samedi 26 décembre 2020

L'enseignement explicite dans le cadre de la résolution de problèmes

La résolution de problèmes fait partie des compétences supérieures de réflexion. Ces dernières correspondent pour une part aux compétences dites du XXIe siècle parmi lesquelles nous trouvons également l’esprit critique, la communication, la créativité ou la collaboration.

(Photographie : Gerd Mittelberg)


Se retrouver face à un problème dans une perspective de résolution


La capacité à faire face à de nouvelles situations, à de nouveaux challenges et à résoudre les problèmes qui en découlent, est indispensable dans notre vie quotidienne et notre vie professionnelle. André Tricot (2020) définit un problème comme étant une tâche que nous ne savons pas réaliser. 

Dans une perspective éducative, la résolution de problème est un problème en soi compte tenu de la difficulté des transferts autres que proches.

Typiquement, la résolution de problèmes se passe en deux phases pour l’individu concerné. Durant ces phases, des obstacles peuvent surgir et doivent être levés :
  1. Une phase exploratoire et d’investigation durant laquelle l’individu acquiert une compréhension du problème
  2. Une phase de planification et de réalisation d’actions en vue de résoudre le problème.



Théorie de la résolution humaine de problèmes


La capacité humaine à résoudre des problèmes a depuis longtemps intéressé les chercheurs. Un pas en avant notable important a eu lieu en 1972 avec la parution du livre Human problem solving de Allen Newell et Herbert A. Simon. 

Sur base de simulations informatiques, Allen Newell et Herbert A. Simon ont élaboré les bases d’une théorie de la résolution humaine de problèmes.

Newell et Simon décrivent les individus comme des processeurs d’information actifs. La résolution commence par la conversion d’une tâche, le problème à résoudre, en ce qu’ils appellent un espace problème (problem space).  

L’espace problème correspond à l’ensemble des situations du problème. Il s’étend entre deux états :
  • L’état initial, qui est l’état présent issu de la prise de connaissance du problème
  • L’état final, qui est l’état visé après l’obtention de la solution du problème.
L’espace problème représente l’écart entre ces deux états. L’espace problème constitue l’espace de recherche potentiel pour un problème donné. La résolution de problèmes consiste à chercher dans cet espace problème, le chemin qui mènera à l’état final, vers la solution. Dans le cadre d’une résolution de problème, nous explorons et investiguons des transformations possibles entre l’état initial et l’état final. 

Cet espace problème peut être conçu et représenté comme un arbre ramifié (problem-behavior graph) qui contient toutes les étapes et actions possibles à partir de la situation de départ jusqu’à l’obtention de la solution. Une action permet de passer d’un état intermédiaire du problème à un autre.

Au plus le problème est difficile et complexe, au plus l’espace problème et l’arbre ramifié deviennent importants et complexes. La résolution de problèmes peut impliquer une nécessaire partition en étapes et sous-étapes qui permettra d’atteindre la solution. Chacune de ces étapes doit être résolue. 

En règle générale, la résolution d’un problème suppose l’exploration de multiples chemins ou alternatives aux différentes étapes de l’avancement jusqu’à l’aboutissement à une solution. Le passage d’une étape intermédiaire à une autre doit satisfaire à une série de contraintes ou de règles. Chaque passage doit recourir potentiellement à différents opérateurs. Toutes les actions ne sont pas appropriées.



Ressources cognitives mobilisées dans la résolution de problèmes


Le processus de résolution de problèmes a lieu dans notre mémoire de travail. Celle-ci a une capacité limitée à 4 +/- 1 informations nouvelles afin de permettre un traitement de celles-ci en parallèle. Cela constitue le principal goulot d’étranglement du système. 

Le processus de résolution de problèmes présuppose :
  • La capacité à décomposer le problème en étapes traitables en matière de charge cognitive
  • La sélection des informations pertinentes et l’élimination des informations parasites
De fait, régulièrement, la mémoire de travail va nécessiter une aide qu’elle trouve sous forme de guidage : 
  • Dans l’environnement extérieur, par exemple avec un support papier ou sur un écran.
  • Grâce aux connaissances préalables, disponibles et directement activées à partir de la mémoire à long terme.
De cette manière, notre mémoire à long terme contribue à la résolution par l’intermédiaire des connaissances et des heuristiques qui y sont stockées.

