mercredi 24 juin 2020

Comment s’améliorer en tant qu’enseignant ?

L’enjeu principal du développement professionnel est d’améliorer les résultats et l’expérience scolaires des élèves en agissant sur les pratiques des enseignants.

La question a déjà été largement explorée dans ces pages en s’intéressant au pilotage d’un développement professionnel efficace à l’échelle de l’école. L’enjeu est de s’intéresser ici à ce qui se passe à l’échelle de l’enseignant singulier, dans ses réflexions, conceptions, démarches et stratégies.

(Photographie : Stephanie Dolen)


Difficultés liées au développement professionnel


Le développement professionnel est basiquement conçu pour former les enseignants à des pratiques efficaces ou innovantes. Théoriquement, il aurait toutes les chances d’être très efficace. Prodigué à des experts dans leur domaine, eux-mêmes spécialistes en apprentissage, le cadre est idéal pour une traduction pratique.

Il y a de multiples cas où cela fonctionne correctement. Par exemple, lorsque des enseignants adoptent un nouveau protocole imposé par une réforme, de nouvelles règles de gestion de classe ou s’alignent sur un processus organisationnel systémique.

Le début de la carrière d’un enseignant est particulier à ce titre. Les nouveaux enseignants développent des façons routinières d’accomplir chacune des tâches propres à l’enseignement : donner cours, planifier, fournir de la rétroaction, intervenir en cas de perturbation, etc. Les enseignants connaissent leur matière et développent des habitudes de communication propices envers leurs élèves.

D’autres volontés et attentes liées au développement professionnel sont moins aisées, dès qu’elles s’immiscent dans l’espace de la liberté pédagogique des enseignants. Beaucoup de tentatives visant la pédagogie ou des stratégies d’enseignement plus générales sont plus délicates à diffuser. Au-delà de la liberté pédagogique, une raison de leurs difficultés et qu’elles impliquent un changement de culture et des transformations plus profondes des processus de réflexion et d’analyse propres à l’enseignement. Lorsqu’elles incluent un changement de paradigme et une refonte des manières de donner cours et des supports d’enseignant, elles sont moins aisées à transmettre.



Dépasser le scepticisme naturel face aux propositions de changement du développement professionnel


Lorsqu’un enseignant se voit proposer une pratique en décalage avec ce qu’il fait généralement, il commence par y répondre à travers un nécessaire scepticisme professionnel qui est la manifestation d’un esprit critique.

L’enseignant possède son propre point de vue, élaboré à travers le filtre de son expertise et de ses expériences en classe. La question qu’il va légitimement se poser est de savoir si la pratique nouvelle qui lui est présentée est pertinente pour lui et avantageuse pour ses élèves ou si elle présente le risque d’être neutre ou néfaste.

Pour cela, il a besoin de se construire un double accès :
  • À la fois sur la finalité de la nouvelle pratique, sur ses conséquences positives éventuelles sur l’apprentissage des élèves qu’il peut demander à vérifier.
  • Sur le bien-fondé de cette pratique, sur les antécédents auxquels elle va toucher, sur les mécanismes psychologiques qui peuvent soutenir sa construction. 

Sera-t-elle efficace sur le terrain et repose-t-elle sur des fondements théoriques valides ?

Cette analyse approfondie est nécessaire. Elle correspondra à un buy-in ou à un refus d’adhésion.

L’échec des tentatives de développement professionnel à se traduire par une amélioration réelle des résultats d’élèves peut venir du non-respect de cette étape.

Si l’enseignant ne développe qu’une compréhension partielle ou inadéquate, il risque de refuser ou de n’accepter qu’à moitié, ce qui peut mener à l’échec. Une fois la porte de la classe fermée, l’enseignant reste maitre du terrain.

Le seul changement possible est de commencer par convaincre, acquérir l’adhésion et ensuite seulement tenter de faire évoluer les modèles théoriques et les pratiques des enseignants.



La difficulté liée au changement des habitudes dans les démarches de développement professionnel


Le point d’achoppement majeur est qu’il est difficile d’enseigner à quelqu’un d’améliorer des pratiques pour lesquelles il a précédemment développé des automatismes ou une maitrise personnelle. Autrement dit, des experts sont plus rétifs que des novices à suivre un enseignement qui risque de remettre en question certaines de leurs habitudes et convictions personnelles.

Imaginons un enseignant qui vient d’être formé bénévolement et en toute bonne foi à une nouvelle pratique professionnelle. L’enjeu pour lui est maintenant d’améliorer ou de remplacer une pratique correspondante, en classe, qui lui est courante et qu’il applique de manière fluide et sans réfléchir.

Il va se retrouver face à une double difficulté :
  • Inhiber ses comportements réflexes qui l’amènent à reproduire sa pratique habituelle.
  • Préparer, concevoir, exprimer et contrôler de nouveaux comportements qui s’inscrivent pleinement dans le cadre de la nouvelle pratique professionnelle à laquelle il vient d’être formé.

L’enseignant peut par mégarde agir par défaut, en pilotage automatique, ce qui correspond au système 1 et oublier d’inhiber son comportement antérieur.

