jeudi 24 juin 2021

Effets du bruit ambiant, des bavardages et de la musique sur les tâches de lecture et de compréhension

Quels sont les effets et les conséquences à court et à long terme des distractions sonores sur les tâches de lecture et de compréhension dans lesquelles s’investissent les élèves ?

(Photographie : John Pfahl)



L’impact des distractions sonores sur la compréhension à la lecture


La compréhension à la lecture est une compétence critique et indispensable dans un cadre scolaire et plus largement dans la société moderne. Sa performance est optimale dans le silence, en l’absence de stimuli distrayants. Ces conditions idéales ne sont pas toujours rencontrées dans la vie quotidienne.

Au contraire, une grande partie de la lecture quotidienne se fait en présence d’une stimulation auditive externe. Les élèves lisent dans les transports en commun pour se rendre à l’école, accompagnés par le bruit de la circulation. En classe, peuvent fleurir en sourdine des bavardages. À la maison, ils peuvent étudier et réfléchir en écoutant de la musique, avec parfois la télévision, la radio ou des conversations en fond sonore.

Cette stimulation auditive externe provient du bruit, de la parole ou de la musique à proximité. Elle peut distraire les élèves de leur tâche et réduire leurs performances de compréhension à la lecture. 

Dans une méta-analyse, Vasilev et ses collègues (2018) ont analysé 65 études sur les effets de distraction auditive pendant la lecture et testé des prédictions dérivées des théories existantes sur le sujet. 



L’effet du bruit ambiant sur la compréhension à la lecture


Le bruit ambiant peut être défini comme tout son indésirable qui n’est pas lié à la tâche de lecture. À proprement parler, un certain degré de bruit ambiant est toujours présent. Cependant, l’intensité du bruit ambiant peut varier énormément en fonction de l’environnement. 

Un certain nombre d’études ont examiné la relation entre l’exposition constante au bruit et la lecture. Elles ont suggéré que l’exposition à long terme au bruit de la circulation est associée à une capacité de lecture inférieure chez les enfants.

Les études portant sur l’effet du bruit ambiant sur la compréhension à la lecture sur de courtes durées ont donné des résultats contradictoires. Bon nombre d’entre elles suggèrent cependant que l’exposition au bruit ambiant peut être préjudiciable.



L’effet des bavardages en arrière-plan sur la compréhension à la lecture


Les bavardages en arrière-plan sont un type de bruit spécifique qui se produit souvent dans la vie quotidienne et dans un environnement scolaire. Par rapport au bruit ambiant, la parole de fond a des propriétés acoustiques spécifiques qui la rendent saillante pour les auditeurs. De plus, si les paroles atteignent un niveau est intelligible, elles sont également porteuses de sens sémantique. En raison de son contenu sémantique, les bavardages en arrière-plan sont souvent considérés comme plus distrayants et plus gênants que le simple bruit ambiant.

Conformément à cette perception subjective, il a été constaté dans un certain nombre d’expériences que des bavardages en arrière-plan intelligibles perturbent la compréhension à la lecture.

Cet effet de perturbation peut être plus important pour les participants qui ont une moins bonne capacité à inhiber immédiatement les bavardages en arrière-plan non pertinents.

Une tâche de lecture spécifique qui a été étudiée plus en détail en relation avec les bavardages en arrière-plan est la relecture. 

La relecture est une pratique récurrente en classe où les élèves sont amenés à se relire pour améliorer ou repérer les erreurs dans leurs productions. La relecture est une tâche plus exigeante d’un point de vue cognitif que la lecture seule, car elle nécessite d’accorder de l’attention à la recherche d’erreurs en plus de la compréhension du texte. 

Deux types d’erreurs sont généralement à repérer : 
  • Les erreurs contextuelles, qui nécessitent la compréhension du sens du texte pour être détectées
  • Les erreurs non contextuelles, qui ne nécessitent que le traitement du mot courant pour être détectées (par exemple, les fautes d’orthographe ou de grammaire). 

Il a été constaté que les bavardages en arrière-plan perturbent la compréhension de la lecture et la précision de la relecture dans un certain nombre d’expériences. 

Les preuves disponibles suggèrent que cette perturbation est due au traitement de la signification sémantique du son de la parole. Ces effets semblent plus fiables que l’effet du bruit non vocal sur la lecture. 



