Les adolescents ne répondent pas toujours aux normes que nous leur imposons en tant qu’enseignants. Il y a régulièrement un décalage entre nos attentes et leurs comportements. Comment l’attention peut-elle nous aider à le comprendre ?
Trois facteurs à prendre en compte dans le comportement des adolescents
Trois spécificités de l’adolescence en lien avec des attentes comportementales :
- Comparés aux enfants, les adolescents ont de plus en plus une apparence d’adulte. Cette similitude physique peut nous amener à considérer qu’ils peuvent également se comporter comme des adultes, ce qui n'est pas toujours le cas.
- Compte tenu de leur plus grande autonomie et des enjeux scolaires qui pèsent sur leurs épaules, les conséquences des carences des adolescents peuvent être beaucoup plus graves et plus risquées que pour les enfants plus jeunes. Les adolescents disposent naturellement d’une plus grande liberté d’exploration de leur environnement et d’une autonomie plus large que les enfants plus jeunes. Dès lors, ils ont donc beaucoup plus de possibilités de se retrouver dans des situations périlleuses.
- D’un point de vue psychologique, nous savons que les adolescents ont la capacité de produire les comportements que nous aimerions qu’ils adoptent. Ils ne le font pas toujours. Ils sont inconstants. À ce titre, ils sont parfois non fiables.
L’attention est un facteur qui peut contribuer à expliquer au niveau de développement cérébral pourquoi un adolescent peut agir de manière adulte à certains moments, mais à d’autres moments se révéler immature.
Le développement des fonctions exécutives à l’adolescence
Bien avant l’adolescence, la majorité des processus mentaux que notre cerveau est capable d’exécuter sont en place et fonctionnels. Nos systèmes sensoriels, qui sont capables de traiter sélectivement et d’interagir avec les informations de notre environnement sont presque entièrement développés dès l’âge de neuf ans. Des capacités encore plus complexes et plus tardives associées à la pensée adulte, telles que les fonctions exécutives sont dans de nombreux cas développées dès le début de l’adolescence.
Les fonctions exécutives sont généralement divisées en trois composantes clés :
- L’inhibition : la capacité à inhiber ce qui pourrait être une réaction réflexe ou habituelle en faveur d’une autre
- La mémoire de travail
- La flexibilité : la capacité à aborder un problème avec souplesse en l’analysant sous différents angles
Pour ces trois composantes, nous sommes en mesure de montrer à l’aide de tests qu’à l’âge de quatorze ans environ, les performances se rapprochent généralement des niveaux des adultes.
Il apparait que les adolescents possèdent les compétences exécutives nécessaires pour accomplir ces tâches avec succès dans certaines situations, mais pas dans toutes.
Le développement du cerveau à l’adolescence et les limites qui en découlent
Durant l’adolescence, le cerveau reste en plein développement. Les études d’imagerie cérébrale montrent très clairement qu’il subit encore de nombreux changements. Cette réorganisation et ce développement se poursuivent au moins jusqu’au milieu de la vingtaine, voire plus longtemps encore.
La principale zone de changement semble se situer dans le lobe frontal. Les zones frontales sont parmi les dernières à atteindre leur maturité. Or c’est la partie du cerveau qui semble jouer un rôle central dans le contrôle de nos fonctions exécutives.
Notre lobe frontal est au centre du processus chaque fois que nous avons besoin :
- D’inhiber notre comportement habituel
- D’ignorer ou de repousser quelque chose qui serait plus intéressant que ce que nous faisons actuellement
- Ou de réfléchir sérieusement et raisonner sur un sujet donné
Il semblerait donc étrange que ce développement encore en cours au niveau du lobe frontal ne se reflète pas d’une manière ou d’une autre dans le comportement. Cela suggère que même si les jeunes de 14-15 ans peuvent effectuer à un niveau adulte certaines tâches liées aux fonctions exécutives, il existe d’autres tâches, plus exigeantes, qu’ils pourraient trouver difficiles.
Cette capacité à effectuer certaines tâches, mais pas d’autres pourrait nous aider à expliquer les incohérences comportementales classiques reprochées aux adolescents.
Il apparait que certains facteurs au niveau du fonctionnement de la prise de décision sont non-optimaux :
- Il existe une sensibilité accrue des adolescents à certaines formes de distraction, particulièrement celles liées aux émotions et aux récompenses.
- Il est plus difficile pour les adolescents de prendre des décisions prudentes, non prématurées et de renoncer à une prise de risque.
