(Photographie : Ding Ren)
L’approche présentée dans cet article a été conçue et validée par Richard Catrambone et Lauren Margulieux. Ils proposent une méthode d’enseignement guidé et optimisé de la résolution de problèmes complexes. Cette approche s’intègre parfaitement aux démarches d’un enseignement explicite. Elle fonctionne en analysant chaque étape de la conceptualisation et de la réalisation d’exercices comme représentant un sous-objectif formel. La démarche participe à l’acquisition par les élèves de schémas cognitifs plus flexibles et performants.
Le risque des automatismes lié à l’étude de problèmes résolus
Les sciences, les mathématiques, l’informatique et d’autres disciplines nécessitent l’enseignement de procédures de résolution de problèmes.
Dans une perspective instructionniste, ces procédures complexes sont généralement enseignées selon une approche double :
- Un modelage qui permet d’acquérir une certaine indépendance vis-à-vis du contexte :
- Il s’agit d’une description conceptuelle qui expose de manière suffisamment abstraite une procédure et son raisonnement.
- L’idée est de présenter une structure profonde susceptible d’être transférée à divers problèmes pour lesquels elle est pertinente.
- Vient s’y intégrer une série d’exemples travaillés ou de problèmes résolus.
- Ceux-ci sont inscrits dans des contextes particuliers dont ils sont fonction.
- Ils illustrent de façon concrète une procédure et son utilité pratique dans des cas particuliers.
- Ils fournissent des informations de procédure qui sont suffisamment concrètes pour être articulées aux concepts abstraits.
Un danger de cette approche est que les élèves pourraient surtout apprendre à résoudre des problèmes normalisés au moyen d’une série de procédures fixes et verrouillées :
- Ils partent chaque fois d’un ensemble de données de départ.
- Ils les traitent et les manipulent pour arriver au terme de la procédure à une réponse.
- Ce processus/schéma cognitif est stocké en mémoire procédurale.
- La mémoire procédurale est très automatisée. Les élèves tendent à perdre l’accès, au sens déclaratif, aux étapes du processus.
Un enseignement guidé et optimisé de la résolution de problèmes par la mobilisation de sous-objectifs
Lauren Margulieux et Richard Catrambone proposent une piste d’amélioration de l’apprentissage de la résolution de problèmes complexes dans un article de recherche (2016). Elle consiste en l’identification formelle de sous-objectifs dans le cadre des deux aspects de l’enseignement de la résolution de problème qui sont :
- L’exposé des concepts.
- La présentation de problèmes résolus et d’exercices types
Que sont les sous objectifs ?
- Lorsqu’une personne veut résoudre un problème mathématique complexe, elle va entreprendre différentes étapes fonctionnelles qui vont la mener vers cette solution.
- Ces éléments fonctionnels sont appelés sous-objectifs et comprennent une ou plusieurs étapes individuelles. Il s’agit par exemple d’exécuter une opération mathématique, appliquer une règle ou une formule donnée. Nous aboutissons par là à la génération d’un nouvel élément d’information intermédiaire qui sera lui-même mobilisé dans la poursuite de la résolution.
- Les mêmes sous-objectifs tendent à réapparaître à travers la diversité des problèmes correspondant à un thème défini.
L’idée est qu’enseigner aux élèves à identifier, à comprendre indépendamment le sens, l’utilité et les conditions d’utilisation de chacun des sous-objectifs, augmente leur succès ultérieur dans la résolution de problèmes nouveaux.
Que montre la recherche ?
- Il est utile que les élèves suivent des procédures d’identification formelle de sous-objectifs, à la fois dans la présentation conceptuelle et dans les problèmes résolus. Cela les rend plus capables de résoudre de nouveaux problèmes mieux que ceux qui ne les ont pas suivies.
- L’identification formelle de sous-objectifs dans l’exposition conceptuelle initiale semble avoir un effet différent, plutôt qu’additif, sur les élèves, par rapport à l’identification formelle de sous-objectifs dans le cadre des problèmes résolus. Cet effet ne se manifeste que si les sous-objectifs sont eux-mêmes mobilisés dans la résolution d’exercices types et la présentation de problèmes résolus.
