Voici une synthèse et quelques développements autour d’un article de Peps Mccrea (2019).
Connaissances biologiques primaires et secondaires
Ce qui nous distingue en tant qu’êtres humains par rapport aux autres espèces animales est notre capacité à apprendre cumulativement des générations précédentes. Nos prédécesseurs sur terre nous ont transmis des connaissances vitales pour notre survie, notre plein développement et notre réussite globale, quoique relative en tant qu’espèce, dans un contexte environnemental.
Au fil du temps, grâce essentiellement à l’invention de l’écriture, la quantité d’informations que nous conservons et mobilisons de génération en génération n’a pas cessé d’augmenter exponentiellement.
Une part de ces informations est facile et rapide à apprendre, notre cerveau a évolué pour le faire spontanément. Ce sont les connaissances biologiques primaires comme les décrit David C. Geary.
À côté de cela, une grande partie des connaissances qui nous sont vitales aujourd’hui ne sont pas faciles à apprendre. Ce sont les connaissances biologiques secondaires. Notre cerveau n’a pas u le temps d’évoluer pour faciliter leur apprentissage.
Elles sont la raison principale pour laquelle, assez naturellement, les populations humaines ont créé des processus et des institutions dédiés à leur acquisition. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les écoles et les enseignants existent et se maintiennent à travers le temps.
L'importance des connaissances des enseignants sur l'apprentissage
Nous pouvons partir du postulat qu’en tant qu’enseignants, plus nous en savons sur l’apprentissage et son fonctionnement, plus nous avons de chances de parvenir à aider nos élèves dans ce processus.
Sans une bonne compréhension des mécanismes sous-jacents de la cognition, notre pratique restera limitée par l’intuition, l’imitation, les essais et erreurs ou l’innovation tâtonnante de démarches à l’aveugle.
À côté de cela, nous avons également besoin de connaissances sur les paramètres qui guident et influencent le comportement et la motivation de nos élèves.
L’apprentissage est une interaction entre notre pensée et nos connaissances
La notion d’apprentissage décrit à la fois un processus et son produit.
Nous pouvons séparer ces deux aspects :
- Le processus par lequel l’apprentissage a lieu est la pensée. La conscience se manifeste grâce à la mémoire de travail. L’information, issue à la fois de notre environnement et de notre expérience, est la matière première de l’apprentissage.
- Le produit de l’apprentissage est la connaissance qui est consolidée dans notre mémoire à long terme. La connaissance représente ce que nous savons et qui nous sommes. Elle guide notre action.
La connaissance
Nos connaissances sont construites comme des modèles mentaux du monde sous forme de schémas.
Les schémas font référence à ce que nous savons et à la façon dont ces connaissances se sont organisées grâce au processus continu de l’apprentissage, pour guider notre action actuelle et future. Tous les modèles sont incomplets et évoluent. Certains modèles de connaissances sont plus utiles à posséder que d’autres.
Au mieux nos modèles mentaux prédisent le monde qui nous entoure, au plus nous pouvons mener efficacement nos vies et rencontrer un certain bien-être. Plus nos décisions et nos actions ont alors de chances de mener à notre épanouissement et à notre réussite, tant pour nous-mêmes que pour les communautés auxquelles nous appartenons.
Dans cette perspective, l’objectif premier de l’enseignement est de générer des changements bénéfiques, pertinents et persistants dans les connaissances présentes en mémoire à long terme chez nos élèves.
La pensée
La pensée est le processus qui catalyse les changements en mémoire à long terme. Elle implique très directement notre mémoire de travail et notre attention.
Nous nous occupons de l’information dans notre environnement (ou dans notre esprit) et en essayant de lui donner un sens. Par le processus de pensée, nous modifions le tissu même de notre mémoire à long terme.
Ce à quoi nous pouvons prêter attention et donner un sens est limité par ce que nous savons et pouvons comprendre.
Plus nous en savons, mieux nous pouvons penser et comprendre. Plus nous pensons, plus nous pouvons savoir.
L'enjeu de la science de l’apprentissage
Les sciences cognitives viennent éclairer les processus d’apprentissage et amorcent un dialogue enrichissant avec les pratiques pédagogiques. Par ce biais, elles donnent naissance à ce que nous appelons la science de l’apprentissage.
L’enjeu de la science de l’apprentissage est d’identifier des connaissances scientifiques utiles issues du domaine des sciences cognitives. Les sciences cognitives vont de la psychologie cognitive à la psychologie du développement et jusqu’aux neurosciences. Ces connaissances scientifiques ont comme qualité de potentiellement éclairer la compréhension et la pratique des enseignants. Elles complètent et s’associent aux apports d’autres disciplines comme les sciences de l’éducation, la sociologie ou la psychologie sociale.
