lundi 31 mai 2021

Mise en œuvre du tutorat dans un contexte d’enseignement

Qu’est-ce que le tutorat ? Quel est son intérêt ? Que dit la recherche sur ses effets ? Comment le mettre en œuvre efficacement ?

(Photographie : Erik Mowinckel)



Caractéristiques et principes du tutorat


Le tutorat apparait dans une école lorsqu’un enseignant explique de la matière à un groupe réduit d’élèves en dehors des heures de cours proprement réservées à l’enseignement en groupe classe complet. 

Souvent, cela concerne un ou plusieurs élèves qui ont été absents pour cause de maladie ou qui peuvent rencontrer des difficultés spécifiques par la présence de certaines lacunes dans leurs connaissances préalables. Ces retards n’ont pu être résorbés dans le contexte de la classe ou du travail autonome de l’élève à domicile. 

Le tutorat est une forme d’intervention éducative qui propose un enseignement supplémentaire, parfois en tête à tête, parfois en petit groupe. Il ne remplace pas les cours en classe, mais s’ajoute aux heures d’enseignement normales.

Le tutorat complète et enrichit l’enseignement régulier, plutôt que de le remplacer ou de composer avec ses lacunes. Il est susceptible d’être délivré par des enseignants, des paraprofessionnels, des bénévoles ou des parents. Il ne s’agit pas de simplement donner un temps supplémentaire, mais souvent d’aborder les contenus avec des démarches plus intensives et personnalisées.

Le tutorat est l’un des outils éducatifs utilisés aujourd’hui les plus potentiellement susceptibles d’avoir un impact positif sur l’apprentissage des élèves.

Les programmes de tutorat se classent parmi les types de programmes d’apprentissage les plus flexibles et polyvalents et potentiellement les plus transformateurs disponibles au niveau de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire.




Le problème des 2 sigmas lié au tutorat


Il existe de nombreuses preuves scientifiques montrant que le tutorat est l’un des outils les plus efficaces pour soutenir l’apprentissage. Quiconque a un tant soit peu enseigné sait que le tutorat est efficace. 

Les preuves remontent à Benjamin Bloom (1984). Ce dernier a montré que dans le cas d’une leçon individuelle, la performance moyenne d’un élève est supérieure de deux écarts-types (2 sigmas) à celle d’une classe type de trente élèves. Une telle amélioration générale signifie que l’élève moyen qui a participé à la leçon individuelle obtient de meilleurs résultats que 98 % des élèves qui ont suivi l’enseignement classique en groupe classe.

Bloom aboutit à une question emblématique. Pouvons-nous développer des manières d’obtenir le même type de résultats dans des conditions d’enseignement en groupe que dans des conditions de tutorat ? 

Selon Benjamin Bloom (1984), le processus de tutorat démontre que la plupart des élèves ont le potentiel pour atteindre un haut niveau d’apprentissage. L’enjeu de l’enseignement consiste à chercher des moyens d’y parvenir dans des conditions plus pratiques, organisables et réalistes que celles du tutorat individuel. 

En effet, le tutorat individuel est trop coûteux pour être supporté à grande échelle dans la plupart des sociétés.




Mécanismes liés à l’efficacité du tutorat


Il y a plusieurs raisons possibles pour expliquer l’impact positif du tutorat sur l’apprentissage :

  • Le tutorat aide les élèves qui ont pris du retard en leur donnant simplement plus de temps d’instruction.
  • Le tutorat offre la possibilité de personnaliser le processus d’apprentissage. Il est plus facile d’enseigner au niveau approprié lorsque nous avons 3 à 6 élèves que lorsque nous en avons plus de 30. 
  • La relation de mentorat générée par la relation entre le tuteur et l’élève permet d’accorder une attention et une concentration personnelles. Elle a un impact positif sur l’apprentissage.
  • L’utilisation d’approches pédagogiques efficaces de type enseignement explicite avec un niveau d’étayage adaptatif est également bénéfique dans le cadre du tutorat. 




