dimanche 6 juin 2021

Synergie entre évaluation formative et sommative au cœur d’un enseignement efficace

« Lorsque la récitation commence, les souvenirs et les suppositions supplantent la réflexion » 

Nystrand et coll. (1997, p. 6)

(Photographie : Felix Odell)


L’importance d’intégrer en profondeur un dialogue formatif au cours de l’enseignement


Les pratiques d’enseignement en classe peuvent n’accorder que peu d’attention à la qualité du dialogue et des interactions entre élèves et enseignant. 

Cependant, le dialogue est une composante ancrée et importante des pratiques d’évaluation formative. Il nous permet d’aboutir de manière effective à un apprentissage plus efficace.

Toutefois, l’intention d’engager les élèves dans un tel apprentissage utile ne suffit pas. L’enseignant doit pouvoir entamer, susciter, mener et guider efficacement le dialogue autour de l’apprentissage. 

Dans ses démarches, l’enseignant devrait s’employer à :
  • Solliciter de fréquentes multiples contributions de la part de tous ses élèves.
  • Interagir d’une manière qui cherche à utiliser, à valoriser et à rebondir à partir des contributions des élèves, même lorsque celles-ci paraissent bancales ou bizarres quoiqu’apportées de bonne foi par ses élèves.
  • Mener la discussion de telle sorte que les progrès soient perçus comme étant de la responsabilité des élèves, dans une part progressivement croissante. Parallèlement, il s’assure que ces progrès restent dans la droite ligne des objectifs plus larges du cours. 
  • Interpréter le retour d’information délivré par ces interactions en le reliant à l’apprentissage antérieur et en l’entrouvrant vers les étapes ultérieures. 

Des indicateurs clés de la qualité d’un dialogue formatif peuvent se manifester par :
  • L’utilisation par les élèves de termes tels que « penser », « parce que », « serait » et « devrait ». 
  • Le fait que les contributions des élèves traduisent une forme d’élaboration et prennent la forme de phrases longues et fouillées, plutôt que de mots simples ou uniques et d’expressions expédiées. 

Ces indicateurs témoignent du fait que les élèves osent s’engager dans un raisonnement et posent des déductions en utilisant de nouvelles connaissances. Il ne s’agit pas d’une simple restitution de contenus.



Éviter les impasses et les échanges improductifs dans le cadre d’un dialogue formatif


Lors de l’enseignement, quand nous nous engageons dans un dialogue formatif, nous sommes susceptibles de tomber dans divers pièges face à certaines réponses inadéquates ou approximatives d’élèves. Leurs réponses peuvent à certains moments nous décontenancer et nous rendre inefficaces : 
  • Nous pouvons estimer par exemple que ce n’est pas ce à quoi nous nous attendions et dans la foulée, que décomposer la confusion, corriger et réexpliquer va nous prendre trop de temps. Nous coupons court alors au dialogue, ignorons l’échange et passons à la suite.
  • Nous pouvons avoir tendance à régresser vers la récitation et la répétition du contexte théorique. Nous pouvons adopter une tentative bien intentionnée de remettre les choses en ordre de manière catégorique. Dans ce cas, nous abandonnons le dialogue. Nous renonçons à diagnostiquer, à analyser puis à résoudre la source de l’erreur.
  • Nous pouvons spontanément reformuler la réponse imparfaite d’un élève de manière à la rendre correcte sans explorer les antécédents et causes de son erreur.
  • Nous pouvons nous contenter de remercier un élève qui donne une réponse approximative ou presque complète pour clore le dialogue. Cet élément de satisfaction partielle empêche des questions de rebonds ou de justification qui pourraient approfondir la compréhension et le raisonnement des élèves. 

Dans ces exemples de situation, nous n’appuyons pas sur le potentiel d’une réponse et nous n’exprimons pas d’attentes élevées envers les élèves.
 
Le côté inefficace de ces démarches est qu’en ne mettant pas au défi les élèves, nous manquons certaines opportunités d’apprentissage pour eux. Parfois, des défauts dans la conception même et la présentation des activités d’apprentissage que nous proposons à nos élèves rendront tout cela inévitable.

Il existe pourtant des alternatives. Par exemple, plutôt que de couper court ou de donner la bonne réponse, certaines autres réactions seront plus utiles pour développer l’apprentissage et poursuivre utilement le dialogue : 
  • Comment as-tu pensé à cela ? 
  • Comment as-tu construit ta réponse ?
  • Comment aurais-tu pu le faire autrement ? 



