mercredi 30 juin 2021

L’impasse d’une gestion répressive de la discipline scolaire

 Les établissements scolaires ont la responsabilité de maintenir un environnement d’apprentissage sûr et discipliné pour leurs élèves.

(Photographie : Keiichi Ichikawa)



L’évidence est que les enseignants ne peuvent enseigner et les élèves ne peuvent apprendre dans un climat marqué par les perturbations et le chaos. Les problèmes liés aux écarts de conduite figurent en tête de liste des préoccupations en matière d’éducation. 

Il est essentiel de préserver un climat de sécurité et d’encourager un environnement d’apprentissage positif et productif. Il est bénéficiaire d’enseigner aux élèves les compétences socioémotionnelles dont ils auront besoin pour réussir à l’école et dans la société, et réduire la probabilité de perturbations futures. 

La pression ressentie par ces dimensions peut entraîner les écoles sur la voie de l’intensification des punitions parfois dans une dynamique d’exclusion. En tant que mode d’action par défaut, au niveau d’un établissement, cette approche se révèle souvent contreproductive. Nous allons l’illustrer dans le cas de l’approche américaine tolérance zéro.




Définition de l'approche tolérance zéro


L’approche tolérance zéro a émergé aux États-Unis, dans les années 1980 et 1990, face aux craintes concernant la violence à l’intérieur des écoles et des classes. Ces inquiétudes ont conduit à une augmentation de la mise en œuvre de politiques de discipline scolaire dites de tolérance zéro. Ces approches se sont généralisées en 1994 à la suite d’une décision fédérale sur les armes à feu.

Une politique de tolérance zéro dans une école correspond à une application stricte et sans nuances du règlement et des interdictions portant sur le comportement. C’est une politique de la discipline scolaire répressive basée sur la punition, la suspension et l’exclusion des élèves.

La tolérance zéro peut s’appliquer à tout ou à une part seulement du comportement scolaire. Généralement, elle est d’application dans des domaines particuliers comme la possession ou l’utilisation de drogues illicites, la présence d’armes et assimilés, ou de faits de violence et de harcèlement.

La recherche montre un manque général de cohérence et de fidélité dans la mise en œuvre de l’approche tolérance zéro. Il existe une grande variabilité dans son application d’une école à l’autre, ce qui nuit potentiellement à son efficacité (Skiba, 2014).  




Arguments en faveur de l'approche tolérance zéro


Le principe clé de la tolérance zéro est que toute infraction aux règles de l’école se traduit par des sanctions automatiques et non négociables. La tolérance zéro peut conduire à des exclusions définitives.

En instaurant des sanctions obligatoires pour certains délits, la tolérance zéro accroît la cohérence de la discipline scolaire et, par conséquent, la clarté du discours disciplinaire adressé aux élèves. 

Au cœur de la philosophie et de la politique de tolérance zéro se trouve la présomption que l’application stricte, rapide et certaine de la punition aura un effet dissuasif sur tout autre élève potentiellement perturbateur. Le retrait des élèves qui ont un comportement perturbateur dissuadera les autres de le faire et créera un meilleur climat plus propice à l’apprentissage pour les autres élèves. 

L’inflexibilité serait dissuasive. Peu importe comment, pourquoi et dans quel contexte la règle a été enfreinte, le fait qu’elle le soit est la base de l’imposition de la sanction. Selon cette perspective, les établissements scolaires doivent réagir aux perturbations, même mineures, de l’ordre social avec force et fermeté afin de communiquer sans ambiguïté que certains comportements ne seront pas tolérés. 

À l’inverse, le fait de ne pas intervenir de cette manière permettrait au cycle de la perturbation et de la violence de s’installer solidement et perdurer dans un établissement scolaire. Comme dans une approche tolérance zéro, le jugement subjectif n’est pas autorisé, il n’y a pas non plus de tentatives de négocier la sanction. Les règles sont claires. 




Dérives et effets secondaires de l'approche tolérance zéro


La tolérance zéro traite potentiellement les mineurs plus durement que des adultes. Les élèves sont rarement autorisés à s’exprimer pour leur propre défense devant les adultes ayant autorité sur eux.

