parfois être réticents à donner des réponses qu’ils pensent incorrectes. C’est pourquoi les enseignants doivent valoriser toutes les contributions mathématiques — erreurs et réponses partiellement correctes.
Les élèves doivent être encouragés à poser des questions sur toutes les idées avec lesquelles ils ne sont pas d’accord ou qu’ils ne comprennent pas complètement.
Les élèves ne doivent pas non plus avoir l’impression que les bonnes réponses sont valorisées et acceptées telles quelles tandis que les mauvaises réponses sont soumises à une batterie de questions supplémentaires. Les bonnes réponses doivent mener elles-mêmes à des questions d’approfondissement et de justification.
De fait, nous devons remettre en question à la fois les réponses correctes et incorrectes. Nous demandons aux élèves de justifier leurs idées et leurs réponses. Les élèves sont donc invités à réfléchir à ce qu’ils savent et à la manière dont ils procèdent.
Pour rendre cela plus efficace, nous devons éviter de faire savoir aux élèves si une réponse est correcte par notre langage corporel, l’expression de notre visage ou tout type de commentaire. C’est la justification de l’élève et l’explication de la démarche qui viennent valider la réponse, jamais son expression isolée.
Une technique utile consiste pour les enseignants à commettre une erreur délibérément. Si les élèves repèrent l’erreur, cela leur donne l’occasion de corriger l’enseignant et de fournir une explication dans leurs propres mots. Si les élèves ne le remarquent pas, l’enseignant peut le souligner lui-même et demander aux élèves de repérer son erreur prétendue.
Donner aux élèves la responsabilité d’identifier et de corriger les erreurs de cette manière, encourage une attitude selon laquelle, ce qui compte ce sont les arguments mathématiques, non les personnes qui les énoncent ou une validation extérieure.
Mis à jour le 09/03/2023
Bibliographie
Hodgen, J. & Wiliam, D. (2006), ’Mathematics inside the black box: assessment for learning in the mathematics classroom’
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