- L’intervention au niveau de l’exposé des concepts aide les élèves à expliquer verbalement les procédures.
- L’intervention au niveau des exercices types et problèmes résolus aide les élèves à appliquer les procédures.
Comment l’expliquer ?
La définition de sous-objectifs dans le cadre de la résolution de problèmes fournit à la fois une petite quantité d’information et de structure supplémentaires, ce qui permet d’améliorer les résultats de trois façons :
- En mettant en évidence la structure de l’exemple résolu pour l’élève
- En aidant l’élève à organiser mentalement les différentes informations
- En incitant l’élève à s’auto-expliquer les exemples qu’il rencontre.
Aider les élèves à mettre en évidence la structure sous-jacente des problèmes
L’identification formelle de sous-objectifs met en évidence la structure procédurale sous-jacente des exemples types et problèmes résolus. Elle met en évidence les caractéristiques structurelles des étapes d’un problème à l’autre et leurs associations.
Dès lors, les élèves deviennent plus aptes et susceptibles de découper mentalement les étapes, de les identifier et de les associer.
Ce découpage change la représentation mentale que les élèves se font d’une procédure de résolution de problèmes. Celle-ci n’est plus vue comme une étape unique ou globale. Elle devient plutôt une association d’étapes indépendantes, identifiées par des sous-objectifs, réduisant ainsi la demande en ressources cognitives lorsque le problème auquel ils seront soumis par la suite se présente différemment.
Les élèves développent une représentation plus abstraite de la procédure qui les aide à transférer des connaissances pour résoudre de nouveaux problèmes structurellement différents, nécessitant une application légèrement paramétrée de la procédure considérée.
Aider les élèves à organiser mentalement l’information dans le cadre de problèmes
Les élèves sont novices. Ils ont besoin d’aide pour organiser efficacement l’information nouvelle sous forme de schémas cognitifs, même s’ils peuvent percevoir naturellement certains éléments saillants de la structure globale des exemples de résolution qui leur sont présentés.
Des élèves peuvent reconnaître les composantes d’une procédure mathématique. Toutefois, ils peuvent ne pas comprendre nécessairement comment elles sont reliées entre elles ni comment elles peuvent être transférées ou transposées aisément lorsque le problème que nous leur soumettons présente une forme ou une présentation différente.
L’idée est donc d’aider les élèves à élaborer d’emblée des schémas cognitifs plus flexibles et plus facilement applicables dans le cadre de la résolution d’un type de problème donné.
La façon dont les élèves vont organiser et interpréter les nouvelles informations influe sur leur propension à se souvenir, à utiliser et à acquérir de nouvelles connaissances par la suite. Ainsi, les aider à organiser mentalement l’information est un accélérateur de l’apprentissage.
Lorsque les sous-objectifs sont identifiés formellement, l’élève peut savoir à chaque moment quels sont le rôle, l’importance et la signification de chaque opération intermédiaire signifiante.
Les élèves en contact avec ces informations supplémentaires ont tendance à exprimer et justifier leurs solutions à l’aide de celles-ci, preuve que l’information est en cours de structuration sous forme de schémas.
Cette aide à l’élaboration de schémas cognitifs enrichis et fonctionnels peut expliquer pourquoi les élèves qui bénéficient de ce type de guidage renforcé réussissent mieux la résolution de problèmes que ceux qui ne l’ont pas reçu.
Il a également été montré que les élèves qui reçoivent des explications sur le but des étapes d’un exemple travaillé organisent généralement mieux l’information sur la procédure et transfèrent mieux la procédure à de nouveaux problèmes.
La structuration et les informations supplémentaires apportées par les sous-objectifs ne doivent servir qu’à mettre en évidence la structure profonde et abstraite, indépendante du contexte. À l’opposé, il a été montré que, lorsque les informations supplémentaires ajoutées et la structuration sont purement contextuelles, l’effet sur l’apprentissage est faible.
