jeudi 23 avril 2020

De l'importance des routines en gestion de classe

Une bonne gestion de classe implique l’existence de routines et de règles de fonctionnement intégrées par tous les élèves. Leur bonne mise en œuvre dépend d’une personne : l’enseignant lui-même.

(Photographie : D.N. Alor)




Routines comportementales et schémas de fonctionnement en classe


Une mise en situation fictive


Il est 10h01. Il a sonné depuis presque une minute. La quatrième heure de cours de la matinée doit commencer. Les élèves de Monsieur M arrivent au compte-gouttes, clairsemés. Finalement, trente secondes plus tard, la majorité de la classe arrive, troupeau bruyant et désorganisé. Ils sont suivis de l’un ou l’autre retardataire aux excuses toutes faites et bien entendu invérifiables sur le moment même. Alors, Monsieur M maugrée et les laisse passer, las à l’idée de devoir enquêter et assurer un suivi. Il a déjà perdu trop de temps.

Les élèves prennent leur temps pour s’installer en classe, certains se chamaillent ou plaisantent, d’autres tergiversent sur l’endroit où s’installer, négocient entre eux. Monsieur M se décide finalement à intervenir. Il hausse le ton au-dessus de brouhaha ambiant, tâchant de récupérer un peu de calme et d’attirer leur attention sur leur cours. Il leur demande de s’installer, afin qu’il puisse commencer le cours. Les élèves obtempèrent finalement en fin de compte peut-être pour mettre un terme à ses supplications et finalement surtout parce qu’ils sont en classe. 

Monsieur M peut commencer son cours, avec comme de coutume, quelques minutes de retard. Il est 10h05. Il se souvient et leur rappelle dans la foulée qu’ils ont un devoir à lui rendre aujourd’hui. Il circule entre les bancs pour récupérer les copies. Il en profite pour leur demander également de sortir leurs notes de cours et leur manuel à la page 87. Plusieurs élèves lui redemandent le numéro de la page.  

Certains élèves prétendent que le devoir n’était pas pour aujourd’hui, d’autres qu’il n’y avait tout simplement pas de devoir ou qu’ils pensaient que c’était une préparation facultative. D’autres mettent du temps à retrouver leur devoir, se lancent dans des fouilles approfondies dans l’amas de feuilles désordonnées qui remplit leur sac à dos ou leur farde. 

Plusieurs d’entre eux n’ont pas leur manuel avec eux. Différents élèves accaparent son attention et lui demandent de pouvoir aller chercher leur manuel et leur devoir dans leur casier. Ils les ont malencontreusement oubliés et sont dans un couloir adjacent, un peu plus loin à l’extérieur de la classe. Ils ont eu un cours d’éducation physique juste avant ou une évaluation stressante, alors ils ont oublié de les prendre. 

Exaspéré, Monsieur M ne souhaite vraiment pas qu’un groupe désordonné d’élèves aille faire de bruit encore une fois dans le couloir à cette heure-ci. Il craint une réflexion de l’un de ses collègues à la pause de midi. Il leur refuse cette fois d’y aller. Mais deux élèves en ont déjà pris l’initiative et sont partis avant même qu’il manifeste son refus, les autres, maintenant empêchés, râlent. 

Las, il est 10h08, plutôt que de démarrer le cours avec le manuel, plusieurs élèves ne l’ont décidément pas avec eux, Monsieur M décide de changer de scénario. Monsieur M opte finalement pour une tâche individuelle à faire en classe. Celle-ci était initialement prévue un peu plus loin dans la séquence du chapitre en cours. Par chance, il avait déjà fait les copies. Il retrouve les documents ad hoc, qu’il demande à deux élèves de distribuer. Cela leur prend une minute de plus. Monsieur M peut enfin expliquer les consignes à la classe.

Certains élèves rechignent à s’y mettre, d’autres l’assaillent de questions, les posant directement, sans lever le doigt. Sentant monter la fronde, Monsieur M refuse de répondre, appelle vainement au silence, menace, mais avec une conviction vague. 

Finalement, afin d’apaiser la situation, se sentant dans une impasse, il fait marche arrière et accepte de répondre à leurs questions. À l’origine, cette tâche devait venir un peu plus tard dans le cours et par conséquent, il se fait la réflexion qu’ils ne sont peut-être pas tout à fait encore prêts à ça. Il prend alors la décision de leur donner quelques indices. 

Avant qu’il ne puisse lui-même répondre, d’autres élèves prennent la parole et répondent bruyamment à l’élève demandeur, lui donnant une réponse approximative, le tout s’accompagnant d’un flot de commentaires et de bavardages. Certains élèves râlent qu’il y a trop de bruit qu’ils n’arrivent pas à se concentrer, mais discutaient juste avant encore avec leurs voisins.

