samedi 8 février 2020

Principes clés de la rétroaction à l'échelle de la classe

La rétroaction vers la classe entière fait partie de ces quelques pratiques qui transforment profondément l’enseignement et facilitent grandement l’engagement des élèves. Son adoption est susceptible d’améliorer les résultats des élèves, d’apaiser l’atmosphère de la classe en favorisant la coopération et de diminuer la charge de travail de l’enseignant.

(Photographie Alida Gyory)



En cela elle rejoint d’autres moments bénéfiques de rupture pédagogique, que peuvent être :
  • L’adoption de démarches d’évaluation formative
  • L’abandon des situations problèmes
  • La conversion à une vérification de la compréhension systématique et aléatoire
  • L’usage d'intentions d'apprentissage en tant que défis bien calibré
  • L’usage du renforcement positif dans la gestion de classe et des apprentissages
  • L’usage du quiz en tant que pratique de récupération en début de cours.

Plus largement, elle se révèle un complément idéal à un enseignement explicite.

L’idée n’est pas de revenir ici sur la définition ou sur le mode de fonctionnement de la rétroaction vers la classe entière, un autre article le fait déjà. La volonté est d’en analyser les paramètres et ses mécanismes sous-jacents.

Depuis son adoption parmi mes pratiques en septembre 2018, il est devenu impensable de fonctionner sans elle, tant ses bienfaits sont profonds.

Voir article : Rétroaction à l’ensemble de la classe : un facteur clé d’enseignement efficace ?



Un démarche de rétroaction qui vise l'efficience


S’il y a un principe clé derrière cette approche, c’est l’identification des erreurs courantes dans les productions et évaluations formatives des élèves. Nous y remédions ensuite à l’échelle de la classe entière et non plus, élève par élève.

Certaines critiques pourraient avancer que cette approche
  1. Annihile la qualité d’un retour d’information personnalisé, individuel et différencié
  2. Entrave les progrès des élèves les plus performants parce qu’ils ne rencontrent pas ces difficultés.
Ces préoccupations pourraient être éventuellement valables, mais seulement si la pratique est mal utilisée.

L’appellation « rétroaction vers la classe entière » est un peu ambigüe, car elle ne doit pas être comprise dans le sens où tous les élèves reçoivent le même retour d’information.

Si cela peut être le cas pour certains éléments de la rétroaction, cela ne le sera pas pour l’essentiel. Au départ d’une base commune, il y a un processus différencié en fonction des besoins et difficultés de chaque élève au sein de la classe.

L’approche permet en réalité de donner davantage de rétroaction personnalisée à un élève en un laps de temps donné, que ne le font une correction et une rétroaction individualisées. De fait, plus un élève recevra une rétroaction de qualité, plus il sera susceptible de s’améliorer. C’est là tout l’enjeu de la pratique.

La rétroaction à l’échelle de la classe n’est efficace que si un enseignant, une équipe d’enseignants ou une école réfléchissent attentivement à ce qu’ils veulent exactement. Il leur faut déterminer les compétences à acquérir par leurs élèves dans un domaine défini.



Faiblesses et dérives techniques de la rétroaction individuelle


La rétroaction à la classe entière entend remplacer les commentaires individuels généralement écrits au bas ou dans la marge des productions et évaluations formatives de chaque élève.

Ces commentaires écrits traditionnels posent différents problèmes :
  1. Ils représentent une charge de travail conséquente pour les enseignants.
  2. Ils ne sont pas utiles lorsqu’ils ne permettent pas systématiquement aux élèves de déterminer des actions précises à mettre en œuvre. Les enseignants peuvent décrire ce qui est attendu de manière générale, mais cela perd son intérêt si l’élève ne sait pas comment utiliser cette rétroaction pour s’améliorer.
  3. Le piège est que régulièrement, les enseignants vont dériver leurs commentaires des critères de leur grille de notation ce qui tend à les rendre plus techniques et moins orientés vers la remédiation :
    • Ils se retrouvent alors à utiliser un jargon technique (par exemple : style, orthographe, structure, logique, cohérence, justification). Celui-ci peut n’être que peu compris par les élèves et n’indique pas grand-chose sur les processus de changements et d’apprentissage nécessaires pour y remédier. 
    • De plus, la grille de notation et ses critères ne sont pas conçus comme un outil de rétroaction sur les processus. Ils ont pour objets d’être descriptifs, et non analytiques. 
    • Pour atteindre un certain degré d’objectivité, les enseignants ne prennent que peu en considération l’inadéquation des démarches, stratégies et compétences sous-jacentes mobilisées par les élèves. Ils risquent de ne s’intéresser qu’à leurs conséquences pour la rétroaction, ce qui souvent ne va pas éclairer l’élève suffisamment sur le diagnostic de ses manques exacts.



