(Photographie : Ron Jude)
Une préférence naturelle pour les heuristiques
Comme le développe David C. Geary (2008), l’évolution joue un rôle non seulement dans ce que nous voulons apprendre, mais aussi dans la façon dont nous préférons l’apprendre.
Dans les situations de vie courante, nous pouvons compter sur les heuristiques, les règles pratiques et les raccourcis disponibles de notre cerveau. La plupart du temps, il n’est pas vraiment nécessaire de réfléchir, nous pouvons réagir intuitivement, selon nos habitudes.
Par exemple, dès que nous croisons quelqu’un, notre cerveau nous informe sans effort s’il s’agit d’un homme ou une femme. La simple observation naturelle de son comportement non verbal nous informe de même sur son état d’esprit.
Ces processus cognitifs sont automatiques. Ils nous aident à réussir nos interactions avec nos proches ou avec des inconnus. Nous n’avons pas besoin de réfléchir profondément sur ces questions. Ce sont les parties les plus fluides de notre existence. Naturellement, nous souhaiterions apprendre de cette façon, avec la même légèreté.
Nos biais d’apprentissage adaptatif favorisent naturellement notre engagement dans certains types d’activités
Comme David C. Geary (2008) l’exprime, nos biais motivationnels existent pour favoriser l’acquisition de connaissances biologiques primaires :
- Les mammifères sociaux au cours de leur enfance jouent, explorent leur environnement et interagissent entre pairs. Ces activités permettent d’apprendre, elles seraient les moteurs des apprentissages adaptatifs.
- Il est naturel pour des enfants de s’engager dans des activités qui enrichissent les connaissances liées à soi, aux relations sociales et aux dynamiques de groupe.
- De nombreux enfants sont fondamentalement motivés à s’engager dans des activités qui développeront leurs compétences biologiques et physiques primaires.
Les mammifères sociaux auraient ainsi évolué pour que les activités qui favorisent ces apprentissages adaptatifs utiles soient une source de plaisir ou de motivation. S’engageant par plaisir dans cette activité, les mammifères sociaux maximisent la fonction d’apprentissage adaptative.
- Les enfants vont avoir tendance à s’engager de manière spontanée dans des apprentissages par le jeu, l’imitation et l’exploration.
- Les enfants vont manifester une préférence pour les activités qui favorisent le transfert intergénérationnel des connaissances dans les sociétés traditionnelles :
- C’est par exemple l’utilisation d’histoires pour transmettre la morale, les règles culturelles du comportement social et d’autres thèmes pertinents de la vie quotidienne.
- Le contenu spécifique des histoires et des apprentissages est centré sur les caractéristiques de la dynamique sociale ou de l’écologie. Les enfants devront se familiariser avec ces dimensions avant de pouvoir assumer des responsabilités adultes dans la culture de la société humaine.
- C’est également l’acquisition de compétences importantes sur le plan culturel, par exemple la chasse ou la fabrication d’outils. Elles ont lieu par le biais de l’exploration, de l’observation, l’imitation ou de l’enseignement direct de personnes plus compétentes.
Nous possédons naturellement des mécanismes d’apprentissage pour nous adapter aux spécificités de notre environnement et ceux-ci sont sous l’influence de biais d’apprentissage.
Des conséquences directes dans le cadre scolaire de nos biais d’apprentissage adaptatif
Cette lecture de la motivation des enfants permet d’interpréter simplement certaines observations telles que le fait que :
- De nombreux élèves vont accorder plus d’importance à la réussite dans la pratique sportive que dans les principaux domaines scolaires.
- Les élèves déclarent que les activités scolaires sont une source importante d’effets négatifs (ennui, difficulté et contraintes).
- Les niveaux les plus bas de bonheur sont observés chez les enfants et les adolescents lorsqu’ils font leurs devoirs, écoutent des présentations et font des mathématiques. Les niveaux les plus élevés sont observés lorsqu’ils parlent avec leurs amis.
- Pour les élèves du secondaire, la fin de semaine est le moment le plus attendu, surtout parce qu’ils pourront se socialiser librement avec leurs pairs durant le weekend.
Ces différentes constatations s’expliquent par un décalage entre les cibles des biais attentionnels, motivationnels et celles des apprentissages qu’impose l’école pour fonctionner correctement dans la société moderne.
