lundi 18 janvier 2021

L’impact de l’utilisation des appareils connectés en classe

Il existe une forme de pression occasionnelle et parfois intéressée sur les enseignants pour intégrer de plus en plus l’usage des technologies numériques par leurs élèves dans leurs activités en classe.

 

(Photographie : Katrin Kabelitz)


Cette technologie peut prendre la forme d’un usage plus ou moins libre en classe d’appareils numériques tels que des ordinateurs portables, des tablettes ou plus particulièrement des smartphones. Ces derniers bénéficient d’une position privilégiée puisqu’il est courant que des élèves du secondaire en possèdent un par défaut avec eux. 

Dès lors, pourquoi ne pas autoriser pour des recherches documentaires sur le web ou pour répondre à des quiz en ligne, en augmentant ainsi la dimension interactive et l’implication des élèves ? 



Une situation à double tranchant pour l’usage des appareils connectés en classe


L’usage des nouvelles technologies mobiles et connectées en classe est à double tranchant : 

  • D’un côté, elles offrent un accès à l’information inégalé, un potentiel d’interaction riche et une différenciation personnalisée, tous deux fonctions de la qualité des contenus multimédias et de l’interface utilisée. De plus si l’élève fait usage de son propre smartphone, sa disponibilité et sa maitrise sont des facteurs favorables à un usage efficace et aisé en classe. 
  • D’un autre côté, en classe, les enseignants peuvent se retrouver mis en concurrence pour obtenir l’attention de leurs élèves. Celle-ci est rapidement détournée par toute une variété de stimuli liés aux usages habituels, sociaux et personnels de l’outil de communication par les élèves. Ces usages sont essentiellement non scolaires. Ils constituent en classe un facteur de distraction important. Un coût défavorable supplémentaire est d’induire un comportement multitâche.

Lorsqu’un élève utilise son smartphone, une tablette ou un ordinateur portable dans le cadre d’un cours, son attention se retrouve partagée. Il y a une concurrence, entre ce qui se passe sur l’écran de l’élève ou sur ceux de ses condisciples, et ce qui a lieu en classe, sous le pilotage de l’enseignant.




La concurrence entre les interactions initiées par les appareils numériques et l’enseignement en classe


La consultation d’un réseau social, la réception de message, la recherche d’une information sur Internet et les réponses en retour qu’elles suscitent ont des objectifs différents et complémentaires, augmentant le potentiel de distraction en classe :

  • Un message textuel est généralement reçu ou envoyé à un seul destinataire et est de nature intrinsèquement interpersonnelle. Il s’inscrit dans le contexte d’une discussion plus large. Y répondre demande de s’investir mentalement. 
  • Une publication sur un réseau social, ou une mise à jour de statut sont généralement visibles par un public plus large ou même susceptible d’être accessible à tous. Ils s’inscrivent dans le contexte d’un travail sur l’image de soi qui implique également une réflexion et une contextualisation.
  • Une recherche d’information sur Internet est plus personnelle et n’implique pas de communication interpersonnelle directe, mais elle se situe dans un champ de connaissances qui y sont reliées et éloignent la pensée du contexte de la classe.

Si le processus de pensée impliqué est différent, l’acte physique de ces trois activités sur un appareil mobile est fondamentalement le même. Les utilisateurs s’engagent dans des activités de communication sur leur appareil mobile et se déconnectent temporairement de ce qui a lieu dans l’environnement de la classe. Ces démarches nécessitent une interaction active de l’utilisateur avec son appareil mobile. Ces activités de communication potentiellement distinctes se manifestent raisonnablement de manière similaire et avec des effets similaires en tant que facteurs de distraction. Dans tous les cas, une partie de ce qui a lieu en classe échappe à l’élève tandis qu’il manipule en pensée et en action l’objet de la communication.



Le danger des habitudes numériques en classe, source de distractions


La plupart du temps, hors du cours, un élève est libre de se servir de son smartphone et dans une moins mesure d’une tablette ou d’un ordinateur portable. Il est régulièrement alerté par des notifications, pour rechercher une information ou pour communiquer lui-même. Ces actions ont le statut d’habitudes. Il les initie souvent sans s’en rendre compte complètement ni en avoir une complète maitrise.