Les heuristiques sont des stratégies qui visent à réduire la durée de la recherche et la surcharge cognitive. L’enjeu des heuristiques dans la résolution de problèmes est de permettre la découverte de nouvelles informations par le traitement de celles disponibles et d’atteindre plus rapidement l’état final. 

Parmi les heuristiques disponibles, nous trouvons notamment :
  • La capacité à découper un énoncé compris en étapes et sous-étapes compatibles avec l’état final. L’espace problème est alors divisé en sous-objectifs. Nous cherchons de manière séquentielle la solution de chaque sous-objectif. Chaque sous-objectif résolu est un pas de plus vers l’objectif final.
  • L’analyse moyens-fins consiste à constamment noter l’écart entre l’état intermédiaire actuel obtenu et l’état final. Il s’agit pour cette stratégie de choisir alors un opérateur qui modifie l’état intermédiaire en le rapprochant le plus possible de l’état final. 
  • La satisfaction des contraintes
  • Le raisonnement par analogie
  • La construction de diagrammes : la représentation graphique des éléments et structures sous-jacentes du problème nous aide à mieux piloter la recherche de solution
  • L’heuristique d’évitement de l’état répétitif détecte et limite la réalisation d’actions qui ramèneraient le problème à un état antérieur, c’est-à-dire le risque d’un raisonnement en boucle.
  • L’heuristique de la réduction de la différence induit le choix de la route la plus directe vers le but. 
Ces différentes heuristiques n’apportent aucune certitude quant à l’établissement et l’atteinte d’une solution. 

De plus, les problèmes concrets peuvent sembler vagues et manquer de détails, car ils nécessitent régulièrement des connaissances préalables pour les résoudre qui sont implicites dans l’énoncé. Les connaissances spécifiques, sous forme de savoir et de savoir-faire en mémoire à long terme vont grandement aider à la résolution de problèmes. Si nous ne disposons pas des informations pertinentes, nous pouvons procéder par essai et erreur sans assurance d’aboutir à une solution.



Avantages de l’expertise dans le cadre de la résolution de problèmes


La résolution de problèmes demande d’anticiper les états futurs pour valider le choix d’un opérateur plutôt que d’un autre, entraînant tel ou tel changement d’état dans l’espace problème.

La maitrise d’une méthode de résolution nécessite la capacité à anticiper et à visualiser des états intermédiaires futurs et à évaluer en permanence leur pertinence au regard de l’approche ou de l’éloignement de l’état final. Il faut en effet pouvoir s’assurer que nous nous avançons dans la bonne direction.

Au plus une personne possède de l’expertise dans le domaine auquel appartient le problème, au plus l’espace problème se réduit :
  • L’expertise permet de reconnaitre certaines caractéristiques d’ensemble du problème qui peuvent indiquer la voie à suivre. Cette évaluation sera facilitée par l’existence en mémoire à long terme de schémas d’états intermédiaires du problème. Leur récupération est d’autant plus aisée et efficace pour la résolution que la mémoire à long terme est bien organisée.
  • L’expertise permet d’écarter d’emblée toute une série de directions inappropriées, ce qui permet d’augmenter sensiblement la vitesse et la rigueur de la résolution.
Identifier ce qu’il faut faire et écarter les pistes non performantes et les impasses facilite et simplifie de manière sensible la résolution de problème. 

L’expert peut voir avec clarté ce qu’il faut faire sans utiliser trop de capacité de mémoire. Sans devoir trop réfléchir, l’expert peut aller droit vers la solution.

À l’opposé, pour résoudre un problème, un novice va devoir effectuer un plus grand nombre d’étapes intermédiaires. Toutes ne seront pas pertinentes. N’ayant pas de vision globale, il va successivement emprunter divers chemins dans l’espace problème jusqu’à éventuellement trouver le bon. À la différence de l’expert, il ne peut savoir d’emblée quel est le meilleur itinéraire, il va donc devoir y aller par un processus d’essais et d’erreurs, ce qui correspond à une analyse moyens-fins.