De même, il peut rencontrer des difficultés, des doutes ou des incertitudes dans l’application de nouveaux principes.

Un mélange d’oubli, d’hésitation et de maladresse fait que le risque est bien réel pour l’enseignant de retomber dans le confort de ses propres routines bien établies, quand bien même il est conscient de leurs limites.

Ainsi, lors d’un développement professionnel, les enseignants reçoivent des conseils, entrevoient des pistes, peuvent s’enthousiasmer. Le formateur peut se dire que c’est bien parti et les conseils prodigués peuvent être utiles et adéquats. Il est cependant tout à fait possible que les enseignants fassent par la suite un ou plusieurs essais, rencontrent des difficultés, puis abandonnent et retournent vers leurs confortables comportements réflexes.



Faire évoluer ses pratiques implique un décentrage


Une erreur classique qui est une source d’échec commune dans le développement professionnel est la suivante. Elle apparait lorsque l’enseignant va considérer que peu ou prou, il applique déjà dans sa classe quelque chose qui ressemble dans les grandes lignes à la nouvelle pratique proposée. Cette considération exclut tout décentrage et empêche un changement dans le fond en matière de pratiques.

De fait, il va vouloir faire évoluer certains aspects de sa pratique, mais sans aborder de changements de fond ni entamer de processus de réflexion approfondi. Il a dès lors toutes les chances de ne pas identifier ce qui pourrait être inadéquat dans sa pratique initiale. Le processus a toutes les chances de dénaturer l’adoption de la nouvelle pratique.

Dans ce cas, sa conversion qui n’en serait pas une se réduirait en un saupoudrage de surface, il ne changerait rien pédagogiquement à sa façon de penser. 

En effet, un enseignant doit savoir pourquoi il applique telle pratique à tel moment. Il doit savoir ce qu’il vise et quels sont les leviers d’apprentissage sur lesquels il joue. Sans avoir conscience de ces paramètres, sa performance ne peut être à terme que sous-optimale.

La conclusion est que certains types de développement professionnel sont très difficiles à rendre efficaces. Le changement ne peut se faire par infusion, mais à travers une rupture qui permet de se couper des pratiques antérieures automatisées. Le changement implique un décentrage.



Les conditions au changement dans les pratiques professionnelles


Pourquoi est-ce que parfois le développement professionnel marche bien et d’autres fois non ? Un facteur déterminant consiste à réaliser qu’il n’y a quasiment pas de changements possibles qui se passent en douceur, progressivement, presque par infusion.

Pour qu’une réelle progression, qu’une vraie évolution ait lieu, elles doivent marquer une forme de rupture, la pose d’un choix assumé, une différence de perspective nette, un changement conceptuel.

Un changement conceptuel lié aux pratiques demande trois qualités aux enseignants :
  • La capacité à dépasser une réticence toute naturelle. Il s’agit de prendre en compte et d’accepter le fait que de nouvelles idées peuvent entrer en conflit avec certaines de nos propres croyances.
  • La capacité de résister au fait que nos croyances antérieures, qui maintenant vont évoluer, sont bien ancrées dans nos expériences personnelles. 
  • La persévérance à aboutir à un changement durable et à s’engager dans une pratique délibérée qui permettra d’acquérir de nouvelles habitudes.

Deux caractéristiques dans la façon dont une nouvelle pratique est introduite sont importantes :
  • La clarté :
    • Les principes du fonctionnement et des processus liés à cette nouvelle pratique doivent être absolument limpides, complets et explicites.
    • L’enseignant doit savoir exactement ce qu’il doit faire (quand et comment) et ce qu’il ne doit pas faire. 
    • Lorsqu’un enseignant fait face à des stratégies précises et concrètes qui sont nettement différentes de ce qu’il fait habituellement, il y a plus de chances qu’un changement durable et manifeste s’installe. Il y a beaucoup moins de chances qu’il cède à la confusion.
  • La fermeté :
    • Le formateur et le leadership pédagogique qui le soutient doivent être sans ambiguïté sur l’importance qu’ils accordent à cette pratique et à son bien-fondé.
    • La pratique doit disposer d’une large validation de la recherche dans les contextes où elle sera diffusée et celle-ci doit être mise en avant.
    • Une pratique doit également correspondre à un ou plusieurs modèles scientifiques théoriques qui justifient son efficacité et éclairent sur ses paramètres.

Il est dès lors évident que tout saupoudrage de quelques pratiques a toutes les chances de ne pas se traduire ni en des changements de pratiques enseignantes ni en des améliorations réelles pour l’apprentissage des élèves. Quand les changements supposent d’améliorer des pratiques habituelles, le poids des réflexes est plus important et tend à reprendre rapidement le dessus. 

Pour qu’un développement professionnel porte ses fruits pour un enseignant, il doit répondre à la double contrainte. Il doit être :
  • Un apprentissage professionnel : les enseignants ont besoin de formations, d’un encadrement distribué et de rétroaction pour réussir à adopter une nouvelle pratique.
  • Une pratique délibérée : les enseignants étant des experts, après la formation, il est indispensable qu’ils s’en approprient les contenus. Il y a une part nécessaire d’apprentissage adaptatif autonome, sur le terrain de la classe, inscrit dans le cadre de la pratique professionnelle.  

