samedi 30 novembre 2019

Pratique autonome en enseignement explicite : mode d’emploi

Quels sont les paramètres clés de la pratique autonome ? Quand la démarrer ? Combien de temps y consacrer ? Quelles doivent être ses priorités ?


(Photographie : Ole Erik Løvold)


Quand s’engager dans la pratique autonome



Classiquement, la pratique autonome prend le relais d’une pratique guidée quand il semble que les élèves comprennent les connaissances et peuvent les mobiliser avec un bon niveau de réussite sous la supervision rapprochée de l’enseignant.

Un objectif central est de bien choisir le moment où engager les élèves dans la pratique autonome, aussi appelée pratique indépendante. Nous voulons, avant de la démarrer, que les élèves soient capables de reproduire les étapes d’une procédure, ou les aspects stratégiques d’une tâche complexe, avec peu de conseils et d’encouragements.

Surtout, nous voulons que cette réalisation autonome ou coopérative se déroule avec un risque faible de génération d’erreurs. Pour certaines connaissances simples, les élèves peuvent être capables de s’y engager dès la fin du modelage, alors la pratique guidée est inutile. Dans tous les cas, nous voulons éviter que les élèves multiplient les erreurs sans supervision en début de pratique autonome pour éviter qu’ils ne les apprennent.




Mettre en évidence les objectifs pédagogiques et les ressources disponibles lors de la pratique autonome


L’objectif au terme de la pratique autonome est que les élèves atteignent un niveau élevé d’exactitude, de 90 à 95 % en rapport avec les attendus de l’apprentissage.

La pratique autonome est axée sur l’acquisition de la maîtrise de l’objectif pédagogique concerné. Elle n’en déborde pas et doit y correspondre totalement. Les élèves ne doivent pas être mis au défi de dépasser le cadre de ce qui a été vu précédemment. La pratique autonome n’a pas comme enjeu de proposer du dépassement ni du contenu inédit.

Les élèves doivent avoir l’occasion de faire preuve de maîtrise avec le même genre d’activités que celles présentées lors du modelage et de la pratique guidée. La différence est que ces tâches sont maintenant présentées dans leur entièreté, en situation d’autonomie pour l’élève.

Les attentes en matière de qualité de réalisation et d’exigence de succès doivent être élevées lors de la pratique autonome. L’enseignant doit être très clair sur le niveau de rigueur et d’excellence qui est attendu de la part de l’élève durant cette phase. Les attentes élevées sont exprimées explicitement, si besoin des modèles de succès sont à nouveau présentés.

Une fois ce cadre d’excellence mis en place, nous montrons également aux élèves qu’ils disposent des ressources nécessaires pour s’y engager avec succès. Notes de cours, organisateurs graphiques, exemples de résolution leur restent accessibles.

Les élèves consultent leurs notes de cours des ressources pour les épauler, pour les guider et les orienter en cas d’obstacle. Il faut rappeler aux élèves la disponibilité de ses ressources et en favoriser l’usage. Souvent, des élèves en difficulté ne se rappellent pas que de tels outils sont à leur disposition et ne perçoivent pas forcément l’utilité de s’en servir.

L’enseignant doit être attentif à ce que les élèves traitent avec le même sérieux toutes les dimensions des tâches et n’en bâclent pas certaines dimensions (par exemple le formalisme).

Lors de la pratique autonome, l’apprentissage est encore en cours, même si le guidage continu de l’enseignant n’est plus nécessaire. L’enjeu est de s’assurer que tous les élèves s’engagent et exécutent correctement les tâches demandées et ne se contentent pas de les expédier. L’enjeu n’est pas tant de s’exercer que de poursuivre en profondeur l’apprentissage.




Rôle de l’enseignant durant la pratique autonome


Lors de la pratique autonome, l’enseignant limite ses conseils et son guidage. Nous permettons aux élèves de travailler sans un étayage assidu fourni par l’enseignant.

Toutefois, les élèves ne sont pas encore au stade de pouvoir s’engager dans une évaluation formative. Ils peuvent encore avoir besoin de consulter leurs notes, de demander l’aide de l’enseignant ou de condisciples. De même, ils peuvent bénéficier à s’expliquer et s’épauler réciproquement en cas de difficultés rencontrées. Néanmoins, nous devons les inciter à travailler de manière autonome et efficace et à se détacher de leurs supports.