Une double nature synchrone ou asynchrone de l’évaluation formative


L’évaluation sommative implique une analyse ultérieure du résultat par l’élève. Ce traitement est par conséquent essentiellement asynchrone. 

Ce n’est pas forcément le cas pour l’évaluation formative qui peut être synchrone ou asynchrone pour l’enseignant :
  • Synchrone, car le dialogue oral en classe en est le cœur de l’évaluation formative. Il a lieu en direct à travers les interactions avec l’enseignant, dans le cadre de discussions de groupe, ou grâce à l’évaluation par les pairs, qui peuvent générer une rétroaction immédiate. 
  • Asynchrone, car l’interaction formative se réalise également en relation avec divers formats de travaux écrits. Les productions écrites lors de la dernière étape d’une activité peuvent prendre la forme d’un travail en classe, d’une évaluation formative ou d’un devoir à la maison. Ils offrent des possibilités de rétroaction formative supplémentaire différée après que l’enseignant ait pris le temps de les observer hors de la classe avant de retrouver ses élèves pour reprendre un dialogue informé.



Rôles de la rétroaction formative pour soutenir l’amélioration de l’apprentissage et l’autorégulation chez les élèves


Dans la perspective de l’évaluation formative, la rétroaction a pour enjeu de faire progresser les élèves dans leurs apprentissages. Cela se vérifie dans la mesure où elle est axée sur l’amélioration des performances des élèves et leur offre des pistes par rapport à des tâches qu’ils n’ont pas encore tentées. Elle évite la formulation de jugements ou de constats sur l’adéquation des performances précédentes.

Il est important de se concentrer sur l’effet de la rétroaction plutôt que sur son intention. 

Dans la perspective de l’évaluation sommative, le retour d’information réduit à de notes peut servir à focaliser l’attention sur la comparaison sociale avec d’autres élèves. Il peut également conduire malgré lui à la croyance que la capacité est fixe, plutôt que malléable. 

Le retour d’information sous forme de commentaires sur la manière de s’améliorer est plus susceptible d’envoyer le message que les capacités peuvent être améliorées. Par la suite, le retour d’information peut être est instrumentalisé par l’élève comme un moyen de le guider vers cette amélioration. 

Idéalement, nous devons aider nos élèves à développer une compréhension claire du niveau de performances qu’ils sont censés atteindre. Dès lors, ils deviennent peu à peu plus autonomes dans leur capacité de juger de la qualité de ce qu’ils produisent et peuvent mieux réguler leur travail pendant l’acte de production. 



Une tension entre dimension sommative et formative de l’évaluation en fonction des inférences générées


La distinction entre évaluation formative et sommative repose sur les types d’inférences qui sont générées sur la base des résultats de l’évaluation.

Une évaluation peut être conçue pour servir les deux objectifs sommatif et formatif. Lorsque la priorité est donnée plus particulièrement à un des deux objectifs, la conception de l’évaluation est susceptible d’être influencée.

Dans le cadre de l’évaluation sommative, l’objectif de l’enseignant est d’aboutir à l’estimation d’un résultat. Celui-ci prend la forme d’une note représente la valeur approchée d’un test formel ou d’une production de l’élève. 

Les productions, tâches complexes et réponses aux questions, réalisées à la fin d’une phase d’un programme d’apprentissage, peuvent servir à toute une série d’objectifs. 


Il peut s’agir de générer :
  • Un retour d’information aux enseignants et à leurs écoles sur l’efficacité de l’enseignement.
  • L’enregistrement des résultats de chaque élève pour l’apprentissage concerné
  • De conseils aux enseignants, aux élèves ou à leurs parents sur les décisions à prendre concernant les choix de futures filières ou la réussite de l’année scolaire. 

À des degrés divers, ces fonctions, tout en étant manifestement sommatives, peuvent également être formatives :
  • Elles peuvent être formatives pour les enseignants, en les informant des changements et améliorations à apporter dans leur planification et leur mise en œuvre de l’enseignement, pour le même élève ou d’autres élèves à l’avenir.
  • Elles peuvent être formatives pour les élèves en les informant sur les forces et les faiblesses de leurs apprentissages d’une manière qui pourrait les aider à réorienter leurs énergies dans leurs investissements scolaires futurs. 

Ainsi, si l’utilisation formative des résultats en retour n’est pas exclue, le niveau auquel ils peuvent être utilisés pour améliorer l’apprentissage est différent, et ces fonctions du retour sont parfois secondaires ou peu investies. 

