dimanche 27 mai 2018

Mémoire de travail, pratiques enseignantes et apprentissage

Nous avons précédemment abordé la question de l’importance du guidage par l’enseignant dans le cadre de l’enseignement explicite, sous l’angle de la mémoire à long terme et de la mémoire à court terme. L’idée est ici de s’intéresser aux caractéristiques propres à la mémoire de travail et aux implications qui en découlent pour l’enseignement et l’apprentissage.


(Photographie : Micah Cash


Rôles et fonctions de la mémoire de travail


La mémoire à court terme correspond à la capacité de se souvenir ou de reconnaître un nombre limité d’informations après une courte période (de l’ordre de quelques secondes). La mémoire de travail l’englobe et ajoute la notion de manipulation ou de traitement de ces mêmes informations. Ce traitement est nécessaire à l’exécution de tâches cognitives complexes.

La mémoire de travail est la structure cognitive au sein de laquelle se produit le traitement conscient. Le traitement conscient est un espace mental à la capacité limitée. La mémoire de travail nous ancre dans le moment présent.

Elle est notamment impliquée dans :
  • La compréhension du langage
  • La résolution de problèmes
  • La réalisation de tâches de complexité variable
  • L’acquisition de nouvelles connaissances
  • Le traitement des images et de l’espace
  • Etc.

S’y déroulent des opérations mentales telles que le raisonnement, l’inférence ou la prise de décision.

Cet espace permet la réalisation de deux activités en interaction permanente :
  • Le maintien actif : 
    • Cette activité implique de contrôler le contenu des informations présentes à l’esprit. 
    • Il limite l’accès aux informations non pertinentes en rapport avec la tâche en cours. 
    • Il nécessite de résister à la distraction.
  • Le traitement des informations : 
    • Cette activité implique différentes opérations cognitives servant à manipuler, à mettre en relation, à transformer et à élaborer à partir des informations présentes à l’esprit et de celles activées en mémoire à long terme.
    • Il inclut des échanges avec la mémoire à long terme : la récupération, la consolidation et la reconsolidation.



La capacité limitée de la mémoire de travail


La mémoire de travail est sévèrement limitée par rapport à la quantité d’informations qu’elle peut encoder, maintenir et rappeler en lien avec la mémoire à long terme. Deux éléments sont à prendre en considération en matière de capacités pour la mémoire de travail :

1. Le nombre d’éléments qui peuvent être stockés en mémoire de travail à un moment donné :
  • Il peut être raisonnablement estimé à quatre en moyenne plus ou moins un. Cela correspond aux capacités de la mémoire à court terme. Comment expliquer ce faible nombre ?
  • L’empan mnésique de la mémoire à court terme (le nombre d’unités d’informations pouvant être maintenues en mémoire) était initialement évalué à 7 +/- 2 unités d’informations. L’empan mnésique de la mémoire de travail a été réduit à 4 +/- 1 unités d’informations dans le modèle de Cowan.
  • Cet écart tient compte de deux phénomènes : 
    1. La possibilité de créer ou non des chunks d’information, c’est-à-dire des groupements d’unités d’informations en une seule unité d’information. En l’absence de possibilité de chunking (voir article), l’empan mnésique avoisinerait les 4 unités d’information.  
    2. Le fait que la mémoire de travail doit non seulement stocker des informations, mais également en assurer le traitement. Lorsque nous dépassons les quatre unités, la capacité à traiter des informations est affectée. Ainsi, nous pourrions considérer 7 +/- 2 unités d’informations, mais la mobilisation des ressources pour conserver ces données en mémoire de travail aurait un effet inhibiteur sur leur traitement, la limite en matière de charge cognitive étant atteinte.

2. La limite des processus de traitement de l’information :
  • Il semblerait qu’une seule intention effective d’exécuter une tâche puisse être activée à un moment donné. 
  • Si nous prenons l’exemple d’un problème arithmétique, chaque étape de calcul est successive et isolée. Il est malaisé de les combiner et cette capacité est plutôt reliée à une forme d’expertise. De même, il est impossible de faire deux opérations distinctes en même temps, le cerveau n’étant pas multitâche.