Promouvoir l’auto-explication dans le cadre de la résolution de problèmes
Les exemples résolus sont conçus pour promouvoir l’auto-explication et aider les élèves à comprendre les procédures sur le plan conceptuel plutôt que de simplement les mémoriser et les restituer telles quelles.
Au plus les élèves comprennent les concepts, au mieux ils peuvent adapter et transférer les procédures à de nouveaux problèmes
L’auto-explication aide les ressources cognitives à se concentrer sur l’information pertinente et réduit l’effort consacré à l’information qui en est étrangère (charge extrinsèque dans le cadre de la théorie de la charge cognitive). L’élève devient plus à même d’ignorer l’information non pertinente.
La quantité d’auto-explications générée spontanément par un élève typique est faible, car c’est un processus qui demande de l’effort, mais des incitations peuvent aussi être fournies lors de la conception du matériel pédagogique.
En regroupant les étapes d’un exemple travaillé à travers une explication significative, nous invitons l’élève à se l’approprier par élaboration. Il s’en inspire pour s’expliquer comment et pourquoi les étapes sont associées.
Le but est d’amener l’élève à élaborer lui-même au départ des explications qui sont fournies à l’origine, à travers la pratique, la vérification de la compréhension et l’élaboration formative. Une rétroaction corrective peut être fournie si nécessaire. Il s’agit de fournir de multiples occasions où les élèves expriment clairement par élaboration leur connaissance de la procédure.
Nous devons éviter que l’élève mémorise des explications et les redistribue telles quelles, car le risque est qu’il n’en perçoive pas tout le sens. Favoriser l’auto-explication et l’élaboration dans des problèmes de contextes différents, aide à acquérir une compréhension plus abstraite de la procédure.
Il a été montré que lorsque l’enseignant applique de telles interventions, les élèves génèrent moins d’explications erronées. La conception d’exemples types et de problèmes résolus pour inclure des sous-objectifs explicités incite les élèves à s’expliquer eux-mêmes. La démarche est plus efficace que de former les élèves indépendamment à l’auto-explication.
Modelage des concepts mobilisés dans le cadre de la résolution de problèmes
L’apprentissage à partir d’exemples types et de problèmes résolus s’accompagne généralement de la réception et de la présentation de notes de cours. Celles-ci exposent les concepts et décrivent de manière plus abstraite et générale la procédure mobilisée. Nous sommes à l’étape du modelage.
Par exemple, un exemple type montre comment utiliser une formule pour établir la probabilité d’un événement, tandis que le texte exposant les concepts décrit la formule elle-même et ses différentes parties.
Des exemples types et des problèmes résolus améliorent l’application immédiate d’une procédure à des exercices et problèmes semblables à ceux travaillés. Un texte exposant les concepts peut améliorer de manière supplémentaire et substantielle le rendement et le transfert à des problèmes différents de ceux de l’exemple, en aidant les élèves à comprendre les procédures de façon conceptuelle.
Le texte exposant les concepts peut être plus efficace que les exemples pour transmettre cette information conceptuelle. Sans celui-ci, un nombre bien plus conséquent d’exemples serait nécessaire pour que les élèves puissent extraire le même niveau d’information abstraite. Il peut rendre visible et explicite la structure abstraite ou autrement implicite d’une procédure.
L’élément essentiel d’un exposé des concepts est sa structuration qui fait bien apparaître les différents sous-objectifs. Les instructions qui mettent l’accent sur les concepts d’un domaine peuvent aider les novices à apprendre comment traiter et organiser de nouvelles informations dans leurs schémas cognitifs.
La présentation des différents concepts doit être orientée dans une perspective directement fonctionnelle. Elle met en évidence le but de la démarche, leur sens et leur utilité. Ce qu’il faut éviter c’est que cette présentation soit trop orientée sur une utilité pratique et puisse être directement applicable pour accélérer des calculs sans amener à réfléchir au sens des démarches.