Une rétroaction comme une mise en projet de l'élève et non un simple constat sur ses performances


Le secret d’une rétroaction efficace est qu’énoncer ce qui ne va pas ne suffit pas. Pour être efficace, la rétroaction doit fournir un mode d’emploi pour les actions futures de l’élève visant à compenser les manques diagnostiqués.

Par exemple, dire à l’élève qu’il doit être plus structuré, plus cohérent, plus rigoureux ou faire attention à utiliser un langage académique ne dépasse pas le niveau de la constatation. Rien n’indique à l’élève quelle est la marche à suivre. Que doit-il faire en réponse exactement à ce commentaire ? Il le saura d’autant moins que ses résultats sont en décalage avec l’attendu.

Avec la rétroaction à la classe entière, l’enseignant modélise et il s’assure que ses élèves comprennent, à l’aide d’exemples concrets, le ou les éléments qui semblent leur poser problème.

Dans un second temps, l’enseignant s’emploie à mettre les élèves en activité pour qu’ils puissent réaliser l’apprentissage complémentaire et améliorer à l’avenir leurs compétences.

La rétroaction doit comprendre une démarche d’enseignement qui vise un apprentissage complémentaire face à des manquements ou des inexactitudes mises en évidence. Elle doit amener les élèves à se saisir de leurs erreurs à en analyser la nature dans une nouvelle perspective. Ils en circonviennent le champ et s’emploient à acquérir les apprentissages complémentaires manquants qui eux seuls peuvent assurer une amélioration à long terme. La rétroaction doit dès lors répondre à des critères d’efficacité, à des objectifs propres qu’elle véhicule. 

L’objectif de l’enseignant quand il rédige un commentaire est dès lors de permettre et de stimuler l’activité mentale dans laquelle va s’engager l’élève pour réagir efficacement aux manquements constatés.

Pour que la rétroaction à la classe entière soit plus efficace, elle doit passer d’un constat communiqué par l’enseignant à ses élèves. Elle passe également par une mise en activité spécifique des élèves concernés, visant à l’apprentissage en lien avec l’élément diagnostiqué comme encore non maîtrisé.



Une rétroaction sur l’élève et non sur la production


Si une rétroaction à la classe entière se traduit par une mise en activité de l’élève, celle-ci doit lui être largement profitable, au-delà d’une simple amélioration de la production concernée.

En plus d’être spécifique et réalisable, la rétroaction de l’enseignant ne doit pas se concentrer uniquement sur la production ou l’évaluation que les élèves viennent de recevoir en retour.

Le risque existe que la rétroaction se centre principalement sur les caractéristiques de la production. Cependant, celle-ci n’est qu’un échantillon des contenus concernés et se matérialise par des contextes d’application spécifiques. Le but de la rétroaction n’est pas d’abord de corriger le travail concerné et ses erreurs, mais d’améliorer l’apprentissage de l’élève. Elle doit se traduire en un apprentissage réel et mobilisable en mémoire à long terme plutôt qu’en une simple production corrigée et dorénavant adéquate.

Une compréhension d’une situation particulière, à l’origine de difficultés, ne garantira pas à l’élève qu’il puisse éviter l’impasse dans des conditions différentes mêmes équivalentes. La rétroaction à la classe entière nécessite donc d’élargir le cadre des erreurs traitées et de les replacer dans leur contexte d’origine plus large plutôt que de ne considérer que celui étroit, de la production.

Nous voulons améliorer la réflexion et les compétences de l’élève dans un cadre plus large, avec comme visée qu’il ne fasse plus ce type d’erreur dans une variété de contextes. Nous voulons nous assurer que leurs prochaines productions ou évaluations seront meilleures, plutôt que de nous centrer uniquement sur les erreurs spécifiques décelées dans le cadre du travail original concerné.

L’amélioration du travail original considéré peut être une étape sur la voie de ces objectifs plus larges, mais elle ne doit pas être le but en soi. Le retour d’information doit par conséquent être spécifique et exploitable, mais aussi conçu de manière à pouvoir être généralisé aux tâches futures.

Dans le cadre de la rétroaction, nous fournissons aux élèves des pistes d’actions qui ne sont pas trop spécifiques au contexte du travail évalué. Elles doivent pouvoir être transférées à d’autres situations équivalentes.