L’effet de la musique en fond sonore sur le traitement cognitif


Contrairement au bruit et à la parole, qui constituent généralement une nuisance, la diffusion de musique en fond sonore est souvent effectuée délibérément, par choix personnel ou par habitude. 

L’intérêt pour l’effet potentiel de la musique en fond sonore sur la lecture a commencé dans la première moitié du 20e siècle avec la popularité des radios et tourne-disques personnels et leur utilisation par les étudiants. Cependant, ces premières études n’ont pas permis de dresser un tableau clair de la relation entre la musique de fond et la lecture :
  • Certaines d’entre elles ont trouvé que la musique peut affecter négativement la compréhension de la lecture chez les enfants et les étudiants universitaires.
  • D’autres ont trouvé que la musique en fond sonore n’affecte pas du tout la lecture ou qu’elle améliore en fait les performances de lecture. 

Cette controverse a persisté jusqu’à aujourd’hui.

Afin d’examiner quelles conditions pourraient donner lieu à la distraction, certaines études ont cherché à savoir si l’effet de la musique en fond sonore sur la compréhension de la lecture est modulé par les traits de personnalité. Les résultats de ces études sont mitigés et non concluants. 

Comme la popularité des genres musicaux change avec le temps, il est sans doute préférable d’étudier les aspects de la musique qui peuvent causer une distraction. 

L’influence de la musique de fond sur la lecture peut être modulée par les propriétés acoustiques de la musique. Ces propriétés sont sa préférence pour l’auditeur, sa charge informationnelle, son volume sonore, son tempo, sa familiarité avec les participants et sa capacité à induire une réaction de sursaut.


La difficulté de la tâche joue un rôle crucial sur l’impact de la musique :
  • Lorsqu’il s’agit d’étudier des textes difficiles, notre concentration sera entravée par toute forme de musique de fond. 
  • Pour les tâches plus routinières (qui sont en réalité minoritaires dans le cadre de tâches cognitives d’apprentissage), une musique de fond douce est moins distrayante. 
  • Nous pouvons nous retrouver à étudier dans le train, dans le bus ou dans tout autre endroit bruyant. Dans ces situations, un casque ou des écouteurs avec de la musique douce peuvent nous aider à ne pas être distrait par les conversations des autres. 



Théories de la distraction auditive 


L’hypothèse de l’interférence phonologique (Baddeley et Hitch, 1974 & 1994)


Cette théorie est basée sur le modèle de mémoire de travail de Baddeley et Hitch (1974 & 1994). Dans celui-ci, la boucle phonologique agit comme un entrepôt phonologique dans lequel les souvenirs sont enregistrés et répétés par un processus de subvocalisation. 


Les sons de la parole accèdent automatiquement à la boucle phonologique et interfèrent ainsi avec l’encodage et la répétition d’éléments présentés visuellement. 

L’hypothèse de l’interférence phonologique fait la prédiction unique que tous les types de sons de la parole devraient être également distrayants parce qu’ils ont tous accès à la mémoire phonologique. 

Par conséquent, un discours intelligible (c’est-à-dire dans la langue maternelle des participants) et un discours inintelligible (c’est-à-dire dans une langue étrangère) devraient être tout aussi distrayants.

L’hypothèse de l’interférence phonologique ne permet pas d’expliquer la distraction par le bruit ambiant non vocal et la musique non lyrique (sans paroles), car aucun de ces sons n’a accès à la boucle phonologique. 



L’hypothèse de l’interférence sémantique (Martin et coll., 1988)


Des recherches sur la perturbation d’une tâche de lecture montrent que l’effet perturbateur de paroles est dû aux propriétés sémantiques (c’est-à-dire la signification) de la parole, plutôt qu’à ses caractéristiques phonologiques. Selon cette hypothèse, la parole intelligible est plus distrayante que la parole inintelligible. 

La lecture réussie exige la compréhension du sens du texte. Par conséquent, les propriétés sémantiques des paroles non pertinentes dans l’environnement sonore peuvent interférer avec la construction des représentations sémantiques du texte en cours de lecture. 



L’hypothèse du changement d’état (Jones et coll., 1992)


Selon cette hypothèse, l’interférence est causée par des sons ambiants qui présentent une variation acoustique considérable, mais pas par des sons apériodiques stables qui ne présentent pas une telle variation. Par exemple, un son composé de différentes consonnes (par exemple, « B, F, P, S, N. ») devrait causer plus d’interférence. Un son composé de la même consonne (par exemple, « M, M, M, M, M ») devrait en causer moins parce qu’il présente moins de variation acoustique. 