Le retour des méta-analyses sur le tutorat


Selon Dietrichson et ses collègues (2017), le tutorat permet de concevoir des stratégies qui répondent aux besoins individuels des élèves. Ces chercheurs sont partis du constat que le statut socio-économique est un indicateur majeur de la réussite scolaire. Ils ont réalisé une revue systématique et une méta-analyse pour chercher à identifier les interventions scolaires efficaces pour les élèves du primaire et du collège ayant un faible statut socio-économique.  

Leur analyse a montré qu’il existe des interventions qui améliorent les résultats scolaires des élèves de faible statut socio-économique. Il existe également une variation substantielle dans leurs tailles d’effet. Les tailles d’effet de nombreuses interventions indiquent qu’il est possible d’améliorer considérablement les résultats scolaires du groupe cible. 

Ils ont obtenu des tailles d’effet moyennes de :

  • 0,36 pour le tutorat
  • 0,32 pour la rétroaction et le suivi des progrès
  • 0,22 pour l’apprentissage coopératif 

Ces trois types d’interventions ont des tailles d’effet moyennes relativement importantes et robustes. Le tutorat en particulier dispose d’une base de recherches solides constituée de nombreux essais contrôlés randomisés, ce qui n’est pas le cas des autres types d’interventions.

L’ampleur des tailles d’effet moyennes n’est pas suffisamment importante pour combler l’écart entre les élèves de statut socio-économique élevé et faible. Cependant, elle représente une réduction substantielle de cet écart si elle est ciblée sur les élèves de statut socio-économique faible. Ces résultats indiquent qu’il est possible pour les écoles et les acteurs locaux d’améliorer considérablement les résultats scolaires des élèves de faible statut socio-économique.

Une étude récente (Nickow, Oreopoulos, & Quan, 2020) a montré que les programmes de tutorat ont un impact positif constant et substantiel sur les résultats d’apprentissage. Ils ont établi une estimation de la taille globale de l’effet cumulé de 0,37 écart-type :

  • Les effets sont plus importants, en moyenne, pour les programmes de tutorat des enseignants et des paraprofessionnels que pour le tutorat non professionnel et le tutorat des parents. 
  • Les effets tendent également à être plus importants dans les premières années de la scolarité. 
  • Les effets globaux des interventions en lecture et en mathématiques sont similaires. Le tutorat en lecture a tendance à produire des effets plus importants dans les premières années d’études. Le tutorat en mathématiques a tendance à produire des effets plus importants dans les dernières années d’études. 
  • Les programmes de tutorat menés pendant le temps d’école ont tendance à avoir des impacts plus importants que ceux menés après l’école.

Le gain d’apprentissage moyen pour les interventions de tutorat est de 0,37 écart-type. Cela signifie statistiquement que 64 % du groupe d’élèves ayant bénéficié d’un tutorat obtiendra un score supérieur à la moyenne du groupe d’élèves n’ayant pas bénéficié d’un tutorat.




L’intérêt du cours particulier pour la remédiation


Les cours particuliers sont assurés par un enseignant, un assistant ou un autre adulte qui apporte à l’élève un soutien individuel intensif. Il peut avoir lieu en dehors des cours normaux, en tant qu’enseignement complémentaire.

Il est prouvé que les cours particuliers peuvent être efficaces. Des sessions courtes et régulières (environ 30 minutes, trois à cinq fois par semaine) sur une période déterminée (six à douze semaines) semblent avoir un impact optimal. 

Selon l’EEF (2018), il est prouvé que les cours particuliers peuvent être efficaces, permettant des grains de temps d’environ cinq mois supplémentaires en moyenne.

Les données disponibles suggèrent également que les cours individuels devraient s’ajouter à l’enseignement normal et y être explicitement liés. Les enseignants devraient suivre les progrès réalisés pour s’assurer que le tutorat est bénéfique. 

Les études comparant les cours particuliers aux cours en petits groupes donnent des résultats mitigés. Dans certains cas, les cours particuliers ont permis une amélioration plus importante, tandis que dans d’autres, les cours en groupes de deux ou trois ont été tout aussi efficaces, voire plus. 

