mercredi 20 novembre 2019

Évolution de la qualité des relations interpersonnelles qu'un enseignant entretient en classe au cours de sa carrière

Dès le début de ses recherches sur les relations interpersonnelles entre un enseignant et ses élèves, Theo Wubbels a pu mettre en évidence que de nombreux enseignants n’emploient pas suffisamment toutes les stratégies utiles pour créer des environnements d’apprentissage positifs.

(Photographie : Karianne Bueno)

Les conditions d’une sous-optimalité systémique des pratiques enseignantes


C’est un fait que peu contesteront, la formation initiale des enseignants présente de sérieuses lacunes en gestion de classe. Les enseignants débutants et leurs élèves en paient le prix, de même que l’institution scolaire dans son ensemble. De même, la formation continue est éparse et désordonnée dans des parcours singuliers et son impact sur le terrain est rarement mesuré.

À côté de cela, les enseignants façonnent leur savoir-faire à travers leurs expériences sur le terrain, souvent sans éclairage théorique et sans formation adéquate basée sur des données probantes. Tout ce processus est susceptible de présenter de réelles limites en matière d’efficacité. Une large majorité d’enseignants ont le souci de bien faire, mais n’ont pas le soutien nécessaire et ne bénéficient pas d’un soutien expert extérieur pour leur faire rencontrer pleinement l’excellence. La formation continue s’accompagne rarement d’une pratique délibérée et d’un accompagnement sur le terrain distribué dans le temps.

Par exemple, il parait évident que tous les enseignants n’ont pas une gestion de classe optimale tout au long de leur carrière, à chaque période de cours et avec chaque classe. De même, il semble raisonnable de penser que certaines difficultés de gestion de classe pourraient être résolues, grâce à un développement professionnel adéquat, basé sur des modèles théoriques valides et des pratiques fondées sur des données probantes. 

Les enseignants veulent mieux faire, mais leur en donne-t-on les moyens et les possibilités ? Quelles sont ces limites propres aux performances de gestion de classe ? Quelle est la nature sous-jacente de la problématique ? 

Theo Wubbels et ses collègues se sont penchés sur la question des années durant, notamment autour de l’idée que le profil interpersonnel des enseignants évolue tout au long de leur carrière.

Voir l’article sur « L’influence des profils interpersonnels »

De fait, les problèmes rencontrés par les enseignants débutants, expérimentés ou en fin de carrière seront parfois de nature différente. Voici une synthèse d’un ensemble de leurs résultats de recherche :



Évolution de l’influence et de la proximité de l’enseignant au cours de sa carrière



Les deux grandes dimensions caractéristiques de relations interpersonnelles qu’entretient un enseignant avec ses élèves sont :
  • L’influence (ou contrôle) : nous allons de la dominance à la soumission face aux élèves.
  • La proximité (ou soutien) : nous allons de l’opposition à la coopération face aux élèves.


Au cours de la première décennie de leur carrière d’un enseignant :
  • Les perceptions idéales des enseignants semblent stables pour ces deux dimensions.
  • Les perceptions de soi des enseignants et les perceptions des élèves sur la dimension de proximité ne changent guère. 
  • Par contre, la dimension d’influence tend à progresser vers l’idéal de dominance chaque année au cours de la première décennie de leur carrière.

Après la première décennie, il y a en général peu de changement. Toutefois, la variation d’un enseignant à l’autre peut être importante.

Il semble y avoir une baisse modérée de la proximité de l’enseignant envers ses élèves tout au long de la carrière. Lorsque les enseignants vieillissent, ils semblent s’éloigner de leurs élèves, ce qui rend l’atmosphère de la classe moins personnalisée, mais plus professionnelle.



Les écarts entre les perceptions idéales des enseignants et la réalité des classes


Parmi la panoplie des profils interpersonnels développée par Theo Wubbels et ses collègues, tous niveaux d’expérience confondus, plus de 90 % des enseignants semblent préférer l’un de ces deux profils interpersonnels suivants relativement similaires : 
  • Trois quarts privilégient un profil « Tolérant/Autoritaire »
  • Un quart lui préfère un type « Autoritaire ». 

Mais il y a toujours un écart entre un idéal et la réalité.

Selon l’appréciation de leurs élèves, au cours de la première année de la carrière, il semble que les profils les plus fréquemment trouvés sont le profil « Tolérant » et le profil « Uncertain/Tolérant ». Cela s’accompagne d’un score faible en matière d’influence. Ces appréciations sont bien en corrélation avec l’observation que pour bon nombre d’enseignants débutants, il est difficile de créer et de maintenir l’ordre en classe de manière constante.

Il semble que la plupart des enseignants apprennent à faire face à ces problèmes au cours des premières années de leur carrière. La fréquence de ces profils diminue cependant à mesure que les enseignants acquièrent de l’expérience. 