Le mécanisme hypothétique par lequel l’interférence se produit est que les sons à état changeant contiennent des informations sur l’ordre sériel de leurs éléments sonores constitutifs. Ces informations peuvent alors interférer avec le maintien de l’ordre sériel des éléments dans une tâche de mémoire. 

L’hypothèse de l’état changeant prédit que les sons présentant une variation acoustique considérable devraient être plus distrayants que les sons stables qui ne présentent pas une telle variation. 

Cela conduit à deux autres prédictions :
  • La musique non lyrique devrait être plus distrayante que le bruit ambiant monotone parce que la première présente une plus grande variation acoustique que le second. La musique non lyrique évite toute confusion potentielle liée au langage parlé qui serait présente dans la musique lyrique. 
  • Les bruits environnementaux plus complexes sont les bruits de la circulation ou les bruits de bureau contenant des sonneries de téléphone ou des bavardages indistincts. Ils devraient être plus distrayants que les bruits acoustiques stables comme le bruit d’un ventilateur ou d’une circulation automobile lointaine. La raison est qu’ils présentent également une plus grande variation acoustique. 



La théorie duplex de la distraction auditive (Marsh et coll., 2008)


La distraction auditive peut provenir de deux processus différents : 
  • L’interférence du processus : elle se produit lorsque le son de fond interfère avec un processus qui est important pour la tâche principale. 
  • La capture attentionnelle : l’attention est temporairement détournée de la tâche principale. Ce dernier point n’a pas été étudié dans la méta-analyse.

Dans une tâche de lecture, l’interférence par processus de la théorie duplex fait la même prédiction que l’hypothèse d’interférence sémantique. La différence est que la distraction se produit parce que le traitement de la signification des paroles en arrière-plan dépend du même processus que celui utilisé pour extraire la signification du texte en cours de lecture. Dans l’hypothèse d’interférence sémantique, les propriétés sémantiques de la parole en arrière-plan sont à l’origine de l’interférence.

Les hypothèses d’interférence sémantique et d’interférence par processus prévoient toutes deux que seul un discours intelligible pouvant être traité sémantiquement par les participants causerait une distraction. Par conséquent, un discours intelligible devrait être plus distrayant qu’un discours inintelligible. 

En outre, elles prédisent également que :
  • La musique lyrique devrait être plus distrayante que la musique non lyrique parce que la première contient des paroles qui sont intelligibles pour les participants
  • La parole intelligible devrait être plus distrayante que la musique lyrique parce que, en moyenne, la parole continue a plus de contenu sémantique que la musique lyrique.



Résultats de la méta-analyse de Vasilev et ses collègues (2018) à propos de l’effet des perturbations sonores sur la compréhension à la lecture


La principale conclusion de la méta-analyse est que les bavardages, le bruit ambiant et la musique en fond sonore ont tous un effet négatif (indiquant une distraction) sur la précision de la lecture-compréhension. 

Les bavardages intelligibles et la musique lyrique intelligible entraînent une plus grande distraction.

Si l’ampleur des effets est faible, elle est très fiable. Il y a une très forte probabilité que ces sons nuisent à la compréhension de la lecture compte tenu des preuves disponibles. De plus, les effets de distraction auditive mesurés avec la compréhension de la lecture ne diffèrent généralement pas entre les adultes et les enfants. 



Implications pour les théories de la distraction auditive 


La méta-analyse a également mis en évidence quelques informations clés sur la nature des effets de distraction auditive, tels que mesurés par la précision de la lecture-compréhension :
  1. La musique lyrique et la parole intelligible sont aussi distrayantes, l’une que l’autre
  2. La musique lyrique est plus distrayante que la musique non lyrique. 
  3. La parole intelligible est plus distrayante que la parole inintelligible. 
  4. Le bruit ambiant hétérogène est plus distrayant que le bruit monotone
  5. Il n’y a pas de différence fiable entre la musique non lyrique et le bruit monotone.

En conclusion, la présence de paroles intelligibles dans les sons d’arrière-plan est le facteur qui contribue le plus à la distraction auditive. 

