samedi 25 avril 2020

L’approche Communicative Language Teaching (CLT) dans le cadre de l’enseignement des langues

Si nous nous intéressons aux théories pédagogiques qui existent dans le domaine de l’apprentissage des langues modernes étrangères, l’une d’entre elles se retrouve rapidement mise en évidence. Il s’agit de l’approche Communicative Language Teaching (CLT).

Elle semble être l’équivalent pédagogique en langues modernes étrangères de ce que la démarche d’investigation est au cours de sciences par exemple. C’est-à-dire une transcription à l’enseignement des langues modernes étrangères des conceptions constructivistes liées à l’apprentissage.

(Photographie : Craig Scoffone)



Introduction


Une spécificité qui rend l’enseignement d’une langue moderne étrangère radicalement différent des autres matières scolaires est que la majorité du cours n’est pas donné dans le langage maternel de l’élève, mais dans la langue cible.

Dès lors :
  • Un questionnement efficace en langue moderne étrangère n’a rien à voir avec celui qui se pratique dans la langue maternelle de l’élève et dans une matière qui l’utilise. 
  • L’explication dans le cours de langue moderne étrangère est très différente de celle donnée en mathématiques ou en sciences par exemple, parce que nous ne partons pas du bagage linguistique maternel de l’élève.

L’approche Communicative Language Teaching CLT a pris de l’importance dans les années 1980. Elle garde de l’influence aujourd’hui même si elle se retrouve combinée avec d’autres approches moins extrêmes en ce qui concerne l’enseignement grammatical.



Le modèle du moniteur


La CLT est basée sur le modèle du moniteur formulé au début des années 1980 par le chercheur américain Stephen Krashen.

Krashen, comme Chomsky l’avait fait avant lui, prend position contre un modèle comportementaliste (béhavioriste) de l’apprentissage en général et de l’apprentissage des langues en particulier.

Krashen considère que l’utilisation de routines et de structures bien que faisant partie du langage, n'en constitue probablement qu’une petite partie.

Selon le modèle du moniteur, les apprenants disposeraient des deux systèmes distincts et indépendants pour développer des compétences dans une deuxième langue :
  • L’acquisition inconsciente (en immersion)
  • L’apprentissage conscient (de type scolaire)

L’acquisition inconsciente est plus importante que l’apprentissage conscient selon Krashen. Il oppose l’acquisition naturelle d’une langue en contexte d’immersion à l’apprentissage scolaire. L’acquisition inconsciente serait très semblable aux processus utilisés par les enfants pour acquérir leur langue maternelle.

L’acquisition langagière serait un processus inconscient. Les apprenants qui acquièrent la langue ne sont pas conscients de ce fait, mais seulement du fait qu’ils utilisent la langue pour communiquer. L’acquisition inconsciente a lieu lors d’interactions sociales où l’attention de l’individu est focalisée sur le sens, et non pas sur la forme linguistique de l’énoncé.

Selon Krashen nous ne sommes pas conscients des règles des langues que nous avons acquises. Nous ressentons ce qui est correct ou non. Seul le système acquis permettrait à l’apprenant de communiquer dans la langue. Le système acquis déterminerait l’aisance productive (fluency) ainsi que la maîtrise grammaticale.

À l’opposé, l’apprentissage conscient est un processus de moindre importance pour Krashen. Il est pourtant un élément caractéristique et habituel des cours de langue en milieu scolaire.

Le modèle du moniteur se concentre sur cinq éléments spécifiques :
  1. L’acquisition prime sur l’apprentissage : l’enseignement explicite de la grammaire ne facilite pas son acquisition.
  2. Importance d’un ordre naturel : les enseignants doivent respecter les séquences de développement de l'apprentissage naturel des élèves.
  3. Les sources (écrites ou auditives) doivent être compréhensibles pour les élèves : il s’agit d’une condition nécessaire et suffisante pour l’acquisition
  4. Le moniteur : une connaissance explicite de la grammaire n’est utile que pour vérifier une production orale ou écrite.
  5. Le filtre affectif : les apprenants doivent être détendus et motivés pour apprendre.

Nos apprentissages conscients ne servent que de simple moniteur lors de l’utilisation du langage.

