mercredi 5 février 2020

Le cerveau des élèves n’est ni une éponge ni un muscle, ou la faiblesse des pédagogies actives

Il existe un malentendu pédagogique courant. Prenons un élève qui regarde des vidéos, écoute une présentation scolaire sans interaction en contexte scolaire. Alternativement, considérons qu’il prend des notes sans traitement élaboratif approfondi, qu’il consulte des documents, qu’il travaille en groupe, s’investit dans une démarche de recherche, manipule ou réalise une carte mentale sans le guidage et l’étayage d’un enseignant. Par défaut, il lui serait possible d’apprendre de manière efficace, car il est actif, car il manipule les contenus.

(Photographie : Ali Bosworth)




La faible efficacité d’un traitement cognitif ascendant pour l'apprentissage


Une conception commune est de concevoir le cerveau comme une éponge. Cette métaphore peut être considérée comme une extrapolation de l’apprentissage lié aux connaissances primaires, vers celui des connaissances secondaires et scolaires.

En effet, David C. Geary l’a expliqué. Dans toute une série de domaines populaires, comme l’apprentissage de la marche ou de la langue maternelle, le simple fait de baigner dans un contexte humain suffit à permettre l’apprentissage. L’obstacle est que la majorité des apprentissages scolaires échappent à ces modes d’apprentissage et aux biais motivationnels qui le favorisent. Sans eux, ils nécessitent un cadre scolaire.

Si effectivement nous pouvons incriminer les limites de mémoire de travail comme le fait la théorie de la charge cognitive, un autre mécanisme lié est également concerné. C’est le traitement perceptuel.

Dans le cadre de la psychologie cognitive, ce type d’apprentissage est strictement un processus ascendant. L’individu démarrerait de la perception de stimulus dans son environnement et il aboutirait à des connaissances stockées dans sa mémoire à long terme.

Malheureusement, le processus est des plus inefficaces. Il est l’équivalent de ces tentatives ratées de mémorisation par cœur ou de relectures multiples, qui se traduisent au mieux par la rétention de bribes disparates qui ne génèrent finalement, que peu de sens. 

La faible efficacité d’un traitement cognitif ascendant montre également les limites des pédagogies actives. Les pédagogies actives désignent un ensemble de méthodes pédagogiques qui ont toutes en commun la volonté de rendre l’élève acteur de ses propres apprentissages. Elles partent du postulat que c’est en étant actif que l’élève apprend. Les pédagogies actives privilégient les situations authentiques de recherche, d’investigation au cours desquelles les élèves, souvent par groupes, doivent construire leurs connaissances, comprendre à partir de différentes ressources que l’enseignant met à leur disposition.  

Le cerveau des élèves n’est pas non plus un muscle, ce n’est pas parce qu’il est actif qu’un apprentissage signifiant a lieu avec les contenus traités. Un apprentissage efficace dépend de l’existence d’un traitement cognitif descendant, c’est-à-dire de l’utilisation active des connaissances préalables pour guider et sélectionner les informations sensorielles nouvelles que nous devons traiter. C’est le point de vue défendu et fondé sur des données probantes développé dans le cadre de la théorie de la charge cognitive et qui trouve son expression pratique dans l’enseignement explicite.



L’efficacité d’un traitement cognitif descendant pour l'apprentissage


Le postulat de départ est qu’à tout moment, nous sommes bombardés d’une multitude de sensations qui dépassent très largement les capacités de notre mémoire de travail. Le réel enjeu est de pouvoir être attentif aux faits, notions, règles, étapes, en un mot, aux informations pertinentes et de laisser tout le reste de côté.




Dès lors, même les analyses perceptuelles de base, comme la reconnaissance du canard ou du lapin dans la figure ambiguë ci-dessus, dépendent de l’utilisation d’un traitement descendant. Celui-ci est nécessaire pour sélectionner les caractéristiques pertinentes pour le canard (par exemple, se concentrer sur le bec du canard) ou les caractéristiques pertinentes pour le lapin (par exemple, se concentrer sur ses oreilles).

L’animal que nous voyons dépend de la manière dont sont utilisées les connaissances préalables pour guider et sélectionner les informations sensorielles. Il n’y a pas de compréhension possible sans traitement. Il n’y a pas de traitement efficace sans connaissances ou processus préalables.

