mercredi 30 octobre 2019

Fondements et exigences d’un modelage efficace en enseignement explicite

Le modelage est une technique propre à l’enseignement explicite. Durant le modelage, l’enseignant présente les contenus, faisant face à ses élèves qui l’observent. L’enseignant verbalise à voix haute sa réflexion dans le but que ses élèves se l’approprient et la réinvestissent.

(Photographie : Bryan Mollett)


Le modelage a déjà été largement abordé dans ces pages puisque quatre articles lui ont déjà été précédemment consacrés :
  1. Caractéristiques du modelage
  2. Enjeux éthiques du modelage
  3. Pratiques & techniques de modelage
  4. Liens et ouvertures propres au modelage

Pour qui s’intéresse de près à l’enseignement explicite, il ne s’agit pas d’une surprise. La technique est au cœur même de la pratique en classe et d’elle va dépendre une grande part de l’efficacité rencontrée des étapes ultérieures de l’enseignement.



Préparer le terrain pour le modelage en enseignement explicite


La question du modelage intervient une fois que les objectifs pédagogiques ont été sélectionnés et traduits en objectifs d’apprentissage par un ou plusieurs enseignants travaillant en communauté d’apprentissage professionnelle au sein d’une école.

Par la suite, ces enseignants, en fonction de leurs élèves doivent concevoir des supports d’enseignement qui peuvent soutenir efficacement leurs apprentissages, et les planifier.  

Pour l’enseignant, la clarté des objectifs se traduira en des explications limpides, claires, détaillées et exhaustives du contenu, tout en insistant sur les essentiels et en évitant toute redondance et tout partage de l’attention. 

Cette démarche s’inscrit à la fois  :
  • Dans la perspective du respect d’un alignement curriculaire entre ce qui doit être enseigné, ce qui est enseigné, ce qui est appris et ce qui est évalué.
  • Dans la perspective d’un soutien à l’apprentissage des élèves, segmenter les contenus pour faciliter l’apprentissage, et aller du simple vers le complexe est essentiel. Nous devons tenir compte des connaissances initiales des élèves et gérer efficacement le niveau de charge cognitive au fil du temps afin de les engager dans un traitement cognitif génératif.
Cette démarche peut parfois représenter un investissement important si les ressources ne sont pas disponibles d’emblée. Développer un modelage peut nécessiter de restructurer et compléter les sources et modèles dont nous disposons dans les programmes et au sein des manuels scolaires, afin de maximiser son efficacité.

Régulièrement, le programme officiel d’une matière n’offre pas suffisamment d’indications ou de ressources pour disposer de bons modèles et assurer d’emblée un modelage optimal. Il se peut que le programme ne suggère même pas l’utilisation d’un modelage. Il décrit alors un attendu et ne donne pas de voie claire pour y parvenir. Parfois, il propose même l’engagement dans une démarche d’investigation pour soutenir l’apprentissage.

De même, certains manuels scolaires peuvent encore ne prendre que peu en compte la dimension cognitive de l’apprentissage et préférer une optique de découverte constructiviste.

Ce processus est d’autant plus crucial que la compétence et les contenus à enseigner sont complexes. Il importe que l’enseignant puisse s’assurer qu’il va effectuer un modelage précis, structuré et complet de tous les éléments de la matière, tels que définis par ses objectifs d’apprentissage.



Les conséquences d’un modelage insuffisamment développé


Si l’enseignant ne fait pas de modelage ou s’il fait un modelage incomplet, il va se retrouver alors dans une démarche pédagogique qui laisse la part belle à l’induction.

Dans cette optique, l’enseignant propose une série d’exemples ou de situations, auxquels il confronte ses élèves. Il les laisse extraire l’information à partir des documents ou d’autres sources qui leur sont fournis. Les élèves sont amenés à en déduire les conclusions par eux-mêmes. L’enseignant procèdera à une restructuration par la suite. Sans modelage, l’enseignant fournit un enseignement inductif.

