jeudi 9 avril 2020

Concilier enseignement explicite et découverte guidée : le modèle LRI

Une question fait régulièrement débat et elle est polymorphe. L’enseignement doit-il se focaliser sur l’acquisition des connaissances de base spécifiques aux matières scolaires ? Doit-il au contraire favoriser des compétences générales plus ambitieuses liées plus particulièrement à la résolution de problèmes et de tâches complexes ?

(Photographie : Bryan Mollett)



Choisir entre enseignement explicite et découverte guidée


La prise en compte du modèle de la mémoire de travail et de la mémoire à long terme, associé aux bienfaits de la récupération, peut contribuer à rendre durables les apprentissages. Ces notions et leurs implications font pourtant peu consensus.

Résultat des courses, en tant qu’enseignant que nous partions d’une posture plus traditionaliste ou instructionniste, ou d’une posture progressiste ou socioconstructiviste, en considérant l’impact sur le terrain, nous en arrivons souvent à deux modèles convergents. D’un côté, on a celui de l’enseignement explicite et de l’autre la découverte guidée.

Lorsqu’ils tiennent compte des limites cognitives et se focalisent sur les mêmes objectifs spécifiques à une matière, l’enseignement explicite et la découverte guidée donnent finalement naissance à des modes d’enseignement cohérents entre eux et complémentaires.

La question qui les sépare est l’objectif du moment pour l’enseignant en fonction de la maîtrise de ses élèves. Doit-il de se focaliser sur les savoirs et savoir-faire de base, ou peut-il les engager dans la réalisation de tâches complexes. En fin de compte, il s’agit plus d’une question de maîtrise par les élèves des contenus abordés. Dans un premier temps, en début d’apprentissage l’enseignement explicite s’impose. Une fois un niveau suffisant de maîtrise établie, la découverte guidée devient pertinente.



L’approche Load Reduction Instruction


Load Reduction Instruction (LRI, enseignement avec réduction de charge cognitive) est une approche pédagogique développée par Andrew J. Martin visant à répondre à la question épineuse de l’intégration entre enseignement explicite et découverte guidée.

L’approche fonctionne en deux temps :

Premières étapes de l’apprentissage :


  • Les enseignants enseignent en s’assurant de réduire la charge qui pèse sur la mémoire de travail des élèves à un moment donné, de manière à faciliter l’apprentissage de nouveaux contenus ou de nouvelles compétences. 
  • En effet, si la mémoire de travail est surchargée, les élèves risquent de mal comprendre les informations ou de ne pas les comprendre du tout, ce qui rend improbable tout apprentissage.
  • L’enseignement explicite est un bon moyen d’alléger cette charge pour que les élèves puissent apprendre de nouvelles connaissances dans des conditions optimales. 


Étapes ultérieures de l’apprentissage :


  • Les élèves développent fluidité et automaticité sur les connaissances et compétences enseignées explicitement. 
  • Les élèves sont alors aptes à assimiler des informations plus complexes.
  • Pour éviter un effet d’inversion de l’expertise, les élèves sont invités à résoudre des problèmes.
  • La résolution de problèmes peut être encouragée dans le cadre d’une découverte guidée. L’enseignant peut alors confier aux élèves des tâches plus ouvertes ou plus complexes.
  • Ils accomplissent ces tâches en autonomie ou en coopération. Ils mobilisent ou déduisent des informations grâce à leurs connaissances et compétences acquises lors de la phase d’enseignement explicite préalable.
  • Cette phase de découverte est dite guidée parce que l’enseignant a toujours un rôle à jouer dans le suivi des progrès et l’aide à apporter en cas de nécessité. 


Les cinq principes de l’instruction par réduction de charge (LRI)


L’enseignement de la réduction de la charge vise à intégrer l’enseignement explicite et la découverte guidée sur base des cinq principes suivants :


1 : Réduire la difficulté d’une tâche pendant l’apprentissage initial 


Nous rendons les tâches d’apprentissage suffisamment simples pour qu’elles correspondent au niveau de connaissances ou de compétences des élèves au début du processus d’enseignement.

L’enseignant peut procéder à une évaluation diagnostique préliminaire pour déterminer ce que ses élèves savent déjà. Il présente ensuite les informations et les tâches à un niveau de difficulté correspondant aux capacités des élèves. 


Le principe de préformation


L’enseignant fournit un préenseignement sur les éléments essentiels d’une tâche (par exemple, identification du nom, de la définition, de l’emplacement, de la fonction des sujets ou des composants) afin de faciliter l’apprentissage ultérieur.


 

Le modelage des processus importants


L’enseignant montre comment effectuer une tâche. Cela peut également impliquer des stratégies comme celle du haut-parleur sur la pensée pendant que l’enseignant modèle une tâche.



