(Photographie : Aaron Blum)
Une recherche d’équilibre à travers le développement d’une identité personnelle
Le fait de pouvoir développer son identité professionnelle est crucial pour atteindre l’épanouissement en tant qu’enseignant.
Développer un sentiment d’identité professionnelle demande d’intégrer à la fois sa subjectivité personnelle et les attentes professionnelles et culturelles, liées au sens d’être enseignant. Le processus demande l’établissement d’un équilibre entre l’aspect personnel et l’aspect professionnel de l’enseignement.
Le processus d’apprentissage de l’enseignement est aux carrefours :
- D’attentes professionnelles :
- L’enseignement se doit d’être en constante évolution face à une société elle-même en perpétuelle transformation.
- L’enseignant doit répondre à différentes strates de pouvoir qui définissent des attentes. Celles-ci s’expriment à travers les programmes, les formations, les évaluations, la culture de l’établissement, les rapports avec sa direction, les obligations administratives, les contacts avec les élèves et leurs parents, la collaboration avec des collègues…
- De subjectivités personnelles :
- Devenir enseignant signifie, entre autres, décider comment s’exprimer en classe et quelles pratiques mettre en œuvre en exerçant sa liberté pédagogique.
- Nous devons adapter notre sensibilité personnelle, notre vie extérieure et nos idéaux pour une part aux exigences du métier.
L’identité professionnelle ne peut pas être une entité stable et inamovible. Elle correspond à un processus évolutif, dynamique, actif et continu, qui se développe avec le temps et qui est influencé par les caractéristiques personnelles et l’historique des apprentissages, par les expériences antérieures des enseignants et le contexte professionnel.
L’identité professionnelle est influence par divers facteurs :
- Des aspects personnels : les antécédents personnels, les normes, les croyances, les attitudes et les valeurs
- Des aspects professionnels : comme les théories acceptées sur l’enseignement et l’apprentissage, les attentes, la culture de l’établissement scolaire, les normes et les exigences professionnelles.
Le développement d’une identité professionnelle consiste à faire face à des tensions inhérentes à la profession.
Il se peut que les aspects personnels et professionnels de l’enseignant ne soient pas équilibrés. Ce qui est jugé pertinent pour la profession peut entrer en conflit avec les attentes et les convictions personnelles des enseignants et ce qu’ils considèrent comme bon ou positif.
De tels conflits peuvent apparaître comme des tensions dans l’identité professionnelle des enseignants. Ils peuvent provoquer des luttes internes, en lien avec une situation indésirable.
Les enseignants débutants, en particulier, connaissent des tensions identitaires professionnelles. De telles tensions peuvent être de véritables dilemmes lorsque ces nouveaux enseignants ont l’impression de devoir faire un choix entre des alternatives toutes aussi indésirables l’une que l’autre.
Sur la base d’une revue de la littérature de recherche et d’entretiens avec des enseignants, Marieke Pillen et ses collègues (2013) ont élaboré un questionnaire sur les tensions identitaires professionnelles. Les tensions identifiées sont à la fois issues de publications de recherche sur ce thème et des entretiens qu’ils ont réalisés.
Il leur est apparu que les tensions rencontrées en début de carrière par les infirmières et les travailleurs sociaux étaient semblables à celles vécues par les enseignants. Ces trois domaines correspondent à des professions sociales dans lesquelles les professionnels, d’une manière ou d’une autre, rendent un service à d’autres personnes.
Van der Want (2018) et ses collègues ont complété cette liste en s’intéressant également à des enseignants expérimentés.
Certaines tensions peuvent être considérées comme de véritables dilemmes. D’autres sont de simples contraintes. Certaines peuvent prendre la forme de problèmes graves et émotionnels que les enseignants débutants doivent apprendre à gérer.
Cet article présente une synthèse des différentes tensions mises en évidence, accompagnées pour certaines d’une mise en situation. Toutes ne sont pas pertinentes pour tous les enseignants. Le but dans cet article était d’être exhaustif.