Comment expliquer ces limites ? Plusieurs hypothèses permettent d’expliquer cette capacité restreinte :
  • Les représentations maintenues en mémoire de travail pourraient interférer les unes avec les autres. Si davantage d’éléments devaient être maintenus, des interférences pourraient se produire et brouiller la cohérence des représentations.
  • Les ressources cognitives nécessaires pour maintenir les représentations actives pourraient être limitées. Il est possible que les représentations mnésiques se dégradent au cours du temps (au bout de quelques secondes) à moins qu’elles ne soient rafraîchies par un processus de répétition. Or le débit de répétition peut être limité, d’où une limitation du nombre d’éléments qu’il est possible de maintenir en mémoire de travail.

Selon Engle et Kane (2003), les mesures de la capacité de la mémoire de travail prédisent fortement un très large éventail de capacités cognitives d’ordre supérieur. Ces capacités comprennent la compréhension du langage, le raisonnement et même l’intelligence générale. Plus la capacité de la mémoire de travail est importante, plus il est possible d’y conserver et de traiter à tout moment un grand nombre d’idées, d’informations, de faits et de procédures. Malheureusement, la capacité de la mémoire de travail est fixe et ne peut être accrue par un entrainement.

Le fait de placer l’élève en projet face à une situation problème (tâche complexe), comme préconisé par l’approche socioconstructiviste, se heurte radicalement aux limitations de capacité de la mémoire de travail.
  1. L’élève moyen aura des difficultés bien réelles à discriminer les informations secondaires des informations importantes. Il risque donc de saturer les capacités de sa mémoire de travail pour une part précieuse avec des éléments d’information peu pertinents, en négligeant d’autres informations indispensables à la construction de connaissances.
  2. Cet effet de saturation peut fragiliser la cohérence et accentuer le flou de ses représentations. Ce processus commun amène l’élève au sentiment classique de ne rien comprendre. Ce sentiment d’impuissance peut rapidement l’amener à l’abandon et favoriser la distraction ou les échanges sociaux. 
  3. L’élève a une maîtrise encore fragile des nouveaux concepts et leur traitement est plus lent ce qui peut mener à un oubli plus rapide s’ils ne sont pas rapidement renforcés, récupérés, élaborés et consolidés.
  4. N’ayant pas toutes les bonnes informations en mémoire, le processus d’exécution de tâches complexes devient dès lors illusoire. Des erreurs de traitement inévitables dues aux principes du hasard mis en évidence par la théorie de la charge cognitive peuvent avoir lieu ce qui ajoute au déséquilibre.

Le modèle socioconstructiviste rebondit en avançant la possibilité d’un étayage de la part de l’enseignant. Cette intervention pourrait mener à une sortie nécessaire de l’impasse avec une bonne gestion de la zone proximale de développement. Mais là, nous nous heurtons à la charge mentale de l’enseignant lui-même qui ne peut être entièrement disponible pour chaque élève. Sa propre mémoire de travail est limitée et il ne peut fonctionner en mode multitâche. Il s’en suit que dans ce type de pédagogie, les élèves se retrouvent régulièrement bloqués dans une impasse.

À l’opposé, dans l’enseignement explicite, nous promouvons :
  • Le principe du modelage avec un haut-parleur sur la pensée de l’enseignant
  • Une pratique guidée avec un haut niveau d’étayage par défaut pour démarrer. Celui-ci s’allège par la suite.

Ces procédures rendent transparentes et logiques pour tous les élèves, les stratégies et procédures de détection des éléments pertinents, qu’ils peuvent apprendre.


Ces démarches permettent aux élèves d’acquérir des connaissances et des stratégies, adaptées au contexte particulier et au moment donné dans leur progression d’apprentissage. Ils leur permettent une sélection plus judicieuse des éléments à placer en mémoire de travail. Cela ouvre la porte à un traitement cognitif de l’information immédiatement plus efficace d’autant que les procédures activées seront elles-mêmes explicitées.

D’une certaine manière, l’enseignant explicité fournit un étayage préventif à l’échelle de la classe. Ceci permet une économie structurelle du nombre d’interventions. Plutôt que de suivre la progression de chaque élève séparément, un guidage préventif donne des clés pour réduire le nombre de fourvoiements et d’élèves qui auront effectivement besoin de son aide. Ce processus offre bien plus de temps pour un suivi personnalisé et utile des élèves qui ont des difficultés spécifiques et bien plus de temps pour l’entrainement de chacun des élèves. 


