lundi 18 mars 2019

Prendre des notes de cours à la main ou sur un clavier

En 2014, Pam A. Mueller et Daniel M. Oppenheimer publiaient leur étude The Pen Is Mightier Than the Keyboard: Advantages of Longhand Over Laptop Note Taking. Ils y concluaient que la prise de notes manuscrites était supérieure à la prise de notes réalisée sur un ordinateur portable. Une réplication récente de leurs recherches par Kayla Morehead, John Dunlosky et Katherine A. Rawson (2019) tend à relativiser cette conclusion et apporte quelques nuances à leur réponse.


(Photographie : Nicholas Pollack)


Si l’usage d’un ordinateur portable ou d’une tablette est réglementé et plutôt limité (quoique parfois incité) dans le secondaire, il n’en est pas de même dans l’enseignement supérieur. Là, les étudiants décident souvent de la façon dont ils veulent prendre des notes. Parallèlement, de nouvelles technologies font peu à peu leur apparition, comme des stylos ou des ardoises numériques ou encore divers autres logiciels sur tablettes, qui permettent d’écrire ou de sauvegarder directement dans un format digital.



Question de départ


La prise de notes est liée positivement au rendement de l’apprentissage. Nous pouvons donc supposer que le format utilisé pour la prise de note peut influencer l’apprentissage et de là, la réussite des élèves. 

De là découle une question. Est-ce que des notes manuscrites ou des notes tapées à l’ordinateur vont avoir la même valeur en tant que processus et en tant que support d’étude ultérieur ?

Le thème de l’article est d’explorer les facteurs qui influencent différentiellement le rendement des deux approches de prise de notes.




L’apport des neurosciences sur la prise de notes


Des recherches en neurosciences ont montré que, par rapport à la dactylographie chez les enfants :
  • L’écriture manuscrite relie davantage les réseaux visuels et moteurs au sein du cerveau.
  • L’écriture et la perception des lettres semblent partager certains substrats neuronaux. Les enfants perçoivent les lettres différemment après la pratique de l’écriture manuscrite qu’après la pratique de la dactylographie. 
Cependant, la plupart de ces recherches ont porté sur des enfants. Par conséquent, ces résultats ne peuvent pas être entièrement généralisés à la prise de notes réalisée par des adultes. De futures recherches pourraient aider à éclairer la question. 



L'impact des écrans sur l'attention en classe


Différentes recherches ont constaté que les utilisateurs d’ordinateurs portables sont plus souvent inattentifs et participent moins en classe que ceux qui n’en utilisent pas. Ils sont dès lors plus susceptibles d’avoir une moins bonne compréhension du cours, une moins bonne performance lors d’un test ultérieur et d’être sensiblement moins satisfaits de leur éducation. D’une même façon, les écrans sont susceptibles de distraire les apprenants installés à proximité qui ont un écran dans leur champ de vision.

Les ordinateurs portables donnent accès à d’autres programmes (p. ex., jeux) et applications (p. ex., mail, réseaux sociaux ou navigateur internet). De telles distractions, même s’ils peuvent leur résister, sont susceptibles de diminuer le rendement des élèves, surtout pour ceux qui ont déjà de la difficulté à apprendre et comprendre la matière en question. Un tel problème ne se pose pas pour ceux qui prennent des notes manuscrites.

La recherche sur l’utilisation d’ordinateurs portables en classe a également fait état d’un meilleur rendement lors d’un test final, pour les classes où les ordinateurs portables n’étaient pas autorisés. Le rendement était supérieur à celui des classes où les ordinateurs étaient autorisés. 

Tout ceci n’aborde pas la question de savoir si les ordinateurs portables peuvent favoriser la prise de notes lorsque les distractions sont supprimées. Il est possible que les ordinateurs portables soient aussi efficaces pour prendre des notes que de façon manuscrite lorsqu’il n’y a pas de distractions. Ils pourraient même être plus efficaces, ce qui correspondrait à un effet de supériorité engendré par l’ordinateur portable.



La vitesse de prise de notes manuscrites ou sur clavier


Certains élèves vont choisir un ordinateur portable parce qu’ils écrivent lentement, parce qu’ils souffrent d’un trouble de l’apprentissage ou parce que leur écriture est difficile à lire.