Il nous semble que leur connaissance peut être pertinente pour l’accompagnement de nouveaux enseignants en tant que support d’auto-évaluation et de discussion.
Tensions ressenties par les enseignants dans l’exercice de leur profession
1. Se percevoir comme un « élève » alors qu’il est attendu d’agir comme un enseignant « adulte »
- Les enseignants débutants peuvent encore se sentir comme des élèves à l’intérieur. Les élèves et leurs collègues s’attendent à ce qu’ils se comportent comme de vrais enseignants, c’est-à-dire comme des adultes rensponsables de la classe.
- Maria se sent parfois encore comme une élève. Certains de ses élèves ont presque son âge ou celui de ses frères ou sœurs. Ils lui font penser à ses amis. Il y a peu de temps encore, elle était étudiante. Elle a des difficultés à se comporter comme une enseignante et à être traitée ainsi par ses élèves et ses collègues. Maria se sent presque trop jeune pour endosser pleinement l’habit de l’enseignant. Elle peine à assumer toutes les responsabilités qui accompagnent la profession.
2. Vouloir se soucier des élèves alors que l’enseignant est attendu comme strict et ferme
- Les enseignants débutants peuvent avoir l’impression que faire preuve de contrôle strict et de directivité face à une classe pourrait sacrifier la relation étroite qu’ils souhaitent entretenir et conserver avec leurs élèves.
- Pour maintenir l’ordre dans la classe, Nicole doit être stricte avec ses élèves. C’est difficile. Ce qu’elle veut surtout c’est que ses élèves l’aiment, être la prof qu’elle rêvait d’avoir comme élève. Elle veut créer une bonne ambiance dans sa classe. Nicole veut que ses élèves sentent qu’elle est là pour eux et contente d’être là avec eux. Cela ne lui semble pas aller de pair avec une attitude stricte.
3. Se sentir incompétent en matière de connaissances alors l’expertise est attendue
- Les élèves s’attendent à ce que les enseignants débutants soient des experts (dans leur matière). Pourtant, ces derniers estiment souvent qu’ils ne le sont pas complètement et qu’ils ont encore à apprendre pour le devenir.
- Étienne donne un cours de physique. Il est chimiste dans sa formation initiale. Il pense que ses élèves s’attendent à ce qu’il ait plus de connaissances en physique qu’il a réellement. Il est incapable de répondre à toutes les questions de ses élèves sur les sujets abordés. Il est stressé et ne sait pas quoi faire à ce sujet.
4. Faire l’expérience d’une divergence entre ses propres croyances et conceptions, généralement implicites, et les théories considérées comme pertinentes pour l’éducation
- Les théories propres aux jeunes enseignants, implicites ou non, sur l’enseignement et l’apprentissage peuvent présenter des contradictions avec les théories prônées et présentées comme établies lors de leur formation. L’enseignant peut se sentir en tension face à des théories que d’autres considèrent comme pertinentes et dont ils imposent la légitimité.
- Geoffrey a découvert qu’il n’a pas appris ce qu’il aurait dû apprendre pendant sa formation d’enseignant. Il n’est pas au courant des récents développements éducatifs afin de pouvoir bien fonctionner dans l’école où il enseigne. Il a donc du mal à être à la hauteur des attentes de son établissement scolaire.
5. Faire l’expérience de conflits entre ses propres orientations, et celles d’autres, concernant le fait d’apprendre à enseigner
- Les enseignants en formation ou débutants, et leurs accompagnants, tuteurs, référents ou collègues confirmés peuvent diverger en ce qui concerne leurs conceptions quant à la façon d’apprendre ou de s’investir dans la profession d’enseignant.
- Samir estime que ce que ses professeurs lui demandent d’appliquer comme approche pédagogique en formation initiale est à l’encontre de ses propres convictions sur l’enseignement.