L’élève bénéficiant d’un enseignement explicite sera toujours en moyenne plus engagé. Il passera toujours plus de temps à pratiquer utilement et à consolider en mémoire à long terme les bonnes méthodes et les bons concepts. La difficulté des tâches qui lui sont proposées sera toujours correspondante à son niveau d’apprentissage actuel pour lui permettre d’atteindre l’échelon suivant.



Le modèle d’Alan Baddeley


Au fur et à mesure de ses publications Alan Baddeley et ses collègues, en 1974, ont proposé, développé, affiné et enrichi un modèle fondateur de la mémoire de travail composé de plusieurs sous-systèmes.

Il s’agit d’un cadre théorique relativement souple qui se compose de quatre éléments (la mémoire tampon a été ajoutée dans un second temps).



(source : François Maquestiaux, Psychologie de l’attention, De Boeck, p 169, 2017)





(source : Rossi, J.-P. [2005]. Psychologie de la mémoire : de la mémoire épisodique à la mémoire sémantique. Bruxelles : De Boeck.)


Ce modèle comprend des systèmes temporaires de stockage d’informations, associés à des mécanismes. Ces mécanismes sont notamment dédiés à la répétition des informations.

Le modèle de Baddeley et Hitch (1974) comprend trois composants :
  • Deux sous-systèmes distincts de mémoire temporaire spécifiques chacun à une modalité
    • La boucle phonologique
    • Le calepin visuospatial
  • Un système attentionnel : les deux sous-systèmes précédents sont sous le contrôle du système attentionnel, véritable superviseur de leurs activités et souvent désigné sous l’appellation de contrôleur central, contrôleur exécutif ou administrateur central.



La boucle phonologique ou (boucle articulatoire)


  1. La boucle phonologique est l’espace mental au sein duquel les informations verbales (ou phonologiques) sont maintenues actives et traitées. Elle est un système de la mémoire de travail spécialisé dans le stockage et le traitement des informations verbales et symboliques : mots, chiffres, lettres, syllabes, etc.
  2. Les informations verbales sont codées sous un format rendant compte de leur sonorité. Ce type de codage a une influence sur la taille de l’empan mnésique. L’empan mnésique d’une liste de mots phonologiquement similaires (par exemple, mousse, tasse, masse, dix, place, messe, basse) est inférieur à celui d’une liste de mots phonologiquement dissimilaires (par exemple, mare, noix, pub, tuile, sac, herbe, lampe, bois).
  3. La boucle phonologique est impliquée dans la lecture, l’écriture, la compréhension orale et dans le calcul mental. Elle gère le langage intérieur. Elle agit sur la reconnaissance des mots (leur image), mais aussi par l’activation de leurs sens.
  4. Elle est composée elle-même de deux sous-systèmes :
    • Un entrepôt phonologique qui sert de mémoire verbale à court terme. Il stocke brièvement des informations phonologiques (verbales).
    • Un système de répétition chargé de répéter mentalement le contenu de l’entrepôt phonologique afin d’en prévenir le déclin. 
      • Ce système permet par exemple de maintenir en mémoire un numéro de téléphone tant qu’il est répété.
      • Le système de répétition sert à :
        • À maintenir l’information verbale dans l’entrepôt phonologique.
        • À enregistrer ou traduire les informations visuelles qui peuvent être nommées en un code phonologique (verbal) à stocker dans l’entrepôt phonologique.