- Les adolescents n’analysent pas leur environnement aussi efficacement que les adultes. Il est plus difficile pour eux de déterminer quand il convient ou non d’exprimer certains comportements.
L’impact de la distraction liée aux émotions et aux récompenses à l’adolescence
En fonction des circonstances, les adolescents peuvent très bien accomplir certains types de tâches liées à l’inhibition ou l’attention, qui sont couramment utilisées dans la recherche. Les performances atteignent généralement le niveau adulte au milieu de l’adolescence (à environ quatorze ans) dans des conditions neutres (Davies et coll., 2014).
Toutefois, lorsque les chercheurs introduisent certaines variantes de ce type de tâche, les résultats des adolescents peuvent se dégrader rapidement.
Par exemple dans la tâche originelle, le sujet doit déterminer le sens de la flèche centrale et ignorer celui des autres flèches périphériques.
Dans la tâche modifiée, le sujet doit identifier l’expression du visage placé au milieu (effrayé ou heureux), tout en ignorant celles des visages placés sur les côtés.
Dans cette tâche modifiée, cependant, même les adolescents plus âgés (15-19 ans) s’avèrent moins précis que les adultes. Ils mettent également plus de temps que les adultes à réagir lorsque des visages effrayés accompagnent un visage heureux. Cette manifestation suggère que les adolescents ont plus de mal à ignorer les visages chargés d’émotion (Grose-Fifer et coll., 2013).
La distraction émotionnelle des adolescents plus âgés a également été observée en utilisant d’autres types de tâches (Cohen-Gilbert et coll., 2013).
Dans une étude sur l’association de mots d’émotion (« heureux », « triste » ou « peur ») à des images de visages exprimant ces émotions, les performances des adolescents ont chuté en dessous de celles des jeunes enfants. Elles ne sont revenues à leur niveau prépubère qu’à l’âge de 16-17 ans (McGovern et coll., 2002).
Des résultats similaires ont été mis en évidence dans le cadre de récompenses. Les adolescents semblent plus sensibles aux récompenses que ne le sont les adultes. Ils sont plus distraits par des images qui étaient auparavant associées à une récompense, mais qui ne le sont plus par la suite (Roper et coll., 2014).
Cette réponse accentuée liée à la récompense qui apparait lorsqu’ils sont occupés à choisir la bonne action à accomplir peut rendre les adolescents vulnérables à la prise de décisions impulsives ou erronées (Luna et coll., 2013).
Ce phénomène peut également expliquer pourquoi les adolescents semblent plus heureux que les adultes d’accepter des situations ambiguës, où le potentiel de récompense ou de préjudice n’est pas clair (Tymula, et coll. 2012).
Les apports d’une perspective évolutive pour comprendre l’adolescence
L’adolescence n’est pas un phénomène réservé à l’espèce humaine. Nous trouvons des similitudes comportementales chez d’autres mammifères. Il semble y avoir une fonction évolutive propre à l’adolescence.
D’un point de vue évolutif, il devient logique que les stimuli associés à des émotions ou des récompenses soient particulièrement efficaces pour capter l’attention des adolescents.
Les adolescents cherchent à acquérir les compétences utiles à une existence d’adulte autonome. Pour ce faire, les adolescents ont besoin de nouvelles expériences dans autant de situations différentes que possible.
En conséquence, les adolescents de diverses espèces tendent à privilégier des comportements de recherche de sensations. Ils donnent la priorité à ce qui est nouveau et stimulant (Laviola et coll., 2003).
Durant l’adolescence, les stimuli émotionnels et gratifiants sont plus susceptibles d’être préférés et distractifs qu’à d’autres époques de la vie. Cela se traduit par une tendance naturelle à la recherche de sensations (Casey et al. 2011).
De fait, les éléments liés aux émotions et aux récompenses sont des facteurs de distractions plus importants lors de l’adolescence. Parallèlement, les parties du cerveau importantes pour le traitement des émotions, de la motivation et des récompenses, comme l’amygdale, ont tendance à mûrir avant le lobe frontal.
Cela peut créer un déséquilibre. Les adolescents peuvent avoir développé de fortes réponses à certains stimuli (par le développement précoce de l’amygdale). Les outils nécessaires pour contrôler ces réponses de manière adéquate (à la suite d’un développement plus tardif du lobe frontal) peuvent ne pas être encore complètement fonctionnels.