- De même, son collègue plus expérimenté, Stéphane réalise que les pratiques ou les approches auxquelles il est formé en formation continue, sont en contradiction avec ce qui est attendu de lui en conditions réelles. Cela ne correspond pas non plus à ce qu’il met en œuvre avec ses collègues dans l’établissement où il exerce.
6. Être exposé à des injonctions institutionnelles contradictoires
- Les enseignants en formation doivent traiter à la fois avec les attentes de leur institut de formation et celles de l’école où ils exercent ou réalisent un stage. Ces différentes institutions peuvent demander la mise en œuvre des pratiques contradictoires à l’égard de l’enseignement.
- De même pour un enseignant confirmé, l’approche suggérée par son programme, par un conseiller pédagogique ou un inspecteur peuvent différer des choix imposés dans son établissement ou par l’équipe pédagogique à laquelle il appartient.
- Catherine est très dépendante de son équipe. Elle estime qu’elle doit enseigner comme ses collègues, mais cela ne correspond pas à sa propre façon d’enseigner ni à sa formation. Elle aime expérimenter et veut une façon différente de traiter ses élèves, qui diverge de celle de ses collègues. Elle ne sait pas comment réagir. D’une part, elle veut écouter ses collègues. D’un autre côté, elle veut essayer d’enseigner à sa façon. Selon elle, c’est la meilleure option pour ses élèves.
7. Vouloir consacrer l’essentiel du temps à la pratique et à la préparation de l’enseignement plutôt que se sentir poussé à investir du temps dans d’autres tâches annexes qui font partie de la profession enseignante
- Quand les enseignants débutants veulent accomplir toutes leurs tâches au mieux de leurs capacités, ils ont souvent l’impression de ne pas avoir assez de temps. Différentes tâches demandées dans une école ou par leurs collègues, sortent du fait de simplement devoir donner cours et se révèlent consommatrices en ressources.
- Arthur a juste commencé à enseigner. Il se demande s’il sera capable d’être un bon enseignant. Il fait face à des problèmes parce qu’il n’a pas le temps d’accomplir toutes ses tâches correctement avec le degré de qualité qu’il souhaiterait. Il ne voit pas comment il lui sera possible de répondre correctement à toutes ces attentes qui lui sont imposées. Il estime ne pas avoir assez de temps pour accomplir toutes les tâches liées à l’enseignement en même temps que ses autres tâches non directement liées qui lui sont imposées.
8. Vouloir respecter l’intégrité des élèves plutôt que ressentir le besoin de défier celle-ci
- Un enseignant peut être pris entre deux feux, il peut éprouver de l’empathie pour un élève qui se confie à lui et rencontre des difficultés. Il peut comprendre ses attitudes et son état d’esprit. Cette situation devient difficile lorsqu’il est forcé de poser un choix. Soit, il respecte l’intégrité de l’élève, soit il agit contre elle en appliquant les règles du système scolaire, car elles répondent à des attentes nécessaires et légitimées par l’institution.
- Une des élèves de Fatima s’est confiée à elle au sujet d’un problème personnel. Fatima est en conflit avec elle-même. Elle veut protéger la vie privée de l’élève, mais en même temps, elle a peur que l’élève représente un danger pour elle-même, pour son avenir scolaire ou pour d’autres élèves.
9. Avoir des loyautés conflictuelles entre ses élèves et certains collègues
- Un enseignant débutant peut éprouver des sentiments de loyauté conflictuels lorsqu’un élève lui fait confiance à l’égard de difficultés rencontrées dans le cours d’un collègue.
- Lors d’un cours, certains élèves se confient à Sébastien, pour dénoncer les pratiques ou l’attitude d’un collègue enseignant, qui même si elles ne sont pas répréhensibles peuvent paraître hors contexte comme injustes et inéquitables. En salle des profs, ce collègue décrit la classe concernée comme la pire qu’il ait jamais rencontrée. Sébastien ne sait pas exactement comment réagir aux confidences de ses élèves ni déterminer quelle attitude il doit adopter face à ce genre de situation. Il veut aider ses élèves, mais en même temps il ne veut pas agir à l’encontre de son collègue.