Ainsi, tandis qu’il est au cours, si l’enseignant lui en laisse l’opportunité, un élève peut se retrouver tenté par des activités extrascolaires. Celles-ci peuvent être liées à la consultation de réseaux sociaux, à la recherche d’informations et à la mise à jour de son propre profil. L’impulsion nait naturellement. Il peut vouloir poursuivre une communication semi-permanente en cours avec ses pairs ou se tenir au courant des nouvelles. Il peut également se lancer dans des recherches sur Internet tangentielles ou sans rapport avec le cours. 

Les élèves ont développé toute une panoplie d’habitudes et de comportements réflexes liés à l’usage privé de ces technologies. Ceux-ci tendent à se manifester naturellement en classe également, capturant une part de leur attention normalement réservée au cours.

La difficulté d’inhiber ces comportements vient du fait que l’élève les pratique de manière tellement habituelle qu’une volonté conscience de les bloquer est nécessaire pour éviter des mouvements spontanés. 

 


Les trois hypothèses de base de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia de Mayer liées aux usages numériques en contexte d’instruction


Selon Richard E. Mayer, lorsqu’un enseignant propose de l’information à ses élèves, il doit tenir compte de trois hypothèses de base :

  1. L’hypothèse du double canal précise que les élèves apprennent à travers un canal auditif/verbal et un canal visuel. Les deux canaux entrent en interaction lors de l’acquisition de l’information. Lorsque l’élève consulte son smartphone, temporairement, il ne suit plus ce qui se passe en classe, que ce soit au niveau verbal ou visuel. Certaines informations vont lui échapper.
  2. L’hypothèse de capacité limitée stipule que seule une fraction de tout ce que nous ingérons par ces deux canaux d’acquisition peut être retenue dans la mémoire de travail. Les ressources de la mémoire de travail vont être mises en concurrence chez l’élève qui utilise son smartphone, entre ce qu’explique l’enseignant et ce qu’il lit à l’écran. Moins de ressources en mémoire de travail seront disponibles pour le cours.
  3. L’hypothèse de traitement actif suggère qu’un apprentissage est plus efficace s’il est accompagné d’un traitement cognitif, d’une activité cognitive consciente de la part de l’élève. Il s’agit par exemple d’orienter son attention vers les éléments les plus importants, les organiser mentalement entre eux et avec les connaissances antérieures, etc. Un apprentissage actif conduit à une meilleure élaboration d’un modèle mental. Dans le cas de l’usage du smartphone, une partie du traitement actif de l’élève sera réservé aux informations qui en sont issues du smartphone et aux réponses qu’il génère. Une capacité de traitement amoindrie sera disponible pour la compréhension du cours. Les communications induites par le smartphone vont détourner une partie des ressources qui ne seront plus dédiées au traitement de l’information pertinente liée au cours.

Il y a des effets boule de neige. L’apprentissage est un processus dépendant de diverses ressources attentionnelles, en mémoire de travail et en mémoire à long terme. Une diminution de leur capacité disponible a des conséquences d’ensemble :

  • L’attention des élèves peut être divisée, ce qui peut détourner l’attention du comportement à adopter dans le cadre des tâches. 
  • L’information traitée dans la mémoire de travail peut être incomplète ou inexacte.
  • Le traitement de l’information peut être incomplet
  • La compréhension risque d’être superficielle et confuse
  • Le processus peut entraîner un stockage inexact ou insuffisant de l’information dans la mémoire à long terme. 



L’analogie entre les usages numériques en contexte de classe et la conduite automobile


Lorsqu’un conducteur est occupé par une conversation téléphonique cela se traduit par une perte d’attention qui peut perturber ses performances. La situation peut mener à des distractions visuelles, comme le fait de ne pas remarquer des repères visuels importants tels que les feux de circulation, des usagers ou des véhicules en mouvement. 

Les tâches cognitives liées à la communication sont en concurrence avec les ressources attentionnelles des conducteurs.

Bien qu’ils ne mettent pas la vie en danger en classe, les activités distractives dans lesquelles s’engagent naturellement les élèves face à ces supports technologiques se font potentiellement au détriment de l’apprentissage. Ils vont réduire, car ils réduisent la capacité des élèves à se réguler et à accorder une attention soutenue aux tâches de classe. Cela peut avoir des effets potentiellement préjudiciables sur leurs résultats. 

Comme la conduite automobile, l’activité en classe est une tâche cognitive intensive qui exige de la vigilance et une écoute active. Si les étudiants partagent leur attention entre l’écoute des cours et une communication active occasionnelle sur leur téléphone, ils peuvent manquer des indices et des informations importantes.



