mardi 7 avril 2020

Mobiliser les objectifs d'apprentissage pour engager les élèves à relever le défi d'attentes élevées

La mise en œuvre des objectifs pédagogiques en tant que défis à relever pour tous les élèves constitue une force motrice, à la fois pour l’enseignement et pour l’apprentissage qui en découlera.
(Photographie : Boris Snauwaert)




Transformer les objectifs pédagogiques en objectifs d’apprentissage


Dans le cadre d’un alignement curriculaire et pour aborder la préparation d’un cours dans une perspective collaborative avec des collègues, un enseignant doit commencer par concevoir des objectifs pédagogiques. Ceux-ci décrivent précisément les attendus, les conditions et les critères de réussite liés aux apprentissages des élèves.

Souvent, les objectifs pédagogiques utilisent un langage complexe lié à la matière et ne peuvent être pleinement appréhendés qu’avec une certaine expertise dans la matière enseignée. En bref, ils sont des outils importants pour l’enseignant, mais les donner sous cette forme aux élèves ne va pas leur permettre d’y accéder facilement.

Tout un travail de traduction des objectifs pédagogiques en objectifs d’apprentissage doit être réalisé. Il implique une simplification du langage qui se fonde sur les connaissances préalables des élèves afin de les rendre pleinement intelligibles dans l’action de l’enseignement.

Ces objectifs d’apprentissage gagnent à prendre la forme de défi pour les élèves : ni trop simples, ni trop complexes. Ils peuvent être présentés sous forme de question ou utiliser la première personne du singulier de manière à faciliter l’implication des élèves. 

Les élèves doivent faire aisément le lien entre les objectifs d’apprentissage et le type de tâche qui s’y rapportent. Pour alimenter la motivation des élèves et activer le circuit de renforcement et augmenter leur motivation, les tâches données aux élèves doivent les mettre en face de difficultés accessibles. Nous devons nous assurer de leur offrir des opportunités de réussite en retour de leurs efforts.

Parallèlement, il s’agit également de définir à leur égard des attentes élevées en matière de réussite. L’idée est non seulement que les élèves apprennent, mais qu’ils progressent au-delà de ce qu’ils savent et qu’ils peuvent faire au moment donné. Les attentes élevées de l’enseignant vont de pair avec le soutien qu’il leur procure en cas de difficulté. 

À ce titre, le défi associant un objectif d’apprentissage explicite et les tâches qui s’y rapportent, est la mise en action dynamique d’un objectif pédagogique perçu parfois de manière statique par l’élève. Nous nous employons à transformer les objectifs pédagogiques en objectifs d’apprentissage fonctionnels et mobilisables aisément par les élèves. Ils perçoivent clairement ce qui est attendu d’eux et ce qu’il leur reste à faire pour acquérir les apprentissages correspondants.

Si le défi est mal traduit dans l’objectif d’apprentissage, mal compris ou mal conçu, ou si les tâches proposées sont trop simples ou trop complexes, aucun enseignement efficace ne peut le compenser. L’élève se démobilisera. À ce titre, la bonne gestion des objectifs d’apprentissage représente ainsi un enjeu à la fois pour l’enseignant et pour l’élève.

Le défi donne l’impulsion, l’élan pour transmettre concepts, idées et procédures à travers le modelage, pour susciter l’engagement de l’élève dans la pratique et dans toutes les phases ultérieures que pilote l’enseignant.



Inclure un défi qui s’adresse à tous dans les objectifs d’apprentissage


Le défi de l’éducation est de placer et guider les élèves face à des difficultés qu’ils relèveront à travers un travail exigeant et de longue haleine. Leurs investissements bénéficieront d’une réflexion en profondeur et d’un engagement sérieux.

Le défi s’adresse à tous les élèves et demande une part d’autonomie. Il n’est pas l’apanage des élèves les plus doués tandis que les plus faibles seraient soutenus ou assistés par l’enseignant dans leurs apprentissages. Le défi permet d’éviter la sous-performance et l’ennui. Le défi constitue un facteur important pour maintenir des attentes élevées pour tous les élèves.

