lundi 9 décembre 2019

Influence du positionnement et du comportement non verbal de l'enseignant sur sa gestion de classe

De quelle manière le non verbal influence-t-il la gestion de classe d’un enseignant ? Quels phénomènes et relations ont-ils été mis en évidence par la recherche sur le sujet ?

(Photographie : Ryosuke Takamura)



Les deux temps de l'enseignement en matière de positionnement et l'importance de faire face à la classe


Typiquement dans une classe, il peut y avoir deux temps d’action :
  1. Il y a un premier temps où l’enseignant donne des explications, procède à un modelage ou organise de la pratique guidée : 
    • La position privilégiée qu’il occupe à ce moment-là est essentiellement frontale. Il est essentiellement sur le devant de la classe, même s’il peut y circuler. Il s’adresse en permanence à l’ensemble de ses élèves qui l’observent. 
    • Son attitude peut être caractérisée par un profil interpersonnel spécifique (voir l’article sur le sujet). Ce profil, qui le caractérise, va créer un climat plus ou moins propice à l’engagement et à l’attitude des élèves.
  2. Il y a également un second temps de classe, lors de la pratique autonome ou des tâches d’évaluation formative. Ce sont les moments où les élèves travaillent seuls ou à plusieurs. 
    • Les élèves vont découpler en partie leur attention, du fil conducteur que distillait en continu l’enseignant. Ils vont plutôt se concentrer en solitaire ou en coopération avec d’autres, sur des tâches qui leur ont été attribuées préalablement par l’enseignant. 
    • La recherche, basée sur des observations en classe, a montré à ce sujet que le climat de classe durant ces périodes est directement tributaire du profil interpersonnel déployé durant la phase frontale. Il est bien moins fonction de celui adopté durant cette seconde phase.

Lorsque l’enseignant donne cours de manière frontale, il tend à créer un climat de travail qui durera tout le reste du cours. Cette atmosphère perdurera durant les périodes ultérieures, où les élèves travaillent de manière autonome. Ce n’est pas le profil interpersonnel que va adopter l’enseignant durant ce second temps de classe qui va être déterminant pour l’attitude et l’engagement des élèves.

L’enseignement frontal face à la classe entière semble crucial pour établir l’image que les élèves ont de leur enseignant. Par la suite, cette image guidera également la communication des élèves avec leur professeur pendant leur travail autonome et même au-delà du temps de classe. Elle est probablement susceptible d’avoir un impact sur le travail fourni par l’élève à domicile au sujet du cours considéré.



Les cinq dimensions du comportement non verbal et leurs influences respectives sur la gestion de classe


Selon l’approche systémique (voir article sur le sujet), le comportement non verbal est particulièrement important pour la perception de l’aspect relationnel de la communication.

Les différences de comportement non verbal entre enseignants débutants et expérimentés peuvent aider à expliquer les problèmes des enseignants débutants. Même en appliquant le même enseignement et en instaurant les mêmes règles qu’un enseignant expérimenté, un enseignant débutant est susceptible de rencontrer des perturbations favorisées par un comportement non verbal dissonant.

La recherche a mis en évidence cinq dimensions principales qui contribuent au comportement non verbal à l’intérieur de la classe :
  1. L’utilisation de l’espace physique de la classe par l’enseignant
  2. La position du corps et les mouvements du tronc, des bras, de la tête
  3. Les expressions du visage
  4. Le comportement visuel, par exemple la durée du regard que l’enseignant pose sur les élèves, sa distribution, etc.
  5. La voix, dans ses aspects non langagiers

En ce qui concerne la valeur de la proximité (axe opposition – coopération, voir article sur le sujet), seuls les facteurs « voix » et « expressions du visage » sont importants pour expliquer la variation observée. L’expression faciale a le plus fort impact relationnel, variant du sourire vers la neutralité ou la colère.

Un facteur distinctif au niveau de la voix est le fait de hausser le ton pour marquer l’opposition.