Selon les données de la recherche, une prise de notes au clavier pourrait se réaliser à un rythme moyen de 33 mots par minute. Une prise de note manuscrite ne générerait qu’une vitesse de 22 mots par minute.

L’une des variables liées à la qualité des notes est la vitesse de l’écriture. Si la vitesse est importante, alors les ordinateurs portables devraient conférer un avantage à la prise de notes de cours, car les élèves peuvent écrire plus rapidement avec un ordinateur qu’avec un stylo et du papier. Il est avéré que ceux qui prennent note à l’ordinateur saisissent plus d’informations que ceux qui prennent note à la main.

La vitesse de transcription est positivement liée à la quantité de notes de cours enregistrées. C’est un paramètre à prendre en compte parce que le caractère complet des notes a un lien positif avec le rendement.



La nature des notes manuscrites ou sur clavier


Dans certains cas, les étudiants peuvent aussi choisir d’écrire des notes à la main parce que la matière du cours comprend des symboles, des figures ou des schémas. C’est le cas dans un cours de mathématiques ou de sciences par exemple.

La nature de la matière vue va jouer un rôle important sur la qualité des notes dans les deux approches. Si elle comprend des schémas qui ont besoin d’être illustrés, la prise de note manuscrite peut permettre aux élèves de prendre des notes plus complètes et d’en tirer plus d’avantages par la suite. 

En général cependant, si le contenu des notes semble plus complet à l’ordinateur, il sera souvent traité avec plus de profondeur dans le cadre de notes manuscrites :
  • Les notes tapées à l’ordinateur se rapprochent plus d’une transcription de ce que dit l’enseignant. La rapidité de la prise de note au clavier rend celle-ci possible. La même prouesse n’est pas possible au rythme plus lent de l’écriture manuscrite.
  • Les notes manuscrites génèrent plus d’élaboration. Le processus impose un effort de synthèse et de reformulation du discours de l’enseignant. La lenteur de l’écriture manuelle impose de traiter plus directement les connaissances et faire preuve d’esprit de synthèse. Il a été montré que les gens incluaient plus de représentations graphiques et visuelles dans leurs notes lorsqu’ils prenaient des notes manuscrites que lorsqu’ils prennent note sur ordinateur portable.

Il semble donc que la prise de note manuscrite ou au clavier tend à ne pas mobiliser les mêmes stratégies cognitives.

L’avantage de notes plus graphiques et visuelles est de faciliter et d’accroître l’apprentissage des élèves :
  • Selon la théorie de l’apprentissage multimédia de Mayer, les élèves apprennent mieux des mots et des images visuelles que des mots seuls. 
  • L’ajout d’images et de représentations graphiques correspond également à la théorie du double codage d’Allan Paivio, selon laquelle l’apprentissage est meilleur lorsque le matériel est traité à la fois verbalement et visuellement. 



Notes manuscrites ou sur clavier, ce que montre la recherche


Il y a peu de recherches sur les effets des ordinateurs portables sur la prise de notes et les résultats qui s’en dégagent sont parfois contradictoires.

Dans les résultats rapportés par Mueller et Oppenheimer (2014), des étudiants universitaires ont regardé une conférence vidéo (TED Talk). Ils ont pris des notes soit à la main sur papier, soit en tapant sur un clavier portable. Ils ont ensuite effectué des tâches de distraction pendant environ 30 minutes. Par la suite, ils ont été soumis à un test. Celui-ci comprenait des questions factuelles et conceptuelles sur les conférences. Le rendement sur les questions factuelles n’a pas varié d’un groupe à l’autre. Cependant, le rendement sur les questions conceptuelles était beaucoup plus élevé pour ceux qui prenaient des notes à la main que pour ceux qui prenaient des notes à l’ordinateur portable.

Le bienfait en matière d’apprentissage lié à la prise de notes semblait avoir un effet supérieur avec la prise de notes manuelles.

Dans leur réplication, Morehead et coll. (2019) constatent également de petits effets (mais ils restent non significatifs d’un point de vue statistique) favorisant la prise de notes manuscrites. Morehead et ses collègues concluent qu’il semble prématuré de conclure sur la meilleure méthode pour améliorer la prise de notes.