C’est ici que peut se trouver parfois une erreur fondamentale. Même les élèves les plus faibles et surtout les élèves les plus faibles devraient être mis au défi de progresser. Soutenir n’est pas suffisant. Si c’est la seule intervention, elle est aussi un avis de défaite. Se placer d’emblée dans une démarche continue de soutien est une façon de n’exprimer que de faibles attentes avec des effets désastreux sur le sentiment d’efficacité personnelle de tels élèves.

De faibles attentes, consciemment et inconsciemment, sont susceptibles d’être communiquées par l’enseignant. Elles sont apprises par ces élèves plus faibles, dont la scolarité s’est définie par un manque de confiance en soi et un parcours subi. Ce parcours se délimite souvent plus par des renoncements que des choix.



L’effet Pygmalion et l’effet Golem dans l’opérationnalisation des objectifs d’apprentissage


La prophétie autoréalisatrice est un concept en sciences sociales et en psychologie :
  1. Un individu prédit ou s’attend à l’occurrence d’un événement, souvent négatif pour lui.
  2. Cet individu modifie ses comportements en fonction de ses croyances. Il considère la prophétie comme inéluctable. Ses comportements vont s’inscrire dans le sens de la prédiction.
  3. La prophétie se réalise.

Le processus peut aussi se produire à l’envers, nous parlons alors de prophétie autodestructrice
  1. Un individu prédit ou s’attend à un événement, souvent négatif pour lui.
  2. Cet individu modifie ses comportements en fonction de ses croyances. Il ne considère pas la prophétie comme inéluctable. À la différence de la prophétie autoréalisatrice, ses croyances prennent la forme d’une rébellion à la prédiction. Les comportements vont agir pour rendre la prédiction moins plausible.
  3. La prophétie ne se réalise pas.

Une déclinaison de la prophétie autoréalisatrice au champ de l’éducation est l’effet Pygmalion. Il se manifeste par l’effet des attentes des enseignants et de leur expression, explicite ou implicite, sur la réussite ou l’échec scolaire des élèves. Les attentes des enseignants influent sur celles des élèves.

Il y aurait trois étapes :
  1. Les enseignants, sous l’influence des informations qu’ils ont reçues à propos de leurs élèves où qu’ils se forment dans les premiers temps, développent des attentes différenciées à leur égard.
  2. Ces attentes suscitent de leur part un traitement particulier des élèves qui se manifeste par des tâches scolaires, une rétroaction et un soutien affectif singulier.
  3. Le traitement différentiel modifie les comportements et les résultats scolaires des élèves.

La prophétie autoréalisatrice concerne à la fois l’enseignant et l’élève :
  1. L’effet des attentes de l’enseignant à l’égard de l’élève correspond pour lui à une prédiction. 
  2. L’élève modifie son comportement scolaire dans le sens des attentes de l’enseignant. 
  3. Le résultat de l’élève tend à s’approcher des attentes de l’enseignant.

Il est important pour un enseignant de prendre conscience de cet effet potentiel. Cela lui permet d’éviter qu’il se manifeste au détriment de certains élèves.

Au contraire, il faudrait essayer de l’exploiter pour provoquer une amélioration des performances d’un élève, en améliorant son degré de croyance en sa réussite.

Dans le cadre de l’éducation, nous considérons l’effet Pygmalion dans le sens d’une évolution scolaire positive d’un élève. Lorsque la prophétie autoréalisatrice tend à se traduire en une performance moindre et des objectifs moins élevés sous l’effet d’un potentiel jugé limité par une autorité (parent, professeur…), nous parlons alors d’effet Golem.

Ainsi, l’expression et la mise en œuvre des attentes d’un enseignant envers ses élèves ont un effet potentiel profond non seulement sur la façon dont il interagit avec eux, mais aussi sur leurs résultats futurs.

Les enseignants ont parfois tendance à interagir différemment avec les élèves dont ils espèrent le plus. Ils seraient plus chaleureux envers eux, leur enseigneraient plus de matière. Ils interagiraient plus souvent avec eux, leur donneraient plus de temps pour répondre aux questions et leur feraient des éloges plus positifs.