De même, ces différences peuvent conduire à des tensions entre les pratiques formatives et sommatives. 

Lorsque l’évaluation sommative devient subordonnée à la responsabilisation des écoles ou des enseignants, la situation peut encore empirer. La responsabilisation risque toujours d’ignorer ses effets secondaires sur l’apprentissage et donc de saper l’objectif même d’amélioration de la scolarité qu’elle prétend servir. Les enseignants soucieux de la quantification de leur responsabilité peuvent en arriver à prioriser la préparation aux évaluations à celles d’apprentissages durables et profonds. L’objectif des enseignants peut devenir de faire réussir un maximum d’élèves en visant des performances, plutôt que se soutenir l’apprentissage durable de tous.

Les processus qui mesurent la responsabilisation des enseignants des établissements scolaires doivent éviter de se tirer une balle dans le pied. Il faut que dans les priorités de la conception de l’évaluation, la responsabilisation de l’enseignant vienne après l’apprentissage qui demeure la condition et l’objectif premier.



Chercher à établir une synergie entre évaluation sommative et formative


Dans la réalité concrète de la classe, il peut et doit y avoir une synergie entre évaluation sommative et formative. Une telle imbrication devrait être considérée comme saine et naturelle. Des liens de renforcement mutuel peuvent être établis dans le processus d’évaluation, entre les fonctions sommatives formelles et les fonctions sommatives formatives et informelles au bénéfice des apprentissages.

Pour surmonter ce problème de tension entre le formatif et le sommatif, il faut prêter attention à trois éléments :
  • Le premier élément est que les enseignants et les écoles doivent être rendus responsables uniquement des déterminants de leur travail sur lesquels ils ont un contrôle. 
    • Cela nécessite l’utilisation d’une forme de mesure de la valeur ajoutée liée au contexte.
  • Le deuxième élément est que les instruments d’évaluation utilisés à des fins sommatives devraient eux-mêmes être conçus de manière à favoriser l’apprentissage. 
    • Tout le moins, ils ne devraient pas être conçus d’une manière susceptible de nuire à l’apprentissage. 
  • Le troisième élément est que les enseignants devraient assumer la responsabilité de servir des objectifs sommatifs formels. 
    • Ils doivent jouer un rôle actif dans l’exercice de cette responsabilité. 



Comprendre les limites inhérentes à l’évaluation sous forme d’examens généraux ou officiels en fin de parcours


La forme traditionnelle de l’évaluation qui repose sur l’organisation d’une session d’examen générale ou officielle en fin de parcours n’évalue pas toutes les dimensions de la compétence linguistique liée aux contenus couverts. 

La compétence linguistique comprend l’expression orale et la compréhension orale ainsi que la lecture et l’écriture. Seules ces deux dernières sont généralement évaluées.

Les défenseurs de la forme traditionnelle de l’évaluation soulignent que les mesures de la performance en lecture et en écriture sont de bonnes approximations de la performance en expression orale et en compréhension orale. Cependant, cette corrélation n’est susceptible de se maintenir que si les enseignants continuent à développer avec leurs élèves tous les aspects de la compétence linguistique. 

Lorsque les enjeux d’amélioration des résultats sont élevés, les enseignants et les élèves sont incités à se concentrer sur la lecture et l’écriture. Cela se fait au détriment de l’expression orale et de la compréhension orale. Avec le temps, les performances en lecture et en écriture ne seront plus un bon indicateur des performances en expression orale et en compréhension orale des élèves. Dès lors, l’utilisation de l’évaluation peut avoir des conséquences sociales.

Étant donné les pressions inévitables des évaluations à enjeux élevés sur le travail des enseignants, la priorité peut ne plus être donnée à de bonnes pratiques d’apprentissage. En effet, beaucoup d’entre elles ne produisent pas les résultats à court terme qui amélioreront les performances des élèves lors de ces évaluations à enjeux élevés. Elles s’inscrivent plutôt dans une perspective à long terme d’améliorations durables.

L’enseignant a un rôle important à jouer dans l’évaluation. Certains aspects de l’apprentissage sont importants, mais ne peuvent être évalués de manière adéquate par des tests externes formels en bout de parcours. Ces aspects requièrent le jugement humain pour intégrer les nombreux éléments des comportements de performance qui sont nécessaires pour traiter des tâches d’évaluation authentiques. 