L’enseignant reste attentif tout au long de la pratique autonome. Il observe ses élèves, mais sans toutefois s’engager continuellement avec eux. Il leur donne l’occasion d’essayer avant d’appeler à l’aide. La pratique autonome a comme visée principale une consolidation des connaissances. Le fait que l’élève puisse trouver la réponse par lui-même est favorable à l’apprentissage, comme l’est la présence désirable de difficultés qu’il est à même de surmonter avec quelques efforts.

Si lors de ses observations, l’enseignant prend conscience de certaines difficultés communes parmi ses élèves, il peut décider de reprendre la main quelques instants pour un rappel général et même retourner un temps vers de la pratique guidée.

Lorsque des difficultés ponctuelles ne concernent que quelques élèves isolés, il intervient brièvement individuellement auprès d’eux. Plutôt que d’aider trop directement un élève, l’enseignant lui donne des indices, lui pointe une direction à explorer, favorisant par là son autonomie.

À la fin des tâches planifiées, l’enseignant peut offrir une rétroaction générale mettant en évidence les faiblesses éventuelles qu’il a remarquées. Il en profite pour recentrer une fois encore l’attention des élèves sur les attentes exprimées dans les objectifs pédagogiques.





Maintenir l’engagement des élèves durant la pratique autonome


L’enseignant ne peut rester assis à son bureau et passif lors de la pratique autonome. Il doit circuler et s’assurer régulièrement que ses élèves sont bien engagés dans les tâches demandées et progressent à un rythme cohérent. Il faut veiller à ce que certains élèves ne profitent pas du manque de suivi de l’enseignant pour se désengager.

Pour quelques conseils de gestion de classe durant la pratique autonome, voir les articles suivants :

Dans certains cas, lorsque les élèves résolvent des tâches complexes ou un ensemble de tâches, en circulant dans la classe, pour l’enseignant, il peut être complexe de savoir là où en sont les élèves.

Une manière de procéder est de se créer des points de contrôle pour identifier comment les élèves progressent dans la tâche.
  • Pour cela, nous ajoutons sur la feuille un système de cases numérotées qui correspondent à des questions ou des sous-questions qui ont une valeur de question charnière.
  • Lorsque l’élève a terminé cette tâche, il assure la case correspondante au sommet de la feuille qu’il s’assure de laisser en évidence sur son bureau tandis que nous circulons en classe.
  • En circulant dans la classe, nous pourrons rapidement identifier 
    • Où en est chaque élève ? 
    • Quels élèves ont du mal avec les questions plus faciles
    • L’avantage d’utiliser des questions charnières est que nous pouvons dire à certains élèves en retard de sauter quelques questions que nous savons comme étant moins cruciales pour eux.

Une tactique similaire est de donner aux élèves des exercices dont les calculs peuvent se faire mentalement et ne nécessitent pas l’usage de la calculatrice. Par conséquent, lorsque nous circulons dans la classe et que nous voyons un élève utiliser une calculatrice, cela signifie qu’il est sur la mauvaise piste.

Une manière de procéder est de donner certaines caractéristiques de la réponse (entre telle ou telle valeur ou donner une décimale). Dans ce cas, l’élève sait s’il est dans le bon ou pas. 



Répartir la pratique autonome dans le temps


Il n’est pas utile de distribuer le temps consacré à la pratique autonome sur une seule période. D’un point de vue cognitif, il est plus intéressant que la pratique autonome soit découpée en plusieurs périodes distinctes. Il est de loin préférable d’offrir des temps de pratique autonome de manière incrémentale au fil du temps, plutôt que de faire un grand bloc de pratique. Nous profitons à ce moment-là des bienfaits de l’effet d’espacement.




Ne pas confondre pratique autonome et devoirs à la maison


La différence entre une pratique autonome et des devoirs à la maison est que ces derniers se font sans la présence de l’enseignant. Les devoirs ne sont pas observés immédiatement, ils sont vérifiés après coup.

Cela rend plus délicat le diagnostic efficace des erreurs. Avec un devoir, l’enseignant voit le résultat, mais n’a pas accès au processus qui a amené l’élève à l’erreur. La correction différée des erreurs éventuellement contenues dans les devoirs mène également au risque de cristallisation, de fixation en mémoire à long terme de celles lors de sa réalisation initiale.

De fait, le contenu des devoirs ne devrait porter que sur la pratique de types d’exercices pour lesquels a déjà eu lieu une pratique autonome réussie en classe.