10. Évaluer les élèves uniquement en fonction des résultats obtenus
- Parfois, nous pouvons nous poser la question suivante. Faut-il considérer les élèves comme des personnes dans leur ensemble ou plutôt les traiter comme des apprenants à travers la lunette des évaluations sur la matière de notre cours ?
- Jana considère qu’il est difficile d’évaluer les élèves sur la base de leurs seules performances aux évaluations sommatives. Elle souhaite également tenir compte de la personne dans son entièreté, de ses progrès personnels et de ses efforts. Elle valorise le bien-être et le développement de la personne entière de l’élève. Elle vit cela comme un problème.
11. Avoir de la difficulté à maintenir une distance émotionnelle
- Les enseignants débutants peuvent développer une forme de complicité avec leurs élèves. Même s’ils maintiennent une position d’enseignant, ils appartiennent à des tranches d’âge pas toujours très éloignées et ils sont eux-mêmes de récents anciens élèves. Ils peuvent se retrouver impliqués par les confidences que leur font certains élèves lorsqu’ils veulent leur montrer qu’ils se soucient d’eux. S’il peut être difficile pour des enseignants débutants de s’éloigner émotionnellement, cette distance est cependant nécessaire.
- Sarah est très préoccupée par le bien-être d’une de ses élèves qui se trouve dans des circonstances personnelles particulièrement complexes et difficiles. Elle a de la difficulté à accepter qu’elle ne puisse pas soutenir en tant que personne cette élève, comme il le faudrait pour parvenir aux résultats d’apprentissage attendus.
12. Éprouver des difficultés dans l’approche pédagogique adoptée
- Les enseignants peuvent avoir du mal à se situer à un moment donné de leur carrière :
- Entre des pratiques centrées sur l’enseignant (enseignement explicite) ou centrées sur l’élève (pédagogie constructiviste).
- Entre un enseignant qui guide systématiquement les élèves (enseignement explicite) et le rôle d’un facilitateur (pédagogie constructiviste).
- En se renseignant sur l’enseignement explicite, Stéphanie se rend compte que cette approche s’oppose à ce qu’il lui a été prescrit lors de sa formation initiale. Elle est plongée dans le doute. C’est d’autant plus qu’elle prend conscience que naturellement, par essai/erreur elle tend à favoriser un enseignement structuré et guidé, car cela facilite l’apprentissage de ses élèves, particulièrement ceux qui rencontrent des difficultés. Elle entre dans une profonde remise en question professionnelle.
13. Séparation entre vie privée et tâches professionnelles
- Il peut y avoir une tension palpable entre :
- La volonté de conserver et de réserver du temps pour une vie privée et personnelle de qualité
- Le fait que de se sentir pressé de consacrer plus de temps et de l’énergie au travail pour en être pleinement satisfait.
- Mara veut être performante dans son travail d’enseignante. Elle veut aussi garder suffisamment de temps libre pour être disponible pour sa famille et ses amis. Elle ne sait pas comment partager son temps correctement. Souvent, les limites sont floues. Elle s’en veut lorsqu’elle accumule pour ses élèves des retards de corrections.
14. Perspectives de carrière et exigences de la profession mal perçues
- Si les enseignants débutants ont des idées fausses sur les exigences de la profession d’enseignant, l’enseignement peut rapidement ne plus sembler être ce qu’ils recherchent, ce qui rend difficile la poursuite de leur carrière. De même, le manque de perspective peut après quelques années amener à un changement de trajectoire professionnelle.
