lundi 30 septembre 2019

Donner du sens et nourrir l'expertise des enseignants grâce à l'éducation fondée sur des données probantes

Il n’y a pas de meilleure finalité au développement de l’expertise des enseignants que de rendre l’école plus démocratique. 

(Photographie : Vladimir Seleznev)


Définir l’enseignement efficace


L’enseignement efficace a été défini par Bloom, selon Demeuse (et coll., 2005) comme étant lié à :
  • Une élévation de la moyenne de l’ensemble des résultats
  • Une réduction de la variance de l’ensemble des résultats
  • Une diminution de la corrélation entre l’origine sociale de chaque élève (et plus généralement ses caractéristiques initiales) et ses résultats

L’éducation fondée sur des données probantes a un rôle fondamental à jouer dans cette direction, en tant que source pertinente d’informations de référence pour la pratique des enseignants.

Mais comment peut-elle nous influencer ?



Construction de l’expertise des enseignants


Nous pouvons nous interroger sur ce qui caractérise un enseignant expert apte à faire face à une problématique qu’il détecte chez ses élèves et à laquelle il souhaite apporter une réponse adéquate.

Une nuance importante est de considérer honnêtement que nous pouvons très bien devenir un enseignant expérimenté, au fil d’une longue carrière, sans toutefois atteindre le niveau d’un expert de l’enseignement. La sagesse de longues années passées sur le terrain n’est pas une garantie pour apporter les meilleures solutions aux difficultés rencontrées. 

Peu importe notre expérience en tant qu’enseignants, nous n’avons pas la science infuse. Nous ne pouvons progresser sans mener une démarche réflexive nourrie d’apports extérieurs. Nous avons besoin d’une formation continuée de qualité. Nous gagnons à inscrire nos démarches dans des collaborations qui vont nous offrir une rétroaction formative. Nous allons bénéficier de l’acquisition de nouvelles connaissances ou de nouveaux modèles. Toutes ces dimensions vont nous permettre d’affiner et d’enrichir notre palette de pratiques. Sans cela, nous ne pouvons éviter un phénomène de stagnation et après quelques années, risquer d’atteindre un palier et cesser de progresser.

Un enseignant expert possède une connaissance conceptuelle profonde double :
  • Celle de son sujet
  • Celle de son aptitude pédagogique à s’adapter ses élèves.
Ces deux aspects doivent être nourris et entretenus. Nous ne sommes pas appelés à réinventer la roue, mais plutôt à emprunter l’expertise d’autres, pour enrichir la nôtre dans un processus itératif d’échanges réciproques.



L’apport des sciences cognitives dans l’expertise des enseignants


Il y a des connaissances utiles pour les enseignants issues de la psychologie en général, des sciences cognitives en particulier et des sciences de l’éducation plus généralement. Elles peuvent compléter celles que les enseignants ont acquises à travers leurs formations et leur expérience sur le terrain. Ces domaines de recherches sont en plein développement, ainsi les connaissances des enseignants peuvent être mises à jour.

Ces connaissances utiles sont susceptibles de contribuer grandement au développement de l’expertise des enseignants. Elles peuvent améliorer leur efficacité et par là, leur permettre d’atteindre une meilleure réussite pour un maximum d’élèves.

Un fondement important est que les enseignants aient une compréhension claire de la façon dont procèdent les apprentissages dans le cerveau humain. Au-delà des connaissances de la matière et des aspects pédagogiques, cette dimension devrait être une partie centrale de la formation à l’enseignement. La question cruciale est de savoir comment soutenir et piloter le développement d’apprentissages profonds, diversifiés, utiles, intégrés et durables chez nos élèves.  



Poser un regard réflexif sur les pratiques en classe


Nous partons toujours à la recherche d’un idéal. Nous avons besoin d’être utopistes et de développer une pensée contractuelle réaliste positive pour progresser. 

De même, nous devons accepter dans nos actions au quotidien certaines de nos limites et celle du système éducatif auquel nous appartenons. Nous ne pouvons pas enseigner de la même manière conjointement à trente élèves, ce que nous pouvons offrir dans le cadre d’un tutorat individuel. La piste de la différenciation individuelle a ses limites.