La présentation de productions exemplaires


L’enseignant présente des exemples de bonnes pratiques et de bons travaux produits précédemment par des élèves afin de clarifier ce qui constitue un bon travail, et comment le réaliser.



Le principe de segmentation


L’enseignant divise une tâche en éléments de taille réduite (étapes ou morceaux) et encourage les élèves à considérer la maîtrise de chaque élément comme une réussite en soi.



Les révisions préliminaires puis espacées


L’enseignant et les élèves passent en revue les acquis récents ou préalables au début d’une nouvelle tâche ou d’une nouvelle leçon. 

L’enseignant passe en revue les acquis antérieurs à intervalles réguliers (par exemple, il passe en revue les acquis de la semaine précédente au début de chaque semaine). 



2 : Offrir un soutien pédagogique et un étayage tout au long de la tâche 


L’enseignant assure un étayage pédagogique à ses élèves tout au long de leur exécution des tâches. Au fur et à mesure que ceux-ci apprennent, gagnent en fluidité et en automatisation, l’enseignant retire progressivement l’étayage fourni pour ne pas générer de dépendance ou d’effet d’inversion de l’expertise.



La réduction de l’attention partagée


Deux stimuli ou plus sont intégrés lorsque cela est possible. Nous visons à réduire le fractionnement de l’attention des élèves entre des stimuli disparates. Par exemple, nous pouvons intégrer l’équation pour trouver un angle dans l’angle lui-même sur un diagramme donné. La légende d’un graphique est intégrée au sein de ce dernier.



L’intégration significative des contenus


L’enseignant intègre l’objectif d’une tâche d’apprentissage à un problème significatif (par exemple, intégrer l’enseignement de la ponctuation dans la rédaction d’un élève).



La séquence d’intégration de l’information


L’enseignant intègre deux éléments successifs de contenu pédagogique dans un seul élément pédagogique (par exemple, intégrer l’explication de la formation d’un éclair à une animation de ce processus). 



L’exploitation de différentes modalités


L’enseignant présente différents éléments d’information (ou stimuli) dans des modalités différentes et complémentaires. Par exemple, il présente une image avec une narration afin de réduire la charge sur les processeurs visuels et auditifs. Ce faisant, il prend en compte l’effet de modalité.



Éviter la redondance et accroître la cohérence


Dans la mesure du possible, l’enseignant ne présente l’information qu’une seule fois. Il évite la redondance. Il organise les contenus de manière à réduire ou à supprimer les éléments superflus ou trop élaborés qui peuvent être tangents à l’apprentissage essentiel. De cette manière, il augmente la cohérence de ses supports pédagogiques en éliminant tout superflu.



Le principe de signalisation


L’enseignant fournit des indices pour aider l’élève à localiser et à se concentrer sur les éléments essentiels d’une leçon ou d’une activité. Par exemple, l’enseignant demande aux élèves de faire attention à un événement ou à un personnage particulier dans une intrigue.



Organiser l’information de manière thématique


L’enseignant identifie un thème majeur/principal dans une tâche ou une activité d’apprentissage et relie explicitement l’enseignement à ce thème.



Accorder un temps d’instruction approprié


L’enseignant planifie les tâches et les leçons de façon à ce qu’il y ait suffisamment de temps d’enseignement pour une tâche ou pour l’étendue des contenus prévus d’une leçon. 



La vérification de la compréhension


L’enseignant utilise des stratégies de vérification de la compréhension. Par exemple, il pose fréquemment des questions. Il peut demander aux élèves de résumer les points principaux ou de reformuler ou d’élaborer des explications.



Les exemples de problèmes résolus


La nouvelle matière est présentée aux élèves avec des exemples de problèmes résolus qui montrent comment un problème particulier peut être effectué ou comment une tâche est accomplie.



Proposer des modèles d’exécution des tâches


Nous fournissions aux apprenants des contenus d’apprentissage formatés ou structurés pour les aider à rester sur la bonne voie. Nous leur fournissons des procédures par étape ou des listes de vérification qui énumèrent les caractéristiques importantes à inclure ou à traiter dans une tâche.



Donner des indices procéduraux


Les élèves sont stratégiquement incités à persévérer et à accomplir au fur et à mesure des tâches moins structurées. Ce sont par exemple celles que nous retrouvons dans les tâches de compréhension et d’analyse. Par exemple, l’enseignant demande aux élèves d’identifier le quoi, le qui, le pourquoi, le quand ou le comment dans un document donné. Des questions structurant leur réflexion vont les aider à repérer et déduire des informations spécifiques ou à articuler une réponse pertinente.



Le principe de personnalisation


L’enseignant adapte la formulation des objectifs pédagogiques ou des consignes d’une tâche pour impliquer l’élève de manière plus personnalisée et plus pertinente. Par exemple, utiliser des instructions telles que « Votre/ton/mon objectif dans cette tâche est de… » plutôt que « L’objectif de cette tâche est de… ».