À l’issue de leur revue de la recherche empirique sur les attentes des enseignants, Jussim & Harber (2005) ont posé les conclusions suivantes sur les prophéties autoréalisatrices : 
  1. Des prophéties autoréalisatrices se produisent en classe, mais ces effets sont généralement faibles. Il n’y a pas beaucoup d’effet d’accumulation pour un élève concerné au fil du temps. Elles sont plus susceptibles de se dissiper que de s’accumuler. 
  2. Les prophéties autoréalisatrices les plus puissantes tendent à se produire de manière sélective parmi les élèves de groupes sociaux stigmatisés.
  3. Nous ne savons pas très bien si les prophéties qui se réalisent affectent l’intelligence et si elles font en général plus de mal que de bien.
  4. Les attentes des enseignants peuvent prédire les résultats des élèves davantage parce que ces attentes sont exactes que parce qu’elles se réalisent. 

Jussim et Harber montrent qu’entre la vision d’une condamnation des enseignants et celle de leur exonération, il semble que la réalité oscille quelque part entre les deux. 



Mettre en œuvre des attentes élevées grâce aux objectifs d’apprentissage


La mise en œuvre des défis contenus dans les objectifs d’apprentissage impose de les adresser comme des challenges pour chaque élève, peu importe le niveau que nous pourrions leur attribuer. Nous devons développer des attentes élevées pour tous et les croire tous capables de les remplir. L’investissement, l’engagement et les efforts de tous les élèves sont dès lors attendus et exigés.

Allison et Tharby (2015) proposent les principes généraux suivants pour nous aider à utiliser le défi en classe :
  1. Ils ne s’adressent pas qu’aux meilleurs élèves, mais à tous. 
  2. Ils expriment des attentes élevées à l’égard de tous les élèves, tout le temps.
  3. Le niveau de difficulté est géré par l’enseignant :
    • Il ne doit pas être trop élevé, car la saturation de la mémoire de travail empêche tout apprentissage et génère de la frustration. 
    • Il ne doit pas être trop faible, car une difficulté trop faible incite à la distraction et se traduit par une perte de temps. 
    • Lorsque le niveau de difficulté est bien dosé, l’apprentissage peut être maximisé.

Une bonne part des élèves sont dans un état d’esprit positif et font le lien entre leurs efforts d’apprentissage, leur réussite et leurs progrès. Ceci correspond à une mentalité de croissance selon le modèle de Carol Dweck. Ils sont naturellement réceptifs à un travail stimulant demandé par leurs enseignants.

Une attention particulière doit être accordée aux élèves qui sont les moins susceptibles d’accrocher pour les renforcer.



Aider les élèves en difficulté à relever le défi des objectifs d’apprentissage


Les élèves en difficulté sont ceux qui ont rencontré des faiblesses récurrentes dans la branche concernée. Ils ont l’impression que celles-ci sont inéluctables et qu’ils ne peuvent pas progresser. Pour ces élèves, peu importe les efforts supplémentaires qu’ils pourraient fournir, cela ne changera pas la donne.

Ils considèrent qu’ils ont tout intérêt à ne fournir que le minimum vital pour s’en sortir. Redoubler d’efforts pour ces élèves reviendrait à risquer de faire face à un échec douloureux qui leur semble probable. En ne s’investissant qu’à minima, ils évitent une aggravation de leur perception négative d’eux-mêmes.

Comme réussir brillamment ou honnêtement leur semble hors de portée, ils préfèrent rester en retrait et minimiser leur implication, de peur de paraître en difficulté ou incapables d’y arriver. Ils protègent leur face, leur concept de soi.

La tentation pour l’enseignant c’est d’accepter tacitement la situation en les laissant vivoter et ne pas exiger d’eux un investissement responsable et conséquent, en rapport avec leurs besoins.