La tolérance zéro est parfois une solution expéditive aux problèmes causés par des élèves. Il a été documenté que la suspension ou l’expulsion sont utilisées comme un outil pour faire partir les élèves qui sont perçus comme des fauteurs de troubles. C’est d’autant plus le cas que leurs chances de réussite à long terme à l’école sont considérées comme faibles. 

La tolérance zéro semble être un simple phénomène d’action-réaction. Elle laisse souvent de côté les circonstances atténuantes qui sont pourtant de facteurs importants et souvent signifiants dans les incidents entre élèves. La politique de tolérance zéro sanctionne de manière égale l’attaquant et le défenseur dans une bagarre. Les politiques de tolérance zéro ne tiennent pas compte des antécédents de l’élève.

L’application d’une tolérance zéro a des conséquences parfois négatives lorsque les actes jugés intolérables sont commis par ignorance, par accident ou dans des circonstances liées à des inégalités socio-économiques ou éducatives. Par conséquent, cette approche est susceptible de donner lieu à des punitions injustes et discriminantes. Ce genre d’approche tend à stigmatiser les élèves ayant des problèmes de comportement. Elle traite leurs problèmes comme des questions pénales plutôt que comme des problèmes éducatifs. 

Paradoxalement, les politiques de tolérance zéro peuvent amener les écoles à fermer les yeux sur les brimades et certains autres comportements. Elles peuvent refuser de résoudre des cas individuels dans le but de se donner une meilleure image d’elles-mêmes. Elles peuvent décourager certaines personnes de signaler des comportements problématiques, par peur des conséquences.




Bilan de la recherche sur l'approche tolérance zéro


L’American Psychological Association a réuni en 2008 un groupe de travail qui a examiné les données et la recherche sur la tolérance zéro et ses effets sur le comportement des élèves. Les résultats sont pour le moins négatifs. L’application d’une approche de type tolérance zéro entraîne un certain nombre de résultats négatifs à la fois pour les écoles et les élèves.




L’approche tolérance zéro ne favorise pas le développement personnel de l’élève


L’approche tolérance zéro ne favorise pas le développement personnel de l’élève. Certains élèves semblent utiliser la suspension ou l’expulsion comme une occasion d’examiner leur propre comportement. Les preuves disponibles suggèrent que les élèves en général considèrent la suspension et l’expulsion de l’école comme inefficaces et injustes.

La majorité des élèves qui sont suspendus et expulsés de l’école rencontrent des effets négatifs qui peuvent les empêcher de terminer dans les temps leurs études secondaires et favorisent l’abandon scolaire. Dès lors, il existe des coûts psychologiques et sociaux plus élevés. 

L’approche tolérance zéro est contradiction avec les connaissances actuelles en psychologie du développement de l’enfant et de l’adolescent. L’immaturité des adolescents est une donnée autant psychologique que neurologique donc la tolérance zéro ne tient pas compte :

  • La partie rationnelle du cerveau d’un adolescent n’est pas complètement développée et ne le sera pas avant l’âge de 25 ans environ. Le cerveau des adultes et celui des adolescents fonctionnent différemment. Les adultes pensent plus avec le cortex préfrontal, la partie rationnelle du cerveau qui a atteint sa maturité. C’est la partie du cerveau qui réagit aux situations avec un bon jugement et une conscience des conséquences à long terme. Les adolescents traitent l’information en laissant plus de place aux émotions et de manière plus irrationnelle. 
  • Avant l’âge de 15 ans, les adolescents semblent faire preuve d’immaturité psychosociale dans au moins quatre domaines :
    • Une faible résistance à l’influence des pairs
    • Les attitudes envers les facteurs de risque et leur perception.
    • Leur future orientation
    • Le contrôle des impulsions. 

Il ne fait aucun doute que de nombreux incidents qui entraînent des infractions disciplinaires au niveau du secondaire sont explicables en partie par une immaturité développementale ou neurologique. Si le comportement qui en résulte ne constitue pas une menace pour la sécurité, l’évaluation de l’importance d’une conséquence particulière doit en tenir compte.

De plus, il n’existe aucune preuve statistique crédible que la tolérance zéro réduirait la violence ou la toxicomanie chez les élèves.