Voir article : Implications de la perception pour l’enseignement

Le focus et la sélection descendante sont la clé d’une attention, d’une orientation guidée. Ils sont également fonction de la présence de connaissances préalables et d’un maintien ciblé de l’attention.

Dans la mesure où les élèves ont de nombreux apprentissages secondaires à réaliser, ils vont dès lors bénéficier d’un étayage et d’un guidage de l’enseignant. Ces derniers vont faciliter chez eux un traitement pertinent de l’information. Cette démarche est au cœur d’un enseignement explicite.



Un processus de construction cognitivement actif des schémas


Les connaissances préalables sont stockées dans notre mémoire de travail sous forme de schémas cognitifs. Ceux-ci constituent un vaste réseau d’informations connectées.

L’apprentissage et la rétention efficace dépendent de la façon dont de nouvelles connaissances viennent se relier aux connaissances existantes et sont renforcées par la suite avec un enrichissement des liens. Un système de mémoire bien organisé s’articule autour d’un cadre structuré, qui comprend de multiples liens entre des informations connexes.

Les schémas cognitifs ne se construisent pas par de simples phénomènes d’infusion.

Deux facteurs particulièrement utiles sont la pratique de récupération, le traitement et l’organisation des nouvelles informations.

Pour un apprentissage conceptuel efficace, nous devons travailler à catégoriser et à organiser les nouvelles informations afin de déterminer comment les nouveaux faits et concepts s’intègrent à nos schémas existants.

Le postulat est que les liens que nous créons entre les nouvelles informations et les connaissances existantes sont aussi importantes que les nouvelles informations elles-mêmes. Cette création ne se fait pas directement en étant physiquement actif et en manipulant, mais en s’investissant dans un traitement cognitif signifiant de l’information qui implique des échanges entre mémoire de travail et mémoire à long terme.


Voir article : Idées maîtresses et schémas cognitifs, mêmes objets de connaissance fondamentaux ?



Comprendre l’importance de la structure et de la catégorisation des connaissances dans le cadre d’un enseignement efficace pour la constitution de schémas


Une étude classique en psychologie cognitive sur la mémoire est celle de George Mandler en 1967.

Dans son étude, il a montré l’importance de mettre en relation les différentes informations lors d’un nouvel apprentissage :
  • Différents individus ont reçu 52 cartes avec un mot imprimé au hasard sur chacune d’elles.
  • Il leur a été demandé de les trier et de les regrouper en piles (deux à sept groupements) de la manière dont ils le souhaitaient pour que cela fasse sens pour eux. 
  • Lors de la réalisation de cette activité, les individus ont relié les mots selon leur propre système de catégorisation, par exemples vivants et non vivants, etc. 
  • Par la suite, il a été demandé aux individus de se rappeler le plus de mots possible.
  • Il est apparu que plus le nombre de catégories utilisées avait été élevé, mieux les mots étaient mémorisés. 

La conclusion est double :
  1. Au plus de nouvelles informations sont organisées et structurées pertinemment, c’est-à-dire connectées aux connaissances préalables, au mieux elles seront apprises.
  2. Au plus un individu effectue un traitement signifiant des connaissances qui favorise leur structuration, au mieux l’apprentissage est réalisé. 

L’efficacité de l’apprentissage initial dépend directement des procédures d’enseignement et des activités d’apprentissage mises en œuvre.

Celles-ci doivent amener les élèves à porter attention aux faits pertinents et à les relier à leurs connaissances préalables.

Par la suite, des occasions espacées dans le temps de pratiques de récupération vont permettre de rendre ces connaissances durables. Notre capacité à récupérer une information est aussi importante que le processus d’apprentissage initial lui-même.

Mais pour que des informations puissent être récupérées, elles doivent avoir bénéficié d’un apprentissage initial efficace.




Mis à jour le 23/05/2024

Bibliographie


Mandler, G. (1967). Organization and memory, Psychology of Learning and Motivation, 1, 327–372.

Arthur Shimamura, 2018, MARGE, A Whole-Brain Learning Approach for Students and Teachers

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