D’autres études qu’ils rapportent n’ont pas démontré d’effet de supériorité à long terme sur l’apprentissage lié à la prise de notes manuscrites. D’autres ont même montré un avantage opposé, c’est-à-dire un meilleur apprentissage lors d’une prise de notes à l’ordinateur portable.



Prendre des notes manuscrites ou sur écran, un choix pragmatique


Actuellement, il est prématuré de se lancer dans des recommandations générales quant à savoir si les élèves et étudiants devraient prendre des notes à la main ou à l’aide d’un ordinateur portable en classe.  

La question de l’utilité même de la prise de notes se pose. Dans une de leurs expériences, Morehead et coll. (2019) ont utilisé également un groupe des personnes sans notes. La performance au test immédiat ne différait pas entre ceux qui prenaient des notes et ceux qui ne le faisaient pas. En d’autres termes, toutes les méthodes de prise de notes semblent n’avoir qu’un impact limité sur l’apprentissage généré par la prise de notes elle-même. Ils influencent peu ce que nous retenons en suivant le cours.

La meilleure chose à faire semble donc d’adopter des démarches pragmatiques. Le principal avantage des notes est d’aider les étudiants à étudier après les cours :
  • Les notes manuscrites offrent une plus grande souplesse dans l’organisation des notes en temps réel, lorsque les symboles à intégrer sont nombreux, et dans la mesure où elles offrent plus de facilité pour créer des représentations visuelles. 
  • Les notes sur ordinateurs sont elles plus facilement manipulables par la suite, elles sont plus complètes, plus lisibles, plus faciles à réécrire et à réorganiser que les notes manuscrites. 

Le choix du mode de prise de notes peut également être lié au rythme du cours. Si la réalisation de notes manuscrites plus synthétiques a un côté séduisant, il faut malgré tout prendre en compte la limitation de la charge cognitive qui peut en limiter son application.  
  • Si le rythme du cours n’est pas trop élevé, la prise de notes manuscrites semble avoir l’avantage, car nous disposons alors suffisamment de temps pour traiter l’information, la synthétiser et développer des formes plus visuelles.
  • Si le rythme du cours est trop élevé, le traitement de l’information doit être postposé. Dans ce cas, la prise de notes sur clavier semble préférable dans la mesure où elle permet d’accéder à une source d’informations plus complète par la suite. L’élaboration et la réalisation de notes synthétiques et plus graphiques nécessitent en effet un plus grand traitement cognitif extrinsèque qu’il ne sera peut-être pas possible de réaliser en direct.
Une piste semble se dessiner dans un usage combiné pour conjuguer les avantages des deux approches. Le seuil écueil à prendre en compte reste alors l’effet négatif de l’ordinateur portable sur l’attention qui n’est pas négligeable.

Il importe donc pour l’enseignant, s’il choisit de promouvoir la prise de notes, qu’il en considère les limitations. Il doit garder comme préoccupation première que ses élèves saisissent et capturent efficacement les idées et concepts principaux qu’ils auront besoin de connaître plus tard.



Mise à jour le 19/03/2022

Bibliographie 


Morehead, Kayla & Dunlosky, John & Rawson, Katherine. (2019). How Much Mightier Is the Pen than the Keyboard for Note-Taking? A Replication and Extension of Mueller and Oppenheimer (2014). Educational Psychology Review.

Luo, Linlin & A. Kiewra, Kenneth & Flanigan, Abraham & S. Peteranetz, Markeya. (2018). Laptop versus longhand note taking: effects on lecture notes and achievement. Instructional Science.

Peverly, S. T., & Wolf, A. D. (2019). Note-taking. In J. Dunlosky & K. A. Rawson (Eds.), The Cambridge Handbook of Cognition and Education (pp. 320–355). New York: Cambridge University Press.

Mueller, P. A., & Oppenheimer, D. M. (2014). The Pen Is Mightier Than the Keyboard: Advantages of Longhand Over Laptop Note Taking. Psychological Science, 25(6), 1159–1168. https://doi.org/10.1177/0956797614524581

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