Il est plus simple pour un enseignant d’adopter des pratiques neuves que de faire évoluer des pratiques qui fonctionnent comme des automatismes. Des pratiques neuves sont dans un sens faciles à apprendre, à retenir et à appliquer parce qu’elles peuvent présenter une rupture face à des habitudes. Elles sont si bien définies et claires que lorsqu’elles ont commencé à fonctionner et qu’elles fournissent des bénéfices, les enseignants sont susceptibles de les conserver indéfiniment. Il est alors moins probable qu’ils se rabattent sur d’autres stratégies qui sont peut-être moins efficaces, mais qui sont déjà profondément ancrées.



État d’esprit à adopter par l’enseignant qui apprend


Le point de départ est d’adopter le sens de l’amélioration comme une nécessité, non pas parce que nous ne sommes pas ou plus assez bon, mais parce que nous pouvons devenir encore meilleurs en tant qu’enseignants.

Nous ressentirons nous-mêmes, à terme, les avantages d’une amélioration, mais les premiers bénéficiaires seront nos élèves.

Lorsque les enseignants font mieux leur travail, leurs élèves s’épanouissent davantage, trouvent leur place dans la société, vivent plus longtemps, sont en meilleure santé et contribuent davantage à la société.

Il importe de réaliser qu’un enseignant n’apprend pas de la même manière qu’un élève puisqu’il est déjà expert dans ses pratiques journalières. Dès lors, il ne lui est pas vraiment possible de changer sa pratique très rapidement. Progresser, évoluer, s’améliorer implique d’y aller par petits pas.

L’erreur commune est de vouloir changer trop d’éléments, de toucher à trop de variables, en même temps.

Dès lors, nos repères, notre équilibre tombent en morceaux et nous nous réfugions vite dans nos habitudes passées. Nous nous y sentons plus en sécurité, pour nous-mêmes et pour nos élèves.

Il s’agit de faire preuve de persévérance et de patience, choisir une ou deux pratiques spécifiques, et certainement pas plus de trois à la fois. Il faut alors s’engager à les travailler jusqu’à les intégrer et se les approprier. Elles doivent devenir une seconde nature pour nous en classe.

De nombreux enseignants s’enthousiasment pour des approches complexes et veulent tout changer et les adopter rapidement. Ils vont s’y atteler pendant un certain temps, mais ayant les yeux plus gros que le ventre, ils vont faire face à des difficultés multiples. Submergés, ils vont oublier de les appliquer systématiquement et finalement, devenus amers, ils ne les utiliseront plus.

Changer implique de pratiquer, pratiquer et pratiquer encore de manière délibérée une nouvelle approche à la fois. L’enjeu est d’en acquérir la compétence, de continuer jusqu’à ce qu’elle devienne une seconde nature pour nous.

Aussi longtemps que nous devons nous rappeler de l’appliquer et d’en tenir compte que ce n’est pas un réflexe en classe, c’est qu’elle n’est pas encore une seconde nature. Elle ne nous appartient pas encore.

Il s’agit de mettre l’accent sur quelques éléments centraux, de les concrétiser en classe systématiquement encore et encore, jusqu’à ce qu’ils fassent partie de notre identité professionnelle.

À ce moment-là seulement nous pouvons envisager l’étape suivante.



Concevoir le développement professionnel dans le cadre d’un projet de pilotage de l’amélioration


Les programmes d’amélioration en développement professionnel pour les enseignants nécessitent des stratégies concrètes et précises. La bonne volonté et l’adhésion peuvent ne pas suffire, un changement de paradigme est nécessaire.

Il ne s’agit donc pas de fournir des pratiques qui seraient comme des recettes venant s’additionner à une palette déjà bien fournie. Il faut agir à la fois au niveau de la pratique concrète en classe et du modèle théorique qui la sous-tend. 

Il ne suffit pas de former des enseignants à des pratiques efficaces, il faut surtout les former à rendre leurs pratiques efficaces et à leur faire comprendre comment ils peuvent les piloter. Le développement professionnel doit viser un impact et s’inscrire dans un projet de pilotage de l’amélioration.

Il s’agit de leur fournir les connaissances et les libertés professionnelles nécessaires pour qu’ils puissent déterminer les moyens les plus efficaces d’enseigner leurs matières à leurs élèves. Ensuite, nous pouvons reconnaitre leur professionnalisme à travers leur responsabilité dans les décisions pédagogiques qu’ils ont prises.


Mise à jour le 14/09/2022


Bibliographie


Robert Slavin, 2019, What Works in Professional Development, https://robertslavinsblog.wordpress.com/2019/12/19/what-works-in-professional-development/

David Didau, 2019, The distorting lens of perspective (and why teachers need to be professionally sceptical), https://learningspy.co.uk/featured/the-distorting-lens-of-perspective-and-why-teachers-need-to-be-professionally-sceptical/

Dylan Wiliam, 2018, Tips for changing practice https://www.youtube.com/watch?v=doWJoRYWX7I&t=61s

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