Les conséquences d’une sensibilité accrue aux distractions à l’adolescence
Des études ont examiné l’activité du cerveau pendant les tâches incluant les fonctions exécutives. Elles ont montré que, même si elles peuvent mener à des résultats similaires, il y a des différences dans la manière dont les adolescents et les adultes y parviennent.
Les cerveaux des adolescents montrent des niveaux d’activité plus élevés que ceux des adultes lorsque nous leur demandons d’inhiber leurs réponses habituelles. L’engagement des fonctions exécutives nécessite un effort mental plus important chez l’adolescent que l’adulte (Ordaz et coll., 2013).
En parallèle, d’autres réseaux dans le cerveau qui sont associés à un état général de concentration et de focalisation montrent moins d’activité chez les adolescents que chez les adultes pendant les expériences. Cela suggère que les adolescents ont plus de mal à maintenir un état de focalisation qui leur permettra de répondre avec précision et d’ignorer les distractions (Velanova et coll., 2008).
Ces observations correspondent aux déclarations des adolescents, qui déclarent de plus hauts niveaux de vulnérabilité aux distractions extérieures que les jeunes adultes (Stawarczyk et coll., 2014).
Pris ensemble, ces résultats suggèrent que des adolescents peuvent être capables de produire des performances de niveau adulte. Toutefois, il est probable qu’il sera plus difficile et plus fatigant pour eux de le faire de manière constante et prolongée.
La difficulté liée à la prise en compte de la rétroaction à l’adolescence
Il existe des preuves que dans certaines conditions les adolescents n’apprennent peut-être pas aussi efficacement de leur environnement que des groupes d’âge différent.
Lorsque les adolescents sont en phase de recherche de sensation, leur soif de nouvelles expériences est forte. Néanmoins dans cette situation un apprentissage efficace ne semble avoir lieu qu’après des niveaux de récompense tout aussi élevés (Luciana et coll., 2012).
Une rétroaction neutre et minimale et un faible niveau de renforcement positif peuvent être plus que suffisants pour soutenir un apprentissage ou l’adaptation du comportement chez un adulte. C’est susceptible de ne pas être le cas chez un adolescent.
Le retour d’information et le renforcement doivent être suffisamment ciblés, clairs, explicites, saillants, sincères et authentiques pour les adolescents. De cette façon, ils peuvent favoriser un apprentissage chez eux et leur permettre d’atteindre une même efficacité que chez l’adulte. En effet, un adulte, non seulement analyse et réceptionne mieux le retour d’information, mais dispose de plus grandes capacités d’autorégulation.
Cette situation explique aussi pourquoi les adolescents peuvent avoir plus de difficultés à apprendre de leurs erreurs que les adultes et tendre à les répéter.
Des variations de paramètres sur des tâches complexes qui introduisent des facteurs de récompense ou des aspects émotionnels peuvent considérablement nuire au rendement des adolescents.
Des clés liées aux fonctions exécutives pour mieux comprendre le comportement des adolescents
Si nous considérons les apports de toutes ces recherches, la transposition du laboratoire vers la classe et le monde réel est peu évidente, car ces derniers contextes sont plus complexes.
Les différents phénomènes décrits dans les expériences en laboratoire nous permettent toutefois de comprendre et d’interpréter certains phénomènes observés auprès d’élèves lors de leurs apprentissages ou en classe.
Malheureusement, ils ne nous fournissent pas vraiment de recommandations nouvelles sur leurs prises en considération pour favoriser l’apprentissage des élèves.
Tout au plus valident-ils l’importance dans un cadre scolaire des différentes pratiques déjà mises en évidence par la recherche comme efficace. Il s’agit d’un enseignement explicite, des contenus, des stratégies et des comportements, d’une évaluation et d’une rétroaction formatives, du renforcement positif ou du fait d’établir une relation positive avec chaque élève.
La plupart des études portent sur la mesure d’une fonction exécutive avec un type spécifique de distracteur. En situation réelle, les décisions et les actions impulsives prises par les adolescents dans leur vie quotidienne sont régies par des mécanismes plus complexes et plus nuancés. Ceux-ci prennent en compte un contenu émotionnel, des récompenses, des exigences en matière de mémoire et plus encore qui fonctionnent tous simultanément. Il est donc envisageable que les difficultés propres à l’adolescence soient encore plus marquées dans le monde réel.
Il subsiste encore un manque de connaissances sur les mécanismes internes avec lesquels les adolescents sont capables de contrôler leurs pensées et leur attention, et sur les caractéristiques des stimuli qui peuvent les distraire plus particulièrement à certains moments.
Mis à jour le 21/09/2023
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