Monsieur M use alors de véhémence verbale, s’agite. Il menace du couperet d’une cote décevante qu’il attribuera à ce travail qu’il prétend avoir l’intention de reprendre à la fin de l’heure. Ce qu’il ne fera pas finalement, il le sait déjà, car il n’a pas l’intention de passer sa soirée à corriger. 

À force, il arrivera à endiguer ces interventions d’élèves à tout va. Il reprend la main, répond précisément à leurs questions, même s’il a du mal à se faire comprendre au-dessus des bavardages diffus qui ont envahi la classe. Il doit répondre plusieurs fois aux mêmes questions. Il subit, il délivre des suppliques.

Monsieur M espère que l’heure de cours passera vite. Il n’est pas le seul. 



Comprendre leur importance


Une classe efficace dispose de schémas de fonctionnement clairs et de routines comportementales identifiées que les élèves adoptent tous d’emblée, naturellement et automatiquement. Ces éléments rendent les interactions paisibles et apaisées. De même, tous les mouvements et tâches scolaires sont faciles à organiser et à encadrer. La classe devient un lieu apaisé et agréable où il fait bon apprendre. Un climat de coopération s’installe.

Mais ce processus d’ordre, d’homéostasie, d’équilibre écologique ou d’inertie, peu importe l’analogie, n’est pas spontané. Il n’apparait pas seul par talent ou par autorité innée de l’enseignant. Il doit être réfléchi, créé et élaboré à l’avance. Il doit être enseigné, pratiqué, maintenu, évalué et entretenu.

Ce que chaque nouvel enseignant est amené à réaliser assez vite en début de carrière, est que ses élèves ne vont pas adopter tous naturellement la panoplie complète de comportements qu’il espère voir chez eux. Il lui faut au contraire les définir, les expliquer, les enseigner, les renforcer et les maintenir. De plus, cela se passera d'autant mieux que ses demandes, ses attentes et son mode de communication est cohérent avec ceux de ses collègues, ce qui plaide pour une réflexion à l'échelle de l'école.

Ce besoin d'un cadre défini et enseigné part du principe qu’il n’est pas possible d’emblée pour un enseignant de mener à bien des activités d’enseignement ou de faire travailler en autonomie ou coopérer ses élèves de manière productive. Il est nécessaire d’avoir des directives claires, connues et partagées concernant les comportements attendus.

C’est crucial, car pour que les élèves apprennent efficacement et réussissent dans un cours, ils doivent comprendre et mettre en pratique les comportements que l’enseignant attend d’eux.

Un système de règles et de procédures doit avoir été soigneusement planifié, à l’échelle d’une classe ou d’un établissement. Il s’agit d’enseigner les attentes comportementales aux élèves et assurer que les procédures mises en place seront applicables et efficaces. C’est la meilleure façon pour qu’un comportement approprié et coopératif devienne la norme en classe.



Des erreurs classiques


Comme nous l’avons vu dans l’exemple d’introduction, des procédures inefficaces, floues et indéfinies, une réactivité fluctuante de l’enseignant sont néfastes. De même, l’absence de routines pour les aspects communs de la vie en classe peut faire perdre beaucoup de temps. L’attention et l’engagement des élèves sont hasardeux et cela rend la vie en classe beaucoup moins agréable pour tout le monde.

Si l’on prend le cas de Monsieur M, il est évident qu’il perd le contrôle de la classe. On peut mettre en évidence cependant certains éléments :
  1. Les comportements attendus ne sont pas précisés ni rappelés, pas plus que les conséquences à la clé. Il s’agit par exemple de ce qui est attendu lorsque les élèves rentrent en classe. Il n’y a pas non plus de places fixes. Il n’y a pas de modus operandi efficace pour la remise des devoirs ou la distribution de feuilles, pas plus que pour la façon de poser des questions ou d’y répondre. 
  2. Comme les comportements attendus ne sont pas clairs, les élèves débordent et il est difficile de les cadrer sans se montrer répressif. Comme des sanctions ne sont pas définies préalablement, la seule façon de faire de Monsieur M pour rétablir le cadre serait de se fâcher en faisant usage de coercition, avec tous les risques à la clé. 
  3. Le résultat est que les élèves voient Monsieur M comme un prof laxiste, trop tolérant ou trop gentil, qui n’ose pas s’imposer. Monsieur M se sent, quant à lui, surtout dépassé par des évènements sur lesquels il voudrait pouvoir exercer un contrôle efficace. 