Un certain nombre de chercheurs ont constaté que les élèves suspendus à la fin de l’école primaire sont plus susceptibles de recevoir des renvois ou des suspensions au secondaire que ceux qui n’ont pas été suspendus. Plutôt que de réduire la probabilité de perturbation, la suspension scolaire en général semble prédire des taux futurs plus élevés de mauvais comportement et de suspension parmi les élèves suspendus. Ces constatations ont amené certains chercheurs à conclure que la suspension peut agir davantage comme une récompense que comme une punition pour de nombreux élèves. 

Comme le suggère Skiba (2014), les pratiques disciplinaires généralisées de suspension, d’expulsion et d’arrestation pour des problèmes de comportement scolaire tendent à transformer certains enfants à tendances conflictuelles en futurs délinquants. 




L’approche tolérance zéro n’améliore pas le climat scolaire à l’échelle d'une l’école


Le nombre d’exclusions entraînées par l’approche tolérance zéro semble avoir plus une valeur de symptôme que de solution. Les écoles ayant des taux plus élevés de suspension et d’expulsion semblent avoir des évaluations moins satisfaisantes du climat scolaire, avoir des structures de gouvernance scolaire moins satisfaisantes et consacrer un temps disproportionné aux questions disciplinaires. 

Les écoles qui renvoient le plus d’élèves sont généralement celles où le climat général est le plus dégradé, ou les performances scolaires les plus mauvaises et le dérochage plus courant. Les exclusions n’arrangent rien. L’effet dissuasif n’est pas prouvé. Les renvois disciplinaires semblent avoir des effets négatifs sur les résultats des élèves et le climat d’apprentissage de manière générale. 

L’approche tolérance zéro n’améliore pas le climat scolaire, la réussite des élèves ou la sécurité à l’école. Il n’existe aucune donnée montrant que les suspensions et expulsions extrascolaires réduisent les perturbations ou améliorent le climat scolaire. L’application d’une tolérance zéro en matière de suspension et d’expulsion ne s’avère pas être un moyen efficace d’améliorer le comportement des élèves.

La gestion de la discipline doit prendre en compte d’autres dimensions que celle de la dissuasion par la punition. Elle doit considérer l’intégration avec les pairs, l’apprentissage de l’autonomie et de la socialisation, la relation avec les adultes, l’enseignement du comportement, le renforcement, la définition d’une identité personnelle. Elle doit de même prendre en compte le sentiment de compétence ou d’efficacité personnelle.




Alternatives à la tolérance zéro


Si la fixation de limites est souvent un élément important de nombreux programmes, les effets des punitions sont toujours imprévisibles. Nous pouvons être très sceptiques quant à l’efficacité des punitions pour modifier le comportement des enfants et adolescents :

  • Plutôt que de modifier leur comportement, les enfants et les adolescents sont tout aussi susceptibles de répondre à la punition par la colère ou par la fuite. 
  • De plus, les élèves finissent par s’immuniser contre un certain niveau de punition, ce qui nécessite des sanctions toujours plus longues et plus sévères. 
  • Les écoles et les systèmes qui s’appuient uniquement sur les punitions pour contenir le comportement des élèves se retrouvent dans une impasse. Pour améliorer ou maintenir un bon climat scolaire, elles se retrouvent à devoir faire de plus en plus d’efforts. Plus de ressources sont progressivement consacrées à un système qui, avec le temps, semble de moins en moins efficace.

Le rapport de l’American Psychological Association (2008), de même que Skiba (2014) proposent des recommandations pour réformer la tolérance zéro là où sa mise en œuvre est nécessaire, dans le cas des infractions graves.