La variabilité des résultats peut suggérer que c’est le type particulier ou la qualité de l’enseignement dispensé par de très petits groupes qui est important, plutôt que la taille précise du groupe. 

Les programmes impliquant des assistants d’enseignement ou des bénévoles peuvent avoir un impact précieux. Cependant, ils ont tendance à être moins efficaces que ceux qui font appel à des enseignants expérimentés et spécifiquement formés, qui ont près de deux fois plus d’effet en moyenne. Lorsque les cours sont assurés par des bénévoles ou des assistants d’enseignement, la formation et l’utilisation d’un programme structuré sont recommandées.




Les cours en petits groupes pour la remédiation


Certains éléments indiquent que les cours en petits groupes peuvent offrir des avantages similaires à un coût moindre par rapport au cours particulier. 

L’enseignement en petits groupes est défini comme un enseignant travaillant avec deux à cinq élèves regroupés. Cette formule permet à l’enseignant de se concentrer exclusivement sur un petit nombre d’élèves, généralement dans une classe ou un espace de travail séparé. 

Les cours intensifs en petits groupes sont souvent assurés pour aider les élèves les moins performants ou ceux qui sont à la traîne. Ils peuvent également être utilisés comme une stratégie plus générale pour assurer une progression efficace ou pour enseigner des sujets ou des compétences difficiles. 

Le tutorat en petits groupes est efficace et, en règle générale, plus le groupe est petit, mieux c’est. Les cours en groupes de deux ont un impact légèrement plus important que les cours en groupes de trois, mais un impact légèrement plus faible que les cours individuels. 

Certaines études suggèrent qu’un plus grand retour d’information de la part de l’enseignant, un engagement plus soutenu dans des groupes plus petits ou un travail mieux adapté aux besoins des apprenants expliquent cet impact. 

Une fois que la taille du groupe augmente au-delà de six ou sept personnes, nous constatons une réduction notable de l’efficacité. Nous nous retrouvons alors dans une structure plus proche du cours traditionnel donné par un enseignant. 

Cependant, il existe une certaine variabilité dans l’impact au sein des preuves existantes. Par exemple, en lecture, l’enseignement en petits groupes peut parfois être plus efficace que les cours particuliers ou jumelés. 

Cette variabilité suggère que :

  • La qualité de l’enseignement en petits groupes peut être aussi importante, voire plus importante que la taille précise du groupe. 
  • Le développement des compétences professionnelles de l’enseignant a un effet bénéfique sur les résultats des élèves.
  • Il est important d’évaluer l’efficacité liée à l’association ente la matière spécifique enseignée et la composition des groupes.

Les cours en petits groupes peuvent être une approche raisonnable à essayer avant d’envisager un cours individuel. Les cours en petits groupes ont plus de chances d’être efficaces s’ils sont ciblés sur les besoins spécifiques des élèves.




La mise en place du tutorat en contexte scolaire


Différentes constatations se font sur l’implémentation du tutorat en contexte scolaire :

  • Le tutorat et les cours en petits groupes conviennent plus particulièrement dans le cadre du niveau 2 de la réponse à l’intervention. 
  • Un tutorat efficace impose que les enseignants qui assurent les cours en petits groupes soient formés à cet effet.
  • Le tutorat fonctionne mieux pour les jeunes élèves de l’enseignement primaire, mais il a également des effets positifs dans l’enseignement secondaire. 
  • Le tutorat a été principalement étudié dans le contexte des mathématiques et du langage, mais peut être appliqué à d’autres matières. 
  • Le tutorat semble plus efficace lorsqu’il est organisé à l’école, plutôt qu’en dehors de l’école ou hors du temps scolaire. 
  • Le temps consacré au tutorat varie beaucoup, mais un tutorat efficace dure rarement plus d’une heure, est donné une à quatre fois par semaine et dure rarement plus de 20 semaines consécutives sur un sujet donné. 
  • Le tutorat s’arrête lorsque l’élève a rattrapé le temps perdu. Idéalement, le nombre d’élèves dans le groupe de tuteurs est limité d’un à trois élèves et ne dépasse certainement pas sept.
  • Les environnements d’apprentissage numériques et personnalisés n’obtiennent pas le même effet que le tutorat humain. 