- Après presque une année de carrière, Olivier fait face à de sérieuses désillusions. Il n’avait pas réalisé à quel point préparer ses cours et assurer ses corrections lui prendraient du temps et l’amèneraient à fonctionner au jour le jour. En outre, certaines de ses classes et certains de ses élèves en particulier, lui donnent du fil à retordre. Cette situation génère du stress et de la fatigue. Cela a un impact réel sur sa vie privée et son bien-être. Il songe à réorienter sa carrière, d’autant que son diplôme le lui permet et que son contrat actuel est un remplacement. Il lui faudra de toute façon redémarrer tout le processus dans un nouvel établissement à la rentrée prochaine.
15. Agir selon son bon vouloir ou appliquer des recommandations
- Les enseignants débutants peuvent se sentir dépendants des collègues expérimentés qui sont chargés de les accueillir et de les conseiller. Face à des difficultés, ils peuvent avoir le souhait de s’engager à leur façon, tendre à les minimiser et ne pas suivre leurs conseils.
- Carine se sent très dépendante de son collègue référent/maitre de stage. Il l’enjoint à enseigner avec des conseils très concrets d’une manière qui ne lui correspond pas. Elle aime expérimenter et considère qu’il y a une autre façon de se comporter avec ses élèves que celle que recommande son collègue référent/maitre de stage. D’un autre côté, elle veut l’écouter, parce qu’elle dépend de lui pour son évaluation et son intégration dans l’école.
16. Être un pair pour ses élèves vs être leur enseignant
- Un enseignant débutant peut avoir l’impression d’être un pair plutôt que de vouloir prendre la responsabilité en tant qu’enseignant
- Éva prend la responsabilité de ses élèves en tant qu’enseignante. En même temps, elle est proche des élèves, compte tenu de son âge. Elle aime bien plaisanter avec eux en classe et échanger amicalement avec eux quand elle les croise hors de la classe ou même hors de l’école. Elle éprouve des difficultés lorsqu’elle considère le rôle qu’elle doit adopter à l’intérieur et à l’extérieur de l’école en ce qui concerne ses élèves. Elle veut conserver un lien avec eux et une certaine proximité. En même temps, elle est consciente de ses responsabilités en tant qu’enseignante. Elle réalise la nécessité de maintenir la bonne distance.
17. Interactions entre l’enseignant et les parents d’élève
- Certains parents sont préoccupés par les résultats de leurs enfants, par la qualité de l’enseignement qu’ils reçoivent ou par les choix de filières ou d’options que ceux-ci pourraient effectuer. Les technologies modernes, que les écoles sont en mesure d’offrir aux parents, permettent l’accès en ligne aux résultats et à des communications facilitées au sujet de leurs enfants, ce qui renforce encore ces attitudes chez eux. Cette responsabilisation et l’accessibilité des enseignants peuvent donner lieu à des interactions entre enseignants et parents plus fréquentes et plus spontanées. Des enseignants peuvent en arriver à devoir échanger avec les parents en dehors des temps de rencontre normalement prévus par l’école et sans en être à l’initiative. Parfois, l’enseignant et les parents n’ont pas non plus la même lecture d’une situation donnée.
- Marie enseigne la chimie à Jérôme, un élève de 15 ans. Marie remarque que Jérôme a de sérieuses difficultés de compréhension portant sur la matière de chimie. Elle conseille à Jérôme de poursuivre son parcours scolaire dans le domaine des sciences humaines et lui déconseille de sélectionner une filière scientifique. Les parents de Jérôme envoient une lettre à Marie, indiquant que Marie devrait passer plus de temps à expliquer les notions de chimie, proposer de la remédiation et de la différenciation. Cela permettra à Jérôme, selon eux, de mieux comprendre et mieux apprendre. Il comblera alors ses lacunes. Ils souhaitent que Jérôme continue dans une filière scientifique. Marie a des difficultés à voir comment répondre aux parents et comment se justifier auprès d’eux. D’une part, elle pense qu’il n’est pas prudent pour Jérôme de choisir une filière scientifique. D’un autre côté, elle ne peut ignorer l’opinion des parents de Jérôme.