Atteinte de l’exactitude et développement de la fluidité lors de la pratique autonome


La principale priorité de la pratique autonome est que les élèves atteignent un niveau d’exactitude élevé. Mais le chemin ne s’arrête pas là. Le réel objectif derrière celui-ci est celui de la fluidité, qui s’accompagne du développement d’automatismes à travers une consolidation en mémoire à long terme. Cette seconde priorité doit être également adressée.

Si pour chaque objectif pédagogique l’enseignant enchaine modelage, pratique guidée et pratique autonome, le critère d’exactitude pourra bien être vérifié, mais peut-être pas celui de la fluidité et du développement durable d’automatismes adéquats.

Le développement de la fluidité et des automatismes demande une pratique autonome plus globale. Elle demande aux élèves de développer des capacités de généralisation, c’est-à-dire d’utiliser les connaissances de manière aisée et pertinente dans une large variété de contextes. Elle impose de regrouper et d’intégrer divers objectifs pour réellement pouvoir s’exercer.

Nous visons dès lors un niveau de compréhension supérieur qui passe également par le développement de capacités de discrimination. Les élèves doivent apprendre à reconnaitre dans quelle situation invoquer tel ou tel concept, ou appliquer telle procédure ou telle stratégie.

Avec le temps et à travers une pratique prolongée, les élèves commencent à généraliser, intégrer, globaliser et consolider leurs connaissances. Encore faut-il leur en donner le temps et la favoriser en classe. Au fur et à mesure, nous avançons dans un ensemble intégré de savoirs (module, chapitre, unité d’apprentissage, etc.). Une fois les connaissances de base maîtrisées, il est nécessaire de passer plus de temps sur la fluidité et la généralisation. Cela permet également d’aborder des exercices plus complexes.

La généralisation est un processus difficile à obtenir. Nous pouvons toutefois de mettre en place les conditions qui la favorisent. Celles-ci passent par l’amélioration et la récupération régulière en mémoire des connaissances et le développement de capacités de discrimination face à un éventail de tâches différentes.




Quand arrêter la pratique autonome


Souvent, c’est le facteur limitant du temps d’enseignement disponible qui programme la fin de la pratique autonome.

Cela impose toutefois d’être proactif, de rendre la pratique autonome intensive pour tous les élèves, en leur donnant à faire un échantillon représentatif de taches recouvrant parfaitement les contenus des objectifs pédagogiques.

Proposer trop de taches aux élèves peut limiter la profondeur de leur apprentissage. Les élèves les moins rapides risquent de ne pas avoir le temps de pratiquer toute l’étendue des objectifs.

Dès lors, la pratique autonome doit être pensée dans une optique de différenciations. Il faut sélectionner un nombre réduit de tâches que tous les élèves doivent réaliser et qui présentent pour chacune des enjeux accessibles et qui intègrent les divers objectifs pédagogiques. L’enjeu est de s’assurer que tous les élèves, peu importe leur rythme de travail, aient eu l’occasion de se confronter à tous les aspects essentiels des objectifs pédagogiques. 

D’autres tâches redondantes ou de dépassement peuvent être disponibles pour les élèves les plus rapides, ou ces derniers peuvent être mis à contribution au côté des élèves qui rencontrent plus de difficultés dans une optique de tutorat. Le principe est que chaque élève doit avoir quelque chose à réaliser dans le cadre de la matière en cours lors de la pratique autonome.

L’enseignant doit connaître ses élèves, savoir où ils en sont et jusqu’où il veut les amener. De même, nous nous assurons de leur plein engagement, particulièrement pour ceux qui présentent des difficultés et qui pourraient être plus rapidement tentés de jeter l’éponge.

Seul l’enseignant peut savoir quel contenu de pratique autonome sera le plus pertinent pour ses élèves et maximisera l’apprentissage de tous à un moment donné. L’enseignant efficace sait faire jouer la carte de son expertise.

La pratique autonome peut s’arrêter lorsque les élèves démontrent des automatismes et deviennent performants pour les tâches sur lesquelles ils sont susceptibles d’être évalués plus tard. Cet arrêt cependant sera temporaire, car dans le cadre d’une pratique distribuée nous nous assurerons d’offrir aux élèves, au fil du temps, d’autres opportunités de récupérer et de mobiliser ces compétences. Cela peut se faire dans le cadre de quiz, de devoirs, d’une évaluation formative ou d’une pratique entremêlée.

 



Mise à jour le 09/01/2024

Bibliographie


Devin Kearns, Modeling and Practicing to Help Students Reach Academic Goals, 2019, https://intensiveintervention.org/modeling-and-practicing-help-students-reach-academic-goals-explicit-instruction-course-module-5

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