3 : Assurer une pratique structurée abondante


Dans un premier temps, l’enseignant fournit à ses élèves des exemples résolus. Il leur demande alors d’effectuer une tâche par étapes. Il travaille alors en étroite collaboration avec eux. C’est la pratique guidée.

Après avoir travaillé sur une tâche avec les élèves, l’enseignant peut leur donner des tâches similaires. Les élèves peuvent alors mettre en pratique ce qu’ils savent ou peuvent faire. C’est la pratique délibérée et mentale.



La pratique délibérée


L’enseignant assure la répétition d’une compétence spécifique, généralement accompagnée d’un retour d’information, et effectuée par l’élève lui-même.



La pratique mentale


Les élèves récupèrent ou élaborent mentalement un concept ou une procédure. Par exemple, l’élève étudie un exemple, puis se détourne et répète les étapes de l’exemple dans sa tête.



La pratique guidée


Les élèves sont systématiquement guidés à travers les étapes de l’apprentissage ou de la résolution de problèmes. Par exemple, nous guidons leurs réponses tout au long d’une tâche ou en leur fournissant une partie de la solution à un élève et en lui demandant de compléter le reste.



4 : Donner un retour d’information adéquat


Ce principe recouvre tout ce qui est de l’ordre de la vérification de la compréhension, de l’évaluation formative et de la rétroaction.

L’enseignant est susceptible de fournir en fonction des besoins identifiés chez ses élèves, des informations correctives ou des suggestions de tâches spécifiques pour qu’ils puissent les appliquer afin d’améliorer leur succès lors de la prochaine tâche.



Une rétroaction sur la production


Des informations concrètes et spécifiques sont fournies sur l’exactitude d’une réponse ou la qualité de l’application. 



Une rétroaction qui offre des pistes


Des informations concrètes et spécifiques sont fournies sur la façon dont la réponse ou la qualité de l’application peut être améliorée dans le travail scolaire futur.



5 : Proposer une pratique indépendante et autonome 


L’enseignant fournit à ses élèves une tâche plus complexe qu’ils vont effectuer seuls. Celle-ci peut impliquer plus d’une voie de résolution possible. L’enseignant circule pour apporter de l’aide.

Les conseils de l’enseignant sont minimes, mais toujours disponibles. Il peut par exemple rappeler aux élèves les étapes probables à suivre ou fournir un indice lorsqu’ils sont bloqués.



La pratique indépendante


Lorsque les compétences et les connaissances deviennent automatiques et fluides, l’élève est encouragé à tenter de résoudre des problèmes similaires de manière indépendante.



L’apprentissage par découverte guidée


Lorsque l’élève s’est engagé dans une pratique indépendante réussie, il est encouragé à entreprendre de nouvelles tâches. Il s’engage dans de nouvelles directions ou applique ses nouvelles connaissances à des problèmes du « monde réel » qui approfondissent et enrichissent encore ses apprentissages.



Adapter le modèle LRI aux contenus enseignés


Comme Marzano (2003) le souligne, tous les éléments d’une taxonomie pédagogique ne doivent pas nécessairement figurer dans la même leçon. Il suggère plutôt de répartir une taxonomie ou un cadre pédagogique donné sur une unité d’apprentissage.

Il suggère les unités d’apprentissage de Bloom (1976) comme une façon d’envisager cette approche. Selon l’analyse de Bloom, les élèves rencontreraient environ 150 unités d’apprentissage distinctes par an (en moyenne d’environ 7 heures chacune). Cela se traduirait par environ 20 à 30 unités d’apprentissage par an dans chaque cours principal. 

Les taxonomies fondées sur l’enseignement explicite ou la découverte guidée pourraient être appliquées à chacune de ces unités. 

Ainsi, dans une unité d’apprentissage donnée :
  • Certaines leçons (probablement les premières leçons) mettront l’accent sur le préenseignement, le modelage, l’étude de problèmes résolus et la pratique délibérée.
  • D’autres leçons (probablement les dernières leçons) mettront l’accent sur la pratique indépendante et la découverte guidée. 

Sur l’ensemble d’une unité d’apprentissage dans une matière scolaire donnée, l’enseignant cherchera à mettre en œuvre une série d’éléments de l’approche LRI. L’enseignant vise à soutenir un apprentissage large et profond. Derrière ces éléments constitutifs interviennent une série de facteurs de motivation et d’engagement. 

Cette manière de procéder apporte une contradiction et des contre-exemples aux critiques selon lesquelles les approches liées à l’enseignement explicite ou à la découverte guidée réduisent les enseignants à des exécutants de pratiques mécaniques. Ces approches limiteraient leur contribution professionnelle et leur liberté pédagogique. 