Là est la difficulté de tout système d’évaluation à grande échelle qui repose uniquement sur des tests écrits formels, établis par des organismes extérieurs à l’école en fin de parcours. Cette démarche est en réalité incompatible avec les normes choisies par la plupart des systèmes éducatifs comme résultats d’apprentissage souhaités pour leurs élèves. 



Renforcer la fiabilité des usages sommatifs de l’évaluation par la collaboration des enseignants


Un risque existe en lien avec le pilotage de l’évaluation sommative par l’enseignant seul sur ses propres élèves dans un contexte de responsabilisation. D’une certaine manière, cela reviendrait à laisser entrer le loup dans la bergerie.

Les enseignants seront tentés d’exagérer les résultats de leurs élèves s’il est dans leur intérêt de le faire pour la mesure de leur propre responsabilité. 

Nous pouvons faire confiance aux enseignants pour résister à cette tentation. Toutefois, il est souvent reconnu qu’il est impossible d’assurer la cohérence des jugements des enseignants sur leurs élèves s’ils sont eux-mêmes jugés en parallèle dans le processus. 

En dehors de cela, différents enseignants qui donnent le même cours en parallèle et de manière indépendante ne vont pas évaluer les mêmes niveaux de compétences chez leurs élèves, ce qui est également un manque de fiabilité.

Un cadre de collaboration en vue de soutenir l’alignement curriculaire et une mise en commun des évaluations sommatives s’impose et peut servir de garde-fou.

Différentes caractéristiques principales des évaluations sommatives partagées concourent également à leur fiabilité :
  • La validité de chaque tâche incluse dans un processus d’évaluation sommative doit être justifiée par rapport aux objectifs pédagogiques qu’elle est censée évaluer. 
  • Le cadre, les conditions d’enseignement et le soutien dont disposent les élèves pour arriver à la maitrise des différentes composantes de l’évaluation sommative doivent être cohérents. 
  • La manière dont chaque domaine de matière est échantillonné à la fois par les composants séparés et par la collection dans son ensemble doit être représentative. 
  • Les critères sur lesquels tous les évaluateurs doivent travailler possèdent une spécification claire des attentes.
  • Une exigence de comparabilité des résultats au sein d’une ou de plusieurs écoles nécessite des procédures de modération au sein d’une même école et entre écoles. 

En respectant ces divers principes, les enseignants sont capables de contribuer aux objectifs sommatifs de l’évaluation positivement. De cette manière, un système principalement conçu et utilisé pour servir des objectifs sommatifs peut en fait également soutenir l’apprentissage. 



L’impact positif du travail collaboratif des enseignants sur la qualité de l’évaluation


Le développement des aptitudes et des procédures liées à une évaluation de qualité nécessite à la fois une formation et un accompagnement sur la durée. Les enseignants doivent pouvoir développer cette confiance et cette compétence dans leurs évaluations formatives et sommatives.

La collaboration permet la modération et une plus grande uniformisation des pratiques chez les enseignants :
  • Elle a de nombreux effets précieux sur le travail des enseignants. 
  • Elle contribue à garantir la rigueur, la cohérence et la confiance dans l’approche de l’évaluation. 
  • Elle peut avoir un impact sur les résultats des élèves de leurs classes.

Les élèves peuvent s’impliquer positivement dans des tâches dont ils savent que les résultats feront partie d’une évaluation sommative représentative de leurs apprentissages. C’est d’autant plus le cas qu’ils se sentent épaulés antérieurement pour y arriver par des démarches d’évaluation formative. 

Un travail collaboratif entre enseignants sur les questions de l’évaluation à la fois formative et sommative les encouragera à avoir des conversations concernant la qualité de l’enseignement prodigué et de l’apprentissage des élèves. 

Des enseignants peuvent être chargés de produire des évaluations sommatives fiables et comparables à l’échelle d’une école ou éventuellement de plusieurs écoles. Dans ce cas, ils seront amenés à se réunir régulièrement pour discuter des objectifs, des procédures et des preuves acceptées. Ces réunions qui donnent lieu à ce type de discussions collégiales qui peuvent constituer un élément précieux du développement professionnel des enseignants.


Mis à jour le 01/02/2023

Bibliographie


Paul Black & Dylan Wiliam (2018): Classroom assessment and pedagogy, Assessment in Education: Principles, Policy & Practice, DOI: 10.1080/0969594X.2018.1441807 

Nystrand, M., Gamoran, A., Kachur, R., & Prendergast, C. (1997). Opening dialogue: Understanding the dynamics of learning and teaching in the English classroom. New York, NY: Teachers College Press. 

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