Cette approche pédagogique génère différentes difficultés pour une majorité d’élèves :
  1. Certains élèves ont une bonne mémoire de travail, de bonnes fonctions exécutives, une intelligence fluide efficace et des connaissances préalables importantes dans le domaine considéré. Ce sont les bons élèves. Assez naturellement, ils vont s’engager et être susceptibles d’émettre et de tester des hypothèses. Si suffisamment d’exemples leur sont fournis, si l’enseignant leur fournit un étayage suffisant et que l’activité a été bien conçue, la bonne hypothèse va probablement émerger. La même situation ne se vérifiera pas pour la majorité des élèves et certainement pas pour les élèves qui rencontrent des difficultés d’apprentissage ou ne disposent pas des connaissances préalables.
  2. Pour tous les élèves, une démarche pédagogique inductive va générer une charge mentale accrue. Imposer une charge cognitive importante aux élèves entraine qu’il y a bien moins de chances que cela leur permette d’accéder à une maîtrise parfaite et complète de l’objectif. Toute augmentation de la charge extrinsèque pour des novices (et nos élèves en sont) se fait au détriment de la charge utile et par conséquent de l’apprentissage qui en résulte. Dans le meilleur des cas des imprécisions subsisteront, ainsi que des zones de flou dans leur compréhension.
  3. Dans ce type d’approche pédagogique inductive, il est prévu que l’enseignant intervienne lors de la mise en commun pour une remise en perspective. Le groupe aboutit à une conclusion générale et l’enseignant s’assure de son exactitude. Cependant, en matière de rendement horaire face à l’apprentissage, le processus est bien moins efficient qu’un enseignement explicite. De plus, il a comme second effet secondaire d’accroitre les écarts entre les élèves. Si les bons élèves peuvent éventuellement progresser plus rapidement avec cette approche, ce ne sera pas le cas des autres.
  4. Les suppositions, hypothèses et conclusions, que les élèves vont émettre à partir des contenus et activités qui leur sont proposés, sont susceptibles de comporter des erreurs ou des approximations. Tous les élèves ne vont pas rencontrer le même succès dans ces démarches inductives. Ces erreurs répétées risquent de se fixer dans leur mémoire à long terme et nécessiter de coûteuses procédures d’inhibition pour être corrigées.
  5. D’un point de vue affectif et émotionnel, ce type de démarche présente un inconfort pour beaucoup d’élèves. Il génère de l’incertitude, de la lassitude, si ce n’est du stress. Certains élèves vont avoir besoin de beaucoup plus de temps. Ils vont se démotiver, car ils trouvent cela trop difficile. D’autres élèves risquent de se désengager dès qu’ils pensent avoir abouti à la bonne conclusion, car ils ne vont plus percevoir de bénéfice à rester attentifs et à continuer à s’engager. D’autres élèves vont patienter et tuer le temps en attendant la synthèse de l’enseignant. Éventuellement, certains élèves peuvent trouver le processus attrayant, comme un défi, comme une gymnastique mentale, mais cette dimension n’est pas un objectif d’apprentissage en tant que tel.

Cette approche inductive peut être séduisante ou tentante, sur le papier, dans une perspective tronquée de la taxonomie de Bloom qui privilégierait le sommet de la pyramide 
  • Elle exige le déploiement d’une pensée analytique d’ordre supérieur, d’une réflexion plus complexe qui passe par la mise en commun de multiples idées. Ce processus demande aux élèves d’analyser, d’évaluer et de synthétiser l’information.
  • Dans ce type d’approche, les élèves seraient susceptibles de construire des représentations cognitives solides. Ils relieraient les nouveaux savoirs et les feraient émerger de leurs connaissances préalables à partir d’hypothèses.

L’ennui est que susciter une pensée d’ordre supérieur n’offre aucune garantie ni sur sa qualité ni sur sa potentialité à générer un quelconque apprentissage pertinent. Nous n’apprenons pas mieux des connaissances quand nous les comprenons et les construisons par nous-mêmes. 

Une autre difficulté est distinction entre connaissances primaires et connaissances secondaires introduite par David C. Geary. Cette vision rend d’autant plus bancale et impraticable la taxonomie de Bloom lorsque nous la prenons par le haut. Les connaissances secondaires étant avant tout spécifiques et nécessitant des efforts, la classification des pensées en différents paliers perd sa justification fondamentale. Nous ne pouvons critiquer que ce que nous connaissons. Nous ne pouvons connaitre qu’après avoir investi des efforts dans l’acquisition de savoirs ; 

En conclusion, de tâches d’apprentissage inductif peuvent prendre beaucoup de temps. Il peut être difficile d’extraire la bonne information pour certains élèves. Elles ne favorisent pas non plus l’apprentissage ni sa qualité. Elles ne sont donc pas optimales lorsque nous visons un apprentissage et sont à éviter en tant qu’approches par défaut.