Lors d’un rapport un à un, nous pouvons individualiser l’apprentissage. Le rythme de l’enseignement se calque au rythme de la compréhension et de l’apprentissage de l’élève. Il accélère ou ralentit en fonction des difficultés personnelles qu’il rencontre. L’étayage s’ajuste en direct. Une des forces inconditionnelles d’un tutorat individuel est que nous construisons directement à partir des connaissances préalables d’un élève et que nous pouvons contrôler bien plus aisément l’apprentissage.

Entre l’utopie et le renoncement, il existe une marge importante. Nous pouvons œuvrer à l’amélioration, explorer de nouvelles pistes prometteuses, tenir compte de l’expérience accumulée par la recherche dans le domaine. 

Là est tout l’enjeu de la recherche en éducation. Nous cherchons à nous approcher de l’idéal d’un enseignement individuel par une combinaison intelligente de méthodes d’enseignement efficaces qui prennent en compte les limites propres à l’enseignant.

Une telle démarche impose de chercher des solutions pratiques et réalistes, d’adopter des pratiques qui ont fait leurs preuves, qui ont été validées et disposent de données probantes.



Garder un esprit critique et ouvert en pédagogie


Pour autant, le contexte de nos élèves et de nos classes est une dimension importante de l’équation. Si nous mettons conjointement plusieurs pratiques en œuvre, il n’y a pas de garantie que nous pourrons additionner automatiquement leurs effets individuels.

Les critères de la fidélité de la mise en œuvre et de la pertinence de l’intervention comptent. Nous devons disposer de la démonstration expérimentale, puis vérifier dans notre contexte, à la manière d’un projet pilote, que la combinaison fonctionne. Il se peut aussi que la combinaison ou la mise en œuvre fonctionnent moins bien que prévu, certains paramètres peuvent nous échapper.

Un enseignement efficace n’est pas une collection hétéroclite de pratiques résumées sur une affiche ou deux. Il est le fruit d’une pratique délibérée sur le terrain, éclairée par la recherche et par l’accompagnement d’une expertise. Saupoudrer ses choix pédagogiques d’un peu de tout n’a que peu de chance d’aboutir à des bénéfices substantiels.



Soutenir une expertise proactive et éclairée par des données probantes


Enseigner c’est chercher à combiner les approches efficaces. C’est vérifier à notre échelle, avec la collaboration de nos collègues, si une pratique pédagogique est susceptible de nous aider et semble bien s’associer à d’autres que nous pratiquons déjà. Viser l’amélioration, c’est vérifier qu’elle dispose de données probantes et correspond à notre culture éducative et à nos missions. 

Des décennies de recherches ont démontré que l’enseignement explicite (taille d’effet de 0,60 — pour une information sur la taille d’effet, voit article) est efficace. Il en est de même pour l’enseignement réciproque (taille d’effet de 0,55) — qui est un enseignement ou tutorat par les pairs dans le cadre duquel les élèves « s’enseignent » mutuellement en groupes de deux. Le fait de pratiquer en petits groupes, comme le promeut l’apprentissage coopératif, est également efficace (taille de l’effet 0,47). Quand il est bien mené, il multiplie les interactions et rend les élèves plus actifs. Combiner les trois est susceptible de mener à des résultats impressionnants.

En s’appuyant sur notre expertise et en posant des choix de pratiques pédagogiques informés par les données probantes issues de la recherche, un enseignant est susceptible d’obtenir un plus haut rendement d’apprentissage chez ses élèves. Il peut ainsi, à son niveau, rendre l’école plus démocratique.



Mise à jour le 18/11/2023


Bibliographie


Paul A. Kirschner, Luce Claessens & Steven Raaijmakers, Op de schouders van reuzen, Ten Brink Uitgevers, 2018, p 13-17

Yana Weinstein, Megan Sumeracki, Understand how we learn, David Fulton, 2019.

Demeuse, M., Crahay, M. & Monseur, Ch. (2005). Efficacité et équité dans les systèmes éducatifs. Les deux faces d’une même pièce ? In M. Demeuse, A. Baye, M. — H. Straeten, J. Nicaise & A. Matoul (Eds.), Vers une école juste et efficace : 26 contributions sur les systèmes d’enseignement et de formation (pp. 391-410). Bruxelles : De Boeck & Larcier.

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