Si nous sommes trop spécifiques, nous aidons les élèves à améliorer les tâches en cours. Les effets d’une telle rétroaction seront limités. Il est peu probable que les élèves soient spontanément capables de transférer ce qu’ils apprennent sur une tâche naturellement vers d’autres. Les élèves ont du mal à reconnaître qu’ils peuvent utiliser la solution d’un problème pour résoudre un problème analogue, à moins qu’ils ne reçoivent un indice pour le faire. C’est toute la problématique du transfert des compétences.

Pour autant, il est également erroné de supposer que des commentaires très spécifiques à une tâche correspondent à un gaspillage complet. En effet, il faut partir du principe que pour apprendre correctement, nous avons tous besoin de nombreux exemples et de contre-exemples tous variés. C’est à ce titre que des éléments spécifiques qui ont posé problème vont rester pertinents pour aborder un cadre plus général. Nous devons cependant élargir leur cadre.

Nous commettons une erreur lorsque nous essayons d’enseigner par le biais de principes généralisés. Pour accéder à la compréhension, puis à l’apprentissage, les élèves ont besoin d’exemples variés et dissemblables, qui ne possèdent en commun que l’élément abstrait, le principe général. Ils ont également de contre-exemples pour en percevoir les limites.



Une rétroaction centrée sur les intentions d'apprentissage et non seulement sur l’élève


Au-delà d’une amélioration du résultat des élèves, une autre dimension est celle d’une rétroaction centrée autour des intentions d'apprentissage. L’évaluation formative est susceptible de mettre en évidence le manque de précision lié à l’apprentissage de certaines ntentions d'apprentissage. Elle peut également révéler une inadéquation dans la manière où les processus d’enseignement les ont mis en œuvre et ont visé leur transmission.

Parfois, une production ou une évaluation formative peuvent révéler des erreurs, des lacunes ou des difficultés trop complexes ou trop profondément ancrées pour être abordées en une seule intervention. Dans ce cas, même une activité apparemment spécifique ne sera pas suffisante.

À ce moment-là, le retour d’information ne concerne plus uniquement les élèves, mais surtout l’enseignant. Il l’informe sur un problème plus profond face auquel il faudra élaborer une intervention plus conséquente qui passera par un nouvel enseignement.

Dans certains cas, l’enseignant peut de même s’interroger sur les connaissances qu’il avait supposées préalables et sur la planification et la conception de ses ntentions d'apprentissage et de ses activités d’apprentissage. 

Dans certains cas, la rétroaction vers l’enseignant lui indique que le processus d’enseignement lui-même peut être à adapter. Si l’enseignant ignore ces erreurs et ces difficultés, le risque est que les élèves pensent qu’ils font tout correctement ou qu’ils n’ont pas de prise sur leurs apprentissages.

Le danger supplémentaire est que ces erreurs deviennent des habitudes et se cristallisent, que ces difficultés rencontrées par les élèves leur semblent inéluctables. La solution idéale sera de structurer un programme scolaire de manière à ce que certains de ces concepts plus complexes en question soient introduits, enseignés ou réenseignés avant que les élèves n’aient à les mobiliser.



La rétroaction à la classe entière, un facteur d'efficacité systémique


La rétroaction à la classe entière est un puissant facteur de changement vers plus d’efficacité dans l’enseignement et l’apprentissage en classe. Si elle est réalisée correctement, elle se révèle un réel gain de temps en matière de charge de travail des enseignants.

Cette approche est susceptible d’améliorer substantiellement les apprentissages de nos élèves et notre compréhension de la façon dont ils le font. Elle nous permet également d’anticiper leurs besoins, de guider et d’orienter leurs activités d’apprentissage autonome en dehors de la classe.

Dernier intérêt, cette approche favorise la collaboration entre enseignants et renforce l’alignement curriculaire ou constructif, car elle nous amène à mobiliser encore plus l’enseignement autour des objectifs pédagogiques. En ce sens, elle permet d'améliorer l'efficacité de manière systèmique.



Mise à jour le 10/11/2022

Bibliographie


Daisy Christodoulou, Whole-class feedback: saviour or fad?, 2019, https://blog.nomoremarking.com/whole-class-feedback-saviour-or-fad-5c54c463a4d0

Adam Riches, Whole-class feedback: fad or workload saviour?, 2019,
https://www.tes.com/news/whole-class-feedback-fad-or-workload-saviour

Heather Fearn, What can “iballisticsquid” tell us about teaching writing?, 2017, https://heatherfblog.wordpress.com/2017/11/12/what-can-iballisticsquid-tell-us-about-teaching-writing/

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