jeudi 22 avril 2021

Les bienfaits conjugués de la pratique espacée et du sommeil

La pratique espacée et le sommeil améliorent conjointement l’apprentissage à long terme. Le mécanisme commun supposé à l’origine de ces effets est la récupération en mémoire associée à un réapprentissage.

(Photographie : Yukihiko Honda)


L’intégration entre pratique espacée, pratique de récupération et sommeil


S’engager dans l’effort de se souvenir de manière espacée de connaissances que nous avions précédemment apprises est un processus appelé pratique de récupération. La recherche en psychologie cognitive a largement établi que la pratique de récupération est fondamentale pour un apprentissage durable et efficace.

Un facteur clé associé à ce processus est l’effet d’espacement. L’effet d’espacement illustre le fait que l’apprentissage est favorisé lorsque les séances de récupération et de réapprentissage sont espacées. L’apprentissage est moindre lorsque les séances sont rapprochées et successives. Nous parlons alors de bachotage. 

Le temps qui s’écoule entre l’apprentissage et le réapprentissage pourrait expliquer cet effet. Comme la récupération et le réapprentissage deviennent plus difficiles à l’état espacé, cela constitue une difficulté désirable. Selon le principe des difficultés désirables, plus l’apprentissage est difficile et exigeant, plus les processus cognitifs engagés sont profonds et meilleure est la rétention à long terme.

Un premier fait notable est que lors de chaque session de réapprentissage et de récupération, le processus devient plus aisé :

  • La deuxième fois que nous étudions une matière nous prendra moins de temps et demandera moins d’effort que la première. 
  • Une amélioration se produit de même pour la troisième fois par rapport aux précédentes, et ainsi de suite. 

La performance devient de plus en plus rapide et aisée au fur et à mesure. Ce qui est oublié entre deux sessions espacées se réapprend de plus en plus facilement. Ce gain de temps peut se justifier par le développement de la plasticité cérébrale ce qui correspond à la loi de Hebb.

Un second fait notable est qu’il a été démontré que l’effet d’espacement rend les connaissances plus durables en partie en fonction du temps séparant l’apprentissage initial et le réapprentissage. L’effet d’espacement est plus important lorsque la deuxième session d’étude suit la session initiale de 24 heures plutôt qu’un nombre réduit d’heures. Un écart d’un jour entre l’apprentissage initial et le réapprentissage permet de mieux se souvenir qu’un écart de trois heures par exemple, lorsque la mémorisation est testée ultérieurement. 




Le rôle du sommeil dans la consolidation des connaissances


Il a été démontré que le sommeil participe notablement à la consolidation et à l’amélioration des nouveaux apprentissages. Le sommeil favorise la mémorisation.

Cette consolidation dépendante du sommeil semble provenir de la réactivation et de l’intégration de mémoires nouvellement codées dans des réseaux de connaissances préexistants et permanents. 

Par exemple, les schémas d’activité cérébrale impliqués pendant l’apprentissage seraient réactivés de manière sélective pendant le sommeil. Cette réactivation neuronale est associée à une redistribution structurelle progressive des souvenirs et à des modifications de la force des connexions synaptiques.

Une autre hypothèse liée à l’effet du sommeil est proposée par Cairney (et coll., 2011). Une nuit de sommeil pourrait conduire à un changement des indices contextuels, entraînant une variabilité contextuelle après une nuit de sommeil.

Par conséquent, le temps passé et le sommeil qu’il inclut peuvent tous deux provoquer une variabilité contextuelle entraînant une performance supérieure pour les sujets ayant dormi. Un épisode de sommeil ou un retard temporel peuvent favoriser la décontextualisation ou la variabilité de l’encodage. Cette amélioration des indices conceptuels améliore le rappel des éléments mémorisés.



 

Les résultats de Bell, Kawadri, Simone et Wiseheart (2014)


Bell, Kawadri, Simone et Wiseheart (2014) ont examiné l’impact du sommeil et des temps d’espacement sur la mémoire déclarative à long terme pour des paires de mots swahili-anglais en incluant quatre conditions d’espacement :

  1. Deux sessions d’étude successives
  2. Deux sessions d’étude séparées de douze heures d’éveil le même jour
  3. Deux sessions d’étude séparées de douze heures incluant une nuit de sommeil
  4. Deux sessions d’étude séparées vingt-quatre heures incluant une nuit de sommeil

La rétention à long terme a été évaluée dix jours plus tard. 

Pour les participants qui ont bénéficié d’un intervalle de douze heures ou vingt-quatre heures incluant une nuit de sommeil, la rétention à long terme a été augmentée de manière similaire. 

La rétention a été plus faible pour des participants qui ont suivi deux pratiques successives ou deux pratiques espacées de douze heures sans sommeil. Le fait que ces deux conditions n’aient pas différé suggère un rôle crucial pour le sommeil.