Le point de vue de la psychologie évolutionniste sur la création de l’école
Les sociétés humaines dans le cours de leur évolution ont été amenées à créer des écoles pour pallier les limites des apprentissages adaptatifs. Ainsi, les enfants de ces sociétés, en allant à l’école, pourront apprendre des connaissances qui ne correspondent pas à leur quotidien et que leurs parents ne maîtrisent pas.
L’école est une création technologique qui a été entrainée par la nécessaire transmission d’une culture par le biais de l’écrit. Ce dernier développement historique étant récent, l’évolution n’a pas inscrit son apprentissage dans notre ADN. Nous avons besoin de l’école pour y suppléer.
Les écoles ne sont pas issues de la dynamique d’auto-organisation des relations entre pairs. Elles proviennent plutôt d’une innovation culturelle imposée aux enfants et aux adolescents par les adultes. Son enjeu est de faciliter la transmission intergénérationnelle des habiletés secondaires (comme l’écriture ou la lecture) et des connaissances (par exemple les mathématiques).
Comme l’écrit André Tricot (2017), dans nos sociétés, les adultes ont besoin d’autres connaissances que celles que leurs quotidiens d’enfants ou d’adolescents leur ont permis d’apprendre. Ils vivront dans des environnements sociaux différents. Ils exerceront un métier différent de celui de leurs parents. La société dans laquelle ils seront adultes sera elle-même différente de celle qu’ils ont connue étant enfants.
Les sociétés fondées sur l’ouverture culturelle et l’innovation technologique fonctionnent de façon inflationniste vis-à-vis des connaissances scolaires. Elles sont fondées sur l’école et l’apprentissage. Elles rendent une scolarité réussie de plus en plus nécessaire, pénalisant de plus en plus ceux qui ne vont pas à l’école ou ceux qui en sortent tôt.
Les biais cognitifs, attentionnels, motivationnels et comportementaux qui assurent l’acquisition des habiletés primaires et de ses variations naturelles ne seront pas suffisants pour l’apprentissage des habiletés secondaires sans un encadrement.
Si nous considérons l’évolution, la communication entre pairs était historiquement plus utile du point de vue de la sélection naturelle que l’engagement dans des activités abstraites autonomes prolongées.
Il y a donc un écart entre les capacités et les connaissances que les enfants sont censés acquérir à l’école et leurs biais motivationnels évolués. Il y a un écart entre les connaissances secondaires nécessaires pour bien fonctionner dans les sociétés modernes et les biais de motivation et d’apprentissage qui ont évolué pour les connaissances primaires.
Les connaissances apprises à l’école peuvent présenter un déficit d’utilité perçue. Parfois, les élèves ne comprennent pas à quoi ça sert d’apprendre tels contenus abstraits. Cette incompréhension semble toute légitime dans le sens où elle constitue la raison d’être des écoles.
Un des rôles importants de l’école en dehors de l’apprentissage de connaissances secondaires est de développer les dispositions, les intérêts, la motivation et les capacités d’engagement des élèves pour ces domaines secondaires. Ces potentialités créatives et productives accompagnant les connaissances secondaires sont difficilement reproduites à l’extérieur du milieu scolaire, les autodidactes sont rares ou alors réservés à des domaines spécifiques.
Le point de vue de la psychologie évolutionniste sur la gestion de classe
La psychologie évolutionniste distingue les connaissances primaires que nous apprenons par nous-mêmes et sans effort et avec une motivation naturelle au contact d’autres êtres humains et qui ont été inscrites dans notre ADN par la sélection naturelle.Elle distingue également les connaissances secondaires issues de la culture humaine, relativement récentes, qui nécessitent un enseignement et une motivation construite et n’ont pas été inscrites dans notre ADN par la sélection naturelle.
Nous ne pouvons pas nous attendre à une motivation universelle pour l’enseignement de telles connaissances secondaires qui sont le sujet même des écoles. Bien sûr, certaines personnes aimeront apprendre de nouvelles choses. Cependant, c’est surtout une fois qu’elles auront maîtrisé efficacement les bases et grâce à des occasions de réussite face à des défis que la motivation se renforcera.
L’intérêt et la curiosité se construisent dans différents domaines. Cependant, l’objectif est l’éducation universelle. Elle n’est pas seulement l’éducation des curieux et des personnes capables cognitivement ou dans des domaines restreints.
Pour la plupart des élèves, l’objectif d’acquérir des compétences secondaires à l’école sera mis en concurrence avec d’autres tentations souvent plus intéressantes. Ils vont avoir une motivation plus forte à s’engager dans des activités qui renforcent leurs capacités primaires, comme le jeu ou d’autres activités sociales.