Cette dernière constatation est cohérente avec l’hypothèse d’interférence sémantique et celle de l’interférence par processus. Néanmoins, ces deux hypothèses ne peuvent pas expliquer la distraction par le bruit de fond non vocal. 

Les résultats actuels ne sont généralement pas compatibles avec le compte d’interférence phonologique pour deux raisons : 
  • Tous les sons de la parole ne sont pas également distrayants : la parole intelligible est plus distrayante que la parole inintelligible. 
  • Le bruit de fond, qui n’a pas accès à la mémoire phonologique, est également source de distraction. 

Les résultats ne sont que partiellement cohérents avec l’hypothèse du changement d’état. Le bruit hétérogène est plus distrayant que le bruit monotone, ce qui est conforme à cette théorie, mais pas la musique non lyrique (ce qui n’est pas conforme à la théorie). Dans les deux cas, le bruit ambiant et la musique non lyrique présentent une variation acoustique plus importante que le bruit monotone.
 
Aucune des théories envisagées jusqu’à présent ne peut rendre compte de tous les résultats. Les résultats actuels suggèrent que de nouveaux modèles théoriques sont nécessaires pour expliquer toutes les preuves. 

Un tel cadre pourrait être un modèle à deux composantes dans lequel le bruit et la parole influencent la lecture par des processus distincts.



Implications pratiques de la recherche sur la gestion du bruit dans des contextes d’apprentissages


Écouter de la musique en étudiant ou en travaillant est une pratique courante. Il existe de nombreuses situations dans la vie quotidienne dans lesquelles les individus peuvent choisir d’écouter de la musique tout en effectuant des tâches liées à la lecture. 

Les présents résultats suggèrent que l’écoute de musique lyrique devrait être évitée lors de la lecture d’un texte pour la compréhension. En effet, la musique lyrique contient un langage intelligible sous la forme de paroles chantées, et ce type de musique s’est avéré perturber la compréhension de la lecture. Les lecteurs peuvent éviter cette perturbation en écoutant de la musique non lyrique (c’est-à-dire instrumentale), qui ne contient pas de langage intelligible. 

La musique lyrique intelligible et la parole intelligible apparaissent également distrayantes. La parole de fond intelligible est souvent présente dans de nombreux environnements scolaires sous forme de bavardages en arrière-plan. Or, il apparait qu’elle est susceptible d’altérer la performance dans les tâches qui nécessitent la lecture pour la compréhension, la relecture ou le traitement du sens de l’information écrite. Pour cette raison, limiter les bavardages est susceptible d’améliorer les performances des élèves.

Les lecteurs exposés au bruit ambiant subiront probablement un coût modeste en matière de compréhension. Cela suggère que le bruit environnemental externe devrait être limité dans les milieux où la lecture est courante, comme dans les écoles ou dans les bibliothèques. 



Mis à jour le 19/01/2024

Bibliographie


Vasilev MR, Kirkby JA, Angele B. Auditory Distraction During Reading: A Bayesian Meta-Analysis of a Continuing Controversy. Perspectives on Psychological Science. 2018; 13(5):567–597. doi:10.1177/1745691617747398

Baddeley, A. D., & Hitch, G. (1974). Working memory. Psychology of Learning and Motivation, 8, 47–89. doi:10.1016/S0079-7421 (08)60452-1

Baddeley, A. D., & Hitch, G. J. (1994). Developments in the concept of working memory. Neuropsychology, 8, 485–493. doi:10.1037/0894-4105.8.4.485

Martin, R. C., Wogalter, M. S., & Forlano, J. G. (1988). Reading comprehension in the presence of unattended speech and music. Journal of Memory and Language, 27, 382–398. doi:10.1016/0749-596X (88)90063-0

Jones, D. M., Madden, C., & Miles, C. (1992). Privileged access by irrelevant speech to short-term memory: The role of changing state. The Quarterly Journal of Experimental Psychology, 44, 645–669. doi:10.1080/14640749208401304

Marsh, J. E., Hughes, R. W., & Jones, D. M. (2008). Auditory distraction in semantic memory: A process-based approach. Journal of Memory and Language, 58, 682–700. doi:10.1016/j.jml.2007.05.002

Hoof, T., Surma, T., & Kirschner, P. A. (2021). Leer studenten studeren met succes. Antwerpen: Thomas More-hogeschool. 

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