Il apparait dans cette recherche que le sommeil est un facteur crucial qui favorise la rétention en mémoire à long terme. Lorsque les individus ont réappris après une nuit de sommeil, le bénéfice est réel.

Ces résultats confirment l’importance du sommeil pour le bénéfice à long terme de l’effet d’espacement et de l’effet de test. La mémoire est améliorée conjointement par la pratique répétée et le sommeil. 



Les résultats de Mazza et ses collègues (2016)


Mazza et ses collègues (2016) ont étudié plus en profondeur l’effet du sommeil sur le rendement pendant le réapprentissage. Ils ont voulu voir comment le sommeil facilitait le réapprentissage et la récupération.

Dans leur expérience, les participants ont été mis au défi d’apprendre la traduction française de seize mots swahilis en utilisant une pratique répétée de récupération et de réapprentissage. 

Douze heures plus tard, les participants ont eu l’occasion de recommencer le processus. Le temps nécessaire pour chaque phase a été mesuré. 

Les deux sessions étaient espacées de 12 heures d’éveil ou de 12 heures comprenant une nuit de sommeil. Un groupe de contrôle n’a réalisé que la première partie de l’expérience.

Une semaine puis six mois plus tard, leur apprentissage a été évalué.

Ils avaient posé comme hypothèses que :

  • Le sommeil favorise la consolidation et rend le réapprentissage plus facile.
  • L’apprentissage à long terme est amplifié par la session de réapprentissage après le sommeil. 

Les résultats obtenus confirment ces hypothèses :

  1. Le groupe d’éveil a commencé la seconde session avec un niveau de mémorisation plus faible. Ils ont dû s’engager dans des efforts de réapprentissage plus importants.
  2. Le groupe de sommeil a commencé la seconde session avec un niveau de mémorisation plus élevé. Les éléments non récupérables après douze heures ont été réacquis plus rapidement lors du réapprentissage dans le groupe de sommeil. Par conséquent, même si ces éléments n’étaient pas explicitement accessibles, ils ont également été transformés pendant le sommeil.
  3. La mémorisation après une semaine et à six mois était améliorée par une nuit de sommeil entre les deux séances. De plus, la perte de connaissances entre une semaine et six mois était plus faible que dans les deux autres groupes.
  4. La mémorisation après une semaine et à six mois du groupe d’éveil était équivalente à celle du groupe de contrôle qui n’a eu qu’une seule session pour apprendre.

Les résultats de cette expérience indiquent que ni le sommeil seul ni le temps entre l’apprentissage et le réapprentissage sans sommeil ne suffisent à améliorer la mémoire à long terme. C’est l’influence conjointe du sommeil et de l’espacement sur le réapprentissage et la récupération qui semblent être le facteur déterminant.

Lorsque l’intervalle entre les sessions d’étude successives est rempli de sommeil plutôt que d’activité éveillée, le processus est beaucoup plus efficace, car il facilite le réapprentissage et améliore la rétention à long terme.

Le réapprentissage incluant le sommeil fait partie intégrante de l’apprentissage et peut être considéré comme un processus itératif durant lequel nous apprenons, oublions et réapprenons autant de fois que nécessaire pour atteindre un niveau de rétention déterminé.




Liens entre sommeil, difficultés désirables et théorie de la désuétude


À première vue, ces résultats semblent être une exception au principe des difficultés souhaitables, selon lequel l’apprentissage à long terme est facilité par des conditions qui le rendent plus difficile. En effet, les participants qui ont dormi récupèrent et réapprennent plus facilement, tout en manifestant de meilleurs résultats à long terme.

Le sommeil protège passivement les souvenirs contre la dégradation et les interférences propres à l’oubli. Il consolide activement les nouveaux souvenirs. 

Il est possible que les processus cognitifs engagés par le groupe d’éveil soient inefficaces parce qu’ils opèrent sur des souvenirs dégradés par l’interférence des activités diurnes. 

Les efforts moindres déployés par le groupe de sommeil peuvent avoir été plus gratifiants à long terme parce qu’ils ont fonctionné sur des souvenirs déjà consolidés par le sommeil.

Ces résultats peuvent également être interprétés dans le cadre de la nouvelle théorie de la désuétude. Selon cette théorie, deux paramètres en interaction régulent les performances de la mémoire :

  • La force de récupération détermine l’accessibilité immédiate d’une mémoire et détermine directement les performances immédiates.
  • La force de stockage est un paramètre latent qui reflète le degré d’apprentissage et modère l’effet de l’expérience ultérieure. 

Une force de stockage plus élevée est associée à :

  • Un plus grand apprentissage à partir de la pratique ultérieure (la fluidité perdue se récupère plus rapidement)
  • Un oubli plus lent à partir d’interférences ultérieures. Les connaissances sont mieux ancrées.
  • Une plus grande stabilité de la mémoire dans le temps. 