Impact des usages du numérique en classe sur les résultats d’étudiants


Douglas Duncan et ses collègues (2012) ont combiné des données d’observation, d’enquête, d’évaluation et d’entretien, sur les effets de l’utilisation des technologies sur les attitudes et l’apprentissage des étudiants. Les données ont été recueillies dans huit cours d’introduction aux sciences pendant deux semestres dans une grande université d’État de l’ouest des États-Unis.

Un premier aspect notable est qu’en conformité avec d’autres recherches, leurs résultats montrent une corrélation négative significative entre l’utilisation des téléphones en classe par les étudiants et leurs notes finales. Les étudiants qui ont déclaré ne pas utiliser de téléphone portable ont obtenu des notes significativement plus élevées que ceux qui ont utilisé leur téléphone pendant les cours. 

La différence de notes finales entre les utilisateurs et les non-utilisateurs de téléphones est significative sur le plan statistique, mais il est impossible de déterminer un lien de causalité à partir de ces données. Il se pourrait que les étudiants qui sont déjà plus disciplinés soient plus susceptibles d’éteindre leur téléphone pendant les cours. De même, les étudiants qui sont plus occupés en dehors des cours sont plus susceptibles d’utiliser leur téléphone en classe. 

Un deuxième aspect notable est que de nombreux étudiants semblent surestimer leur capacité à faire des tâches multiples. Si les étudiants manquent certains passages du cours lorsqu’ils utilisent des appareils numériques, ils risquent d’obtenir des notes plus faibles. Leurs observations suggèrent également que les étudiants sous-estiment généralement la fréquence de leur utilisation en classe des appareils numériques. 

D’autres études vont dans le même sens :

  • Dans une étude auprès d’étudiants utilisant un ordinateur portable, Kraushaar et Novak (2010) ont constaté que la messagerie instantanée était négativement corrélée avec les moyennes des quiz, les notes des projets et les notes des examens finaux. Des recherches antérieures ont porté sur l’utilisation des ordinateurs portables pendant les cours. Elles ont révélé une corrélation forte et négative entre l’utilisation des services de messagerie instantanée par les étudiants et les moyennes des quiz, les notes des projets et les notes des examens finaux (Kraushaar & Novak, 2010).
  • Wood et ses collègues (2012) ont observé un effet négatif faible, mais constant sur les résultats aux examens lorsque les étudiants s’adonnent à des simulations de messages textuels, d’e-mails ou de publications sur Facebook. Selon eux, lorsque les étudiants s’engagent dans plusieurs tâches simultanées, comme envoyer des messages textuels et écouter des cours, l’un ou les deux comportements en souffrent. 
  • Wei et ses collègues (2012) ont trouvé un appui pour un modèle causal. Celui-ci identifie l’envoi de messages instantanés comme une variable médiatrice significative dans la relation entre l’autorégulation des étudiants, un aspect clé de la métacognition, et l’apprentissage cognitif. Plus précisément, lorsque les taux de comportement textuel sont élevés, les élèves ont tendance à être moins capables d’autoréguler leurs comportements de manière à réussir leurs évaluations de performance. Des recherches antérieures ont également observé que l’envoi fréquent de messages textuels pendant les cours influençait la capacité des étudiants à s’occuper des sujets traités dans ces cours. Cela entraînait potentiellement une diminution de la perception de l’apprentissage cognitif.




Impact des usages numériques en classe sur la prise de notes


Dans leur étude, Jeffrey H. Kuznekoff & Scott Titsworth (2013) ont examiné l’impact de l’utilisation du téléphone portable, pendant les cours, sur l’apprentissage des élèves. Ils se sont centrés sur l’influence sur leur prise de notes et en mesurant l’impact direct au moyen de tests. 

La prise de notes est l’un des comportements les plus couramment pratiqués par les élèves ; c’est aussi l’un des plus importants. La quantité et la qualité des notes prises par les étudiants ont un impact considérable sur leur capacité à retenir et à utiliser l’information. 

Tout d’abord, la prise de notes fournit une indication solide de ce qui est activement traité dans la mémoire de travail. En particulier, la fonction d’encodage de la prise de notes implique que les éléments notés sont activement conservés dans la mémoire de travail. Certains de ces éléments sont immédiatement stockés dans la mémoire à long terme tandis que d’autres sont transférés dans leurs notes, ce qui correspond à une fonction de stockage externe.