Fondements cognitifs et comportementaux liés à l’efficacité du modelage


Une des principales motivations du modelage nait de la prise en compte du goulet d’étranglement constitué par les ressources limitées de la mémoire de travail. La pratique du modelage prônée par l’enseignement explicite permet de réduire la charge cognitive. Nous pouvons ainsi optimiser son usage afin de générer un apprentissage efficace.

Grâce à un modelage, les élèves vont apprendre plus rapidement et plus en profondeur. La démarche va rendre plus aisée l’atteinte des objectifs d’apprentissage pour la majorité d’entre eux.

Le principe du modelage met en œuvre divers principes reconnus comme efficaces dans différentes théories de l’apprentissage comme :
  1. Le fait qu’apprendre auprès d’experts favorise le développement d’habiletés.
  2. L’étayage durant l’apprentissage favorise son succès.

La technique du modelage possède des avantages bien réels :
  1. Elle vise à établir rapidement des connaissances fondamentales solides et interconnectées dans un domaine
  2. Elle part des connaissances préalables des élèves et les complète lorsqu’un déficit a été identifié grâce à un diagnostic préalable.
  3. Elle promeut dès le départ une organisation efficace des savoirs et du savoir-faire, et leur généralisation au sein de schémas cognitifs optimaux.

La finalité de toute démarche de modelage est d’aboutir à de la généralisation 
  • Nous partons d’exemples concrets et diversifiés.
  • À terme, nous visons à ce que les élèves puissent généraliser les concepts vus dans différents contextes où ils sont pertinents, ce qui demande d’atteindre un certain niveau d’abstraction.
  • Le respect de ce critère est une garantie que les élèves seront à même d’aborder avec succès des tâches de réflexion d’ordre supérieur.
  • Le modelage peut mener à une compréhension d’un niveau profond. Il respecte le processus d’apprentissage de l’élève tel que les sciences cognitives l’ont mis en évidence.

Le modelage favorise l’engagement des élèves de quatre façons 
  1. Il impose un diagnostic et une réactivation, voire un nouvel enseignement des connaissances préalables/
  2. Il facilite l’apprentissage en tenant compte de l’architecture cognitive. L’élève constate lui-même les effets bénéfiques sur son apprentissage.
  3. La seconde façon est d’offrir de multiples occasions de faire des expériences qui mènent au succès. Le modelage permet à l’élève de comprendre, d’apprendre et de générer une expérience de réussite qui va se répéter au fur et à mesure du processus.
  4. Associé à une vérification de la compréhension des élèves, il favorise leur attention et une vitesse de déroulement qui respectent leur rythme d’apprentissage.



Adaptation du modelage au type de connaissances à enseigner


Nous n’allons pas faire du modelage de la même manière dans n’importe quelle branche. Un modelage dans un cours de langues modernes n’aura que peu à voir avec celui exercé dans un cours d’histoire ou de mathématiques. Toutefois, les principes clés du modelage entrent en action pour tout apprentissage et toute matière.

Peu importe les contenus que nous considérons, ils vont toujours associer d’une façon ou d’autres de connaissances déclaratives et des connaissances procédurales, des savoirs et du savoir-faire. 

Beaucoup d’habiletés et de compétences reposent sur une combinaison des deux. En effet, par définition, une compétence est un savoir associé à un savoir-faire.

Ces deux dimensions bénéficient d’un modelage, mais celui-ci va présenter des caractéristiques différentes :
  • Les connaissances déclaratives :
    • Elles forment le noyau des connaissances et regroupent tout ce qui est de l’ordre des faits et de la signification de concepts.
    • Elles ne nécessitent pas plusieurs étapes.
    • Leur modelage demande de quelques secondes à une minute.
  • Les connaissances procédurales :
    • Elles regroupent tout ce qui est de l’ordre de la résolution de problèmes ou de tâches complexes.
    • Elles nécessitent plusieurs étapes.
    • Leur modelage peut demander quelques secondes, mais souvent il s’étend sur de multiples minutes.

Lorsque nous enseignons à nos élèves des connaissances déclaratives, la façon dont nous allons procéder pour l’explication va différer quelque peu par rapport à des connaissances procédurales.