La différence entre tutorat informel, internalisé ou structurel


Le cas du tutorat informel


Fournir un tutorat à petite échelle (c’est-à-dire non structurel) aux élèves qui ont pris du retard fait partie du cœur de métier de l’éducation. Parfois, il suffit de cinq minutes d’instruction ou d’attention supplémentaire pour faire l’affaire. Parfois, un élève ne comprendra pas quelque chose avant que son enseignant ne l’ait expliqué une quatrième fois. Si c’est le cas, l’enseignant a la responsabilité de donner effectivement cette explication quatre fois. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas d’un appel aux enseignants pour qu’ils renoncent à toutes leurs pauses et qu’ils donnent des tas de cours à tout moment.

De nombreux enseignants s’engagent spontanément dans le tutorat, souvent sans même se rendre compte qu’une brève explication supplémentaire en classe peut avoir plus d’impact que nous ne pourrions le penser. Ce tutorat informel peut émerger à l’intérieur du temps de cours comme à la marge de celui-ci lorsque l’enseignant redonne une explication cinq minutes après le cours, sur le temps d’une récréation.



Le cas du tutorat internalisé


Le tutorat peut-être pensé et incorporé structurellement à l’intérieur d’un cours sous une forme structurelle. Lors de la pratique autonome, un enseignant peut laisser les élèves les plus avancés travailler individuellement ou en petits groupes et offrir une séance de tutorat à un groupe réduit d’élèves présentant une difficulté particulière. Le co-enseignement est une autre modalité qui facilite cette approche.



Le cas du tutorat structurel


Le tutorat structurel est différent de celui qui est informel. Il correspond aux élèves qui ont besoin d’une ou deux heures de cours supplémentaires (remédiation) pour une matière ou l’autre chaque semaine. 

Ce type de tutorat structurel est plus difficile à mettre en place et il ne serait ni juste ni réaliste d’attendre des enseignants qu’ils y consacrent du temps spontanément et bénévolement. Il demande des ressources. Le tutorat structurel en petits groupes est coûteux. Il nécessite de nombreux enseignants et des ressources que les écoles ne possèdent souvent pas. 

L’engagement en faveur du tutorat structurel exige une vision bien réfléchie au niveau de l’école. Cette vision doit être adaptée aux besoins de l’école et du public d’élèves et dans une logique d’utilisation des ressources telle que la réponse à l’intervention le promeut.



Mise à jour le 18/12/2023


Bibliographie


Tim Surma, Paul Kirschner and Daniel Muijs, Waarom bijles op school een groot verschil maakt, 2020, https://excel.thomasmore.be/2020/08/waarom-bijles-op-school-een-groot-verschil-maakt

EEF, One to one tuition, https://educationendowmentfoundation.org.uk/evidence-summaries/teaching-learning-toolkit/one-to-one-tuition/ , 2018

EEF, Small group tuition, https://educationendowmentfoundation.org.uk/evidence-summaries/teaching-learning-toolkit/small-group-tuition/ , 2018

Dietrichson, J., Bøg, M., Filges, T., & Klint Jørgensen, A. M. (2017). Academic interventions for elementary and middle school students with low socioeconomic status: A systematic review and meta-analysis. Review of Educational Research, 87(2), 243–282

Nickow, A. J., Oreopoulos, P., &Quan, V. (2020). The impressive effects of tutoring on preK-12 learning: A systematic review and meta-analysis of the experimental evidence. (EdWorkingPaper: 20–267). Retrieved from Annenberg Institute at Brown University: https://doi.org/10.26300/eh0c-pc52

Bloom BS. The 2 Sigma Problem: The Search for Methods of Group Instruction as Effective as One-to-One Tutoring. Educational Researcher. 1984;13(6):4-16

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