La rétention à long terme est favorisée par l’interaction entre les deux forces. 

Si un niveau de performance élevé à la fin d’une séance d’entraînement reflète une force de récupération élevée, il ne se traduit pas nécessairement par une rétention à long terme. Cette dernière est déterminée par la force de stockage. 

La force de stockage progresse quand les contenus sont difficiles à récupérer. Elle ne grandit plus lorsque la force de récupération devient élevée.

Nous pouvons supposer que le sommeil, grâce aux processus de consolidation, augmente la force de stockage des souvenirs. Cela expliquerait pourquoi le groupe de sommeil montre un meilleur rappel avant le réapprentissage que le groupe de réveil, bien qu’une interférence moindre pour le groupe de sommeil puisse également avoir contribué.

Une force de stockage plus élevée expliquerait également la meilleure efficacité de réapprentissage du groupe de sommeil, indépendamment des performances initiales. Cela expliquerait pourquoi, bien qu’ayant atteint le même critère de réapprentissage, les deux groupes n’ont pas montré le même niveau d’oubli après une semaine et six mois. 

La différence frappante de rétention à long terme entre le groupe d’éveil et le groupe de sommeil peut sembler surprenante étant donné que le groupe d’éveil a dormi peu de temps après la seconde session. 

Cependant, dans ce groupe, le sommeil a fonctionné sur des souvenirs qui avaient souffert d’une plus grande interférence diurne, dont les effets n’ont peut-être pas été entièrement éliminés par leur réapprentissage intensif. 

De plus, les participants du groupe d’éveil n’ont pas eu l’occasion de réapprendre des souvenirs consolidés par le sommeil le lendemain matin. 



L’importance de la qualité du sommeil sur la consolidation des connaissances


Une autre dimension importante est la qualité du sommeil. Par exemple, il a été démontré que différents aspects du sommeil améliorent certains types de mémoire : 

  • Trois heures de sommeil précoce comprenant des périodes significatives de sommeil à ondes lentes améliorent la mémoire verbale.
  • La même quantité de sommeil plus tard dans la nuit, y compris le sommeil paradoxal, ne l’améliore pas.

La mémoire verbale semble s’améliorer après une nuit de sommeil en raison du rôle du sommeil à ondes lentes dans la consolidation de la mémoire. Un élève qui la veille d’un examen travaillerait très tard dans la nuit et qui dormirait un nombre réduit d’heures ne bénéficierait pas du même effet positif du sommeil sur la consolidation. Dans un sens, il semblerait plus rentable d’aller dormir à l’horaire habituel et à la rigueur se lever un peu plus tôt pour un dernier apprentissage. 

Pour bénéficier de l’effet du sommeil sur la récupération et le réapprentissage, il faut aller dormir tôt et se réveiller plutôt pour revoir plutôt que d’étudier tard dans la nuit.




L’importance d’intercaler le sommeil et les sessions d’apprentissage


Les résultats de ces recherches suggèrent qu’une séquence d’apprentissage, de consolidation dépendante du sommeil et de réapprentissage est particulièrement efficace. Intercaler une nuit de sommeil avant la récupération est particulièrement efficace pour la rétention à long terme.

L’entrelacement des sessions d’apprentissage avec des épisodes de sommeil peut être une méthode facile et prometteuse pour obtenir une rétention plus longue avec moins de temps d’étude. 

Une telle programmation peut être particulièrement pertinente pour les informations déclaratives difficiles ou importantes à apprendre. 

Le fait d’intercaler le sommeil entre les sessions d’apprentissage semble permettre de réduire environ de moitié la quantité de pratique nécessaire, mais aussi d’assurer une bien meilleure rétention à long terme. Dormir après l’apprentissage est certainement une bonne stratégie, mais dormir entre deux sessions d’apprentissage est une meilleure stratégie. 

Il semble que la consolidation de la mémoire durant le sommeil est le principal responsable du bénéfice de l’espacement à condition que le sommeil soit suivi d’une phase de récupération et de réapprentissage.


Mis à jour le 31/10/2023


Bibliographie


Mazza S, Gerbier E, Gustin M-P, et al. Relearn Faster and Retain Longer: Along With Practice, Sleep Makes Perfect. Psychological Science. 2016; 27(10):1321–1330.

Cairney, S. A., Durrant, S. J., Musgrove, H., & Lewis, P. A. (2011). Sleep and environmental context: Interactive effects for memory. Experimental Brain Research, 214, 83–92. 

Bell, M. C., Kawadri, N., Simone, P. M., & Wiseheart, M. (2014). Long-term memory, sleep, and the spacing effect. Memory, 22, 276–283. doi:10.1080/09658211.2013.778294

0 comments:

Enregistrer un commentaire