Lorsque nous fournissons aux élèves des explications conceptuelles générales, ils réussiront mieux des tâches nouvelles demandant de mobiliser ces connaissances, que des élèves qui recevaient des instructions précises et spécifiques.
L’identification de sous-objectifs dans le texte d’exposition pourrait également être considérée comme une forme de signalisation. Les signaux dans le texte font référence à des indices de l’auteur au lecteur sur ce qui est important.
La détection de ces signaux favorise l’identification des concepts importants et le traitement efficace de l’énoncé. L’exposé des concepts avec identification de sous-objectifs attire l’attention des élèves sur eux.
La raison pour laquelle un exposé des concepts et des sous-objectifs ne marche pas sans exemples types et problèmes résolus est que les élèves peuvent avoir de la difficulté à appliquer des instructions abstraites aux problèmes. Les exemples concrets fournissent des renseignements précis sur la façon d’appliquer les concepts à la résolution de problèmes.
L’apport d’un texte exposant les concepts en incluant des sous-objectifs fonctionnels peut améliorer la compréhension conceptuelle des procédures et le rendement en matière de résolution de problèmes en :
- Aidant les élèves à comprendre structurellement les procédures de résolution de problèmes d’une manière qui permette le transfert dans de nouveaux contextes
- Guidant l’organisation mentale des connaissances des élèves en matière de schémas cognitifs
- Aidant les élèves à comprendre l’information des énoncés, en l’organisant et en identifiant les points principaux.
- En encourageant des stratégies d’apprentissage comme l’auto-explication qui incitent l’élève à expliquer comment tel ou tel sous-objectif se rapporte à l’information fournie par l’énoncé.
L’enjeu de connaissances flexibles liées à la résolution de problèmes
Les connaissances et savoir-faire des élèves seront plus flexibles si nous leur enseignons comment interpréter, identifier et verbaliser les solutions de chacune des étapes. La procédure dans son ensemble perd ainsi un aspect de boite noire avec des données de départ et une solution finale sans que l’élève sache trop bien ce que signifient les calculs intermédiaires.
Ainsi toute variation autour du problème est mieux interprétée par l’élève et il gagne de nouveaux indices de récupération.
Lorsque l’aspect conceptuel d’un problème qui est soumis aux élèves est relativement visible et que l’application reste générale, les élèves peuvent de manière relativement facile appliquer la méthode de résolution.
Cependant, ces deux critères ne sont plus respectés lorsque ;
- La visibilité conceptuelle et sous-jacente demande un décodage
- L’utilisation demandée de la méthode de résolution est partielle ou exige quelques ajustements.
L’identification formelle de sous-objectifs dans le texte d’exposition des concepts et dans son modelage, dans les exercices types, dans les problèmes résolus a un impact. De même, un accent mis sur l’auto-explication des procédures et concepts manipulés lors de la pratique est important. Ces démarches semblent aider les élèves à articuler la procédure plus facilement et améliorent leur capacité de résolution de problèmes.
Mis à jour le 26/08/2023
Bibliographie
Margulieux, Lauren and Catrambone, Richard, Improving Problem Solving with Subgoal Labels in Expository Text and Worked Examples (2016). Learning Technologies Division Faculty Publications. https://scholarworks.gsu.edu/ltd_facpub/4
Daniel T. Willingham, 2019, How to Teach Critical Thinking, A paper commissioned by the NSW Department of Education
Bonjour !
RépondreSupprimerVotre réflexion fait écho avec ma propre pratique.
En fait, j'utilise les cartes mentales pour guider méthodologiquement mes apprenants.
Les apprenants les plus à l'aise avec le sujet traité peuvent se contenter du guidage formulé par les niveaux supérieurs de la carte.
Plus ils s'aventurent dans les profondeurs de la carte, plus le guidage est détaillé.
Un exemple avec cette carte : https://msieursvp.fr/wisemapping/c/maps/133/public
Bonne découverte !