Notre connaissance formelle de la langue seconde — nos apprentissages conscients — peut servir à ajuster les productions générées par le système acquis. Nous effectuons ces réglages pour améliorer la précision de l’ensemble.

Nos énoncés (oraux ou écrits) sont initiés par le système acquis.

L’apprentissage conscient ne servirait qu’à une seule fonction : celle du moniteur, d’un éditeur. Les connaissances apprises ne servent que pour changer l’énoncé, une fois qu’il est produit par le système acquis.

Cette minimisation de l’utilité des connaissances consciemment apprises mène Krashen à rejeter des approches plus traditionnelles, avec leurs exercices formels répétitifs, mais aussi un enseignement explicite de la grammaire.

Le système appris se réduit à notre connaissance des règles morphosyntaxiques de la langue, que nous pouvons expliciter et commenter. Selon Krashen, la compétence créative de l’interaction communicative, en L2 comme en langue maternelle (L1), ne peut venir que du système acquis.

Des contraintes importantes sur l’utilisation du système appris en réduisent l’utilité : il faut du temps, un transfert attentionnel (du sens du message vers la forme linguistique) et une connaissance explicite de la règle pertinente.

Ces contraintes rendent très problématique la mobilisation réussie du système appris lors de la performance attendue.



Attraits de la CLT


L’approche CLT semble intuitivement correcte. Elle représente une approche fonctionnelle de l’enseignement des langues étrangères. Elle est basée sur le fait que les élèves ont besoin de développer la capacité de communiquer et pas seulement de posséder une connaissance passive du vocabulaire, des structures et des règles grammaticales.

L’attrait de la CLT est sensible pour :
  • Les apprenants qui cherchent à comprendre et à communiquer dans la langue contemporaine, particulièrement dans des contextes informels. 
  • Elle attire également les enseignants, en particulier les locuteurs natifs moins expérimentés qui se sentent mal à l’aise avec les aspects techniques de la phonologie et de la syntaxe.
  • Elle attire les enseignants adeptes des principes constructivistes. 



Écueils de la CLT


L’approche CLT a été associée à de nombreux malentendus. Dans les années 1990 et 2000, beaucoup ont supposé que le CLT exigeait que la langue cible soit utilisée à tout moment en classe. Il était demandé que la grammaire en particulier ne soit pas explicitement enseignée, mais plutôt inférée. La correction grammaticale et formelle des erreurs était déconseillée, car elle pourrait nuire au développement des compétences linguistiques cibles.

Le principal obstacle aux théories de Krashen est qu’il n’y a aucune preuve scientifique de l’existence d’une dichotomie entre deux formes d’apprentissage.

Celles-ci ne sont liées qu’à deux réalités acquisitionnelles distinctes, celle de l’immersion et celle d’un contexte scolaire classique, mais ne diffèrent pas radicalement en matière de processus d’apprentissage et de consolidation.

Dès lors, aucune preuve n’appuie l’existence d’une différence formelle en matière de résultats en mémoire à long terme, entre un apprentissage conscient et acquisition inconsciente.

Là où la question doit se poser est celle classique de l’automatisation et du transfert, entre les règles de grammaire et leur mobilisation en contexte. Il s’agit du lien entre ce que les élèves mémorisent en classe de langue et leur capacité à le mettre en œuvre lors une interaction verbale.

Dans une interaction verbale en langue maternelle, l’effort attentionnel des interlocuteurs est focalisé sur :
  • Le sens de l’échange
  • L’intégration et l’interprétation du contenu informationnel et social
  • Les aspects problématiques du discours et le pilotage de l’interaction.

Les processus automatiques sont (le plus souvent) ceux concernant :
  • Les traitements formels : segmentation du flux parlé ou décodage du texte écrit, reconnaissance lexicale
  • L’appréciation de la situation pragmatique : reconnaissance des attitudes de l’interlocuteur et du contexte de l’échange.

Dans une langue moins bien maîtrisée (« étrangère »), l’individu ne dispose pas d’un réseau performant d’informations et de routines linguistiques. Son absence ne lui permet pas l’activation directe et en une seule étape du sens lié aux sons qu’il entend ou de la mise en forme des idées qu’il cherche à exprimer. Il doit fournir un effort pour reconnaitre mots et expressions, les articuler, les conjuguer, les associer et les mettre en rapport.