L’intérêt naturel des élèves pour la nouveauté et leur motivation à apprendre leur culture les amèneront à s’y initier assez facilement au départ d’une curiosité initiale. Cependant, nous ne pouvons pas faire le pari qu’ils maintiendront naturellement par eux-mêmes leurs apprentissages scolaires à long terme. Il n’y a pas de continuité harmonieuse entre les domaines primaires, comme le langage, et les domaines secondaires, comme la lecture.
Pour les domaines et activités primaires, il existe des biais de motivation correspondants qui garantissent que les enfants s’engagent dans les activités nécessaires.
Nous ne pouvons dès lors pas supposer :
Pour apprendre des connaissances secondaires à l’école, les élèves devront apprendre à inhiber certaines de leurs tendances naturelles, ce qui est difficile.
Comme les élèves préfèrent naturellement bavarder entre eux (c’est un biais motivationnel associé aux connaissances primaires), il nous faut un cadre de gestion de classe pour leur apprendre par exemple à :
L’objectif étant de développer des connaissances secondaires à l’école, pour l’enseignant, à la gestion des apprentissages, vient s’ajouter nécessairement la gestion des comportements.
L’apprentissage secondaire biologique représente l’acquisition d’informations et de compétences importantes sur le plan culturel à l’école.
Il a lieu en utilisant de manière assidue les mécanismes qui ont évolué pour permettre aux gens de faire face à la nouveauté environnementale et sociale, et à ses changements au cours de leur vie. Ces mécanismes ont pour objet également de permettre le transfert intergénérationnel du savoir culturel.
Dès lors, l’acquisition des connaissances à l’école ne se fait pas d’elle-même. Elle demande un effort, elle est consciente et se déroule dans l’espace limité mémoire de travail. Elle est dépendante des mécanismes cognitifs.
Une difficulté pour les enseignants est que la mémoire de travail est bien adaptée pour traiter les types d’informations et résoudre les types de problèmes liés aux connaissances biologiques primaires. L’homme semble avoir détourné cette ressource cognitive pour s’occuper de l’acquisition de connaissances biologiques secondaires. Par conséquent, nous trouvons ce type d’apprentissage difficile.
Dès lors, il nous apparait logique que les tâches nouvelles et complexes exigent, pour être apprises avec efficacité :
Ces points suggèrent que pour que la plupart des enfants deviennent compétents dans les domaines secondaires il faut :
Au cours des phases d’enseignement, les objectifs de la tâche et la séquence des étapes nécessaires à l’exécution de la tâche sont appris et mémorisés.
Avec suffisamment de pratique distribuée dans le temps, le résultat final est le traitement automatique et implicite des tâches, accompagné des réponses comportementales attendues.
Ces phases d’apprentissage représentent le passage des représentations explicites et de la résolution contrôlée de problèmes à un traitement automatique et heuristique de la tâche qui mène à l’établissement de la réponse.
Différentes composantes de l’inhibition, de l’attention, de la mémoire de travail et des stratégies de résolution de problèmes, qui représentent l’intelligence fluide, sont engagées pendant la phase initiale de l’apprentissage secondaire biologique.
Les compétences secondaires pleinement développées résident dans un réseau distribué de systèmes cognitifs et cérébraux qui diffèrent de ceux qui soutiennent l’intelligence fluide. Nous parlons alors des schémas cognitifs de la mémoire à long terme dont l’accessibilité et la capacité de mobilisation correspondent à l’intelligence cristallisée.
Les composantes de l’intelligence fluide permettent la création de capacités secondaires en modifiant les systèmes liés aux connaissances primaires.
Sans présumer explicitement que l’apprentissage exigera des efforts, nous risquons de faire croire aux enfants que l’apprentissage scolaire se fera sans ceux-ci. Lorsqu’il faut faire des efforts pour apprendre et que les enfants commencent à connaître l’échec, ils risquent de faire des attributions qui peuvent compromettre leur engagement ultérieur à l’école.
De nombreux élèves vont tendre à croire que l’apprentissage des mathématiques exige un talent ou une capacité inhérente. Ils se désengagent lorsque la matière devient difficile. Cette erreur d’attribution peut être une conséquence directe et néfaste de théories éducatives inadéquates qui supposent une continuité harmonieuse entre l’enseignement des connaissances biologiquement primaires et secondaires.