18. Être considéré comme idéaliste ou utopiste plutôt que réaliste et les deux pieds sur terre
- Certains enseignants peuvent penser qu’ils sont à même de déplacer des montagnes. Ils considèrent qu’ils peuvent amener à la réussite et à l’épanouissement n’importe quel élève, qu’il s’agit de leur responsabilité et de celle de l’école. Cela peut mener à des situations où ils s’investissent dans des projets presque utopiques et sous-estiment l’énergie nécessaire à l’échelle de l’école. D’une façon similaire, ils peuvent s’épuiser en essayant d’en donner le plus possible jusqu’à rencontrer leurs propres limites et ne pas avoir la réponse souhaitée auprès de leurs élèves.
- Alex estime qu’il n’est pas pris au sérieux et qu’il est considéré comme un idéaliste, un doux rêveur utopiste. Alex hésite sur la façon dont il doit réagir. Il veut se défendre et pouvoir avancer ses arguments pour être traité sérieusement. Il veut montrer que ses idées ne sont pas idéalistes, mais réalistes. Il a de l’ambition et veut s’investir dans des projets stimulants. En même temps, il ne veut pas être trop intrusif. Ses collègues ont peut-être raison, il finit par baisser les bras et se faire une raison.
- Angélique veut aider ses élèves, mais beaucoup font race à de profondes difficultés. Elle se rend compte qu’elle se dépense sans compter, que cela empiète sur son temps personnel. Elle est consciente que les résultats de ses actions sur s’apprentissage de ses élèves lui prennent beaucoup de ressources. Où est la limite ? Elle ne se sent pas bien professionnellement si elle ne les aide pas, mais elle ne se sent pas bien non plus lorsque cela a des conséquences sur sa vie personnelle.
Processus utilisé lors des enquêtes
Dans le cadre des deux enquêtes, pour chacune de ces tensions considérées, il a été demandé aux enseignants dans quelle mesure ils reconnaissaient leur propre expérience de la tension. Une échelle de Likert à quatre points (1 = pas du tout et 4 = beaucoup) a été utilisée à cet effet :
- S’ils ne se reconnaissaient pas dans une tension, ils passaient à la suivante.
- S’ils se reconnaissaient dans la tension, ils rapportaient les sentiments qu’ils y associaient.
Les enseignants avaient le choix entre les sentiments suivants : impuissance, conscience des carences, colère, insécurité/doute, ne pas être pris au sérieux, manque de motivation, frustration, inconfort, malaise, résignation, en avoir assez, ou se sentir contraint. Ils pouvaient également préciser un sentiment différent. Les enseignants avaient l’occasion d’indiquer plus d’un sentiment.
Pour chaque tension, les enseignants devaient également indiquer la stratégie qu’ils avaient utilisée pour y faire face. Un choix était donné entre :
- Chercher soi-même une solution,
- Demander de l’aide en parlant de la tension avec une autre personne
- Recevoir spontanément de l’aide sans prendre d’initiative de la demander
- Accepter la situation et s’y résigner.
Lorsque les participants choisissaient la réponse « j’en ai parlé à quelqu’un », il leur a été demandé d’indiquer avec qui ils en avaient parlé, en utilisant les catégories de réponses possibles suivantes :
- Avec un coach/mentor/référent de l’école
- Avec un collègue novice
- Avec un collègue expérimenté
- Avec quelqu’un de leur ancien institut de formation d’enseignants
- Avec un membre de la famille ou un ami
- Avec quelqu’un d’autre (préciser avec qui).
Il leur était demandé ensuite sur une échelle de Likert à quatre points (1 = pas du tout et 4 = beaucoup), combien le fait de parler à quelqu’un les avaient-ils aidés.
Pour plus de détails sur les questions, voir les articles de la bibliographie.