Le calepin visuospatial


  1. Le calepin visuospatial est la portion de la mémoire de travail chargée de mémoriser et de traiter des images ou des stimuli visuels. Il nous aide à stocker des informations visuelles et à planifier à l’aide d’images visuelles.
  2. Il intègre des informations visuelles et spatiales dans une représentation unifiée et intégrée. 
    Par exemple, nous pouvons nous imaginer comment nous rendre de la cuisine vers la salle de bain dans une habitation que nous connaissons bien. Nous pouvons visualiser notre déplacement d’une pièce à l’autre ou d’un lieu à un autre, par exemple entre notre domicile et notre lieu de travail.
  3. Les informations spatiales sont codées sous un format rendant compte de leurs propriétés spatiales. Le calepin visuospatial peut mémoriser jusqu’à quatre informations de différents types : couleur, forme, vitesse et position d’un objet perçu par le système visuel. Il constitue un système de codage et de manipulation à la fois des formes visuelles et des images mentales ainsi que de la référence spatiale des objets.
  4. Le calepin visuospatial permet la rotation mentale, l’exploration de l’image mentale, le codage ou recodage spatial. Il joue ainsi un rôle dans toute activité cognitive consistant à manipuler des images mentales de nature visuelle. Cela est par exemple le cas si nous demandons à un individu d’imaginer un arbre, de regarder l’image mentale de l’arbre vu du dessus ou vu du dessous. Nous activons également le calepin visuospatial quand quelqu’un nous demande le chemin pour se rendre quelque part. Le processus d’imagination visuel ou spatial utilise le calepin visuospatial.
  5. Le calepin visuospatial semble fonctionner de manière quelque peu indépendante de la boucle phonologique. Par exemple, nous sommes capables de répéter un numéro de téléphone en boucle (phonologique) tout en essayant de retrouver notre téléphone que nous avons déposé quelque part (calepin visuospatial). Cela suggère que le calepin visuospatial et la boucle phonologique impliquent des processus cognitifs distincts.



L’administrateur central (ou contrôleur exécutif ou exécutif central)


L’administrateur central est responsable du contrôle attentionnel de la mémoire de travail. Aussi appelé contrôleur exécutif (central executive en anglais), ce sous-système correspond au mécanisme attentionnel de contrôle et de coordination des deux sous-systèmes précédents. La boucle phonologique et le calepin visuospatial en sont en quelque sorte les sous-systèmes esclaves.

Ses rôles sont fondamentaux :
  • Il intègre les informations issues des deux sous-systèmes et les met en relation avec les connaissances conservées en mémoire à long terme. 
  • Il dirige l’attention vers l’information pertinente et inhibe l’information non pertinente et les actions inappropriées
  • Il coordonne les processus cognitifs.

L’administrateur central exerce quatre fonctions :

1. L’administrateur central coordonne les opérations nécessaires à l’exécution d’une tâche ou de plusieurs tâches simultanées :
  • Cette coordination comprend la gestion de l’attention portée aux tâches verbales et visuospatiales et la gestion des priorités. 
  • L’administrateur central décide lequel -, ou lesquels, — des éléments, parmi la boucle phonologique, la mémoire tampon (nous en reparlons un peu plus loin) et le calepin visuospatial, doit intervenir.

2. L’administrateur central permet aussi l’automaticité : 
  • Par exemple, nous pouvons marcher ou conduire en parlant, car ces tâches de déplacement sont automatisées. 
  • Il doit également pouvoir rompre les automatismes, c’est-à-dire les inhiber au profit de la réalisation de la tâche demandée.

3. L’administrateur central sélectionne les informations qui doivent être traitées, activées ou inhibées :
  • La définition de la pertinence des informations est un enjeu dans de nombreuses tâches. 
  • Les stimuli doivent être triés, les connaissances en mémoire à long terme doivent être activées si nécessaire en fonction du stimulus.
  • Dans le même temps, les autres informations et activités doivent être inhibées.

4. L’administrateur central gère les connaissances et le fonctionnement de la mémoire à long terme :
  • Il recherche et active les procédures, les connaissances et les règles qui sont nécessaires pour effectuer une tâche.
  • Il les maintient en activité et les manipule ce qui est crucial dans l’acquisition de nouvelles connaissances.



La mémoire tampon (ou buffer) épisodique


Ce quatrième composant a été ajouté ultérieurement au modèle. C’est au niveau de ce tampon que l’administrateur central peut regrouper les informations issues des sous-systèmes et de la mémoire à long terme. Il stocke l’information temporairement pendant la durée de réalisation de la tâche.

C’est un système de stockage temporaire situé entre les composants de la mémoire de travail (boucle phonologique et calepin visuospatial).

Ce système sert également à faire le lien entre :
  • La mémoire de travail et la perception.
  • La mémoire de travail et la mémoire à long terme.

La mémoire tampon épisodique pourrait maintenir des représentations codées sous des formes multiples, à la fois verbales et visuospatiales.


Le modèle de Baddeley propose un administrateur central et nous percevons à la lecture de ses fonctions qu’il est un élément particulièrement essentiel pour l’apprentissage.