Heureusement, des études expérimentales montrent que le fait de changer les attributions, de l’importance de capacité vers celle de l’effort, renforce l’engagement des élèves dans un cours de mathématiques par exemple et améliore leur apprentissage. C’est la problématique qu’investissent des concepts comme le sentiment d’efficacité personnelle ou la perception de compétence.
Il y a donc une importance fondamentale à faire prendre conscience aux élèves, de l’importance de l’effort, dès le début de leur scolarité formelle.
Au cours de ces premières années de scolarité et même avant, il y a une frontière floue entre les habiletés primaires et secondaires. Cette période de transition peut également être cruciale pour influencer les attributions des enfants en matière d’apprentissage et leur faire comprendre que l’apprentissage exige souvent des efforts.
Pendant cette transition, les élèves seront progressivement motivés par la nouveauté et l’importance culturelle des domaines secondaires, pour autant qu’une attention de l’entourage y soit consacrée, par exemple :
L’accent doit être mis sur l’importance de l’effort et des stratégies (réussite = efforts x stratégies), par opposition à la capacité, pour l’apprentissage à l’école. Cette dimension est courante dans de nombreux pays où le niveau de réussite scolaire est élevé.
Afin de stimuler la motivation pour l’apprentissage à l’école, il importe que les enseignants et parents soutiennent les élèves dans les multiples transitions, entre la zone grise entre l’apprentissage biologique primaire et l’apprentissage biologique secondaire.
Par exemple, David C. Geary donne l’exemple d’un parent qui lit un livre illustré à un jeune enfant. L’enfant est intéressé parce qu’il aime les histoires, car cela correspond à un biais d’apprentissage pour la transmission de l’information culturelle dans notre espèce. Il va se concentrer sur son parent, car il veut apprendre le langage (concentration innée et primaire).
En même temps, le jeune enfant va regarder les images du livre, qui sont des représentations d’éléments naturels [psychologiques, biologiques et physiques] pour lesquels il a un intérêt. Mais ces représentations sont abstraites, et induisent un glissement vers les connaissances secondaires. Ce glissement se poursuit au fur et à mesure que l’enfant remarque que les illustrations sont placées en vis-à-vis du texte que le parent lit. Lire un livre à côté d’un enfant est donc bien plus qu’une communication directe en langage familier, mais une sensibilisation progressive aux connaissances secondaires et à la lecture.
Nous pouvons motiver les élèves en reliant l’apprentissage de connaissances secondaires à celui de connaissances primaires. Au fur et à mesure, les enfants perçoivent, qu’à travers l’usage d’efforts et de stratégies adéquates, dans des situations d’apprentissage, ils peuvent découvrir et apprendre. Cela leur permet d’alimenter peu à peu une motivation à apprendre d’autres contenus scolaires, de plus en plus abstraits.
Comme le montre la science de l’apprentissage, le processus et très progressif. Nous n’avons pas par exemple, intuitivement tendance à utiliser les meilleures stratégies pour apprendre, nous continuons à être trompés par nos biais d’apprentissage. Le besoin de sensibilisation se poursuit toute notre vie, car nous ne pouvons jamais faire entièrement confiance à nos intuitions concernant l’apprentissage ou l’enseignement.
Geary, David C. [2008]. An evolutionarily informed education science. Educational Psychologist, 43, 179–195.
Paul A. Kirschner, Luce Claessens & Steven Raaaijmakers, Op de schouders van reuzen, 2018, p 13-17
André Tricot. Les contraintes spécifiques des apprentissages scolaires. Psychologie et Éducation, AFPEN, 2017. hal-01628833
David Didau and Nick Rose, What every teacher needs to know about psychology, 2016, John Catt
Pour la plupart des élèves, l’objectif d’acquérir des compétences secondaires à l’école sera mis en concurrence avec d’autres tentations souvent plus intéressantes. Ils vont avoir une motivation plus forte à s’engager dans des activités qui renforcent leurs capacités primaires, comme le jeu ou d’autres activités sociales.
L’intérêt naturel des élèves pour la nouveauté et leur motivation à apprendre leur culture les amèneront à s’y initier assez facilement au départ d’une curiosité initiale. Cependant, nous ne pouvons pas faire le pari qu’ils maintiendront naturellement par eux-mêmes leurs apprentissages scolaires à long terme. Il n’y a pas de continuité harmonieuse entre les domaines primaires, comme le langage, et les domaines secondaires, comme la lecture.