Un regard ou un avis rapide et spontané sur la situation de classe critique de Monsieur M pourrait être :
  1. De lui reprocher sa tolérance à une mauvaise conduite de bon nombre d’élèves. Il devrait être plus strict et faire usage de sanctions punitives. 
  2. De mettre en cause sa pédagogie. Il devrait rendre ses cours et ses activités en classe plus attrayantes et intéressantes pour ses élèves afin de capturer leur attention et susciter leur intérêt. 
  3. De lui suggérer de mettre en place un système de récompense pour encourager les bons comportements. 

Cependant, bien que ces conseils puissent être utiles dans certaines circonstances, ils n’aborderaient pas le problème fondamental de Monsieur M. S’il n’y arrive pas, ce n’est pas faute de le vouloir et d’essayer. Il lui manque les bonnes pratiques en gestion de comportement.

Ses élèves n’ont pas appris les comportements qu’il attend d’eux. Ils savent pertinemment que nombre de leurs comportements ne seraient pas autorisés auprès d’autres enseignants et de fait, ils ne les manifestent que dans la classe de Monsieur M.

Monsieur M n’a pas appris aux élèves comment se comporter dans sa classe. Il lui serait utile d’être formé à des pratiques préventives.



Des pistes de solutions pratiques liées aux routines comportementales


Plutôt que d’asséner des punitions, rendre ses cours plus attrayants ou mettre en place un système de renforcement, Monsieur M devrait d’abord :
  1. Fixer des places
  2. Enseigner ce qu’il faut faire en entrant en classe
  3. Préciser les outils et manuels à amener en classe
  4. Spécifier une technique pour la récupération des devoirs et la distribution de documents qui n’entraine pas d’interruption du cours.
  5. Préciser qu’il est interdit sans en avoir reçu l’autorisation de se déplacer ou quitter la classe.
  6. Enseigner comment poser ou répondre à une question.
  7. Établir des normes de silence lors de certaines phases du cours et autoriser certains chuchotements lors d’une pratique autonome ou coopérative par exemple.
  8. Appliquer les règles et délivrer les conséquences annoncées.
  9. Etc.

Lorsque les élèves sont formés aux comportements appropriés, il y a beaucoup plus de chances qu’ils les appliquent. Lorsqu’ils sont à l’origine de perturbations, les limites étant nettement plus claires, il est plus facile et aisé d’intervenir. Les élèves ne seront pas surpris de la réaction. Il est alors beaucoup plus légitime et accepté d’intervenir en cas d’infractions.

Un ensemble clair d’attentes sur ce qui constitue un comportement approprié est un point de départ important pour établir un environnement de classe bien géré.



Définir des attentes claires


En définissant des attentes claires et des comportements attendus, l’enseignant se place des aspirations cibles pour lui qui définissent un environnement de travail optimal pour lui, pour ses élèves et pour les contenus envisagés.

Il va sans dire qu’elles ne seront pas nécessairement atteintes tous les jours. Comme tout système à l’équilibre, il est soumis à des forces contraires :
  • Une force de conformité alimentée par le renforcement positif, le respect mutuel, les interactions positives ou les objectifs partagés.
  • Une force de désorganisation mue par des antécédents parfois cachés, parfois extérieurs, qui est inévitable par la nature entropique de tout système, mais contre laquelle la prévention et l’intervention sont nécessaires.

Ces aspirations décrivent et tendent vers une situation qui peut être en grande partie respectée. Elles constituent des objectifs entretenus à court, moyen et long terme en fonction desquels se dessinent les actions et manières d’être quotidiennes liées à la gestion de classe. Elles sont l’élément fondamental de la disposition du cadre.

Les comportements attendus sont légitimes à travers la culture de l’école et les missions de l’enseignement. Ils sont également des attentes en matière de succès des apprentissages puisqu’ils créent un environnement qui favorise celui-ci.

La force de conviction de l’enseignant à porter, à communiquer et à défendre des attentes claires et des comportements attendus influence également la façon dont les élèves les intègrent. Il est beaucoup plus facile pour les élèves de répondre aux attentes d’un enseignant lorsqu’ils savent quelles sont ces attentes et qu’ils constatent qu’elles sont un sujet non discutable pour l’enseignant.

Un enseignant trouvera la grande majorité des élèves disposés à les respecter trouvera la grande majorité des élèves disposés à les respecter :
  • S’il fait autorité avec authenticité, conjuguant influence et coopération.
  • S’il soutient les efforts de ses élèves, le développement et l’acquisition des bonnes habitudes en matière de comportement et d’engagement.
  • S’il établit des règles et des procédures raisonnables et justifie de manière compréhensible.
  • S’il applique le cadre défini de manière cohérente en faisant preuve de vigilance.


Mise à jour le 15/08/2022

Bibliographie


Edmund T. Emmer and Carolyn M. Evertson, Classroom Management for middle ad high school teachers, 2017, Pearson

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