Sa capacité attentionnelle peut être rapidement saturée par ces différents traitements. De même, il doit inhiber l’activation automatique d’éléments de langage appartenant à sa langue maternelle. Dès lors, l’application consciente d’une règle de grammaire lors de la production illustre un processus métacognitif onéreux. C’est un processus qui n’a rien d’automatique, qui n’est pas direct, rapide et sans effort attentionnel comme cela devient le cas quand la langue seconde est complètement maîtrisée.



Apports de la psychologie cognitive


Depuis l’essor de la CLT, de nombreuses recherches en psychologie cognitive sont venues relativiser certains de ses principes. Des recherches ont notamment mis en évidence le rôle important que l’apprentissage explicite des formes linguistiques peut jouer dans le développement des compétences linguistiques.

Robert DeKeyser (2006) montre comment l’apprentissage des règles ou modèles dans le cadre de l’enseignement d’une langue étrangère correspond à une automatisation de connaissances déclaratives qui deviennent peu à peu procédurales.

Ainsi la connaissance explicite de l’élément grammatical considérée, purement déclarative, va, à force de pratique, être convertie en connaissance procédurale. Avec la pratique, la connaissance devient progressivement automatique et l’utilisateur de la langue (parlée ou écrite) ne doit plus penser aux règles ou au modèle, qui s’appliquent sans qu’il s’en rende compte.

Ian Bauckham (2016) recommande une description explicite, mais succincte de la caractéristique grammaticale à enseigner, de son utilisation, de sa signification et de sa fonction. Il conseille également, le cas échéant, une comparaison avec l’usage de la langue maternelle si cela diffère. Ces démarches sont propices à une compréhension correcte et efficace de la fonction et du sens de la grammaire. De même, il est prouvé qu’attendre que les élèves identifient des modèles grammaticaux, sans les y inciter, n’est généralement pas propice à un apprentissage efficace, en particulier pour les structures complexes ou peu familières.

Elspeth Broady (2014) relate des recherches qui montrent qu’une utilisation judicieuse de la langue maternelle des élèves peut faciliter l’apprentissage plutôt que de constituer un obstacle :
  • C’est un fait que naturellement, un nouvel apprenant va instinctivement relier et vérifier les nouveaux mots et expressions en langue étrangère avec leurs équivalents dans sa langue maternelle. 
  • Ces démarches spontanées développent et consolident non seulement sa connaissance de la langue cible, mais aussi sa connaissance du langage en général entre usages de l’écrit et de l’oral. 
  • Il faut reconnaitre que l’aptitude à traduire de la langue étrangère vers notre langue maternelle est en soi une véritable aptitude à la communication.


Mis à jour le 18/08/2022

Bibliographie


Robert DeKeyser, Skill Acquisition Theory. In Bill VanPatten and Jessica Williams (eds), Theories in Second Language Acquisition: An Introduction (Mahwah, NJ: Erlbaum, 2006), pp. 94–112.

Ian Bauckham, Modern Foreign Languages Pedagogy Review: A Review of Modern Foreign Languages Teaching Practice in Key Stage 3 and Key Stage 4 (Teaching Schools Council) (2016), p. 10.

Elspeth Broady, Foreign Language Teaching: Understanding Approaches, Making Choices. In Norbert Pachler and Ana Redondo (eds), A Practical Guide to Teaching Modern Foreign Languages in the Secondary School, 2nd edn (Abingdon: Routledge, 2014), pp. 1–10.

Maxwell, James A., Making Every MFL Lesson Count, 2019, Crown House

https://pure.york.ac.uk/portal/files/54043904/MFL_Pedagogy_Review_Report_TSC_PUBLISHED_VERSION_Nov_2016_1_.pdf

Heather Hilton, « Mise au point terminologique : pour en finir avec la dichotomie acquisition/apprentissage en didactique des langues », Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité, Vol. XXXIII N° 2, 2014, 34-50.

http://unt.unice.fr/uoh/learn_teach_FL/affiche_theorie.php?id_activite=78

0 comments:

Enregistrer un commentaire