Pour les domaines et activités primaires, il existe des biais de motivation correspondants qui garantissent que les enfants s’engagent dans les activités nécessaires.
Nous ne pouvons dès lors pas supposer :
- Les élèves seraient intrinsèquement motivés à apprendre dans des domaines secondaires
- Les élèves apprendraient aussi facilement dans les domaines de connaissances secondaires que dans les domaines primaires.
Pour apprendre des connaissances secondaires à l’école, les élèves devront apprendre à inhiber certaines de leurs tendances naturelles, ce qui est difficile.
Comme les élèves préfèrent naturellement bavarder entre eux (c’est un biais motivationnel associé aux connaissances primaires), il nous faut un cadre de gestion de classe pour leur apprendre par exemple à :
- S’astreindre en silence pour résoudre des exercices en mathématiques
- Ignorer les tentations de distraction liées à leurs voisins.
L’objectif étant de développer des connaissances secondaires à l’école, pour l’enseignant, à la gestion des apprentissages, vient s’ajouter nécessairement la gestion des comportements.
Le point de vue de la psychologie évolutionniste sur l’apprentissage à l’école
L’apprentissage secondaire biologique représente l’acquisition d’informations et de compétences importantes sur le plan culturel à l’école.
Il a lieu en utilisant de manière assidue les mécanismes qui ont évolué pour permettre aux gens de faire face à la nouveauté environnementale et sociale, et à ses changements au cours de leur vie. Ces mécanismes ont pour objet également de permettre le transfert intergénérationnel du savoir culturel.
Dès lors, l’acquisition des connaissances à l’école ne se fait pas d’elle-même. Elle demande un effort, elle est consciente et se déroule dans l’espace limité mémoire de travail. Elle est dépendante des mécanismes cognitifs.
Une difficulté pour les enseignants est que la mémoire de travail est bien adaptée pour traiter les types d’informations et résoudre les types de problèmes liés aux connaissances biologiques primaires. L’homme semble avoir détourné cette ressource cognitive pour s’occuper de l’acquisition de connaissances biologiques secondaires. Par conséquent, nous trouvons ce type d’apprentissage difficile.
Dès lors, il nous apparait logique que les tâches nouvelles et complexes exigent, pour être apprises avec efficacité :
- Un enseignement explicite axé sur des objectifs et structuré en étapes
- Une prise en compte des mécanismes de l’attention, de la mémoire de travail et de la mémoire à long terme.
Ces points suggèrent que pour que la plupart des enfants deviennent compétents dans les domaines secondaires il faut :
- Des programmes d’études bien développés et structurés
- Des enseignants compétents qui fournissent aux élèves guidage et étayage.
- La mise en place et le maintien d’un climat de classe propice à l’apprentissage.
Au cours des phases d’enseignement, les objectifs de la tâche et la séquence des étapes nécessaires à l’exécution de la tâche sont appris et mémorisés.
Avec suffisamment de pratique distribuée dans le temps, le résultat final est le traitement automatique et implicite des tâches, accompagné des réponses comportementales attendues.
Ces phases d’apprentissage représentent le passage des représentations explicites et de la résolution contrôlée de problèmes à un traitement automatique et heuristique de la tâche qui mène à l’établissement de la réponse.
(source : Geary, 2008)
Différentes composantes de l’inhibition, de l’attention, de la mémoire de travail et des stratégies de résolution de problèmes, qui représentent l’intelligence fluide, sont engagées pendant la phase initiale de l’apprentissage secondaire biologique.
Les compétences secondaires pleinement développées résident dans un réseau distribué de systèmes cognitifs et cérébraux qui diffèrent de ceux qui soutiennent l’intelligence fluide. Nous parlons alors des schémas cognitifs de la mémoire à long terme dont l’accessibilité et la capacité de mobilisation correspondent à l’intelligence cristallisée.
Les composantes de l’intelligence fluide permettent la création de capacités secondaires en modifiant les systèmes liés aux connaissances primaires.
Le point de vue de la psychologie évolutionniste sur l’importance de l’effort
Sans présumer explicitement que l’apprentissage exigera des efforts, nous risquons de faire croire aux enfants que l’apprentissage scolaire se fera sans ceux-ci. Lorsqu’il faut faire des efforts pour apprendre et que les enfants commencent à connaître l’échec, ils risquent de faire des attributions qui peuvent compromettre leur engagement ultérieur à l’école.