Prendre en compte la théorie de la résolution humaine de problèmes dans le cadre de l’enseignement explicite


Considérons la définition du terme problème, celle d’une tâche que nous ne savons pas réaliser (Tricot, 2020). Nous pouvons reconnaitre que dans le cadre de l’enseignement, si nous n’y prenons pas garde nous risquons de placer régulièrement nos élèves en difficulté dans une situation de résolution de problèmes. Dès que nous leur soumettons des tâches inédites à réaliser, ils se retrouvent potentiellement dans cette situation.

La théorie de la résolution humaine de problèmes est une approche systématique. Elle permet de comprendre ce que font les élèves lorsqu’ils résolvent un problème. Elle nous permet de comprendre également comment nous pouvons les aider grâce à une démarche d’enseignement explicite. Il ne s’agit pas de leur éviter de réfléchir. L’enjeu est de le faire à bon escient, en s’assurant que non seulement ils arrivent à résoudre les problèmes visés, mais que cela s’accompagne également d’un apprentissage réel.

Il s’agit pour l’enseignant de faire preuve de clarté afin de rendre visible et limpide pour les élèves l’élaboration d’une démarche de résolution de problèmes dans le contexte spécifique visé. 

Il n’y a pas d’utilité pratique à les laisser chercher et perdre du temps dans des directions inadéquates d’autant plus que cela pourrait mener à la mémorisation d’erreurs. 

Il s’agit plutôt de les guider pas à pas, par modelage et pratique guidée, sur le chemin de l’expertise. Cela jusqu’à ce qu’ils aient acquis en mémoire à long terme les connaissances et les stratégies de résolution spécifiques. 

Dans cette perspective, l’enseignant doit avoir réfléchi à une conception pédagogique. Il doit anticiper l’espace problème de la tâche nouvelle tel que ses élèves le rencontreront lors de la résolution. En traçant lui-même l’itinéraire, l’enseignant découvre plus rapidement les lieux où les élèves sont susceptibles de se perdre, de se tromper ou d’éprouver de la confusion. De cette manière, il anticipe leur réflexion et peut offrir un guidage, un étayage, un questionnement et une rétroaction qui seront efficaces. 

L’enseignant divise la résolution en étapes emboitées qui respectent les limites de la mémoire de travail de ses élèves. Le concept d’étapes emboitées tient compte du fait qu’à partir du moment où des connaissances sont stockées en mémoire à long terme, elles ne nécessitent plus de ressources en mémoire de travail. L’apprentissage est progressif. Ainsi, après une étape 1, l’étape 2 comporte en son sein l’étape 1. L’étape 3 contient elle-même l’étape 1 et 2 et cela jusqu’à la dernière étape. La dernière étape contient en son sein une procédure de résolution complète maintenant comprise et apprise par l’élève. 

Une fois la marche à suivre des explications prête, l’enseignant peut procéder au modelage et à une pratique guidée de la stratégie, éventuellement en utilisant de problèmes résolus et de problèmes partiellement résolus. Il accompagne le tout d’une vérification régulière de la compréhension de ses élèves.  

Au terme de cette démarche d’enseignement explicite, les élèves sont aptes à une pratique autonome où ils pourront compléter l’apprentissage et la maitrise de la méthode de résolution. Ainsi les élèves peuvent acquérir efficacement la maitrise de la résolution de problèmes dans un cadre spécifique, sans avoir à emprunter par essai et erreur différents méandres ou voies sans issue.



Mis à jour le 04/05/2023


Bibliographie


Allen Newell, Unified Theories of Cognition, 1994, First Harvard University Press

Paul A. Kirschner, Luce Claessens & Steven Raaijmakers, Op de schouders van reuzen, 2018, p 29-33

André Tricot, Qu’est-ce que la charge cognitive, 2020, https://synapses-lamap.org/2020/01/07/interview-quest-ce-que-la-charge-cognitive/

La définition d’espace-problème, https://carnets2psycho.net/dico/sens-de-espace-probleme.html

Théorie de l’espace-problème, https://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2002.noir_m&part=64572

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