Si nous mettons ce sous-système de la mémoire de travail en relation avec le paradigme constructiviste de l’élève construisant ses propres savoirs, des incompatibilités sont évidentes.

Il apparaît assez évident qu’il est difficile de pouvoir considérer qu’un élève pilotant son propre apprentissage puisse être aussi efficace que l’élève guidé par un enseignant. Combien d’impasses, combien de sorties de routes conceptuelles différentes, l’élève empruntera-t-il dans le cadre d’une pédagogie constructiviste avant de construire le sens qui se dérobe à lui ?

Son administrateur central ne peut que fonctionner en rapport avec les connaissances déjà acquises. Si cela implique un changement de modèle de connaissance, il est assez évident que la construction des apprentissages peut s’accompagner d’incertitudes et de troubles.

De la même manière, l’enseignement par petits pas promu par la démarche explicite est un réel accompagnement de cet administrateur central. Il permet d’offrir une grande clarté sur les limites de certaines connaissances précédentes et sur la nécessité de liens et d’ajustements rendus nécessaires par les nouveaux apprentissages. Il y a une réelle prise en compte de ses spécificités.


Le parcours que suivent les élèves en mathématiques dans le secondaire implique de multiples ajustements. Ceux-ci ont lieu par exemple au fur et à mesure que l’on introduit les fonctions du premier degré puis celles du second degré. Nous élargissons ensuite aux fonctions usuelles puis aux notions de dérivées et d’intégrales. L’acquisition d’une bonne vision d’ensemble de la matière demande un pilotage fin de la part des enseignants, avec de multiples retours et questionnements des élèves, afin d’assurer une consolidation et un approfondissement des connaissances.

Sans cela des zones de flou et de confusion, qui fragilisent les apprentissages, sont amplifiées.

Quand nous prenons en considération l’existence de cet administrateur central de la mémoire de travail, cela permet d’avoir une grille de lecture des difficultés des élèves. Elle montre qu’un enseignement explicite lié à d’autres approches efficaces comme l’espacement, l’élaboration, l’entremêlement ou les pratiques de récupération, est précieux.




L’imbrication avec la mémoire à long terme dans le modèle de Cowan


La mémoire de travail tire profit des informations stockées en mémoire à long terme.



Le modèle de Cowan


Selon le modèle de Cowan, la mémoire de travail ne représente que la partie activée de la mémoire à long terme. Autrement dit, les représentations en mémoire de travail sont un sous-ensemble des représentations en mémoire à long terme.




(source : François Maquestiaux, Psychologie de l’attention, Deboeck, p 173, 2017)


Le focus attentionnel correspond au traitement d’un sous-ensemble de la partie des représentations temporairement activées en mémoire de travail.

Il existe donc deux niveaux imbriqués :

1) Le premier niveau correspond aux représentations activées en mémoire à long terme. Elles peuvent être très nombreuses, car la capacité de la mémoire à long terme n’est pas limitée :
  • Les limites de la mémoire de travail ne s’appliquent qu’aux nouvelles informations qui doivent encore être apprises et qui n’ont pas été stockées dans la mémoire à long terme. Il n’y a pas de limites connues à la quantité de ces informations qui peuvent être stockées dans la mémoire de travail à partir de la mémoire à long terme.
  • L’information peut être ramenée d’une mémoire à long terme à la mémoire de travail sur des périodes indéfinies. Les limites temporelles de la mémoire de travail deviennent sans importance.
Cette modification des caractéristiques de la mémoire de travail lors du traitement de matériaux familiers par opposition à des matériaux non familiers a incité d’autres chercheurs (Ericsson et Kintsch, 1995) à proposer une structure séparée. Celle-ci est la mémoire de travail à long terme, pour traiter des informations bien apprises et automatisées.

Ils la définissent comme un ensemble de structures de récupération dans la mémoire à long terme qui permettent un accès transparent à l’information pertinente pour les tâches quotidiennes. De cette façon, des parties de la mémoire à long terme fonctionnent efficacement comme mémoire de travail.


2) Le second niveau correspond à la partie la plus activée, le focus attentionnel, qui, lui, a une capacité limitée : il peut contenir quatre représentations tout au plus. Le focus attentionnel correspond au traitement d’un sous-ensemble de la partie des représentations temporairement activées.