Les critères et composantes qui permettent de construire modelage et pratique vont rester d’application :
  • De connaissances procédurales :
    • Le modelage est conçu de telle manière que chaque étape soit décrite clairement et de manière concise en tenant compte des limites de la mémoire de travail des élèves
    • Les étapes sont rédigées dans l’ordre ou sont énoncées telles qu’elles ont été conçues dans la préparation du cours.
    • L’enseignant utilise, montre et effectue le modelage de plusieurs exemples résolus
  • De connaissances déclaratives :
    • L’idée clé est décrite de façon claire et concise
    • L’idée clé est rédigée ou énoncée telle qu’elle a été conçue dans la préparation du cours.
    • L’enseignant élabore ou donne des exemples
    • L’enseignant illustre de multiples exemples combinant images et mots, et reliés à l’idée clé.



Modelage et alignement curriculaire ou constructif


Ce principe doit être la dimension la plus perceptible du modelage. C’est son respect qui va rendre les principes cognitifs sur lesquels le modelage s’appuie réellement efficaces.

Le modelage traduit en actions l’objectif d’apprentissage et amène l’élève directement à l’apprentissage attendu.

L’adéquation


  • L’explication aide avant tout l’élève à atteindre le résultat de l’apprentissage
  • L’explication l’aide à démontrer qu’il a atteint la maîtrise de l’objectif.
  • L’enseignant doit être en mesure d’expliquer clairement le degré de précision attendu.


L’explication


  • Elle décrit les actions requises pour atteindre le résultat de l’apprentissage et vise à y amener les élèves.
  • Elle doit être claire et concise pour que les élèves traduisent ce que nous attendons d’eux.
  • Chaque minute du modelage, l’enseignant vise quelque chose de spécifique.


Le résultat de l’apprentissage


  • Il se réfère aux comportements et actions observables que l’élève doit manifester et qui démontrent la maîtrise de l’objectif.
  • Il doit être concret et observable par les élèves.
  • Il se traduit en un développement d’habiletés et en une acquisition de connaissances.



La conception des explications au cœur du modelage


La qualité d’un bon modelage vient de celle de la conception des explications.

Si l’enseignant n’est pas capable d’expliquer clairement ce qu’il veut que ses élèves fassent, alors son cours risque de très certainement s’égarer.

Nous devons suffisamment réfléchir à la qualité des explications. Sans cela nous risquons d’être conduits à générer de l’ambiguïté et un manque de clarté pour les élèves.

Il arrive, en tant qu’enseignant que nous abordons des contenus nouveaux avec lesquels nous ne sommes pas familiers. Une bonne pratique est alors de concevoir soigneusement et prudemment l’explication que nous allons donner et l’adapter au profil de nos élèves. Il s’agit de s’engager dans des processus d’empathie cognitive et de réfléchir au cheminement intellectuel des élèves afin de poser des choix pour rendre leur apprentissage plus efficient.

Il apparaît dès lors évident que la modélisation que nous pouvons trouver évoquée dans les programmes ou mise en pratique dans les manuels scolaires est à adapter. Il y a effectivement peu de chances qu’elle soit complètement en phase avec une approche de type enseignement explicite. Il n’est pas plus certain qu’elle prenne en compte les principes de la théorie de la charge cognitive ou de la science de l’apprentissage.



L’enjeu fondamental d’une bonne explication


Une bonne explication correcte ; elle est exacte et complète. Elle est claire, immédiatement compréhensible. Elle utilise le vocabulaire le plus simple possible sans être maladroite et tout en respectant les exigences académiques. Elle est concise et non redondante. Elle combine et intègre schémas et textes.

Si elle répond à ces principes, elle améliorera l’apprentissage et tout particulièrement celui d’élèves qui rencontrent des difficultés, comme des troubles d’apprentissage. Pour ces élèves, l’élément critique est situé au niveau du langage. La langue est un défi pour eux parce que c’est la nature même de l’apprentissage. La difficulté peut se trouver au niveau de l’oral, de l’écrit ou du traitement cognitif, mais la langue reste le dénominateur commun. Des explications dans un langage clair, économe, structuré ne peuvent que les aider.




Mise à jour le 20/12/2023

Bibliographie


Devin Kearns, Modeling and Practicing to Help Students Reach Academic Goals, 2019, https://intensiveintervention.org/modeling-and-practicing-help-students-reach-academic-goals-explicit-instruction-course-module-5

Martin, A. J. (2016). Using load reduction instruction (LRI) to boost motivation and engagement. Leicester: British Psychological Society.

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