Tolérer cet état de choses est un échec pour l’enseignant, car sans effort réel, pratique délibérée ou réflexion profonde, ces élèves ne progresseront pas. Ils ne rempliront pas les attentes, ne progresseront pas et ne généreront que peu d’apprentissages utiles.

En outre, lorsque ces élèves arrivent malgré tout à s’en sortir de justesse, alors leur modèle de fonctionnement est justifié. Il est renforcé alors même que l’enseignant est conscient que ces démarches les enferment progressivement dans une impasse. Celle-ci se révèlera lorsque le manque de connaissances deviendra trop important pour qu’il puisse être compensé rapidement.

Nous devons œuvrer pour favoriser le passage de ces élèves d’une mentalité figée et fataliste, à une mentalité de progrès. La seule façon d’y parvenir est de leur donner un travail plus stimulant, de les mettre au défi et de les soutenir en les aidant à croire qu’ils peuvent le faire à travers des preuves concrètes.

Nous œuvrons à les amener à une position où, grâce à un travail acharné, à la résilience et à la détermination, ils prennent le goût de l’accumulation de petites victoires personnelles justifiées. Dans cette perspective, ils finiront par embrasser la lutte vers la réussite.



Obtenir le plein engagement des élèves face aux objectifs d’apprentissage


Le défi pour l’élève prend toujours naissance dans la conception et les démarches de l’enseignant. Pour ce dernier, le challenge qu’il va affronter est double. Non seulement il faudra obtenir l’engagement des élèves face aux objectifs d’apprentissage, mais également le maintenir, pas à pas, sur le long terme.

Comme l’avance la théorie de la charge cognitive, un apprentissage utile ne se fera pas lorsqu’il y aura pour un élève trop de nouveaux éléments à manipuler, à un moment donné, dans sa mémoire de travail.

Toutefois, il ne faut pas tomber dans le piège de la différenciation. Il s’agit de ne pas différencier le travail que nous demandons aux élèves en fonction de leurs aptitudes supposées ou de leurs connaissances préalables. Au contraire, il faut placer la barre haute pour tous les élèves, peu importe leur point de départ.

L’enjeu va plutôt être dans l’étayage, dans la réponse à leurs besoins identifiés. Il s’agit de les soutenir au fur et à mesure, face aux exigences qu’ils s’efforcent tous d’atteindre, voire de dépasser. Celles-ci sont définies par les objectifs d’apprentissage.

La différenciation mise en place par l’enseignant résidera dans la rétroaction qu’il leur donnera face aux difficultés prévues et imprévues que ses élèves rencontreront en cours de route. Elle s’inscrira également dans une approche de type réponse à l’intervention.

Son succès va dépendre de la connaissance que l’enseignant acquiert sur l’apprentissage en cours de chacun de ses élèves et de son expertise sur la matière.

Même si tous les élèves ont les mêmes tâches à maîtriser, certains auront besoin d’un étayage supplémentaire. Il s’agit de les identifier et de le leur fournir. Il s’agit d’une compétence très subtile qui prend de nombreuses années à apprendre et qui gagne à être partagée, échangée, diffusée entre collègues.

De ces démarches dépend le succès de la mise en place d’attentes élevées.

D’emblée, la barre est placée très haute en permanence, les attentes sont élevées. Tout le défi est là.




Mis à jour le 29/08/2024

Bibliographie


Shaun Allison Shaun and Andy Tharby, Making every lesson count, 2015, Crown House.

“Prophétie autoréalisatrice.” Wikipédia, l’encyclopédie libre. 1er avr. 2020

« Effet Golem. » Wikipédia, l’encyclopédie libre. 10 févr. 2019

« Effet Pygmalion. » Wikipédia, l’encyclopédie libre. 2 avr. 2020

Self-defeating prophecy, Wikipedia contributors. (2020, February 11)

Jussim, Lee & Harber, Kent. (2005). Teacher Expectations and Self-Fulfilling Prophecies: Knowns and Unknowns, Resolved and Unresolved Controversies. Personality and social psychology review: an official journal of the Society for Personality and Social Psychology, Inc. 9. 131-55. 10.1207/s15327957pspr0902_3.

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