L’approche socioconstructiviste ne semble pas prendre en compte les limites de la mémoire de travail lorsqu’il s’agit d’informations nouvelles. Ces limites ne disparaissent que lorsqu’il s’agit d’une information familière. L’importance de la mémoire de travail est non seulement négligée, mais les recommandations d’un guidage minimal des élèves durant l’enseignement constituent un frein réel au fonctionnement de celle-ci.

Malgré son importance pour la récupération et l’encodage d’information en mémoire à long terme, la mémoire de travail est mise en difficulté et saturée par l’approche de la découverte. Nous pouvons en déduire qu’il s’agit d’une raison primaire de son manque d’efficacité maintes fois mis en évidence par la recherche en éducation.

À l’opposé, l’enseignement explicite et son approche progressive par petits pas, semble conçu comme une optimisation des ressources de la mémoire de travail. De même, les pratiques de questionnement et de pratique guidée permettent à l’enseignant de surveiller en continu l’apprentissage des élèves et lui permettent d’éviter un biais cognitif lié à ses propres capacités. En effet bénéficiant des larges capacités de sa mémoire à long terme concernant les matières enseignées, l’enseignant n’a pas de limitation sur sa mémoire de travail et pourrait négliger celles ressenties par ses élèves.




L’importance de l’attention et le modèle d’Oberauer


Le modèle d’Oberauer


Il est possible de maintenir en mémoire quatre informations nouvelles, par exemple des nombres en même temps dans le focus attentionnel tel que défini par Cowan.

Cependant, si nous souhaitons effectuer une opération sur chacun de ces nombres, par exemple leur ajouter deux, il sera nécessaire de traiter séparément chaque nombre.

Oberauer a étendu le modèle de Cowan en ajoutant un troisième composant, un focus attentionnel plus étroit qui ne peut contenir qu’un seul élément à la fois.

Le composant attentionnel d’Oberauer sélectionne l’un des nombres pour l’opération puis déplace le focus attentionnel au nombre ou au chiffre suivant, jusqu’à ce que l’ensemble des nombres aient été traités.

Pour Oberauer, la mémoire de travail est un système attentionnel. Il s’agit d’un mécanisme ou d’un processus qui donne la priorité à un sous-ensemble de représentations par rapport à d’autres. Cela donne ainsi aux représentations sélectionnées une influence plus importante sur les processus cognitifs à venir.


Le concept d’un focus attentionnel étroit tend à montrer toute l’importance du guidage. Ses performances dépendent grandement des informations déjà stockées en mémoire de travail et par définition, lors d’une phase d’apprentissage. Elles sont naturellement absentes chez l’élève, mais présentes chez l’enseignant à travers sa mémoire à long terme.


Oberauer est également l’un des premiers à distinguer :
  • La mémoire de travail déclarative : mémoire de travail pour penser.
  • La mémoire de travail procédurale : mémoire de travail pour agir.
Les mémoires de travail déclarative et procédurale opèrent selon des principes analogues, mais ont des capacités limitées distinctes.



La mémoire de travail déclarative :
  • Elle fournit de l’information au sujet du monde : état actuel de l’environnement (interne et externe), les souvenirs et la connaissance de faits.
  • Cette information est représentée dans un format verbal qui peut être utilisé de façon flexible pour la communiquer et la manipuler.


La mémoire de travail procédurale :
  • Elle guide les opérations cognitives et le choix de l’action en spécifiant ce qu’il faut faire selon les circonstances.
  • Les représentations procédurales sont des sortes de règles condition-action, où la condition décrit les circonstances pour lesquelles la procédure s’applique, et la composante action définit ce qu’il faut faire.
  • Même si les représentations procédurales doivent être traduites dans un format déclaratif pour être communiquées (comme une règle verbale lors d’instructions), elles ne sont pas déclaratives en elles-mêmes.
  • Les représentations déclaratives, telles que des instructions, sont systématiquement traduites en procédures qui génèrent les actions.
  • La cognition et l’action sont contrôlées par des représentations procédurales.

Le contenu de la mémoire de travail procédurale correspond à des représentations de la mémoire procédurale à long terme sur lesquelles l’attention est portée, les sélectionnant ainsi pour guider les opérations cognitives effectuées sur les représentations déclaratives.