  1. De nombreuses infractions ne nécessitent pas les conséquences sévères et inflexibles de la tolérance zéro. Nous pouvons limiter le champ d’action de la tolérance zéro et réserver les renvois disciplinaires aux seuls comportements perturbateurs les plus graves et les plus sévères. Ce sont ceux qui mettent les autres élèves ou le personnel en danger de subir un préjudice physique ou émotionnel. Il est approprié d’isoler les récidivistes de la population scolaire générale afin de préserver la sécurité de l’environnement scolaire. Cependant, il faut continuer à mettre l’accent sur le maintien des élèves dans un environnement d’apprentissage actif, même dans un établissement séparé si nécessaire. 
  2. Nous devons définir soigneusement toutes les infractions, qu’elles soient majeures ou mineures, et former tout le personnel scolaire aux moyens appropriés de traiter chaque infraction. Des définitions soigneusement établies de tous les comportements en rapport avec le code disciplinaire de l’école sont précieuses. Elles protègent à la fois les élèves contre des conséquences inéquitables et les responsables de l’école contre des accusations d’application injuste et arbitraire de la politique scolaire.
  3. Nous pouvons tenir compte de l’expertise des enseignants et faire preuve d’une plus grande souplesse dans l’application des politiques de tolérance zéro. Les professionnels de l’école présents sur les lieux et en contact avec les élèves sont souvent les mieux équipés pour évaluer les circonstances et les problèmes. Ils sont la première ligne de communication avec les parents en ce qui concerne les incidents disciplinaires. Cela permet également des contacts plus réguliers, constructifs et continus et pas uniquement centrés sur les incidents.
  4. Nous devons former les enseignants à des stratégies de gestion de classe efficace. La gestion de classe devrait être intégrée dans la préparation des enseignants en formation initiale. Les enseignants débutants doivent être correctement équipés pour gérer la majorité des perturbations mineures de la classe et pour désamorcer les incidents comportementaux au lieu de les aggraver. 
  5. Nous devons évaluer à l’échelle d’une école les stratégies de prévention disciplinaire et un suivi des données. De cette manière, nous pouvons favoriser celles ayant un effet positif sur le comportement des élèves, le climat scolaire et leur sentiment d’appartenance à la communauté scolaire. Sans ces données, du temps et des ressources peuvent être gaspillés sur des stratégies qui semblent attrayantes, mais qui, en fait, ne contribuent guère à réduire le taux réel de perturbations.

Le rapport de l’American Psychological Association (2008), de même que Skiba (2014) proposent des pratiques alternatives pour remplacer la tolérance zéro là où une approche plus appropriée est indiquée. Ils partent du constat qu’il existe des stratégies alternatives qui offrent un potentiel bien plus important pour réduire les perturbations scolaires et assurer la sécurité des élèves à l’école :  

  1. Le soutien au comportement positif est le modèle le plus susceptible de résoudre avec succès les problèmes de sécurité et de discipline, et réduire la fréquence des perturbations dans les écoles. Cette approche est fondée sur une démarche de prévention primaire en matière de bien-être et de planification du comportement, et vise trois niveaux d’intervention simultanément. Basé essentiellement sur la prévention, il propose au niveau des interventions un continuum d’actions et de conséquences possibles pour une gravité donnée du comportement. Cet éventail d’options planifiées peut contribuer à réduire l’impact des comportements perturbateurs graves.
  2. L’apprentissage socioaffectif peut aider à établir un climat scolaire non violent, en enseignant aux élèves des alternatives à la violence pour résoudre les problèmes interpersonnels. 
  3. L’implication des parents permet de les inclure comme partenaires actifs. 
  4. L’identification précoce des élèves qui risquent d’avoir un comportement antisocial ou des troubles émotionnels augmente les chances d’apporter un soutien comportemental à ces élèves. De cette manière, afin que les besoins sociaux et comportementaux non satisfaits ne dégénèrent pas en violence. 
  5. Il est précieux d’organiser un système de récolte et de suivi des données sur le comportement à l’échelle de l’école pour une gestion efficace des ressources. 
  6. Une collaboration efficace et continue avec des partenaires extérieurs à l’école.
  7. Mettre en œuvre un programme pour rétablir le lien avec l’école pour les élèves présentant des risques de problèmes de discipline. Le lien avec l’école est un facteur essentiel dans la prévention de la violence chez les jeunes.


Mis à jour le 31/01/2024


Bibliographie


Tolerance zero (schools), (last visited Apr. 8, 2021). https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Zero_tolerance_(schools)&oldid=1003424026 

American Psychological Association. (2008). Are zero tolerance policies effective in the schools? : An evidentiary review and recommendations. American Psychologist,63(9), 852–862. doi:10.1037/0003-066x.63.9.852

Skiba, R. J. (2014). The Failure of Zero Tolerance. Reclaiming Children & Youth Archived June 26, 2015, at the Wayback Machine

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