Les 47 participants à cette étude étaient des étudiants inscrits à un cours de communication dans une grande université du Midwest américain. Ils ont participé à des simulations en classe où ils ont regardé un cours enregistré, pris des notes et ont ensuite été testés sur le contenu.

Trois groupes ont été constitués. : 

  • Un groupe de contrôle a simplement regardé le cours, pris des notes et répondu aux questions d’examen sur le contenu.
  • Les deux autres groupes se sont livrés aux mêmes activités que le groupe de contrôle, mais ont également pris part à des échanges de messages et à l’utilisation d’un réseau social (Facebook) pendant le cours. Un groupe avait une faible fréquence de textes et d’affichages, et un autre une fréquence élevée. Dans la condition de faible distraction, les participants recevaient automatiquement un nouveau texte/poste simulé environ toutes les 60 secondes. La deuxième condition, le groupe à forte distraction, recevait automatiquement un texte/poste simulé environ toutes les 30 secondes. 

Les résultats ont montré que :

  • Les résultats des étudiants à un test à choix multiples diminuent au fur et à mesure que les étudiants envoient plus de messages.
  • Les scores des étudiants au test de rappel libre étaient les plus élevés pour le groupe qui n’envoyait pas de messages. Ils étaient suivis par le groupe qui en envoyait de manière modérée, puis par le groupe qui en envoyait de manière fréquente.
  • Les détails transcrits dans les notes des élèves sont plus importants pour le groupe qui n’envoie pas de messages. Ils sont suivis par le groupe qui en envoie de manière modérée, puis par le groupe qui en envoie de manière fréquente. Les étudiants du groupe témoin ont enregistré un plus grand nombre de détails jugés pertinents que les étudiants du groupe à forte distraction. En outre, le groupe à forte distraction était plus susceptible que le groupe de contrôle de manquer complètement un détail ce qui est une indication potentielle de manque d’attention. Ces phénomènes sont des indications potentielles que la mémoire de travail a été perturbée par l’acte d’envoyer un message.
  • Il y a une corrélation positive entre le nombre de détails enregistrés dans les notes des étudiants et leurs résultats aux tests. La qualité de la prise de notes a un impact significatif sur la capacité des étudiants à encoder l’information.

L’envoi et la lecture de messages, la consultation ou la publication sur un réseau social a des répercussions négatives sur les comportements des élèves en matière de prise de notes et sur leurs résultats ultérieurs aux examens. Cette distraction diminue la quantité et la qualité des notes prises par les étudiants pendant les cours. Elle entraîne également une baisse des performances lors de divers types d’examens. 

L’étude actuelle montre que les étudiants notent moins de détails lorsqu’ils rédigent un message textuel. Cela pourrait signifier que même si l’information est prise en charge par les étudiants, elle peut ne pas être correctement traitée dans la mémoire de travail. 

Ces résultats montrent clairement que les étudiants qui utilisent leur téléphone portable pendant les cours ont tendance à écrire moins d’informations. De même, ils se souviennent de moins d’informations. Ils obtiennent par la suite de moins bons résultats à des tests que les étudiants qui s’abstiennent d’utiliser leur téléphone portable pendant les cours.


Mis à jour le 01/06/2023


Bibliographie


Duncan, Douglas & Hoekstra, Angel & Wilcox, Bethany. (2012). Digital Devices, Distraction, and Student Performance: Does In-Class Cell Phone Use Reduce Learning?. Astronomy Education Review. 11. 10.3847/AER2012011.

Jeffrey H. Kuznekoff & Scott Titsworth (2013) The Impact of Mobile Phone Usage on Student Learning, Communication Education, 62:3, 233–252, DOI: 10.1080/03634523.2013.767917 

Wei, F.-Y. F., Wang, Y. K., & Klausner, M. (2012). Rethinking college students’ self-regulation and sustained attention: Does text messaging during class influence cognitive learning?. Communication Education, 61, 185–204. doi:10.1080/03634523.2012.672755 

Wood, E., Zivcakova, L., Gentile, P., Archer, K., De Pasquale, D., & Nosko, A. (2012). Examining the impact of off-task multi-tasking with technology on real-time classroom learning. Computers & Education, 58, 365–374. doi:10.1016/j.compedu.2011.08.029 

Kraushaar, J. M., & Novak, D. C. (2010). Examining the affects of student multitasking with laptops during the lecture. Journal of Information Systems Education, 21, 241-251. 

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