Au contraire, cette approche distribuée d’une taxonomie des pratiques explicites repose sur l’engagement de l’enseignant dans la prise de décision professionnelle. Il doit déterminer quoi mettre en œuvre et quand pour optimiser l’apprentissage de ses élèves.



Adapter le modèle LRI aux caractéristiques des élèves


Le modèle s’applique également, que les élèves soient novices ou experts : 
  • Pour l’apprenant novice, l’enseignant privilégiera de petites étapes avec une pratique plus fréquente et davantage de conseils et de soutien de la part de l’enseignant. L’accent sera mis essentiellement sur l’enseignement explicite.
  • Pour l’apprenant expert, l’enseignant privilégiera un temps de présentation peut-être plus long. Il nécessitera moins de temps de pratique, moins de conseils de la part de l’enseignant, moins de temps consacré à vérifier la compréhension et plus de pratique indépendante ou de découverte guidée.
  • Cependant, même pour l’apprenant expert, lorsque les contenus sont nouveaux, complexes ou structurés de manière hiérarchique, il y a un retour à des éléments plus explicites (comme la préformation ou l’étude de problèmes résolus).


Rosenshine (2009) suggère de privilégier :  
  • Pour les élèves moins doués, plus de révision, moins de présentation, plus de pratique guidée et plus de pratique indépendante
  • Pour les élèves plus doués, moins de révision, plus de présentation, moins de pratique guidée et moins de pratique indépendante.



Données probantes pour le modèle LRI ? 


À l’heure actuelle, Andrew J Martin a mené deux premières études sur l’enseignement de la réduction de la charge (LRI) en classe. Même s’il est trop tôt pour conclure de la validité générale et de l’efficacité de l’approche, celles-ci paraissent prometteuses :

  • La première étude a porté sur 393 élèves du secondaire dans 40 classes de mathématiques. Il a été constaté que plus l’enseignant mettait en place un enseignement de réduction de la charge, plus les niveaux de motivation, d’engagement, de dynamisme et de réussite scolaire de ses élèves étaient élevés.
  • Dans une deuxième étude, des élèves de plus de 150 classes de sciences qui ont mis en œuvre les cinq principes. Les analyses ont révélé que les élèves qui ont reçu un enseignement basé sur les principes de réduction de la charge avaient un niveau d’engagement plus élevé dans les sciences. Cela s’accompagnait d’un niveau de réussite plus élevé en sciences.



Complémentarité entre le modèle LRI et celui de l'enseignement explicite


Si nous observons les quatre premiers principes de l’enseignement de la réduction de la charge (LRI), ils s’appuient complètement sur le modèle de l’enseignement explicite.

Ensuite, à mesure que les compétences et les connaissances de base des élèves se développent, le cinquième principe est mis en avant : la résolution des problèmes.

En ce sens, l’approche LRI permet de compléter une zone moins définie de la pédagogie explicite telle que définie par Barak Rosenhine. Il offre une flexibilité bienvenue à l'enseignement explicite.

Cette zone floue est peu perceptible au niveau de l’enseignement primaire. Elle commence à se faire sentir au fur et à mesure que nous progressons dans l’enseignement secondaire. C’est particulièrement vrai dans les cours de mathématiques ou de sciences en fin de secondaire. Cela peut se traduire par un peu de résistance de la part de certains enseignants face à l’enseignement explicite.

L’atout potentiel de l’approche LRI est de concilier l’approche éprouvée de l’enseignement explicite et la confrontation à la résolution de problème ou à la réalisation de tâches complexes.

Un enseignement explicite est d’abord utilisé pour alléger la charge de travail des élèves pendant qu’ils développent savoir, savoir-faire et compétences spécifiques. Ensuite, lorsqu’une certaine expertise s’est développée, les élèves passent à une découverte guidée afin d’entretenir leur capacité à résoudre les problèmes de manière à se confronter aux spécificités du domaine concerné.



Mise à jour le 08/08/2022



Bibliographie


Andrew J. Martin, Kids learn best when you add a problem-solving boost to “back-to-basics” instruction, 2020, https://theconversation.com/kids-learn-best-when-you-add-a-problem-solving-boost-to-back-to-basics-instruction-129008

Andre J. Martin, Using load reduction instruction (LRI) to boost motivation and engagement. Leicester: British Psychological Society, 2016

Marzano, R. J. (2003). What works in schools. Alexandria, VA: ASCD.

Bloom, B. S. (1976). Human characteristics and school learning. New York: McGraw-Hill.

Rosenshine, B. V. (2009). The empirical support for direct instruction. In S. Tobias & T. M. Duffy (Eds). Constructivist instruction: Success or failure? New York: Routledge.

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