Deux types de processus d’adaptation aux tensions mobilisés par les enseignants
Les tensions peuvent être considérées comme très stressantes pour les enseignants débutants, il semble naturel qu’elles s’accompagnent de sentiments négatifs.
Comme il n’existe pas non plus de solution (facile) à de nombreuses tensions, les enseignants débutants doivent apprendre à y faire face.
Il y a deux types de comportements d’adaptation face à une tension :
- Un comportement d’adaptation axé sur les émotions :
- Il est influencé par des facteurs liés à la personnalité.
- Il se produit lorsque les enseignants supposent que les conditions environnementales ne peuvent être modifiées.
- Il correspond à des tactiques d’évitement, de minimisation, de distanciation ou d’attention sélective.
- Un comportement d’adaptation axé sur les problèmes.
- Il dépend davantage du contexte et est lié aux stratégies de résolution de problèmes.
- Les enseignants déterminent leur problème, en parlent à d’autres personnes qu’ils estiment importantes, cherchent des solutions de rechange et agissent.
Manifestation de tensions chez les enseignants débutants
Dans la recherche effectuée par Marieke Pillen et ses collègues (2013), les enseignants débutants dans le développement de leur identité professionnelle sélectionnaient en moyenne 3,3 tensions. Presque tous les enseignants débutants participants ont connu une ou plusieurs tensions identitaires professionnelles.
Les trois principales tensions identitaires professionnelles vécues par les enseignants débutants dans cette étude étaient :
- (2) Vouloir se soucier des élèves alors que l’on attend de l’enseignant qu’il soit strict.
- (13) Vie privée contre travail.
- (5) Faire l’expérience de conflits entre ses propres orientations et celles d’autres, concernant le fait d’apprendre à enseigner.
Les enseignants débutants ont souvent indiqué des émotions négatives, comme le sentiment d’impuissance, la prise de conscience de leurs lacunes, la colère ou le sentiment d’insécurité. Ces sentiments pouvaient être plutôt persistants et régulièrement les enseignants débutants ne savaient pas comment réagir.
Pour faire face aux tensions qu’ils rencontraient, ils ont privilégié des stratégies d’adaptation axées sur les problèmes aux stratégies axées sur les émotions. Ils préféraient chercher eux-mêmes une solution ou parler de leurs tensions avec d’autres personnes importantes pour eux.
Il semble que l’expérience d’une tension identitaire professionnelle, même si elle s’accompagne de sentiments ou d’émotions négatifs, peut également avoir des conséquences positives. Des tensions liées à l’expérience peuvent, à leur tour, contribuer au développement de l’identité professionnelle de l’enseignant.
Manifestation de tensions chez les enseignants expérimentés
L’étude réalisée par van der Want (et collègues, 2018) a mis en évidence que les enseignants expérimentés ont rencontré plusieurs tensions qui les ont influencés dans leur enseignement. Les enseignants vont vivre des problèmes différents à différents moments de leur carrière.
Certains problèmes d’identité sont restés difficiles tout au long de leur carrière d’enseignant. D’autres ont disparu et de nouveaux problèmes d’identité sont apparus. L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, en particulier, semble être un problème récurrent, mais les enseignants n’en parlent guère.
Les enseignants expérimentés ont également besoin de temps de réflexion, tout comme les enseignants débutants, face aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Dès lors, il apparaît que tout au long de la carrière, à différents moments, un dialogue ouvert sur les questions d’identité professionnelle est important à mener.
Mise à jour le 22/02/2024
Bibliographie
Pillen, M. T., Beijaard, D. & Den Brok, P. J. (2013). Tensions in beginning teachers’ professional identity development, accompanying feelings and coping strategies. European Journal of Teacher Education, 36(3), 240–260.
Pillen, M. T. (2013). Professional identity tensions of beginning teachers. Eindhoven: Technische Universiteit Eindhoven. https://doi.org/10.6100/IR758172
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