Au fur et à mesure de leur évolution de carrière, des proportions croissantes d’enseignants correspondent aux profils « Autoritaire et Directif », plus structurés et axés sur les tâches.

Vers la fin de carrière, le nombre d’enseignants ayant un profil « Répressif » augmente. Mais cette augmentation de la fréquence des enseignants répressifs vers la fin de la carrière n’est pas sans conséquences potentielles. Elle suggère que les enseignants plus âgés ont un problème particulier dans leurs relations avec les élèves : ils deviennent trop stricts et autoritaires.



Les difficultés propres aux enseignants débutants


Au début de leur carrière, la plupart des enseignants sont âgés de 20 à 25 ans et n’ont pas, dans une large mesure, occupé des fonctions de leadership. Ils n’ont pour la plupart pas été appelés à gérer des groupes d’enfants ou d’adolescents.

De ce point de vue, le rôle professionnel ne coïncide pas très bien avec leur stade de développement personnel. Les enseignants débutants sont souvent confrontés à l’absence d’un répertoire comportemental (en particulier dans les stratégies de gestion et d’enseignement) et à des connaissances insuffisantes dans ce domaine.

Cette situation incite les enseignants à réagir à ce sujet. Le besoin de changement est renforcé par la perception idéale des enseignants débutants, principalement une situation de classe avec les enseignants (eux-mêmes) en contrôle. Grâce à la pratique quotidienne en classe, les jeunes enseignants peuvent apprendre à développer des modèles de dominance.

Les enseignants débutants attribuent principalement les problèmes de gestion de classe à la question de l’influence. 

La capacité de sympathiser avec les élèves (pairs récents) et de montrer des comportements coopératifs est considérée par eux comme un domaine moins problématique.

Il y a peut-être là un biais :
  • Il y a plus de dispersion dans les perceptions des enseignants sur la dimension de leur influence que dans les perceptions de leurs élèves
  • Les élèves perçoivent de plus grandes différences entre les enseignants sur la dimension de proximité.

Les enseignants débutants vont dès lors porter une attention accrue sur la question du comportement dominant de l’enseignant et laisser la question de la dimension de proximité quelque peu à l’arrière-plan.

La conséquence pratique est qu’au fil des années les enseignants montrent généralement une augmentation du comportement dominant et un comportement coopératif plutôt stable ou décroissant.



Les difficultés propres aux enseignants chevronnés


Certains enseignants très expérimentés, en particulier, ont tendance à devenir plus stricts en vieillissant, à être parfois déraisonnables dans leurs exigences.

L’augmentation du nombre d’enseignants répressifs, qui se traduit aussi par une diminution du comportement coopératif vers la fin de la carrière d’enseignant, est problématique.

Nous pouvons supposer que la diminution du comportement coopératif n’est pas due à l’absence d’un répertoire comportemental adéquat dans le domaine.

Une piste d’explication est celle du décalage générationnel. En raison de la distance, tant sur le plan émotionnel que sur celui de l’âge, les enseignants plus âgés peuvent être moins liés au mode de vie de leurs élèves. Par conséquent, ces enseignants peuvent devenir de plus en plus insatisfaits du comportement des élèves.

C’est susceptible de devenir un problème pour eux-mêmes et pour leurs élèves :
  • Ces exigences élevées à l’égard des élèves et ces faibles liens avec eux peuvent provoquer des protestations de la part des élèves. Celles-ci peuvent au début, être traitées facilement, mais peuvent peu à peu devenir une menace réelle face au maintien d’une atmosphère positive en classe.
  • Confrontés à un problème difficile, ils peuvent se sentir obligés d’agir d’une manière encore plus exigeante. Cela stimulant une spirale de communication négative : l’enseignant se comporte de plus en plus en opposition, en réaction au comportement protestataire des élèves. 

L’origine de la diminution du comportement coopératif peut être due à un répertoire inadéquat et à des connaissances inadéquates sur la cause du problème.

Donner des responsabilités aux élèves est intrinsèquement risqué et peut générer chez l’enseignant de l’incertitude et une certaine appréhension palpable. Celles-ci peuvent provoquer un comportement désordonné des élèves et façonner des situations indésirables en classe.

Les enseignants doivent être capables de donner aux élèves la responsabilité de leur propre travail sans que cela s’accompagne d’un ressenti d’incertitude qui serait propice à des comportements indésirables.

La formation visant à donner aux élèves de l’autonomie et de la responsabilité peut donc être un élément important de la formation continue des enseignants chevronnés.

En outre, une formation sur l’établissement de normes et de standards enseignés de manière claire et nom imposés de manière provocatrice peut également être utile.


Mis à jour le 01/01/2024

Bibliographie


Wubbels, Th. ; Brekelmans, M. ; den Brok, P.; van Tartwijk, J. W. F. (2006) Evertson, C., Weinstein, C. S. (eds.), Handbook of classroom management: research, practice and contemporary issues, pp. 1170–1177

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