De nombreux élèves vont tendre à croire que l’apprentissage des mathématiques exige un talent ou une capacité inhérente. Ils se désengagent lorsque la matière devient difficile. Cette erreur d’attribution peut être une conséquence directe et néfaste de théories éducatives inadéquates qui supposent une continuité harmonieuse entre l’enseignement des connaissances biologiquement primaires et secondaires.
Heureusement, des études expérimentales montrent que le fait de changer les attributions, de l’importance de capacité vers celle de l’effort, renforce l’engagement des élèves dans un cours de mathématiques par exemple et améliore leur apprentissage. C’est la problématique qu’investissent des concepts comme le sentiment d’efficacité personnelle ou la perception de compétence.
Il y a donc une importance fondamentale à faire prendre conscience aux élèves, de l’importance de l’effort, dès le début de leur scolarité formelle.
Au cours de ces premières années de scolarité et même avant, il y a une frontière floue entre les habiletés primaires et secondaires. Cette période de transition peut également être cruciale pour influencer les attributions des enfants en matière d’apprentissage et leur faire comprendre que l’apprentissage exige souvent des efforts.
Pendant cette transition, les élèves seront progressivement motivés par la nouveauté et l’importance culturelle des domaines secondaires, pour autant qu’une attention de l’entourage y soit consacrée, par exemple :
- Le champ des possibilités ouvertes par la maîtrise de la lecture ou celle des opérations mathématiques de base.
- L’observation de la lecture des parents et de leur intérêt pour ces dimensions, inciteront nombre d’enfants à essayer de déchiffrer eux-mêmes.
L’accent doit être mis sur l’importance de l’effort et des stratégies (réussite = efforts x stratégies), par opposition à la capacité, pour l’apprentissage à l’école. Cette dimension est courante dans de nombreux pays où le niveau de réussite scolaire est élevé.
Afin de stimuler la motivation pour l’apprentissage à l’école, il importe que les enseignants et parents soutiennent les élèves dans les multiples transitions, entre la zone grise entre l’apprentissage biologique primaire et l’apprentissage biologique secondaire.
Par exemple, David C. Geary donne l’exemple d’un parent qui lit un livre illustré à un jeune enfant. L’enfant est intéressé parce qu’il aime les histoires, car cela correspond à un biais d’apprentissage pour la transmission de l’information culturelle dans notre espèce. Il va se concentrer sur son parent, car il veut apprendre le langage (concentration innée et primaire).
En même temps, le jeune enfant va regarder les images du livre, qui sont des représentations d’éléments naturels [psychologiques, biologiques et physiques] pour lesquels il a un intérêt. Mais ces représentations sont abstraites, et induisent un glissement vers les connaissances secondaires. Ce glissement se poursuit au fur et à mesure que l’enfant remarque que les illustrations sont placées en vis-à-vis du texte que le parent lit. Lire un livre à côté d’un enfant est donc bien plus qu’une communication directe en langage familier, mais une sensibilisation progressive aux connaissances secondaires et à la lecture.
Nous pouvons motiver les élèves en reliant l’apprentissage de connaissances secondaires à celui de connaissances primaires. Au fur et à mesure, les enfants perçoivent, qu’à travers l’usage d’efforts et de stratégies adéquates, dans des situations d’apprentissage, ils peuvent découvrir et apprendre. Cela leur permet d’alimenter peu à peu une motivation à apprendre d’autres contenus scolaires, de plus en plus abstraits.
Comme le montre la science de l’apprentissage, le processus et très progressif. Nous n’avons pas par exemple, intuitivement tendance à utiliser les meilleures stratégies pour apprendre, nous continuons à être trompés par nos biais d’apprentissage. Le besoin de sensibilisation se poursuit toute notre vie, car nous ne pouvons jamais faire entièrement confiance à nos intuitions concernant l’apprentissage ou l’enseignement.
Mis à jour le 01/04/2023
Bibliographie
Geary, David C. [2008]. An evolutionarily informed education science. Educational Psychologist, 43, 179–195.
Paul A. Kirschner, Luce Claessens & Steven Raaaijmakers, Op de schouders van reuzen, 2018, p 13-17
André Tricot. Les contraintes spécifiques des apprentissages scolaires. Psychologie et Éducation, AFPEN, 2017. hal-01628833
David Didau and Nick Rose, What every teacher needs to know about psychology, 2016, John Catt
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