Le principe d’une mémoire de travail procédurale est particulièrement intéressant si nous considérons l’apprentissage de matières comme les mathématiques, la physique ou la chimie. Celles-ci contiennent nombre d’informations déclaratives, mais profondément agencées dans un réseau de procédures des plus simples au plus complexes.
 

Comme nous le voyons, les procédures ne sont pas stockées sous forme d’instructions déclaratives et c’est là qu’est tout l’enjeu de l’enseignement et de la pédagogie. Le fait d’avoir une expertise dans une procédure ne la rend pas directement aisée à partager et à enseigner. Elle doit d’abord être retraduite sous forme déclarative pour être réceptionnée et comprise sous cette forme par le destinataire. Le destinataire à son tour la transformera sous forme procédurale dans sa mémoire à long terme. 

L’avantage des démarches d’enseignement explicite est dès lors évident avec un guidage accru et une exploration exhaustive des différentes spécificités des connaissances et procédures enseignées. C’est tout l’intérêt du haut-parleur sur la pensée lors du modelage.

L’approche dans laquelle un élève est amené à construire ses propres connaissances est de loin plus aléatoire lorsque nous considérons l’acquisition de procédures. Même si cela se produit, qu’est-ce qui garantit que les procédures construites par l’élève sont optimisées et rendent compte de l’ensemble des nuances désirées ? Et au prix de combien de tâtonnements ?



Légitimité du modèle de la mémoire de travail


Comme l’écrit David Didau (2019), la théorie de la charge cognitive s’appuie sur un modèle de la cognition humaine vieux de plusieurs décennies, le modèle de la mémoire de travail. Celui-ci a connu de multiples évolutions et en connaitra encore.

Comme tous les modèles, il se base sur des simplifications et ne rend pas parfaitement compte de toute la complexité du réel. Cependant, le modèle de la mémoire de travail est l’un des fondements sur lesquels reposent la plupart des sciences cognitives, car il permet de faire des prédictions utiles et vérifiables sur la façon dont nous pensons et apprenons.

La science avance et dans de multiples domaines, de nouveaux modèles sont régulièrement développés et d’anciens modèles sont mis au point.

Il se peut qu’à un moment donné dans l’avenir, certaines découvertes annulent les quatre dernières décennies de recherche dans ce domaine, mais ce n’est pas particulièrement probable. Tout au plus, nous pouvons nous attendre à des adaptations. L’avantage de ce modèle est une certaine forme de simplicité qui le rend utile pour interpréter pourquoi certaines pratiques enseignantes sont plus efficaces que d’autres.



En conclusion


Les approches basées sur la découverte ou constructivistes exigent de l’apprenant qu’il recherche dans une situation problème des informations pertinentes pour élaborer une réponse. L’idée est qu’il en profite par la même occasion pour construire ses connaissances en interaction.

La confrontation de ces conceptions avec les principes régissant la mémoire de travail est sans appel. Cela ne peut marcher lorsque les apprentissages sont exigeants et nécessitent un rendement, il y a alors une antinomie avec l’idée même d’efficacité.

Lorsque la matière est complexe, ces approches conduisent à une saturation de la mémoire de travail qui ne permettra que peu de transferts en mémoire à long terme et peu d’apprentissage.

Il y a en effet une profonde différence entre le fait de rechercher des solutions aux problèmes et consolider des connaissances à long terme. En effet, il est possible de faire des recherches sur de longues périodes avec un minimum d’altérations de la mémoire à long terme.

Le but de l’instruction est rarement de simplement rechercher ou découvrir de l’information ou une solution, ce qui revient dans un sens à réinventer la roue en permanence. L’influence sur la plasticité du cerveau n’est alors que minimale.

L’objectif de l’enseignement est de donner aux apprenants des conseils spécifiques sur la façon de manipuler cognitivement l’information. L’objectif des apprentissages est de stocker le résultat dans la mémoire à long terme. Ce processus est exigeant. Il se place dans une démarche d’optimisation de la plasticité du cerveau.

Basé sur des données probantes, l’enseignement explicite converge dans ses principes avec des résultats d’autres recherches en psychologie cognitive ou en neurosciences.



Mise à jour le 20/03/2022






Bibliographie


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