L’enjeu est de contribuer à la création d’un modèle psychologique de l’élève et d’un vocabulaire commun adapté à la fois à la pratique enseignante et à l’apprentissage indépendant. Cette construction s’élabore autour d’une série d’idées clés sur l’apprentissage qui ont été établies en utilisant la méthode scientifique. L’enjeu serait que les enseignants s’en saisissent et cherchent à en incorporer les implications dans leurs pratiques quotidiennes.
Une difficulté tient aux processus à la fois cumulatifs et de remise en question propre à la démarche et à la recherche scientifique. Ces idées potentiellement pertinentes ont tendance à arriver au coup par coup. Elles viennent régulièrement d’études fondamentales sur base de recherches en laboratoire ou auprès d’échantillons d’étudiants (souvent en psychologie). Les résultats de la recherche sont délivrés dans un vocabulaire technique, qu’il n’est pas toujours aisé de comprendre. Il n’est pas toujours évident de les intégrer aux connaissances existantes ni d’en déduire les implications pratiques pour le secteur de l’enseignement.
Par leur nature, les recherches en sciences cognitives se concentrent généralement sur des aspects spécifiques des processus d’apprentissage singuliers, plutôt que de viser directement à améliorer l’éducation et les décisions quotidiennes prises par un enseignant.
Dans cette optique volontairement pratique, Paul Howard-Jones et ses collègues (2018) proposent dans une perspective plus proche du domaine des neurosciences une subdivision en trois temps du processus d’apprentissage ;
- Engagement et renforcement
- Encodage et compréhension
- Consolidation et récupération
Dans l’enseignement et l’apprentissage quotidien, ces trois types de processus peuvent se dérouler simultanément, différentes connaissances étant à différents niveaux et différents comportements d’élèves les illustrent. Cependant, ils correspondent à la structuration de certaines étapes ou pratiques de l’enseignement.
L’interdépendance entre engagement et apprentissages à l’école
Comment s’engage un élève auprès d’une source de nouvelles connaissances ?
La relation entre l’engagement et l’apprentissage est à double sens. J’apprends mieux lorsque je m’engage mieux et je m’engage mieux lorsque j’apprends mieux :
- Un engagement cognitif pertinent, actif et bien calibré des élèves permet de développer les apprentissages. Il en est d’ailleurs un prérequis.
- Dans la dimension comportementale, la rétroaction positive spécifique et le renforcement positif sont des moyens efficaces de soutenir l’engagement des élèves.
- L’apprentissage à son tour peut conduire à une réponse émotionnelle plus positive et à un engagement ultérieur plus poussé dans son processus (Supekar et coll., 2015).
Il existe des preuves que l’engagement et le désengagement impliqueraient tous deux des structures sous-corticales. Celles-ci influencent, de manière positive ou négative, des processus nécessaires à l’apprentissage :
- Le système de récompense qui peut soutenir l’engagement dans des efforts nécessaires à l’apprentissage :
- Les zones activées par le renforcement positif sont similaires à celles activées :
- Lorsqu’une personne reçoit de l’argent (Izumo et coll., 2008)
- Lorsqu’une personne anticipe l’obtention de nourriture (Farooqi et coll., 2007).
- Une augmentation de l’activité du système de récompense se manifeste pendant la génération de réponses à des questions éducatives, dans des conditions favorisant l’engagement et l’apprentissage (Howard-Jones et coll., 2016).
- À l’opposé, d’autres types d’activités sous-corticales, y compris les activations au sein de l’amygdale, sont impliquées dans le développement de l’anxiété mathématique et des émotions négatives envers l’apprentissage (Young et coll., 2012).
Les dimensions de l’apprentissage scolaire et de l’engagement scolaire sont entremêlées et interdépendantes. Ils se renforcent ou s’affaiblissent mutuellement.
Le rôle de l'encodage et de la compréhension dans l'apprentissage
Une fois l’élève engagé avec une source de nouvelles connaissances, sous l’influence d’un enseignant ou de manière autonome, l’apprentissage devient possible. Il va dépendre de la qualité de la pensée ou de la communication.
Les enseignants efficaces (et les ressources qu’ils utilisent) communiquent de manière claire et concise. Ils s’efforcent de minimiser les distractions.