En ce qui concerne la valeur de l’influence (axe dominance – soumission), tous les facteurs contribuent. La voix de l’enseignant semble être au niveau non verbal un facteur important :
  • Il semble que plus les enseignants parlent longtemps de façon audible, plus ils sont perçus comme dominants.
  • À l’opposé, plus les enseignants parlent longtemps, mais d’une façon telle qu’ils ne peuvent pas être entendus ou clairement perçus par tous les élèves, au plus leur comportement sera considéré comme « soumis » par les élèves.

Sur la valeur de l’influence, la visibilité du visage joue également un rôle important pour les élèves. Une note relativement dominante est dépendante d’une position verticale, bien visible de la tête. À l’opposé, avoir un regard baissé et fuyant est défavorable.

Il y a une correspondance entre la voix et le regard :
  • Des comportements comme regarder les élèves en permanence, ou parler fort avec emphase vont souvent de pair. Ils sont jugés comme dominants.
  • Des comportements comme le fait de ne pas être entendu par tous les élèves, de baisser la tête ou de ne pas avoir une vision d’ensemble de la classe vont souvent de pair avec un faible score d’influence.



L'importance de l'établissement du contact visuel de qualité avec la classe


À travers ses recherches, Jacob S. Kounin a mis en évidence toute une diversité de principes fondamentaux en gestion de discipline. Ces principes sont corrélés à l’efficacité des enseignants en matière de gestion de classe.

Ce sont le « withitness » (vigilance), « ripple effect » (réverbération), « variety and challenge », valence et satiété, « overlapping », « student accountability », « momentum » ou « group alerting ».

Chacun de ces concepts a déjà été précédemment présenté dans ces pages et est accessible par le champ de recherche.

Une de ses idées clés est qu’au plus l’enseignant facilite le contact visuel avec la classe, plus son comportement sera perçu comme dominant. Ce principe rejoint complètement le résultat des recherches sur le comportement non verbal. Lorsque le contact visuel avec la classe et la présence verbale emphatique (parler continuellement avec une voix forte) sont combinés, les messages de l’enseignant sont jugés les plus dominants.

C’est là que des enseignants débutants peuvent présenter des faiblesses. Il semble y avoir une différence marquée entre le comportement non verbal des enseignants débutants et celui des enseignants expérimentés. Ceci peut constituer une cause importante des relations insatisfaisantes de certains enseignants débutants avec leurs élèves.

Certains comportements facilitent le contact visuel et permettent à l’enseignant de signaler sa présence physiquement. Ils ont été démontrés par des enseignants expérimentés presque deux fois plus que par des enseignants débutants lors d’une partie frontale avec la classe entière.

À l’opposé, aucune différence n’a été constatée entre les enseignants débutants et les enseignants plus expérimentés en ce qui concerne les comportements non verbaux typiques. C’est-à-dire ceux d’un enseignant qui interagit normalement avec des élèves individuels. C’est par exemple le fait de parler à faible volume, la tête et le tronc penchés vers l’avant, et une orientation corporelle non frontale envers la majorité des élèves de la classe.

Cela indique que les comportements non verbaux des enseignants débutants et expérimentés diffèrent, non pas tant lorsqu’ils interagissent avec des élèves individuels pendant le travail individuel au siège, mais avant tout pendant l’enseignement en classe entière.

Les résultats précédents confirment la nécessité pour les enseignants débutants de représenter l’image d’un enseignant expérimenté lorsqu’ils s’adressent à la classe en tant que groupe.

Cependant, ils devraient probablement éviter d’enseigner à toute la classe pendant une trop longue période. Rester sur la durée en position frontale augmente souvent le risque de ne pas pouvoir tenir sur la longueur. Il est donc plus judicieux pour un enseignant débutant de découper son temps entre des présentations frontales et du temps de travail plus autonome pour les élèves. Vouloir à tout prix tenir la classe en permanence risque en réalité de révéler les failles non verbales de l’enseignant débutant. Se donner des temps de répit, varier les activités, être bien préparé est par contre bénéfique.