Pour que le nouvel apprentissage soit acquis dans un sens pédagogique et significatif, il doit également être lié à des connaissances préalables. Ce processus nécessite une communication à double sens :
- Il est important de vérifier, réactiver, mobiliser les connaissances préalables des élèves par divers moyens. Il ne faut jamais considérer ce processus comme garanti avec des élèves.
- Chez les enfants, les régions préfrontales nécessaires pour établir des connexions avec les connaissances préalables se développent plus lentement que les autres parties du cerveau (Brod et coll., 2013). Cela peut les désavantager dans l’utilisation des connaissances préalables, même lorsqu’ils les possèdent (Shing et Brod, 2016). Il est donc important que les enfants soient incités à réactiver les connaissances antérieures appropriées. Cela peut se faire par exemple par des questions de révision et de diagnostic des connaissances préalables avant que de nouvelles informations ne soient présentées. Ces démarches peuvent être poursuivies pour les encourager à établir des liens entre les nouvelles informations et leurs connaissances existantes.
Pour que le nouvel apprentissage soit acquis dans un sens pédagogique et significatif, il doit avoir été pratiqué, appliqué ou utilisé. L’application de nouvelles informations nécessite l’utilisation de connaissances préalables pour transformer, organiser et élaborer la nouvelle entrée. Ce type de traitement active également des circuits dans le cortex préfrontal. À son tour, celui-ci met en œuvre des processus de réflexion qui soutiennent les performances dans les tâches de mémoire à long terme et de travail (Ranganath et coll., 2003).
Une grande partie de l’apprentissage éducatif nécessite le type de traitement conscient et laborieux qui active la mémoire de travail. La construction de nouvelles connaissances s’accompagne souvent d’une activation accrue des régions préfrontales du cerveau.
Le rôle de la consolidation et de la récupération dans l'apprentissage
Les nouveaux apprentissages sont par nature plus vulnérables à l’oubli. De même, le traitement laborieux (soutenu par l’effort) nécessaire pour rappeler et appliquer les connaissances fraîchement acquises est contraint par la capacité limitée de la mémoire de travail.
Une fois les nouvelles connaissances comprises et apprises, l’enjeu est de les rendre progressivement plus permanentes, accessibles, fluides et utiles.
L’enjeu est de soulager la capacité de la mémoire de travail en s’appuyant sur les ressources illimitées de la mémoire à long terme, si nous voulons apprendre davantage.
Lorsque nous consolidons notre apprentissage, non seulement il devient plus permanent, mais l’accès à celui-ci devient également plus facile et plus rapide, exigeant moins d’efforts conscients (Tham et coll., 2015).
La pratique tend à déplacer l’activité des régions de la mémoire de travail vers des régions plus impliquées dans le traitement automatique inconscient. Elles sont plus éloignées de l’avant du cerveau et correspondent à la mémoire à long terme.
La consolidation peut être facilitée en pratiquant la récupération, l’élaboration, l’entremêlement, l’espacement ou l’application de nos nouvelles connaissances de différentes manières. Cela souligne la nécessité d’offrir aux élèves une variété d’occasions de pratique qui les incitent à appliquer et à tester leurs connaissances dans des tâches à faible risque peut susceptibles de générer de l’anxiété.
Les recherches en neuro-imagerie suggèrent que la recherche répétée d’informations entraîne leur représentation dans le cerveau de différentes manières. Elles se retrouvent essentiellement reliées à différentes significations et sont rendues plus faciles à récupérer à l’avenir (Wirebring et coll., 2015).
Mis à jour le 29/09/2023
Bibliographie
Peps Mccrea, Learning: What is it, and how might we catalyse it?’ by our Dean of Learning Design, 2019, https://www.ambition.org.uk/research-and-insight/learning-what-is-it/
Paul Howard-Jones, Konstantina Ioannou, Ruth Bailey, Jayne Prior, Shu Hui Yau And Tim Jay, Applying the science of learning in the classroom, February 2018, https://impact.chartered.college/article/howard-jones-applying-science-learning-classroom/
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Supekar K, Iuculano T, Chen L, et al. (2015) Remediation of childhood math anxiety and associated neural circuits through cognitive tutoring. Journal of Neuroscience 35(36): 12574–12583.
Tham E, Lindsay S and Gaskell M (2015) Markers of automaticity in sleep-associated consolidation of novel words. Neuropsychologia 71:146—157.
Wirebring K, Wiklund-Hörnqvist C, Eriksson J, et al. (2015) Lesser neural pattern similarity across repeated tests is associated with better long-term memory retention. Journal of Neuroscience 35(26): 9595–9602.
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