L'influence de la posture de l'enseignant dans sa gestion de classe


Fredric Jones (1987) a mis en évidence que la position du corps contribue à assurer une certaine influence. Les élèves décodent rapidement le langage corporel et sont capables de dire si l’enseignant est bien, malade, présent, fatigué, désintéressé ou intimidé :
  • Une bonne posture, le fait de leur faire face et s’adresser à eux franchement dans une position confiante, verticale, les pieds bien au sol et les épaules relâchées, suggère un leadership assumé. 
  • Une posture relâchée et des mouvements léthargiques, maladroits ou nerveux suggèrent la résignation ou la peur. 
Les enseignants efficaces, même lorsqu’ils sont fatigués ou troublés, se tiennent droits et se déplacent de façon affirmative. Le mouvement requiert de la gravité, des gestes lents et réfléchis, et de la retenue.

Lorsque l’enseignant se sent malade, il est bon d’informer les élèves et de demander leur aide et leur tolérance. Les élèves se comportent habituellement avec une considération inattendue à certains moments, mais seulement si la stratégie est utilisée sincèrement et pas trop souvent.



L'importance des expressions et de la gestuelle de l'enseignant dans sa gestion de classe


Les expressions du visage communiquent beaucoup aux élèves :
  • Les expressions faciales peuvent montrer de l’enthousiasme, du sérieux, du plaisir et de l’appréciation, et tendent toutes à encourager le bon comportement. 
  • Les expressions faciales peuvent révéler l’ennui et la résignation, ce qui peut encourager le mauvais comportement. 
  • Peut-être plus que toute autre chose, les expressions du visage comme le sourire et l’acquiescement démontrent le sens de l’humour et un état d’esprit positif. Ce sont les attitudes que les élèves préfèrent chez leurs enseignants.
Les enseignants expérimentés emploient une variété de signaux de la main pour encourager ou décourager le comportement et pour maintenir l’attention des élèves. 

Des exemples incluent  :
  • Des signaux des mains pour dire « arrêtez », « continuez », pour obtenir le silence sans le demander verbalement,
  • Claquer une fois les mains pour leur dire de s’activer, 
  • Mettre le pouce vers le haut pour dire « très bien ! »
  • Etc.
Ces gestes communiquent efficacement et n’interfèrent pas avec la verbalisation nécessaire.



L'importance de bien poser la voix pour la gestion de classe


Une autre dimension expliquée par Tom Bennett (2010) est de bien poser la voix :
  1. Si nous devons parler à un niveau sonore juste au-dessus du niveau de conversation normale, afin de nous assurer d’être audibles dans toute la classe, mais pas au-delà. 
  2. Il faut parler avec un rythme qui s’adapte au contenu et aux auditeurs, c’est à dire parfois lent pour gagner l’engagement et parfois plus rapide pour le maintenir. 
  3. Nous devons être réguliers, il ne faut pas pour autant être monotone. Nous pouvons laisser tactiquement des blancs aux moments opportuns. Ceux-ci permettent aux élèves de réfléchir. Cela donne plus de présence au discours et confère à nos paroles une aura d’autorité.
  4. Nous devons adopter le ton de quelqu’un qui manifeste une position d’autorité naturelle non forcée.

À l’opposé, il faut éviter les balbutiements, un langage précipité, un ton aigu. Lorsque l’enseignant parle de cette façon, cela suggère de l’insécurité, de l’incertitude, de l’incompétence et la peur de s’imposer et jouer pleinement le rôle d’enseignant.

Il ne faut pas parler vite si les élèves ne sont pas attentifs et engagés. Cela peut laisser penser que nous ne nous soucions pas de leur compréhension, mais que nous craignons au contraire que le vide soit remplacé par des bavardages.





Mis à jour le 21/01/2024

Bibliographie


Wubbels, Th. ; Brekelmans, M.; den Brok, P.; van Tartwijk, J. W. F. (2006) Evertson, C., Weinstein, C. S. (eds.), Handbook of classroom management: research, practice and contemporary issues, pp. 1170–1177

Jones, F. H. (1987). Positive classroom discipline. New York: McGraw-Hill

Tom Bennett, Behaviour Guru, 2010, Bloomsbury

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